A / Quelques remarques de méthode :
1 / Le point de vue est singulier, mais ce travail est aussi le résultat
d’activités et de discussions collectives, et ce depuis longtemps.
Je suis placé aux confins d’un chemin personnel et de flux
collectifs. Je ne suis pas un porte-parole et ne cherche pas à
l’être, mais je tiens à remercier les personnes et
les groupes qui ont contribué à nourrir cette démarche
ou à améliorer le texte final.
2 / Dans le cas présent la position d’observateur ne
se détache pas de celle de l’acteur politique. Cette tentative
de va et vient accepte tous les risques que comporte ce genre de posture.
Parfois, ce type de démarche est nommé recherche / action,
j’accepte le terme. De mon point de vue, nous n’avons pas
d’autres choix pour avancer. Si nous restons au niveau de l’action
concrète, en général, nous ne prenons pas de distance.
Si nous nous plaçons seulement en situation d’observation
théorique extérieure nous ne pouvons pas tester les hypothèses,
les analyses et tenter de transformer ce monde. La vérité
visée ici est bien sûr située, relative, liée
à une subjectivité et donc mise en débat.
3 / La nécessité de comprendre est une utilisation
de la raison à posteriori tout en étant immergé-e
dans le réel social. Il est parfois difficile de démêler
l’écheveau aux fils multiples. Les champs concernés
sont nombreux, intriqués les uns dans les autres et ont, entre
autres, des dimensions irrationnelles, inconscientes. Il n’est pas
question de trancher le noeud, mais d’essayer d’alimenter
le débat sur le devenir, les possibles libertaires, et de poser
à nouveau la question de l’autonomie et de la puissance politique
comme le faisait Castoriadis, par exemple (c.f. note suivante).
Le débat porte évidemment sur le contenu du mot “ politique ”,
les contenus de l’idée libertaire, de l’idée
révolutionnaire (pour moi ces deux notions sont équivalentes).
Par contre, les personnes, qui escomptent trouver des solutions dans ce
document, risquent d’être déçues. Car, à
mon avis, nous ne pouvons pas faire l’économie de l’état
de la question, ou des questions. La seule solution qui me semble valable,
parce que nous l’avons déjà expérimentée,
est d’assumer collectivement et publiquement ces interrogations.
4 / L’argumentation implique de temps en temps des incises
méthodologiques (soit directement dans le texte ou sous forme de
notes) pour essayer de préciser dans quel champ conceptuel nous
nous trouvons. La distinction classique entre la description de “ ce
qui est ”, le constat à partir d’une grille de
lecture déjà construite, et l’affirmation de “ ce
qui devrait être ”, qui implique forcément un
jugement de valeur ou une référence à des valeurs,
est connue. Dans le cas présent, le point de vue est souvent critique
et se place dans une optique oppositionnelle, qui refuse l’état
de choses existant. Même si j’essaie d’adopter une démarche
réaliste, matérialiste sur le constat des faits, je n’échappe
pas à des références en valeur. La lutte théorique
est toujours un combat situé dans l’espace et le temps.
5 / Plusieurs champs théoriques sont présents dans
ce document. La difficulté vient de l’articulation entre
eux, qui ne va pas de soi. J’accepte l’incomplétude
et le manque, une seule approche me paraissant insuffisante. D’autre
part, je ne choisis pas entre le mouvement et le caractère fixe
des phénomènes, entre le processus et la structure parce
que les deux points de vue sont éclairants et ne s’excluent
pas pour autant.
6 / Je m’exprime souvent en terme de tendance, parfois en terme
d’hypothèse. Ceci est important pour ne pas prendre pour
des absolus les quelques constats mis en avant pour essayer de comprendre
l’évolution de ce monde. D’autre part, cette démarche
laisse ouverte la question de la possibilité de l’action
politique (collective et / ou individuelle). La liberté
humaine existe, même si parfois son étendue est très
limitée, même si souvent nous sommes impuissant-es. Le fait
que nous puissions penser est en soi un possible à ne pas négliger.
Comme pour l’action, ensuite c’est à chacune et chacun,
à toutes et tous ou à personne de se déterminer.
Cornélius Castoriadis, 1922 - 1997, philosophe,
psychanalyste, sociologue et théoricien politique d’origine
grecque. Il s’était installé en France en 1945.
Il est fondateur du groupe Socialisme ou Barbarie avec Claude Lefort.
Castoriadis est un penseur de l’autonomie, après avoir
rejeté le marxisme officiel il est resté hors des principaux
courants de pensée des intellectuels français : structuralisme,
positivisme logique, postmodernisme, lacanisme, etc. Il préfère
utiliser la notion d’imaginaire pour analyser la société.
Il a écrit de nombreux ouvrages dont : “ L’institution
imaginaire de la société ”. Certaines analyses
le présentent comme un penseur politique autogestionnaire qui
nous donne des outils pour contester, pour édifier des barricades,
pour construire une théorie critique du capitalisme, pour penser
le changement du monde, pour désirer changer la vie politiquement.
B / Marcel Mauss, 1873 - 1950, sociologue français
proche de Durkheim, célèbre pour son “ Essai
sur le don ”, où il étudie le potlach, c’est
à dire le rituel d’échanges entre chefs et clans
dans les sociétés primitives des îles du pacifique.
Le don assure prestige, puissance et rang symbolique. L’enjeu
c’est de donner plus. Le don, c’est aussi l’obligation
de rendre. Celui qui donne le plus est le plus puissant. C’est
à l’occasion de cette étude qu’il forge le
concept de “ fait social total ”, parce qu’il
mêle un ensemble de faits complexes, tout ce qui constitue la
vie sociale d’une société. Le fait social total
exprime plusieurs dimensions : religieuse, juridique, morale, politique,
matrimoniale, familiale, économique, esthétique, culturelle,
symbolique, etc. Le système de don et de contre-don est un mécanisme
d’échange social, il met en scène toute la société,
il permet la réactivation de la cohésion sociale. La pertinence
de ces observations sur le don et le contre-don est, à mon avis,
encore valable notamment sur le plan symbolique et pratique dans les
activités militantes. La puissance de la chefferie militante
a souvent comme base le don de soi. Le retour symbolique est très
valorisant pour l’engagement en vue des grandes idées humanitaires.
Jouer à Zorro c’est un bon moyen pour avoir une bonne image
de soi (socialement et individuellement). A propos de la théorie
du don, une utilisation récente revient sur ce qui est essentiel
dans le don, c’est à dire : “ Le primat
du lien sur le bien ”.
Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l’ignorance
et de ses conditions modernes, éditions Micro-Climats, Cahors,
1999, page 135
C / Théodor W. Adorno, 1903 - 1969, philosophe
allemand, membre de l’Ecole de Francfort, exilé aux USA,
de retour en Allemagne en 1949. Promoteur avec Max Horkheimer de la
“ Théorie critique ”. Il a mené
aux USA une étude sur la personnalité autoritaire, il
a également étudié la théorie esthétique
et la musique. Il est revenu en Allemagne après la seconde guerre
mondiale. Il s’est intéressé aux rapports entre
la culture et le “ monde administré ” de
la société industrielle. Il termine son oeuvre par un
livre sur la “ dialectique négative ”.
Ce livre est une tentative de dépasser la “ dialectique
de la raison ” (livre écrit en collaboration avec
Horkheimer), autre nom de l’évolution de la raison instrumentale
qui conduit à l’aliénation capitaliste. C’est
une tentative de réappropriation de la raison, qui se sait porteuse
de domination, par la négation du sujet historique développé
par le marxisme et par le développement du moment critique propre
à la révolte sociale.
D / Hannah Arendt, 1906 - 1975, philosophe d’origine
allemande, émigrée en France une première fois
pour fuir le nazisme, puis exilée une seconde fois aux USA. Elle
a dû séjourner au camp de Gurs parce qu’elle était
juive. Elle s’est évadée pour fuir de nouveau. Elle
est la disciple et l’amie de Heidegger et de Jaspers. Elle refuse
de se dire philosophe, elle préfère la notion de théorie
politique. Elle pose une question majeure : “ Comment penser
après Auschwitz ? ”.
Son oeuvre est donc fortement connotée à l’étude
du totalitarisme. Elle a provoqué un scandale en rendant compte
du procès d’Eichmann à Jérusalem. Elle a
également écrit deux livres sur “ La crise
de la culture ” et “ La condition de l’homme
moderne ”. Sa pensée continue de servir de référence
ou de base à de nombreux travaux en philosophie et en théorie
politique.
E / Max Weber, 1864 - 1920, sociologue allemand.
Il est célèbre pour ses études sur l’autorité
(traditionnelle, charismatique, bureaucratique). Il estime que l’Etat
est le seul dépositaire de la violence légitime. Il est
également connu pour ses travaux sur l’influence de l’éthique
protestante sur le développement du capitalisme. La rigueur de
cette religion, couplée avec le lien direct entre la personne
humaine et Dieu, a favorisé l’accumulation primitive du
capitalisme sur l’axe rhénan. En effet l’éthique
puritaine des premiers entrepreneurs a permis le développement
capitaliste parce qu’ils voyaient dans leur réussite matérielle
un signe d’élection religieuse. Il a également écrit
un livre sur “ L’Esprit du capitalisme ”.
F / Émile Durkheim, 1858 - 1917, sociologue
français, souvent considéré comme le fondateur
de la sociologie. Il propose de “ considérer les faits
sociaux comme des choses ”. Il cherche à étudier
les structures qui assurent l’intégration des individus
et la cohésion sociale pour essayer de saisir les causes des
dérèglements qui se manifestent dans les sociétés
modernes industrielles. Il essaie, dans son livre sur “ Les
formes élémentaires de la vie religieuse ”
(1912), de faire l’histoire des formes sociales de la prise de
conscience du réel, de produire une théorie générale
de l’activité symbolique. Le langage, les signes, les symboles,
envisagés comme des faits sociaux, ne prennent sens qu’en
fonction d’un contexte social et historique précis et de
leur position dans un ensemble de relations.
G / Kurt Gödel, 1906 - 1978, mathématicien et philosophe né en Autriche.
Il s’exile aux USA. Il a produit deux théorèmes d’incomplétude, qu’il
compléta par une troisième découverte : la non-contradiction relative.
Le premier théorème d’incomplétude démontre que tout système formel assez
puissant pour inclure un minimum d’arithmétiques, de théorie des ensembles
ou de théorie des types comprend des propositions indécidables.
Le second théorème d’incomplétude démontre que tout système S vérifiant
certaines conditions minimales, la consistance de S ne peut être formellement
établie.
Le troisième théorème de non-contradiction relative démontre que si la
théorie des ensembles est cohérente, cette théorie enrichie de l’axiome
de choix et de l’hypothèse généralisée du continu est cohérente.
Ces travaux de Gödel datent de 1931. Ils marquaient les limites internes
du formalisme (le besoin d’un ou de plusieurs indécidables) et mettaient
fin aux espoirs d’une théorie finie des mathématiques comme celle de Hilbert.
Les conséquences des découvertes de Gödel sont les suivantes :
- dès qu’un domaine des mathématiques est assez large (dès qu’il inclut
l’arithmétique), la démonstration de sa non-contradiction ne peut se faire
qu’à l’aide de systèmes plus puissants que lui ;
- le second théorème signifie qu’aucune démonstration vraiment satisfaisante
de non-contradiction ne sera jamais donnée ;
- le troisième résultat conduit à la notion de calculabilité utilisée
par Turing et reprise ensuite en informatique. Jean-Paul Delahaye résume
l’enjeu des ces théorèmes ainsi :
« L’histoire des mathématiques et des théorèmes de Gödel montrent que
nous ne pourrons jamais être certains de la non-contradiction des théories
que nous utilisons. Que nous soyons des machines ou pas ne change rien
: les théories mathématiques comme les théories physiques ne proposent
pas des certitudes, mais des instruments qui fonctionnent plus ou moins
bien, plus ou moins longtemps et qu’il faut ajuster ou changer de temps
en temps. Peut-être réussira-t-on un jour à démontrer que nous ne sommes
pas des machines, mais cela ne se fera pas sans l’invocation des théorèmes
d’incomplétude de Gödel ! » Du point de vue des mathématiques il estime
qu’il faut :
« Vivre avec les contradictions. ».
Jean-Paul Delahaye est Directeur adjoint du laboratoire d’informatique
fondamentale de Lille du CNRS. Cette citation est extraite d’un article
intitulé : « Statut mathématique des contradictions », publié dans le
numéro 241 de la Revue Pour la science de Novembre 1997.
Article disponible sur Internet : Pour
la Science n° 241
Une autre présentation des théorèmes de Gödel, trouvée sur Internet, expose
le débat de cette façon :
« 1 / Il existe des formules dont on ne peut ni démontrer qu’elles sont
vraies, ni qu’elles sont fausses ;
2 / on ne peut pas savoir a priori si une formule est démontrable. Pire,
le deuxième point se prouve « en construisant une formule qui affirme
qu’elle est elle-même non démontrable ».
Ce que M. Lascar [professeur de mathématiques et directeur de recherche
au CNRS] compare au paradoxe d’Epiménide le Crétois qui prétendait que
tous les crétois étaient des menteurs. A la différence qu’ici, ce n’est
pas le langage humain, avec toutes ses nuances, ses interprétations qui
est utilisé, mais le langage mathématique, autrement appelé logique. Ces
résultats ont été démontrés par Gödel dans les années 30 et 50. On les
appelle les théorèmes d’incomplétude de Gödel. Ils prouvent que toute
théorie mathématique est soit incomplète, soit incohérente. Ils remettent
en question des certitudes bien établies. Ainsi les maths ne forment pas
un tout cohérent, il faut faire des choix (est-ce loin du pari de Pascal
?). » ..... / .....
« La contradiction touche aussi la logique ... Et alors, où est le problème ?
Est-ce si décourageant de penser que les maths puissent se contredire
? Que le vrai ET le faux sont relatifs ? Que l’on peut répondre oui ET
non à une même question ? Non, ce n’est pas décourageant, c’est exhaltant
au contraire, c’est la preuve qu’il n’y pas de vérité absolue ... ».
Pour chercher sur Internet : ohoui@kafkaiens.org
ou ahnon@kafkaiens.org KaFkaïens
Magazine
Plusieurs textes sur ces thèmes sont présents ici :
Présentation du Théorème de
Gödel par Francine Jaulin-Mannoni
La thèse de Church entraîne l'incomplétude
de Gödel par Bruno Marchal
Kurt GÖDEL Philosophe et logicien 1906-1978
Gödel et les limites de la logique PRÉSENCE
DE L'HISTOIRE par JOHN DAWSON
STATUT DES CONTRADICTIONS
LOGIQUE ET CALCUL Jean-Paul Delahaye
H / Le structuralisme est à la fois une
théorie et une méthode d’analyse qui considère
un ensemble de faits comme une structure. Cette structure est un système,
un ensemble solidaire, dont les composants sont liés par un rapport
d’interdépendance. Ce courant de pensée est issu
de la linguistique. Il traite les faits humains comme des éléments
symboliques d’un ensemble, qui peut être identifié
ou déchiffré. Cet ensemble est nommé structure.
Le structuralisme est une position en sciences humaines qui évacue
les contenus subjectifs, les significations que les humains attribuent
aux événements pour arriver à une description objective
des structures. En linguistique, par exemple, le sens ne se définit
pas par le rapport entre le mot et la chose, mais dans la relation dans
un système de signes (à la fois comme contenu : le
signifié ; et comme contenant : le signifiant). On peut
voir le structuralisme comme une combinatoire qui opère sans
égard par rapport à l’histoire. La structure n’a
pas de contenu distinct, elle est le contenu même, si on l’appréhende
dans son organisation logique, qui est alors une propriété
du réel. Par exemple, Levi-Strauss a appliqué le structuralisme
à l’analyse des mythes. Il estime que l’intelligence
humaine est une pensée logique au niveau du sensible, qui utilise
des catégories empiriques, comme le cru et le cuit, qui deviennent
des outils conceptuels pour dégager des catégories abstraites.
La vérité du mythe consiste “ en rapports logiques
dépourvus de contenu ou plutôt dont les propriétés
invariantes épuisent leur valeur opératoire, puisque des
rapports comparables peuvent s’établir entre les éléments
d’un grand nombre de contenus différents ” (cité
par Jean Lacroix article “ Le structuralisme de Claude Levi-Strauss ”)
disponible à l’adresse internet suivante :
<http://www.altern.org/jeanlacroix/strauss.htm>
Selon le structuralisme, il existe une objectivité et une structure
des mythes. Levi-Strauss ne cherche pas à montrer comment les
humains pensent les mythes, mais “ comment les mythes pensent
dans les hommes et à leur insu ”. On constate donc
que le structuralisme établit le primat de la structure sur l’événement
ou le phénomène. L’événement social
ou psychique n’a pas en lui-même sa signification, il renvoie
nécessairement à une globalité. Par voie de conséquence,
c’est l’idée même d’intériorité
qui est contestée. Le structuralisme pense où l’organisation
fait système, sans que le sujet humain en soit conscient.
Les approches structuralistes sont différentes selon les domaines
et les auteur-es. Mais le structuralisme est une théorie du fait
de son affirmation de la primauté de la structure sur le phénomène
ou l’événement. De ce point de vue, les processus
sociaux se déploient dans le cadre de structures fondamentales
qui, très souvent, restent inconscientes pour les humains. Le
structuralisme est également une méthode qui a pour domaine
d’application tous les phénomènes qui ont un caractère
de système. Dans ces systèmes aucun élément
ne peut être modifié ou supprimé sans que cela entraîne
une modification de l’ensemble. La démarche structuraliste
consiste à expliquer les phénomènes à partir
de la place qu’ils occupent au sein même du système
dans lequel ils sont inclus, suivant des lois d’association ou
de dissociation. Le structuralisme a une approche “ synchronique ”,
où la coexistence des divers éléments au sein d’un
même ensemble, et ce au même moment, peut fournir l’intelligibilité
des phénomènes étudiés. Cette démarche
s’opposait à l’approche “ diachronique ”
basée sur l’étude de l’histoire, sur la genèse
de chaque partie prise séparément. Cette approche s’opposait
au marxisme comme analyse fonctionnant à partir de l’étude
de l’histoire.
La présentation du structuralisme de Lévi-Strauss sur cette page
Le structuralisme de Lévi-Strauss
Cette présentation du structuralisme de Lévi-Strauss par
Jean Lacroixest accessible ici sur le Net
http://www.mygale.org/leslacroix/strauss.htm
Une définition du structuralisme est sur cette page
Le structuralisme en sciences
sciences humaines
Une définition courte
Définition du structuralisme
Une définition pour un cours avec les différents courants
et quelques objections
Le structuralisme
Une définition liée aux travaux de Piaget sur les stades
de développement de l'enfant
La notion de structure
I / Le phallologocentrisme c’est le nom
donné par certaines critiques au déploiement de la philosophie
occidentale basée sur le logos (à la fois comme discours
et comme logique de raisonnement) de l’homme mâle blanc.
Ce terme a été utilisé et développé
par certaines critiques féministes.
J / Le fordisme tire son nom de Henry Ford,
un capitaliste producteur de voiture à Détroit aux USA.
On peut considérer le fordisme comme une étape du capitalisme
moderne, qui est caractérisé à la fois, par la
production de masse, par une division du travail très élaborée,
par une politique d’augmentation des salaires et par un compromis
avec les syndicats, et par un accroissement de la possibilité
de crédit bancaire. Tout ceci permettant la consommation de masse
et un développement capitaliste sans précédent.
Au début du XX° siècle pour baisser les coûts
dans un contexte concurrentiel, les entreprises industrielles cherchent
à rationaliser la production. Taylor, puis Ford comprennent que
la solution ne viendra pas de la réduction des salaires, mais
de la production en grande série. Taylor propose une méthode
d’organisation du travail, qui sépare la conception et
l’exécution des tâches, une séparation entre
les ingénieurs et les ouvriers-ères considéré-es
comme des exécutant-es. La direction de l’entreprise capitaliste
renforce ainsi son contrôle sur les processus de fabrication.
Le travail intellectuel est séparé du travail manuel.
La division du travail ou atomisation du travail (le fameux travail
en miettes) est complétée par l’introduction de
la chaîne par Ford en 1917. Le convoyage des pièces est
mécanisé et l’ouvrier n’a plus à se
déplacer pour travailler. Le second aspect important du fordisme
est l’augmentation des salaires. Pour que la production en grande
série se vende, il faut qu’il existe des acheteurs-euses.
En produisant des biens moins chers à l’unité et
en augmentant un peu les salaires, on fait se rencontrer la production
de masse et la consommation de masse.
La coupure entre travailleurs manuels et intellectuels rencontre la
résistance des ouvriers qualifiés, qui se voient dépossédés
de leurs compétences techniques et organisationnelles. Après
une longue résistance, les syndicats acceptent un compromis.
Celui-ci est basé sur la redistribution, sous forme d’une
augmentation de salaire, d’une partie des profits obtenus par
les gains de productivité. Cette augmentation de la productivité
est liée à une rationalisation du travail et une intensification
du travail, ce que Marx nomme la “ plus-value relative ”.
Il faut également souligner le rôle de Keynes, un économiste
qui préconise l’intervention de l’Etat dans l’économie,
ce qui deviendra plus tard l’Etat-providence (cette nomination
est abusive, puisqu’il s’agit d’une intervention pour
réguler la demande et aider le capitalisme et non pas d’une
providence pour l’ensemble de la population). D’autre part,
le développement des banques permet de proposer des crédits
afin d’acheter des biens de consommation.
Ce modèle fordiste s’imposa de façon générale
après la fin de la seconde guerre mondiale. Il s’agit à
la fois d’un compromis dans la lutte de classe, d’une nouvelle
façon d’organiser le travail et de la possibilité
d’une consommation de masse.
K / Certaines analyses remarquent que le capital financier
possède maintenant les attributs qui étaient
réservés à Dieu auparavant : Toute
puissance, action à distance, immatérialité, immédiateté,
permanence, omniprésence, etc.
L / Cet auteur dénonce “ la pensée
chewing-gum ” qui caractérise l’alliance
de la pensée de gauche et du libéralisme économique.
Il a déjà publié “ Le mythe de l’entreprise
et l’illusion du management ”.
M / Chevénement est une figure majeure de
ce courant de pensée.
N / Eduardo Colombo donne l’explication
suivante à l’origine de la nomination des Cyniques :
le nom leur vient d’Anthisthène (445 - 360) qui discourait
dans le gymnase de Cynosarges, dans la banlieue d’Athènes:
“ le chien agile ” ou “ à l’enseigne
du vrai chien ”. Le cynique : “ vrai chien toujours
prêt à aboyer contre la médiocrité ou l’hypocrisie
des gens bien, et déchirant à belles dents toute forme
d’aliénation, de conformisme ou de superstition ”
ou de servitude.
Cf Léonce Paquet, Les cyniques grecs, Éditions de l’Université
d’Ottawa, Ottawa, 1975, page 11.
Note contenue dans le numéro 1 de la Revue Réfractions,
“ Libertés imaginées ”, dans l’article
“ La centralité dans les origines de l’imaginaire
occidental ” d’Eduardo Colombo, page 158.
Contact de la Revue Réfractions :
Les amis de Réfractions, B. P. 33, 69 571 Dardilly cedex.
O / La DPS c'est le service d’ordre du
FN qui se comporte comme une police parallèle et n’hésite
pas à agresser les antifascistes, à provoquer des heurts
pour les traduire en justice, à les ficher, les filmer. Cet organisme
est souvent qualifié de “ milice ”. Ces
méthodes sont en contradiction flagrante avec l’esprit
républicain.
P / Chez les pythagoriciens, la monade est l’unité
parfaite qui est le principe des choses matérielles et spirituelles.
Pour Leibniz, c’est une substance simple, irréductible,
indivisible, l’élément premier de toutes les choses,
qui contient en elle-même le principe et la source de toutes ses
actions.
Q / Tout ceci est à voir encore une fois en terme de tendance,
dans la jeunesse il existe une tendance inverse, où le sérieux
et l’inquiétude permanente sont la règle.
R / La participation défendue par le
gaullisme était une méthode qui préconisait que
l’entreprise donne des primes à l'ancienneté sous
forme de participation à l’actionnariat de l’entreprise.
Les sommes en jeu étaient peu importantes et on ne pouvait pas
les négocier avant un certain nombre d’années.
S / Depuis le début de la rédaction de ce travail
un nouveau livre est paru. Il complète et nous place dans une
perspective plus féconde. Il s’agit du livre de Luc
Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme,
éditions Gallimard, collection N. R. F. essais, Paris, 1999.
Ce livre nous propose, entre autres, une comparaison entre le discours
du management des années soixante (rationnel, scientifique porté
par les ingénieurs contre l’autorité de type familial),
celui des années soixante-dix et quatre-vingt (la notion de projet
ou d'objectif permet de donner de l’autonomie aux cadres en gardant
la maîtrise des finalités) et celui des années quatre-vingt
dix qui reprend le thème de l’autonomie et celui de la
critique artiste (plus de souplesse et d’autonomie, responsabilisation
des personnes, gestion des émotions, etc...). Ce livre pose la
question de “ l’esprit du capitalisme ”
et de l’intégration par le système des critiques
qui lui sont portées, le capitalisme créant ainsi les
conditions de possibilités de son maintien et de son évolution.
Ce questionnement de “ l’esprit du capitalisme ”
et de la récupération des critiques par le système
pose problème à tous ceux et celles qui luttent contre
lui.
T / La notion de paradigme vient de Thomas Kuhn,
un de ses livres s’appelle “ Structures des révolutions
scientifiques ” (Paris, 1972, éditions Fayard). Il
est américain et a étudié l’histoire des
sciences, la philosophie des sciences. Cet auteur a proposé la
notion de paradigme qui existait déjà en philosophie chez
Platon. Il a étendu l’usage de ce concept à la science,
pour ma part je l’emploie dans un sens général.
Dans l’histoire des sciences et de la philosophie des sciences,
selon son analyse, un paradigme, à une époque donnée,
est un ensemble de convictions partagées par la communauté
scientifique mondiale.
L’usage de cette notion pour l’étude de la domination
est celui du ou des paradigmes concernants le sens commun de nos sociétés,
on peut le relier à la notion d’ambiance mentale. Pour
essayer d’illustrer notre propos nous pouvons prendre l’exemple
de la situation des femmes aux alentours des années 68 et 70.
Avant cette période les femmes avaient un statut juridique différent
de celui des hommes, elles étaient considérées
comme inférieures dans la société, la femme au
foyer c’était normal et banal, c’est à la
femme qu’incombaient les tâches ménagères,
l’élevage et l’éducation des enfants, le divorce
était compliqué, il était basé sur la notion
de faute, sur l’adultère. Autour de la fin des années
soixante et le début des années soixante-dix s’est
produit un ensemble de changements. Il y a eu un refus de la soumission,
une non-acceptation des situations d’infériorité
dans lesquelles les femmes se trouvaient. Le divorce a changé
de nature avec la notion de consentement mutuel. Le rapport au corps
a été modifié avec la pilule, la libération
sexuelle, le droit de choisir, la légalisation de l’IVG.
Le souhait d’indépendance a conduit beaucoup de femmes
à travailler, les enfants concernent le couple et plus seulement
la femme. Petit à petit les tâches ménagères
deviennent une affaire mutuelle, même s’il y a encore beaucoup
à faire pour arriver à l’égalité.
Il s’agit bien d’un changement de paradigme. Ce sont des
idées générales qui se sont diffusées et
ont été admises dans toute la société. Aujourd’hui
ce corpus d’idée est accepté et transmis aux nouvelles
générations, c’est naturel, évident ....
C’est l’inverse qui choque. Il s’agit d’une
construction collective qui concerne à la fois les représentations
collectives, le mental de chaque personne, le droit, la pratique individuelle
et sociale, les comportements acceptés ou condamnés. Ce
changement est inscrit dans un processus, ce n’est pas le fruit
de la volonté d’un grand dirigeant, ni d’une seule
personne. Ce n’est pas le fruit d’une décision et
ce n’était pas prévisible ou prédéterminé.
Cette évolution est le résultat de luttes collectives,
de comportements individuels, d’oeuvres artistiques, de discussions,
etc.. C’est un changement qui a impliqué de multiples facteurs,
c’est un ensemble de phénomènes qui était
à l’oeuvre comme la démocratisation de l’enseignement,
par exemple, et qui est donc lié à l’éducation
des filles, à l’arrivée de la société
de consommation, au refus de la société autoritaire patriarcale,
etc.
Pour l’individu-e dans le contexte postmoderne nous avons un processus
identique. L’individualisation est à l’oeuvre depuis
longtemps dans le capitalisme, mais aujourd’hui nous sommes face
à une mutation qualitative qui concerne tous les aspects de la
société. Il y a eu la création du RMI qui allait
dans ce sens, aujourd’hui il s’agit du plan de formation
et du bilan de compétences et demain il sera question du contrat
individuel pour les personnes mises en prison après un délit
avec un plan de réinsertion, un parcours qui ira de l’enfermement
à la libération conditionnelle en passant par diverses
étapes de rééducation personnalisée.
Avec la notion de paradigme nous sommes obligé-es d’admettre
que notre ensemble de pensées contient une partie de valeurs.
La distinction entre la description des faits sociaux et l’appréciation
de ces mêmes faits n’est pas aussi évidente qu’il
y paraît. Sans être relativiste, nous devons admettre que
des valeurs entrent dans notre appréhension des phénomènes
sociaux. Ces valeurs sont contenues dans les mouvements culturels généraux
de l’humanité. La validité de ces mouvements ne
peut pas se mesurer de façon scientifique. L’idée
de paradigme permet d’aborder le changement dans la description
de la conscience. L’étude des évolutions sociales
montre que les mutations ne sont pas seulement dues à la lutte
de classe. Depuis les années soixante et soixante-dix les luttes
concernent des sphères plus vastes que le conflit bourgeoisie
/ prolétariat. Les mouvements radicaux de cette époque
concernaient directement la vie et le mode de vie. Les domaines impliqués
par cette contestation étaient ceux de l’écologie,
de la libération sexuelle, du droit de choisir, du refus de l’autoritarisme,
de l’égalité des hommes et des femmes, de l’égalité
raciale, de la condamnation de l’ethnocentrisme, de l’égalité
des échanges mondiaux, de la lutte contre l’impérialisme,
etc. Tous ces éléments s’intégraient dans
une nouvelle conception intellectuelle de l’humanité.
En se plaçant du point de vue du changement de paradigme, l’étude
sociale est une partie organisée de la culture qui a pour objet
d’aider les humains à comprendre leur situation et à
reconstruire la culture de façon continuelle. Ce mouvement a
touché la philosophie, puisque après la mort de la métaphysique,
elle s’est intéressée à l’esthétique,
elle se penche sur le vécu instable et subjectif des humains.
La philosophie aborde alors la question du temps, des représentations,
des passions, du goût. L’esthétique devenant un des
paradigmes explicatif du monde contemporain. Dans la science, les réseaux
de paradigme convergent vers la notion de complexité. Les scientifiques
étudient les rapports de la partie au tout, les niveaux d’organisations,
les rétroactions, le chaos auto-organisateur, les changements
brusques de forme, les situations de déséquilibre, l’ordre
qui découle du désordre, on assiste au développement
des études systémiques, etc. La linéarité
mécaniste est dévalorisée au profit des études
dialectiques sur l’organisation organique et architectonique,
on essaie de comprendre les logiques à l’oeuvre, etc.
Le paradigme est également utile pour étudier ce qui fait
obstacle au changement, au paradigme nouveau. Dans ce cadre, la science
se comprend comme un ensemble d’idées qui s’inscrit
dans un système de pensée. Ce système de pensée
est impliqué dans la matérialité des recherches
et des expériences, dans la façon de vérifier les
résultats et dans la construction des concepts. Le changement
de paradigme est en quelque sorte une révolution spirituelle.
L’évolution du paradigme montre comment les humains ont
besoin de mutation sur le plan culturel, comment nous sommes des mutant-es.
Le nouveau paradigme correspond à une nouvelle formulation des
problèmes, des méthodes et des concepts. Ceci montre la
solidarité des divers composants de l’unité d’ensemble
qui propose une certaine manière de poser les problèmes,
de les résoudre. L’étude des changements de paradigmes
essaie de comprendre et d’expliquer l’organisation conceptuelle,
de décrypter la dynamique interne de cet ensemble et de voir
comment l’influence externe joue sur lui. C’est pour cette
raison que l’étude de la notion de paradigme en science
impliquait qu’existe déjà une science. La révolution
galiléenne change le paradigme de la connaissance antérieure
qui était basée sur la saisie et la perception immédiate
du monde. L’interprétation se faisait au moyen de mythes
et de systèmes de valeurs liés à une vision divine
et cosmique. Galilée en introduisant les mathématiques
dans l’étude de la mécanique bouleverse la connaissance
dans son contenu et dans son fonctionnement. Il disait que le monde
était un livre écrit en langage mathématique. Ce
changement touche la notion de réalité étudiée
qui n’est pas forcément visible à l’oeil nu,
cette réalité est en partie constituée par l’étude
elle-même. La mutation touche les explications puisque ce sont
les mathématiques et non plus Dieu qui fournissent les modèles
explicatifs des réalités étudiées. Les critères
de validité pour les découvertes issues de cette nouvelle
modélisation ont aussi changé. La notion de preuve est
rationalisée et reproductible universellement. La différence
d’avec la science d’avant Galilée tient également
au fait qu’il est impossible de reprendre les anciens modèles
dans la nouvelle science. Par contre, la science de Galilée,
de Descartes et de Newton, la mécanique classique, est intégrée
dans le modèle relativiste d’Einstein, elle devient un
cas particulier de cette nouvelle façon de comprendre le monde.
Le concept de paradigme, pour la science, ne détruit pas l’unité
de cette approche, ni ne conteste l’aspect cumulatif de l’avancée
des connaissances. L’idée de paradigme permet de rendre
compte des ruptures et de la continuité.
Il existe plusieurs façons de présenter un paradigme,
celui-ci peut relever d’une conception ouverte ou d’une
conception plus fermée qui oriente l’activité humaine
par les méthodes d’analyses qu’il contient. La notion
de modèles est assez proche de celle de paradigme. La modélisation
a souvent comme base une démarche prospective et critique du
savoir, elle n’est pas une imagination libre. Elle propose des
images liées à un ensemble de pensées rationnelles,
celles contenues dans le savoir antérieur qui a été
vérifié et discuté. Le modèle se doit de
faire le lien entre le concret de l’objet étudié
et les déterminations abstraites qui vont donner un éclairage
nouveau sur cette réalité. La fonction du modèle
implique que l’on respecte les obligations liées à
la preuve et que l’on considère la création d’une
nouvelle image du réel comme une condition de possibilité
de la recherche. Nous sommes alors confronté-es à la notion
de possibles et à celle de nécessité, qui sont
à la fois contenues dans le réel et en même temps
des projections de l’esprit humain. Le paradigme dont nous parlons,
l’individualisme lié au relativisme, est de cet ordre,
il est une construction mentale pour comprendre la réalité
sociale et il est une nécessité pratique dans ce réel.
De ce point de vue, le monde est une construction culturelle des humains
tout en étant la réalité de notre vie. Cette approche,
qui essaie de prendre en compte la multiplicité, nous la retrouvons
dans l’analyse qui voit dans le relativisme contemporain une équivalence
des valeurs sur le plan idéologique et une condition de possibilité
du changement social, une nécessité inscrite dans la réalité
sociale (l’égalité des différences et l’équivalence
des relations entre les individu-es, la différence de l’autre
étant condition de mon existence).
U / Michel Maffélosi parle de la fin
de l’individualisme parce qu’il existe le néo-tribalisme.
Je pense au contraire que le néo-tribalisme existe parce qu’existe
l’individu, que c’est une nécessité pour le
regroupement des individu-es atomisé-es, déterritorialisé-es
par le système.
V / L’enclosure est une pratique qui se
répandit du XVIe au XVIIIe siècle en Angleterre, et qui
consistait à clôturer les champs et pâturages jadis
ouverts. Cet usage entraîna la disparition des vieilles pratiques
communautaires et appauvrit les paysans au profit des éleveurs
de moutons.
Le terme est d'origine anglaise, il désigne la mise en clôture
d'un terroir, elle implique la disparition de la vaine pâture
et le partage des communaux. Cette étape essentielle de la révolution
agricole en Europe occidentale permit la rationalisation de l'élevage
et de la culture, au détriment de la petite paysannerie. Historiquement,
l'enclosure fut une des principales évolutions de la transition
d'une agriculture féodale de subsistance à une agriculture
moderne tournée vers le commerce.
L'enclosure apparut au Moyen Âge en Angleterre, au XIII siècle,
des lois furent édictées pour garantir aux tenanciers
l'usage des terres non clôturées. L'enclosure se développa
à la fin du XV siècle, au moment où la communauté
paysanne fut disloquée sous l'effet de la disparition du servage
et de la tenure coutumière et aggravée par la crise démographique.
L'agriculture passa d’un stade communautaire à un stade
individualiste. Les grands propriétaires terriens essayèrent
d'expulser les paysans des communaux pour gagner de nouveaux pâturages.
Les champs labourés, sans enclos, furent remplacés par
des pâturages fermés pour les moutons. Acculée à
la ruine, une grande partie de la petite paysannerie fut contrainte
de travailler pour l'industrie de la draperie, en plein essor à
cette époque.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les clôtures se multiplièrent
en Angleterre, puis en France, généralement sous la forme
de haies vives. Le mouvement prit toute son ampleur en Angleterre après
1760, au moment même où démarrait la révolution
industrielle, et atteignit son apogée vers 1850. Stimulé
par le Général Enclosure Act de 1801 (Loi de clôture
générale), il fut freiné après 1845 par
une loi destinée à mettre un terme aux abus. Pays de moyenne
propriété, l'Angleterre vit la constitution de grands
domaines soumis à une agriculture intensive et rationalisée,
capables de répondre à la demande croissante des marchés
urbains.
Les riches propriétaires mirent en œuvre plusieurs moyens
pour accroître la production agricole : assèchement
des marais, déboisement et surtout suppression de la jachère
par une meilleure utilisation des engrais naturels, notamment grâce
à l'accroissement de l'élevage. Le développement
des prairies artificielles encloses et des racines fourragères
devant permettre de rompre le cercle vicieux d'une agriculture pauvre
en bétail faute de terres et pauvres en terres à cause
de la jachère et du faible rendement des terres cultivées.
L'enclosure, parce qu'elle provoqua la disparition des communaux et
des vaines pâtures, accéléra l'exode rural. Les
communaux étaient des portions de terrains (chemins, fossés,
haies, bois, marais, etc.) ne faisant l'objet d'aucun acte de propriété
et qui étaient utilisés par tous les villageois pour leur
bétail ou pour la récolte de bois. La vaine pâture
permettait aux habitants du village de faire paître leurs troupeaux
sur les terres non clôturées, pendant toute la période
allant de la récolte à l'ensemencement. Pour la petite
paysannerie, elle constituait le seul moyen d'entretenir un peu de bétail.
Les riches propriétaires anglais qui décidèrent
de clôturer leurs champs accaparèrent souvent dans le même
temps les terrains communaux, en invoquant des droits seigneuriaux,
et forcèrent les petits exploitants à vendre leurs parcelles
à bas prix. Ainsi fut réalisée une rapide concentration
des terres, tandis que la petite paysannerie aisée, après
avoir tenté en vain de s'opposer au phénomène,
subit une dégradation de son statut ; elle se retrouva la plupart
du temps en fermage ou en métayage sur des terres qu'elle possédait
autrefois. Ceux de moindre condition, qui ne trouvèrent plus
à s'employer dans les campagnes, formèrent le gros de
l'exode rural. L'industrie, en pleine croissance, bénéficia
de l'afflux de cette main-d'œuvre abondante.
Les Pays-Bas, la Belgique, le nord de la France et de l'Italie furent
gagnés par le mouvement au début du xix siècle,
où la plupart des contraintes collectives disparurent. En France,
les communaux ayant été récupérés
par les communes pendant la Révolution française, les
grands propriétaires terriens purent acquérir ces terrains
dans le cadre de ventes aux enchères. La jachère continua
d'être pratiquée en France jusqu'en 1850.
W / Mon parcours est le suivant : j’ai commencé
par être maoïste en 1973, puis je suis devenu membre d’une
association antiraciste en 86, où j’ai rencontré
la revendication de la nouvelle citoyenneté et la question de
la xénophobie d’Etat. J’ai également collaboré
à ce qui restait d’un groupe “ communiste révolutionnaire ”.
J’ai participé aux travaux du Collectif Malgré Tout
pendant un certain temps. J’ai opté pour la voie libertaire
pratiquement lors du mouvement anti-Cip en 1994 avec une pensée
de la situation et de l’événement. J’ai alors
rencontré l’antifascisme radical et la critique du racisme
différentialiste, puis l’anarcho-syndicalisme en 1995.
Des textes de Miguel Benasayag et du Collectif Malgré Tout Malgré
Tout
XY / L’Ecole de Francfort est un courant
d’idée qui, en philosophie, est représenté
par Horkheimer, Adorno et consorts. Herbert Marcuse a commencé
ses travaux avec cette école. Habermas s’en dit l’héritier.
On peut se référer au célèbre livre :
Théodor Adorno W. et Max Horkheimer, La dialectique de la raison,
Gallimard, Paris, 1974.
Y / La réification est un terme venant
du latin “ res ” : chose. La traduction littérale
serait “ chosification ”, mais ce terme est considéré
comme un barbarisme. La réification transforme en choses la vie
sous tous ses aspects, ici en marchandises. La réification est
le concept complémentaire de l’aliénation (devenir
autre) parce qu’elle dépouille de la vie ce qu’elle
atteint.
Z / Suite à une remarque des rédacteurs de la revue
Temps Critiques, j’emploie maintenant le pluriel
pour les luttes de classes. Effectivement il y a plusieurs classes et
plusieurs luttes, dont acte !
AA / La notion de genre essaie de rendre compte
du fait que l’identité sexuelle est aussi une construction
sociale. Il s'agit du "sexe social". Parmi tous les travaux
consacrés à cette approche, on peut citer un ouvrage qui
rend bien compte du processus en jeu :
La fabrication des mâles de G. Falconnet et N. Lefaucheur publié
en 1979 par les éditions du Seuil dans la collection de poche
Points Actuels.
BB / Ces catégories sont celles de la psychanalyse. Cette
approche théorique et clinique nomme cela les “ topiques ”.
Ce terme vient du grec “ topos ”, lieu. Cette
racine est présente dans un mot très connu : “ utopie ”,
dont le dictionnaire donne la définition suivante : “ qui
n’existe en aucun lieu ”.
Freud proposait une modélisation du psychisme humain avec un
schéma, un système de lieux, de territoires psychiques.
Freud présente la première topique en 1905, où
il distinguait trois instances dans le psychisme : “ l’inconscient,
le préconscient et le conscient ”. En 1920 il en énonce
une autre formulation : la seconde topique, la plus connue :
“ le ça, le moi et le surmoi ”.
CC / Dominique Quessada, en s’appuyant sur
la démarche de Pierre Legendre, nous propose une analyse de la
société de consommation de soi. Pour étayer son
approche, cet auteur se livre à une déconstruction du
rôle et du fonctionnement de la publicité. Il pense que
dans la publicité il existe : “ une production
industrielle du langage ”. La publicité utilise toutes
les ressources et la puissance des médias modernes pour proposer
des images et des emblèmes aux humains afin de capter leurs désirs
pour vendre, pour fournir une identité au travers des “ marques ”.
Celles-ci deviennent une marque de reconnaissance, une raison de faire
groupe dans la situation du capitalisme marqué par la généralisation
du spectacle et de la marchandise mondialisée. Ce fonctionnement
tend de plus en plus, selon lui, à se développer sur le
mode de la consommation de soi, sur le mode de l’autophagie.
Il estime, comme La Boétie, que la soumission volontaire est
à la base de notre fonctionnement social. Il constate que la
marque, l’image, l’emblème, le drapeau, le nom s’adressent
au regard et à l’émotionnel pas à la raison.
Ce qui permet de faire groupe c’est l’échange ritualisé
entre, d’une part, l’appartenance à un nom, la reconnaissance
d’un emblème comme étant le sien, l’intégration
à un ensemble humain qui fait Un par la reconnaissance visuelle
et émotionnelle ; et d’autre part, notre soumission librement
consentie. C’est le fonctionnement de ce mécanisme, qui
s’effectue selon des modalités propres à chaque
culture, qui constitue l’inestimable objet de la transmission
culturelle, de la généalogie humaine. C’est par
ce fonctionnement que les humains arrivent à connaître
les limites de leurs désirs, à intégrer la loi
symbolique qui fait tiers pour soi et pour la communauté humaine.
L’emblème est un repère, une expression de la généalogie
qui désigne les sujets et fixe leur place. L’emblème
signifie et exhibe l’inscription généalogique par
laquelle le sujet humain se voit situé comme descendant, comme
héritier d’un texte. Il s’agit de la production dogmatique
du social par la ritualité et de la reproduction de l’humanité
par l’institution des images et du nom. La marque et le nom sont
de la “ colle humaine ” qui fonctionnent par l’intermédiaire
du langage. La soumission volontaire est enracinée dans la volonté
de compréhension du monde. Le peuple fabrique son maître
parce que celui-ci permet de donner corps à une communauté
et de donner sens à une réalité chaotique (Dominique
Quessada, page 145 et suivantes).
Il développe un chapitre entier (“ La magie politique
du nom ”, pages 143 et suivantes) à cette question
et son analyse semble tout à fait pertinente, même si elle
nous annonce une mauvaise nouvelle : la place du maître est
liée à la magie du nom qui fait Un. C’est cette
magie qui permet l’existence du groupe humain, c’est ce
phénomène qui produit “ la colle sociale ”
et qui est inconnaissable aux humains parce qu’il est inconscient.
Il précise que le “ nom d’Un ” n’est
pas le nom de quelqu’un, parce que la personne qui exerce le pouvoir
s’efface derrière le “ nom d’Un ”,
derrière le pouvoir du langage, qui procure la jouissance du
signifiant aux humains. Le langage étant compris ici comme le
lieu de reconnaissance mutuel, il capture le désir sous l’illusion
de l’Un. Selon cette analyse, la servitude non contrainte est
le prix de l’agrégation (page 158).
De mon point de vue, son analyse de la publicité me semble juste :
la publicité vue comme le poste avancé de la domination
mentale dans le fonctionnement du capitalisme actuel. Cette critique
est assez proche et complémentaire de celle faite par Serge Tisseron :
“ Si le XXe siècle mérite une mention spéciale,
c'est bien dans le domaine de la fabrication d'images destinées
à orienter les croyances et les comportements, notamment politiques.
La publicité, aujourd'hui, est le laboratoire de ces recherches.
Leur moteur est toujours le désir de faire partie d'un groupe,
directement ou indirectement.
Certaines fois, la publicité joue directement sur ce désir.
C'est le cas des publicités pour " l'Oréal "
organisées autour du slogan " parce que je le vaux
bien ". Ces publicités flattent, amusent ou intriguent
leurs spectateurs. Mais d'autres publicités, au contraire, dérangent
et malmènent leurs spectateurs. Pour venir à bout de ce
dérangement, ils n'ont que deux solutions : soit ils parlent
de cette publicité et ils augmentent alors son impact, soit ils
achètent le produit et c'est pour eux une façon de se
rassurer sur le caractère normal de leur émotion parce
qu'ils ont l'impression de se rattacher au groupe de tous ceux qui consomment
le même produit après avoir éprouvé le même
malaise. Le moteur essentiel de telles images est donc leur impact émotionnel
dérangeant, et c'est notamment la stratégie utilisée
par la marque " Benetton ". Plus le spectateur d'une
image est malmené par elle, plus il est tenté d'emprunter
le chemin qui lui est indiqué dans cette image pour résoudre
son malaise. La publicité nous permet ainsi de comprendre ce
qu'est une image violente : c'est une image qui ne nous pousse
pas à penser, mais à agir, et cette définition
concerne les images verbales, parlées ou écrites, autant
que les images visuelles. ” Serge Tisseron, texte de
présentation de sa conférence à l’Université
de tous les savoirs du 8 Juin 2000, Propagande, publicité, information
et désinformation, texte présent sur le site Internet
de L’Université de tous les savoirs :
<http://www.2000enfrance.com/sites/utls/index.htm>.
puis
<http://www.2000enfrance.com/sites/utls/calendrier/juin.htm>
Ces auteurs ne parlent pas du capitalisme, mais leur analyse du fonctionnement
de la publicité s’intègre facilement dans une perspective
critique. Ce qui est gênant chez Dominique Quessada dans son livre
sur la consommation de soi, c’est son insistance sur le besoin
de transcendance, sur le besoin d’autorité extérieure.
Selon ses présupposés, c’est la transcendance qui
fonderait l’autorité. La nécessité, non discutée,
d’une autorité transcendante, la justification, la légitimation
du fonctionnement inconscient de sa mise en oeuvre, me pose problème.
Dominique Quessada semble regretter, comme Pierre Legendre, la disparition
de la loi basée sur la transcendance, sur une base extérieure
à l’humanité. Dans notre période contemporaine
cette analyse est couramment présentée de façon
banalisée, ce serait la fin de la loi des pères, le déclin
du rôle des pères qui serait la source de tous nos maux.
Cette analyse est souvent exprimée sur le mode du regret, sur
le mode de la nostalgie face à la crise générale
de l’autorité, la perte des repères, la relativité
des valeurs et l’évolution inéluctable de l’humanité
vers sa perte.
La fin de la transcendance est liée à une révolution
mentale qui a été commencée avec le combat des
intellectuel-les des Lumières en philosophie, en littérature,
et réalisée sur le plan politique en partie par la Révolution
française de 1789 et les évolutions qui se sont produites
dans toute l’Europe et en Amérique au cours de cette période.
Devons-nous revenir à cela ? Je ne le pense pas. De mon
point de vue, la fin de la référence hétéro-centrée
est une chance pour l’humanité et ce qui est à combattre
aujourd’hui c’est la domination qui a pris depuis longtemps
déjà la forme du capitalisme.
Je suis d’accord avec le constat d'Eduardo Colombo sur le passage
de l'hétéro-référence à l'auto-référence
et la position toujours renouvelée de la critique (cité
dans le texte dans le chapitre V / “ L’humain ? ”).
L’auto-référence n’est pas celle qui peut
être développée depuis la position auto-centrée
du narcissisme. Cette figure de l'auto-référence, le narcissisme
exacerbé, peut conduire de temps en temps à la création
artistique, mais elle est stérile politiquement parlant, elle
conduit forcément dans une impasse face au problème de
l’être ensemble de la communauté humaine.
Les valeurs de l’humanité ont une histoire et, à
mon avis, c'est l'humanité qui doit devenir la référence.
Ceci nécessite une mise en discussion régulière
du contenu de nos lois et de nos valeurs au regard des effets réels
de l’institution humaine, de la politique, du fonctionnement des
communautés humaines. Nous devons essayer de passer du fait inconscient,
à la conscience du fait pour passer ensuite à la conscience
du contenu.
DD / Erich Mühsam est mort assassiné
par les nazis le 9 Juillet 1934. Il avait été arrêté
le 13 Avril 1934 le jour de l’incendie du Reichstag. Il a été
torturé longuement, les nazis lui ont, entre autres, cassé
les doigts afin qu’il ne puisse plus écrire pour protester.
Il avait participé activement à la République des
Conseils de Bavière en 1919. Il était resté en
prison de 1919 à 1924. Son livre est écrit en mémoire
de Gustave Landauer autre grande figure libertaire.