"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google

STATUT MATHÉMATIQUE DES CONTRADICTIONS
LOGIQUE ET CALCUL
Jean-Paul Delahaye


Comme les physiciens, les mathématiciens proposent des théories provisoires, infirmées par des contradictions. Celles-ci ne menacent pas les mathématiques, mais sont sources d'inspiration.

Un étudiant demanda au logicien anglais Bertrand Russell : «Prétendez-vous que de 2 + 2 = 5, on peut déduire que vous êtes le pape ?» «Certainement, répliqua le grand logicien... Réfléchissez un peu. Supposons que 2 + 2 = 5. En soustrayant 2 de chaque côté du signe égal, on obtient que 2 = 3. Par symétrie, on a aussi que 3 = 2 et, en soustrayant un de chaque côté, 2 =1. Maintenant le pape et moi nous sommes deux, mais, puisque 2 = 1, le pape et moi ne sommes qu'un, et donc je suis le pape.»
Cette propriété de la logique classique, appelée ex-falso quodlibet, énonce que, si une proposition est à la fois fausse et vraie, alors tout autre énoncé est vrai ; dans l'exemple, Russell est le pape...

Donc, si vous prouvez que 0 = 1, comme vous savez que 0 <> 1, vous pouvez en déduire, généralement en raisonnant par l'absurde, que n'importe quel théorème mathématique est vrai, et, par exemple, qu'il existe une infinité de nombres premiers pairs! Une seule contradiction détruirait-elle l'édifice mathématique, une montagne de merveilles édifiée par 40 siècles de travail?

Heureusement, les mathématiciens n'envisagent pas sérieusement qu'une affirmation soit à la fois vraie et fausse : la contradiction leur est insupportable, et ils font tout pour l'éviter. Ils classent les énoncés mathématiques en deux catégories, les vrais et les faux, et tentent de savoir à quelle catégorie chacun appartient. Ils ne réussissent pas toujours, et certains problèmes restent ouverts des années, voire des siècles.
De surcroît, certaines questions sont si délicates que les mathématiciens ne savent pas s'ils pourront jamais trancher : ces propositions sont indécidables, ni vraies ni fausses.

Dans une théorie possédant une contradiction, pour éviter que tout ne s'effondre dans le non-sens, il faudrait s'interdire de raisonner par l'absurde. Impossible, car tout le monde accepte ce principe de raisonnement, l'instrument de travail quotidien du mathématicien. Même les mathématiciens intuitionnistes (lesquels, par peur des contradictions dont l'infini pourrait être responsable, choisissent d'utiliser une logique moins puissante que la logique classique) conservent le raisonnement par l'absurde.

Théories contradictoires à jeter

Plusieurs fois dans l'histoire des mathématiques, des contradictions ont provoqué de graves inquiétudes.
Les Grecs ressentirent la découverte de l'irrationalité de la diagonale du carré (autrement dit, que la racine carrée de 2 n'est pas le quotient de deux entiers) comme une contradiction, car ils pensaient implicitement que toute grandeur pouvait être exprimée par une fraction. La diagonale du carré existait géométriquement, mais pas en tant que nombre! Il fallait définir un autre type de nombre. Cela n'était pas aisé, et pendant des siècles les mathématiciens se méfièrent des extensions de la notion de nombres : ils se replièrent sur la géométrie, et il a fallu plus d'un millénaire pour qu'ils s'en dégagent.

Au XVIIIe siècle, les premières présentations du calcul infinitésimal de Newton et de Leibniz permettaient d'obtenir sans mal une démonstration de 0 = 1 (c'est-à-dire une contradiction). C'est d'ailleurs pour cela que l'évêque Berkeley, fondateur de la doctrine idéaliste, refusait de prendre au sérieux ce nouveau calcul, et disait, non sans humour, que, lorsqu'on croit au calcul des fluxions (nom donné par Newton à sa théorie), il n'est pas difficile de croire aux mystères de la religion. Curieux argument de la part d'un évêque!

Plus tard encore, à la fin du XIXe siècle, la première version de la théorie des ensembles, formalisée par Frege, permettait de mener un raisonnement analogue à celui concernant le barbier qui rase tous les barbiers qui ne se rasent pas eux-mêmes (se rase-t-il lui-même?). Craignant une contamination de toutes les mathématiques, le grand Henri Poincaré avait proposé de renoncer complètement à la très prometteuse théorie des ensembles.

Plus récemment, certains physiciens utilisaient dans leurs calculs ce qu'ils appellent la fonction d'Heaviside ; cette fonction n'est pas conforme avec ce que l'on considère habituellement comme une fonction. Les calculs auraient amené des contradictions si on les avait pris au pied de la lettre.
Pourtant jamais, au grand jamais, ces absurdités apparentes n'ont entraîné de catastrophes majeures : elles ont, au contraire, été bénéfiques.

Guérisons des théories malades

Circonscrire une contradiction revient souvent à renoncer à un principe qu'on croyait évident. Dans le cas des irrationnels, il a fallu renoncer à l'idée que deux grandeurs sont toujours commensurables. Ce renoncement élimine la contradiction et, bien loin d'en être irrémédiablement perturbée, la théorie des nombres s'est nourrie des irrationnels.

Le calcul infinitésimal a été établi sur des fondements solides, d'abord au XVIIIe et au XIXe siècle par la mise au point de bonnes règles de calcul et l'introduction d'une notion rigoureuse de limite, puis plus récemment, au XXe siècle, grâce à l'analyse non standard qui définit une manipulation non contradictoire des infiniment petits. Cela a donné raison à ceux qui avaient eu le génie de prendre quelques risques et tort à l'évêque Berkeley qui voulait tout rejeter.

Pour remédier aux contradictions des nouvelles méthodes d'analyse, les mathématiciens utilisent les quantités avec lesquelles ils veulent calculer (infinitésimaux, sommes et produits infinis), mais sans suivre certaines règles de manipulation de l'algèbre qu'on croyait intangibles et consubstantielles. Par exemple, selon la façon de placer les parenthèses, la somme :
1 - 1 + 1 - 1 + 1 - 1 + 1 - 1 + 1 - 1 + ...
vaut 0 ou 1 :
(1 - 1) + (1 - 1) + (1 - 1) + (1 - 1) + ... = 0 + 0 + 0 + ... = 0
1 + (2 + 1) + (2 + 1) + (2 + 1) + ... = 1 + 0 + 0 + 0 ... = 1

Pour éviter cette contradiction, il faut d'abord admettre que toute somme infinie ne désigne pas un nombre : ici, la somme infinie n'a pas de sens. Les manipulations effectuées ne signifient rien, et la contradiction obtenue n'a pas à être acceptée.
Même lorsque les sommes infinies ont un sens, les opérations qu'on faisait sur les sommes finies ne sont plus nécessairement autorisées. C'est ce que montre la somme infinie suivante :
s = 1 - 1/2 + 1/3 - 1/4 + 1/5 - 1/6 + 1/7 - 1/8 + 1/9 - 1/10 + 1/11 ...

En changeant l'ordre des termes et en les regroupant, on obtient :
s = (1 - 1/2) - 1/4 + (1/3 - 1/6) - 1/8 + (1/5 - 1/10) - 1/12 + ...
= 1/2 - 1/4 + 1/6 - 1/8 + 1/10 - 1/12 + ... = 1/2 (1 - 1/2 + 1/3 - 1/4 + 1/5 - 1/6 + 1/7 + 1/8 - ...) = 1/2 s

Alors s = 1/2 s, donc s = 0, ce qui contredit le fait qu'en regroupant les termes deux par deux, dans l'ordre, la somme (1 - 1/2) + (1/3 - 1/4) + ... est une somme de nombres strictement positifs, donc strictement positive. La somme infinie s, si l'on accepte d'en permuter les termes et de les regrouper, est à la fois nulle et strictement positive! Pour éviter cette contradiction, il faut renoncer à changer l'ordre des termes des séries infinies, même si elles sont convergentes. Quelques précautions de ce genre et l'élaboration du concept de limite éliminent toutes les contradictions des méthodes de calcul introduites par Newton et par Leibniz.

La théorie des ensembles a su se prémunir des antinomies (noms donnés alors aux contradictions qu'on y a trouvées) et elle constitue aujourd'hui un socle pour toutes les mathématiques, dont elle a unifié et simplifié la présentation. Dans son cas, plusieurs remèdes différents ont été proposés. L'axiomatisation de Zermelo-Fraenkel est la plus souvent adoptée : elle se fonde sur l'idée que n'importe quel regroupement d'objets ne doit pas être considéré comme un ensemble et qu'en particulier les regroupements trop gros (comme celui de tous les ensembles) sont à éviter. Même si la solution retenue aujourd'hui apparaît ad hoc à certains logiciens, elle fonctionne parfaitement, et, depuis plus de 70 ans, aucune nouvelle antinomie n'a été découverte.

Le calcul des distributions, inventé par Laurent Schwartz dans les années 1950, a justifié a posteriori les fantaisies des physiciens. Il se fonde sur une généralisation de la notion de fonction continue, qu'on appelle distribution ; dans un cadre nettoyé de toute contradiction, ce qui est devenu la «distribution d'Heaviside» a pu s'épanouir. Dans cette théorie, même les distributions correspondant à des fonctions non continues sont dérivables (et on peut même y dériver les fonctions 1,5 fois ou pi fois!).

Notons que d'autres méthodes de calcul utilisées en physique (par exemple les techniques dites de renormalisation qui consistent à faire des manipulations étranges avec des quantités infinies) n'ont pas aujourd'hui de justifications mathématiques totalement satisfaisantes (autrement dit, sont contradictoires dans les cadres actuels où l'on pourrait les faire tenir) et attendent leur sauveur.

Confrontés à une contradiction, les mathématiciens réussissent toujours à l'éliminer, et une contradiction n'a jamais durablement mis en danger les mathématiques. Mieux, en stimulant la recherche, toute contradiction amène un enrichissement. La situation en mathématiques serait donc semblable à celle de la physique, où toute expérience venant contredire les théories admises stimule les imaginations et amène une reformulation complète des vieilles théories et une avancée générale.

Aussi, bien qu'il ne soit jamais envisageable de laisser sans traitement une contradiction, sa découverte devrait nous réjouir, car c'est l'indice que nous allons devoir la maîtriser et que cela nous enrichira. Nicolas Bourbaki a exprimé cette placidité du mathématicien : «Nous croyons que la mathématique est destinée à survivre et qu'on ne verra jamais les parties essentielles de ce majestueux édifice s'écrouler du fait d'une contradiction soudain manifestée. [...] Voilà 25 siècles que les mathématiciens ont l'habitude de corriger leurs erreurs et d'en voir leur science enrichie, non appauvrie ; cela leur donne le droit d'envisager l'avenir avec sérénité.»

Hélas, il n'existe pas de méthode toute prête permettant d'éliminer à coup sûr les contradictions. Interdire juste le raisonnement qui conduit à la contradiction n'est pas possible : dans une théorie, lorsqu'un raisonnement permet de trouver une contradiction, il y en a de nombreux autres. Les réparations à faire demandent à chaque fois de l'imagination, voire de la subtilité ou même du génie. On peut donc légitimement ne pas partager l'optimisme de Bourbaki : ce n'est pas parce qu'on a échappé dix fois à la mort qu'on y échappera toujours.

Rassurer les inquiets
Est-on sûr donc qu'on saura se débarrasser de toute contradiction dans l'avenir? Est-on seulement certain que les théories résultant des réparations antérieures sont exemptes de contradictions?
Il s'en faut. Le logicien Edward Nelson pense que, parmi d'autres théories, l'arithmétique - la théorie permettant de traiter des nombres entiers et de leurs propriétés - est contradictoire. Ce serait vraiment très ennuyeux, car l'arithmétique est le noyau central des mathématiques et il ne resterait plus rien d'intéressant en mathématiques sans l'arithmétique.

Comment rassurer les inquiets ?
Pour régler l'affaire, ne peut-on pas prouver (évidemment par des moyens élémentaires) que les méthodes de raisonnement que nous utilisons ne conduiront jamais à des contradictions? Et si l'on ne réussit pas à traiter d'un coup toutes les mathématiques, ne peut-on pas au moins fournir des garanties pour certaines théories? Comme celles-ci s'organisent en un schéma hiérarchique où, progressivement, on s'élève des théories les moins puissantes (l'arithmétique) à d'autres plus puissantes (comme l'analyse), jusqu'à la théorie des ensembles, ne peut-on pas au moins garantir les premiers échelons de la hiérarchie?

C'est l'idée du programme proposé par le grand mathématicien allemand David Hilbert dans les années 1920. Ce programme, comme le notait récemment le mathématicien Daniel Vellman, est toujours d'actualité : la démonstration du théorème de Fermat, proposée il y a trois ans par Andrew Wiles, bien que ne concernant que les entiers, utilise la théorie des ensembles, c'est-à-dire une théorie bien plus risquée que la simple arithmétique. La démonstration de A. Wiles ne signifie vraiment qu'on ne trouvera jamais de x > 0, y> 0, z > 0 et a > 2 tels que xa + ya = za (ce qui est une affirmation très concrète) que si la théorie des ensembles est non contradictoire, ce que proposait entre autres choses d'établir le programme de Hilbert. Cette actualité renouvelée du programme de Hilbert nous remémore les deux résultats importants auxquels il a conduit.

Le premier est la preuve par Kurt Gödel en 1931 que, dès qu'un domaine mathématique est assez large (précisément dès qu'il inclut l'arithmétique), alors la démonstration de sa non-contradiction ne peut se faire qu'à l'aide de systèmes plus puissants que lui. C'est ce qu'on appelle le second théorème d'incomplétude, et il signifie qu'aucune démonstration vraiment satisfaisante de non-contradiction ne sera donc jamais donnée.

L'autre résultat - plus positif - du programme de Hilbert est le développement d'un domaine de la logique mathématique, appelée théorie de la preuve, où l'on établit des énoncés de non-contradiction relative, c'est-à-dire du genre : «Si la théorie X est non contradictoire, alors la théorie Y l'est aussi.» Un exemple de 1938 concerne l'axiome du choix (qui dit qu'associé à tout ensemble X d'ensembles non vides, il y a au moins un nouvel ensemble F comportant un élément exactement de chaque ensemble de X) : si la théorie des ensembles sans l'axiome du choix est non contradictoire, alors la théorie avec l'axiome du choix est aussi non contradictoire.

Bien d'autres énoncés de non-contradiction relative ont été donnés, en particulier que, si la théorie des ensembles est non contradictoire, alors l'analyse aussi, de même que la géométrie et l'arithmétique. Ainsi, dans la hiérarchie des théories, plus on s'élève, plus on prend le risque d'obtenir des contradictions. La confiance en l'arithmétique est quasi absolue (sauf peut-être pour E. Nelson). À l'autre extrême, la théorie des ensembles est nettement moins sûre. Insistons là-dessus : même si l'on pense que le risque de contradiction dans la théorie des ensembles est sérieux, cela ne signifie pas qu'on doit l'abandonner : si une contradiction se manifeste, on saura sans doute la contourner.

L'incertain et les arguments de Lucas

Acceptons l'idée que les mathématiciens vivent dans l'incertain et le provisoire. Plusieurs fois dans le passé, des théories qui semblaient assurées se sont révélées contradictoires. Peut-être aurons-nous à ajuster nos théories et à les réparer, mais tel est le cours normal des choses.

Cette incertitude sans gravité ne semble pas avoir été comprise par ceux qui utilisent les théorèmes d'incomplétude de Gödel pour démontrer que l'esprit humain est supérieur à celui de toute machine possible et donc que les recherches en intelligence artificielle sont d'avance condamnées à l'échec. Le raisonnement qu'ils avancent avait été proposé, il y a déjà plus de 30 ans, par le philosophe américain J. Lucas. Il est périodiquement remis à la mode, notamment et à deux reprises (perseverare diabolicum), par Roger Penrose.
«Une machine, disent nos philosophes, peut être identifiée à une théorie mathématique, car, comme elle, elle est définie par un nombre fini de règles mécaniques fixées une fois pour toutes. D'après le second théorème d'incomplétude de Gödel, une machine ne peut pas savoir d'elle-même qu'elle est non contradictoire.» Jusque-là, ça va. «Nous, à l'inverse, grâce à la compréhension que nous avons de ce que représentent les symboles de nos théories, grâce à notre intuition des objets mathématiques, et parce que nous pouvons nous élever dans la hiérarchie des théories, nous réussissons à savoir avec certitude que certaines théories ne sont pas contradictoires, et que nous ne nous contredisons pas. Nous ne sommes pas équivalents à des machines et aucune ne nous égalera jamais.»

Cet argumentaire oublie simplement que nous avons parfois de mauvaises intuitions. Même si Frege associait des réalités aux symboles de la théorie des ensembles qu'il proposait et donc était certain de sa non-contradiction (au point d'écrire un livre pour la présenter), il se trompait, et sa théorie était contradictoire. Bien souvent, des théories ont été proposées par des gens certains de la cohérence de leurs idées et pourtant se sont écroulées et ont dû être réparées. Pour les théories les plus élevées de la hiérarchie mathématique, on n'a vraiment aucune raison sérieuse (autre que leur utilisation pendant une plus ou moins longue période) de croire qu'elles sont non contradictoires. Quant à jurer, quand il s'agit de nous-mêmes, que nous ne nous contredirons jamais, c'est renoncer à toute discussion de problèmes politiques et sociaux entre amis!
L'histoire des mathématiques et les théorèmes de Gödel montrent que nous ne pourrons jamais être certains de la non-contradiction des théories que nous utilisons. Que nous soyons des machines ou pas ne change rien : les théories mathématiques comme les théories physiques ne proposent pas des certitudes, mais sont des instruments qui fonctionnent plus ou moins bien, plus ou moins longtemps et qu'il faut ajuster ou changer de temps en temps. Peut-être réussira-t-on un jour à démontrer que nous ne sommes pas des machines, mais cela ne se fera pas par l'invocation des théorèmes d'incomplétude de Gödel!

Vivre avec les contradictions

C'est sans doute à cause de l'improuvabilité de la non-contradiction que des tentatives ont été menées récemment pour l'accepter franchement. L'idée est de modifier la logique classique pour éviter la contagion généralisée des contradictions, autrement dit empêcher l'effet du ex-falso quodlibet. Après tout, lorsque nous nous contredisons, nous ne nous mettons pas à délirer aussitôt à propos de tout : nous savons circonscrire les effets d'une contradiction.

Plusieurs voies semblent ouvertes et ont conduit à ce qu'on appelle les logiques paraconsistantes, où l'on décrit des règles de raisonnement n'incluant pas le ex-falso quodlibet et qui bien sûr ne permettent pas de le retrouver. Ces systèmes qui sont assez complexes provoquent souvent une gêne à cause de leurs propriétés non classiques. Par exemple, le système défendu par Graham Priest propose d'accepter sérieusement que des énoncés soient à la fois vrais et faux.

Ces recherches ont cependant un double intérêt. D'une part, elles conduisent à développer des programmes d'ordinateurs simulant les raisonnements humains et résistant à l'apparition de contradictions. D'autre part, elles suggèrent de reconsidérer le programme de Hilbert en le modifiant un peu. De manière à ne pas avoir à craindre un effondrement général des mathématiques, nous devrions utiliser une logique paraconsistante et nous assurer que notre nouvelle présentation (i) préserve toutes les mathématiques intéressantes (tous les résultats vrais des mathématiques doivent l'être encore, car on ne veut évidemment pas perdre le travail des siècles précédents), (ii) est non triviale, c'est-à-dire que tout n'y est pas simultanément vrai et faux, et (iii) laisse la place à une preuve, par des raisonnements élémentaires, des deux propriétés précédentes.

On aurait alors, comme Hilbert l'espérait, une garantie que tout ne sera pas à jeter suite à une découverte malencontreuse de contradiction, et donc l'assurance d'un progrès continu et sans retour en arrière des mathématiques. Un tel programme de Hilbert modifié peut-il aboutir? Les avis divergent aujourd'hui, mais les grandes idées, comme celles de Newton, Leibniz, Frege ou Hilbert, à défaut de fonctionner du premier coup, s'imposent à la longue.

Jean-Paul Delahaye est directeur adjoint du Laboratoire d'informatique fondamentale de Lille du CNRS.

Bibliographie :
Sur la controverse de Berkeley à propos du calcul infinitésimal : P. Davis et R. Hersch, L'univers mathématique, Gauthier-Villars, Paris, 1982.
J.-L. Gardies, Le raisonnement par l'absurde, Bibliothèque d'histoire des sciences, PUF, Paris, 1991.
R. Penrose, Les ombres de l'esprit. À la recherche d'une science de la conscience, InterÉditions, 1995.
G. Priest, In Contradiction : A Study of the Transconsistent, Martinus Nijhoff Publishers, Kluwer Academic Publisher Group, Dordrecht, 1987, (Les logiques paraconsistantes et leur importance philosophique).
D. Vellmann, Fermat's Last Theorem and Hilbert's Program, in The Mathematical Intelligencer, 19, 1, pp. 64-67, 1997.
P. Besnard et T. Shaub, Circumscribing Inconsistency, IJCAI (Internationnal Joint Conference Artificial Intelligence), 1997.


Le lien d'origine N° 241 Pour la Science Novembre 1997  http://www.pourlascience.com