Pourquoi ce terme ?
Le mot “ postmoderne ” est utilisé en art,
principalement en architecture. Il l’est aussi en philosophie
par Jean François Lyotard. Pour cet auteur, c’est le moyen
d’exprimer l’irreprésentable, l’indicible alors
que la représentation dans son sens classique ne le permet pas.
Cet auteur valorise positivement le terme (1).
Je l’emploie ici dans un sens plus large où le versant
négatif et complexe me semble caractéristique de notre
situation contemporaine en occident : une sorte de fait social
total, selon l’acception de Marcel Mauss (i), même
si je sais que la prétention à la totalité est
toujours illusoire. J’utilise la notion de postmodernité
pour tenter de donner une cohérence à ce que nous pouvons
considérer comme étant une nouvelle période de
la domination et de l’évolution du capitalisme. Cette période
se vit de nouveau comme moderne et plus avancée que la précédente.
Évidemment, ceci complique la perception et les tentatives de
compréhension et explique pourquoi cette notion n’est pas
reprise souvent et pourquoi elle n’est pas admise par le sens
commun. Au contraire elle parait incongrue. Pourtant, certains auteurs
parlent de notre période comme d’une période qui
serait postérieure à celle de la postmodernité,
ce serait la “ surmodernité ” (2).
Pour l’instant, sans dénier la pertinence de ces analyses,
j’en resterai à la postmodernité. D’autres
personnes m’ont déjà précédé
dans l’emploi de ce terme, nous pouvons citer, par exemple, Roland
Brunner qui a écrit un livre intitulé “ Psychanalyse
et société postmoderne ” (3), où
il s’interroge : “ La barbarie a-t-elle changé
de forme ? ”.
Le point de départ est bien la ou les limites des modèles
issus des Lumières : la raison, le progrès, les visions
totalisantes, etc. Le terme même indique que nous sommes dans
un temps situé après la modernité. Celle-ci est
à entendre dans le sens où elle commence avec la renaissance
et trouve son apogée à la fin du 19ème siècle
et au 20ème siècle (développement des sciences,
de l’éducation, mise en place du système démocratique
parlementaire, maîtrise de la nature, place primordiale accordée
au sujet humain, etc.). La postmodernité c’est notre temps,
celui de la période contemporaine. Nous sommes à la fois
dans la continuité et dans la discontinuité avec la modernité.
Continuité parce que notre époque est le résultat
de la précédente. Discontinuité parce que le changement
est notable en particulier dans la façon de justifier la domination,
la hiérarchie entre les êtres. D’une justification
en nature, d’une explication métaphysique nous sommes passé-es
à une justification par la culture enrobée de relativisme.
Dans les périodes précédentes les humains pouvaient
se référer à un sens, qu’il soit donné
par Dieu, la nature, la raison ou par l’histoire, il était
là et important comme référence. Aujourd’hui
le sens semble avoir disparu, s’être dissout dans les aléas
tragiques de l’histoire humaine. Le qualificatif postmoderne ne
sera donc pas employé dans ce texte dans un sens esthétique,
mais au sens générique et politique parce que l’ambiance
mentale qui résulte de tous les bouleversements du 20ème
siècle n’est pas la même que celle de la période
précédente.
Nous sommes dans une situation inédite. Tout semble mis sur le
même plan : les massacres côtoient l’anecdotique
et nous avons l’impression de n’y rien comprendre. Dans
l’évolution mentale de ce siècle, il existe une
crise profonde, une rupture : la Shoah. Elle est le signe le plus
marquant de la modification vis à vis de la modernité.
Avec cet événement la rationalité occidentale se
trouve en échec. Cet effondrement de la civilisation occidentale
est vécu et décrit comme une rupture dans le cours de
l’histoire de l’humanité. Adorno (ii), à
ce sujet, revient sur la fin de la métaphysique et aborde le
problème sous l’angle de la critique de la raison instrumentale.
Les nazis ont utilisé la raison et ont organisé la mise
à mort des humains comme une technique industrielle. De ce fait
la raison était atteinte puisque c’était un aboutissement
aberrant du projet de Descartes qui souhaitait que l’humain, avec
l’aide de la raison, devienne “ comme maître
et possesseur de la nature ”. C’est cela qui amène
Hannah Arendt (iii) à se poser la question du sens de la
politique après Auschwitz, Hiroshima et les goulags de Staline,
à assumer la crise de la modernité, la crise de notre
culture, le problème de la banalité du mal. Le fascisme
et le stalinisme ont en commun d’avoir créé une
société totalitaire, mais il existe une différence
entre ces deux phénomènes. Comme le dit Catherine Vallée :
“ Staline trahissait ses idées par ses crimes, Hitler
mettait les siennes en pratique. ” (4)
Il est possible de dire que la modernité elle-même avait
déjà produit les éléments qui ont sapé
son assise rationnelle. Max Weber (iv) constate “ le
désenchantement du monde ”. Au cours du XIX°,
siècle l’industrie et la science repoussent les limites
de l’influence de la religion au point de faire disparaître
la magie enchanteresse qu’elle procurait aux humains sur le monde.
Les humains se retrouvent dans un monde technique, efficace mais désenchanté,
triste et froid. Avec le développement de l’industrie on
n’a plus besoin de croire pour travailler, pour être efficace.
La foi n’intervient plus dans le travail. Il s’agit d’une
étape décisive dans le processus de sécularisation
de la société où la religion tend à devenir
seulement une affaire privée. La structure de la crédibilité
s’en trouve bouleversée. Au début du XX° siècle
Durkheim (v) constate avec effroi la fin du mode d’organisation
social communautaire et l’émergence de l’individu-e.
Le lien social antérieur est bouleversé et Durkheim s’inquiète.
Il y a effectivement de quoi s’inquiéter pour les dominants
de cette époque, dans de multiples domaines les évidences
de la modernité sont attaquées.
Au niveau théorique, Darwin a commencé l’offensive
en montrant que les humains appartenaient au règne animal. L’humain
devait alors assumer son origine et son évolution. Des mammifères
aux grands primates il n’y avait plus de place pour la création
divine, ni pour une différence de nature fondamentale avec les
autres animaux.
Puis les philosophes du soupçon mettent à mal beaucoup
de certitudes :
- Marx interroge la société comme unité harmonieuse.
Avec la notion De plus, value il donne une base solide aux critiques
antérieures du capitalisme menées par les socialistes
et les libertaires. Il est alors facile de voir que “ un
se divise en deux ”, que les classes sociales sont unies,
mais de façon antagonique ;
- Nietzsche examine la volonté de vérité comme
système de valeurs. Pour lui les catégories logiques sont
des instruments à l’aide desquels la vie organise et domine
le monde, ce sont des valeurs au service des humains. Il énonce
“ Dieu est mort ! ” ;
- Freud assume la division du sujet et limite fortement la prétention
de la conscience humaine. Il met en évidence l’inconscient
en créant la psychanalyse.
Dans le domaine des sciences, les crises et les bouleversements sont
nombreux et profonds, au point que la notion de déterminisme
est questionnée :
- la relativité, la mise en évidence du lien observateur-trice /
objet observé, l’ambivalence onde / corpuscule, l’utilisation
des statistiques pour décrire les phénomènes, l’incomplétude
en mathématiques avec Gödel (vi), etc. , aboutissent
à un déterminisme complètement remanié.
En art, la tendance à l’abstraction disqualifie l’esthétique
antérieure. Les avant-gardes succèdent aux avant-gardes
et l’idée de beauté vole en éclat :
- impressionnisme, dadaïsme, fauvisme, expressionnisme, surréalisme,
ready-made, cubisme, etc., bouleversent les codes artistiques.
Cet ensemble de crises produit un effet de déstabilisation générale
de la rationalité antérieure.
A la fin des années soixante du vingtième siècle,
dans les sciences humaines “ la mort de l’homme ”
est une notion de combat, elle sert à qualifier des démarches
différentes où le structuralisme (vii) est très
présent : Foucault, Barthes, Althusser, Levi-Strauss, Lacan,
etc. La mort de l’homme est une sorte d’écho à
la mort de Dieu. Cette affirmation est une critique de l’homme
comme entité autonome, caractérisée par la conscience,
la volonté et la liberté.
La relativité des cultures est acceptée, la critique se
porte sur l’ethnocentrisme, contre le discours et la logique de
domination de l’humain blanc de sexe mâle (ou genre masculin).
Cette façon de penser sera nommée un peu plus tard phallologocentrisme (viii).
En philosophie la fin de la métaphysique est assumée,
en particulier, avec la diffusion de la pensée d’Heidegger.
Celui-ci pose la question de l’oubli du sujet, parce que nous
sommes réduit-es à n’être que des étants
dans le monde moderne. La mort de la métaphysique est la suite
de la mort de Dieu, c’est la reconnaissance que la transcendance
divine ou celle des idées n’a pas de fondement rationnel.
Le problème de la fondation qui était hétéro-centrée
se déplace, elle devient auto-centrée sur l’humain.
La difficulté de fonder en raison fait place aux théories
sur l’existence (Sartre), le pouvoir (Foucault), le désir
(Reich, Marcuse, Deleuze et Guattari), l’interprétation
(Ricoeur), la vie quotidienne (Henri Lefèbvre), la déconstruction
(Derrida), la logique, l’épistémologie, l’art,
le langage, la postmodernité, l’événement,
etc.
Tout ceci met à mal de multiples manières, mais de façon
profonde et irréversible, le sujet conscient et volontaire ainsi
que la notion de représentation que la rationalité occidentale
avait promue pendant si longtemps, en particulier en philosophie.
Sur le plan social, la mise en cause du progrès prend de l’ampleur
à la fin des années soixante et au début des années
soixante-dix du vingtième siècle. Ceci est dû, entre
autres, au début de l’épuisement du modèle
fordiste (le fordisme est un mode de développement capitaliste
qui était basé sur la production de masse et l’élévation
du niveau de vie, la consommation de masse).
En politique, la critique du progrès se fait à la fois
pratiquement et théoriquement. Celle-ci s’exprime, entre
autres, par la montée en puissance de l’écologie,
avec toutes ses variantes alimentaires, environnementales ou de mode
de vie qui critiquent le productivisme, le rapport à la nature.
Ensuite les discussions sur le sujet historique s’interrogent
sur les acteurs-trices du changement. En 1975, par exemple, dans la
mouvance militante à laquelle j’appartenais (le gauchisme
maoïste), il s’agissait de savoir si c’était
le prolétariat qui devait avoir le rôle principal ou si
d’autres groupes pouvaient être moteurs de la lutte anticapitaliste :
les immigré-es, les OS, les femmes, les homosexuel-les, les artistes,
la jeunesse, etc. Aujourd’hui il est question des sans-papiers
et sans-papières, des précaires et chômeuses-eurs,
des luttes sur le Sida, etc. Certaines personnes observatrices parlent
maintenant des nouvelles modalités d’engagement (5).
En 1848 le communisme était un espoir, en 1989 il est devenu
un repoussoir. La chute du mur après la critique du stalinisme,
porte un coup fatal à la volonté de transformer le monde
de façon rationnelle par la prise de pouvoir étatique.
Cette voie était mise en avant par le marxisme dans sa variante
la plus connue. Il était diffusé dans l’hexagone
majoritairement par le P.C.F. Il était transmis sous une forme
simple et réductrice, mais il imprégnait fortement la
gauche et l’extrême gauche française. De plus, l’expérience
de la gauche au pouvoir a bien montré que les idées et
les actes ce n’est pas la même chose.
Ceci contribue à dévaloriser l’idée d’un
changement social et politique possible, et à attaquer la notion
de représentation.
Aujourd’hui le mot “ postmoderne ” est souvent
associé au relativisme (“ tout se vaut ! ”),
à la confusion des genres, à la perte de sens, de repères,
à la fin des grands récits. Il n’y a plus de linéarité.
L’attitude postmoderne se caractérise par la reprise des
anciens modèles mais réinterprétés. C’est
pour cela que souvent les analyses parlent de démarche postmoderne
lorsque nous sommes confronté-es aux fragments, à la complexité,
à la fiction, au hasard, à l’absence de système,
au désordre voire au chaos, à la discontinuité,
aux phénomènes aléatoires, aux réseaux ou
encore à la pluralité.
Quelques éléments de la domination postmoderne
La postmodernité est conjointe du stade de la re-production,
de la reprise, comme la modernité était le moment de la
création, de la production, de l’accumulation.
La notion de re-production correspond en économie à la
puissance du capital financier et sur le plan mental à la société
de l’information. Sur le plan économique le profit ne se
fait plus principalement par la production, il est basé essentiellement
sur le profit financier. Ceci explique pourquoi la valeur travail (au
sens de la plus value) n’a plus le même poids qu’auparavant.
Ceci ne veut pas dire que l’exploitation n’existe plus,
mais qu’elle est intégrée au système financier,
où la place de la spéculation devient décisive.
L’exemple des fonds de pensions anglo-saxons est largement connu.
Cet aspect de l’évolution du capitalisme permet de comprendre
pourquoi les secteurs des transports, de la circulation, de la communication
sont devenus fondamentaux pour le capitalisme (6). La maîtrise
du centre c’est à la fois la maîtrise de la force
(militaire et financière) et la maîtrise du signe (l’information,
la publicité, ...). Le point commun entre les deux c’est
l’argent qui est de plus en plus virtuel, donc en même temps
puissance et pur signe. Le contrôle des pays impérialistes,
en particulier l’impérialisme américain, est évident
pour l’argent, l’information et la puissance militaire.
Les secteurs des services (banques, assurances, logiciels informatiques,
bureau d’études, etc.), ou de la création et de
la diffusion d’informations (médias mondiaux, publicité,
téléphonie, informatique, etc.) sont des secteurs clés
dans le fonctionnement de la domination capitaliste. C’est pour
cette raison que je reprends l’analyse qui affirme que le signe
de la force et la force du signe sont liés. La re-production
sur le plan mental ou symbolique, c’est ce que je nomme aujourd’hui
“ domination mentale ”.
Le fonctionnement actuel du capitalisme permet à la domination
de ne plus vraiment se soucier de la question de la résolution
des besoins collectifs. Auparavant ce n’était pas non plus
son souci principal, mais le fordisme, dans les pays occidentaux, permettait
un compromis social où l’élévation du niveau
de vie était conjointe de l’augmentation de la production (ix).
L’écart entre le bien commun des humains et le capital
s’accroît. Tant et si bien que l’on se demande souvent
pourquoi il faut faire fonctionner cette immense machinerie.
La postmodernité, pour moi, correspond à la crise du
sens pour tout le monde, dominé-es et dominants.
La tentative de périodisation entre période moderne et
période postmoderne a un côté arbitraire. Il n’y
a pas de coupure franche entre la modernité et la postmodernité.
Ici, la notion de postmodernité est un essai de nomination pour
expérimenter une analyse de ce qui change. C’est un point
de vue nouveau, qui a un aspect personnel, une projection sans doute
contestable, mais aussi la prise en compte des essais de compréhension
du monde tentés par d’autres personnes. Yves Boisvert synthétise
bien l’enjeu de l’emploi de ce terme dans son livre “ L’analyse
postmoderniste ” : “ C’est parce que
les postmodernistes sont persuadés qu’il n’est plus
possible de définir notre monde, marqué par l’essor
technologique, l’informatisation généralisée
et l’hégémonie croissante des mass médias,
à partir d’une vision élaborée au XVIII°
siècle par la philosophie des Lumières, qu’ils ont
choisi de se référer à une nouvelle notion :
la postmodernité. Cette dernière cherche donc à
définir l’ère de changement qui est la nôtre. ” (7)
L’avantage du concept de postmodernité c’est de nous
signaler que nous ne sommes plus en 1910, moment où l’éducation
devient “ de masse ”, ni en 1960, moment où
le fordisme triomphe. Nous débutons un nouveau millénaire
avec un nouveau type de régulation sociale, de nouveaux modes
de subjectivité. Ses sources nous plongent dans l’histoire
de la modernité (du XII° siècle au XX° siècle),
son évolution nous conduit à la postmodernité contemporaine
(la fin de ce siècle et le début de ce nouveau millénaire).
Le fait que cette périodisation correspond à une date
précise (l’an 2000) n’est pas connoté à
un nouveau millénarisme, la conjonction entre les deux est due
aux hasards de l’histoire humaine. Le débat est ouvert,
cela va de soi !
Nous pouvons bien sûr observer les phénomènes liés
à la postmodernité à grande échelle aux
États-Unis et dans le monde entier. Le spectacle et la marchandise
sont partout : l’image et les massacres y font bon ménage,
la bonne conscience humanitaire et le “ politiquement correct ”
font le reste.
Voici quelques éléments idéologiques et politiques
pris localement, c’est à dire depuis l’hexagone,
nommé France.
Le pouvoir et l’autorité
L’autorité paradoxale
L’autorité apparaît de moins en moins de façon
visible et ouverte, sauf sous sa forme policière ou militaire,
mais se maintient de fait. Le capital est devenu virtuel, Pourtant,
sa puissance est indéniable (x)et les effets de son développement
marquent très fortement la situation. Plus le capital devient
invisible et abstrait (des signes sur les systèmes informatiques),
plus l’autorité semble s’effacer. C’est une
source indéniable de désarroi, de confusion, de perte
de sens, d’impuissance. De plus, l’autorité politique,
se parant des atours de la gestion de la demande sociale, est plus difficile
à identifier ou à questionner (8) (xi).
La force se maquille de droit pour maintenir les différenciations
sociales. La force brute est condamnée, en particulier à
propos des banlieues, ce qui permet de passer sous silence la violence
sociale qui fonctionne si bien et se reproduit à grande échelle.
Le contenu de la loi est régulièrement questionné
et questionnable. Les défenseurs de notre république parlent
d’égalité, d’intégration, mais celle-ci
produit, induit, gère l’apartheid social (9), où
la séparation entre les mondes devient irréductible. Notre
société est incapable, actuellement, d’accepter
l’articulation de l’unité et de la différence.
Le modèle républicain est alors la parure du maintien
de l’ordre (xii).
Souvent le questionnement du droit ne fait que renforcer les autorités
de ce temps, puisqu’il est énoncé depuis une position
qui réclame “ un droit à ”. Ressentir
l’injustice ne suffit pas pour remettre en question la domination,
ce peut être une demande d’égalité dans le
cadre de la société de consommation. Cette demande peut
être légitime sans forcément questionner le bien
fondé de l’organisation sociale.
Le questionnement du droit et de la loi qui me semble intéressant,
c’est celui qui va au-delà de l’intérêt
particulier pour montrer les contradictions du système dans une
situation donnée. Cela a eu lieu dans les luttes sur le logement,
où la revendication du droit au logement, s’oppose à
la propriété privée ; dans les luttes sur le chômage
et la précarité, où la question du devenir des
humains sans travail interroge une société qui se dit
fondée sur le travail ; c’est également le cas des
luttes des sans-papiers et des sans-papières, qui demandent si
les êtres humains existent seulement au travers d’un morceau
de papier et des frontières administratives ; c’est encore
le cas des luttes sur les OGM ou la mal-bouffe, qui interrogent le contenu
de la production et remettent en cause le productivisme.
La politique : gestion et maîtrise
La politique est transformée en une simple affaire de gestion,
de “ maîtrise ” et de distribution des pouvoirs.
Les paroles politiques n’ont plus de sens. Les exemples abondent :
sang contaminé, nucléaire, fausses factures, corruption,
abus de pouvoir, incompétences, couleuvres avalées pour
rester au pouvoir, abandon de ses idéaux, copinage, utilisation
abusive des moyens de communication et de mise en scène ou de
diffusion des images, etc.
Au niveau de l’opinion publique, la politique est assimilée
à la gestion de l’Etat et conjointe du système parlementaire.
Pour moi, la politique n’est pas la gestion, elle doit toujours
être pensée en référence au champ qui définit
et oriente le devenir collectif de la communauté humaine, l’espace
commun de “ l’être ensemble ”. Auparavant
cela était nommé “ bien commun ”.
On peut également citer la conception d’Hannah Arendt pour
qui la politique est un : “ espace où s’institue
et se révèle la communauté du monde. ” (10)
Pour Hannah Arendt la politique n’a pas de lieu fixe, elle n’est
pas toujours présente et ne peut pas se laisser enfermer dans
des lieux définis à l’avance, ce qui est, pour moi,
un autre nom de la situation. D’un point de vue libertaire, la
politique ne peut se faire qu’en rupture avec la gestion actuelle,
la reproduction de la domination. Cette politique est liée au
désir de justice et d’égalité, elle est liberté
critique.
L’opacité des fins
La modernité est réduite à une technique, à
l’usage des instruments techniques (téléphone portable
et ordinateur par exemple), une utilisation des résultats de
la science. Le plus bel exemple est celui de l’informatique où
les choix les plus rationnels, les plus créatifs, les plus adaptés
aux humains sont évacués au nom du profit. Nous pouvons
l’observer facilement avec l’empire de Bill Gates :
“ micro-douceur ” (11) Il s’agit ici
de l’alliance implicite entre Microsoft pour le logiciel Windows
et de Intel pour les microprocesseurs. Cette alliance, aussi appelée
“ Wintel ” par les personnes qui luttent contre
la domination de Microsoft, est en situation de quasi-monopole mondial
pour les ordinateurs personnels. Le constat est le même pour le
bogue de l’an 2000, qui a été justement qualifié
de : “ comble de l’imprévoyance ” (12).
Encore une fois ce qui pose problème ce n’est pas la transformation
de la matière, la création de nouveaux appareils ou objets.
La difficulté vient de l’absence d’interrogation
sur les fins, de l’opacité entretenue (ou de la trop grande
clarté qui se résume dans la recherche du profit), qui
règne autour du choix de développement sur les recherches,
sur les orientations, qui président à l’apparition
de nouvelles machines ou des nouvelles technologies.
Le cynisme
Les dominants, notamment les intellectuel-les et les artistes, les célébrités
du cinéma et de la télévision disent ce qu’ils
font, sans honte. Ils ou elles avouent assez facilement leur vacuité
ou le caractère vain de ce qu’ils ou elles font, parfois
même leur nullité et elles ou ils continuent. La postmodernité
est souvent associée à une posture cynique, mais brillante,
qui n’a pas peur de s’afficher. Le contenu des énoncés
peut être médiocre cela n’a pas d’importance.
Le cynisme est une notion qui a plusieurs sens. Dans son sens philosophique,
elle fait référence à une école de philosophie
grecque fondée dans la seconde moitié du IV° siècle
avant J. C. Son représentant le plus connu est Diogène.
Le nom “ cynique ” vient du mot “ chien ”
en grec. Ce mot était lié à la façon de
vivre sa philosophie que Diogène avait mis en oeuvre. Il critiquait
le mode de vie artificiel de ses contemporains et souvent il démontrait
la justesse de sa pensée par la provocation, par l’audace
qui choque. Les cyniques de l’époque préconisaient
un mode de vie ascétique (xiii).
Ici, la notion de cynisme concerne de la nomination de l’attitude
qui se moque des convenances et de la morale. Le sens actuel est proche
de celui d’impudence. Nous parlons effectivement dans ce texte
de l’absence de pudeur des personnes qui profitent de la domination.
Sans prôner le souci des convenances, le moralisme, il est possible
de noter que le cynisme contemporain n’hésite pas à
se moquer des personnes qui ne réussissent pas ou qui sont moins
bien placées dans la hiérarchie de la domination. Ce n’est
plus une provocation ou un refus de la morale, mais la morale même
de la réussite dans notre monde postmoderne. Cette réussite
implique que l’on admette comme normal d’écraser
les autres pour arriver. La mise en spectacle fait partie de la réussite,
cela ne choque plus. Au contraire, c’est l’envie qui semble
l’emporter dans cette dynamique de la reproduction de la domination.
La notion a donc subi une sorte de retournement. Les plus cyniques aujourd’hui
sont ceux et celles que Diogène critiquait de façon virulente,
à la manière d’un chien qui mord.
Les euphémismes
Au niveau du discours, de la langue, l’euphémisme est de
plus en plus utilisé. Il s’agit d’atténuer
le caractère trop direct, trop cru, de certaines expressions
ou nominations. Cette façon de procéder est remarquable
dans la nomination des métiers ou dans celui des phénomènes
sociaux. Jean Paul Courthéroux décèle dans ce phénomène
un certain conformisme parce que : “ paradoxalement
ceci contribue au maintien même des discriminations réelles
en édulcorant leurs apparences ” (13) Cet auteur
note que l’euphémisme est une façon habile de faire
supporter une réalité brutale.
Le lien entre le discours et la politique est très ancien, les
sophistes grecs faisaient commerce de la maîtrise de la langue,
de la rhétorique parmi les puissants de l’époque.
Aujourd’hui à l’ENA, les futur-es dirigeant-es apprennent
à faire un discours sur n’importe quel sujet, même
s’ils ou elles ne connaissent que superficiellement le domaine
en question. Pour dominer il faut effectivement maîtriser la parole.
Les idées ambiantes
Où est la vérité ?
Au niveau idéologique nous savons tout ou presque, rien n’est
caché, mais tout est “ normal ”. Le rôle
de la communication, en raison du lien entre l’informatique et
les télécommunications, est fondamental. L’omniprésence
des médias dans la fabrication de l’opinion est corollaire
de la disparition des espaces publics de discussion et de la fin des
grands appareils idéologiques : syndicats, partis politiques,
églises, mouvements d’éducation populaire, etc.
L’espace mental est saturé d’informations et d’images,
mais le sens nous échappe sans cesse, si bien que souvent nous
croyons que l’on nous cache quelque chose. C’est cette sensation
dont il est question dans la célèbre expression :
“ On m’aurait menti ? ”. Pourtant, il semble
bien que ce soit le contraire qui permette à la domination de
se renforcer, Michel Surya le postule : “ Il faut en
former l’hypothèse : les affaires ne portent qu’apparemment
tort à la domination. Elles sont au contraire le moyen dont celle-ci
s’est aussitôt saisie pour assainir les conditions de son
exercice. Pour s’exonérer des excès qui la condamneraient.
Et entreprendre la plus grande opération de justification idéologique
jamais entreprise par elle.
Une opération aussi subreptice n’en a pas moins été
aussitôt conceptualisée. Elle l’a été
sous le titre de la transparence. ” (14)
Par exemple, l’émission télévisée
“ Capital ” explique comment le capitalisme fonctionne,
comment on nous arnaque, comment on fait du profit, mais est-ce une
émission critique pour autant ? De mon point de vue :
non ! Car elle considère cela sous l’angle de la transparence
postmoderne, où si peu de choses choquent. L’écart
entre les niveaux de richesses est normal, comme l’est la propriété
privée, l’exploitation, le droit de licencier, la précarité
aussi, le fait de ne pas se soucier des conséquences, .....
L’illusion de liberté
L’information et la connaissance sont confondus, les médias
nous parlent de liberté alors qu’il s’agit de liberté
marchande ou spectaculaire et social-démocrate dans le cadre
du parlementarisme. Les droits de l’homme sont évoqués
perpétuellement, mais les gouvernants laissent la barbarie continuer.
Le discours de la domination s’adapte à un monde incertain,
plein d’inquiétude, menaçant. La gestion est le
seul horizon admissible. La science est omniprésente, les experts
sont appelés au secours, mais la raison est régulièrement
invalidée par le maintien de l’absurdité de ce monde.
Je me dois de préciser que, de mon point de vue, la liberté
ne peut pas seulement se réaliser ou s’éteindre
dans les jouissances d’objets ou d’images mises à
disposition par le système. Elle peut aussi se mettre en oeuvre
par un écart vis à vis des assignations proposées,
en disant non à la barbarie capitaliste, au non-sens et impliquer
un certain décalage d’avec les jouissances consuméristes
et spectaculaires. Cette liberté est critique, elle refuse de
cautionner un système qui fait souffrir, tue, détruit
ou exclut en notre nom.
Cette période est un moment où la domination s’appuie
de façon importante sur l’implication du sujet au niveau
mental, sur l’individu-e, en laissant croire à la liberté
alors que nous sommes dans une société assez massifiée
où la contrainte est forte, même si les modalités
de la contrainte ont évolué. Cela est visible dans le
travail, mais aussi dans la sphère de la consommation, de l’identité,
etc.
La question du pouvoir toujours escamotée
Par exemple, dans le film “ Dîner de con ”,
nous voyons le con, un français moyen, sauver le riche cultivé
mais d’un cynisme à toute épreuve, avouer lui-même
qu’il est con et de fait accepter d’être ridiculisé.
Tout cela passe par le rire et la théatralisation style boulevard.
Ce film a eu un énorme succès populaire, tendant à
prouver qu’il est possible de se moquer des dominé-es,
ils ou elles en redemandent. Au mieux, la conclusion est que tout le
monde est con, mais ceci, encore une fois, occulte la question du pouvoir.
La résignation et l’impuissance l’emportent. Il est
exact que la bêtise est un phénomène assez répandu,
mais ce film en profite pour promouvoir le cynisme. Car derrière
l’apparente auto-dérision, la reproduction du pouvoir fonctionne
bien. Peut-être faut-il revenir sur la nuance qui est faite parfois
entre les comiques et l’humour. Le rôle des comiques reste
la régulation sociale pour évacuer les tensions, explication
donnée traditionnellement pour expliquer le rôle et le
succès du carnaval. A la différence des comiques, l’humour
est souvent un moyen pour prendre de la distance critique vis à
vis de la réalité sociale, un moyen de la rendre évidente
et de viser une prise de conscience critique en utilisant le rire et
les jeux de langage. L’humour est un moyen qui a souvent été
utilisé par les libertaires, les dadaïstes, les surréalistes
et autres critiques de la société. Avec le film “ Dîner
de con ”, nous ne sommes pas dans le registre de la dénonciation
sociale, mais dans celui de son maintien puisque la question du pouvoir
est escamotée.
Les grands idéaux humains au service de la soumission
Les grands idéaux humains sont très utiles à la
soumission volontaire. Ils permettent de se construire une rationalisation
une fois que les humains se sont engagé-es dans un processus
de soumission face à une autorité. Les travaux de Jean
Léon Beauvois sur “ La servitude libérale ” (15)
sont intéressants sur ce point. Ils complètent ce que
disait Freud sur la raison qui peut justifier toutes sortes de comportements
et servir de mécanisme de défense pour le sujet lui-même
face à ses angoisses et à son sentiment de culpabilité.
Dans la période postmoderne, cet aspect de l’idéologie
est puissant, en particulier dans le domaine des droits de l’homme
et de l’humanitaire. D’un coté, parce que l’on
ne peut soi-disant pas faire autrement, le principe de réalité
implique la soumission aux marchés, aux institutions, etc., et
de l’autre, les grandes idées sur l’humanité
donnent une bonne conscience à peu de frais. Cette méthode
fonctionne bien, notamment, pour justifier la construction de l’Europe.
Le “ politiquement correct ” et l’humanitaire
en sont de bonnes illustrations.
Les grands idéaux humains existent dans notre culture, leur contenu
c’est effectivement se soucier des autres, avoir le sens de la
justice, penser au bien commun, se référer à l’humanité,
être sensible aux souffrances des autres humains, etc. Ils ont
une grande valeur symbolique, c’est la référence
même de la conscience morale. Ces grands idéaux humains
sont très souvent assimilés au sens, ils seraient la réponse
à la question du sens, ils suturent la question des possibles.
Je pense qu’utilisés ainsi ils ne peuvent pas répondre
à la question du sens. Au contraire ils renforcent la soumission
du fait même des réponses proposées : l’humanitaire
et le politiquement correct.
Le sens, de mon point de vue, est évidemment lié au grands
idéaux humains, mais leur mise en oeuvre implique la lutte pour
mettre fin à la domination, donc des bouleversements sociaux,
politiques, symboliques. Ils demandent que l’on se batte pour
l’égalité et la justice, sinon on continue de maintenir
un système absurde et destructeur. Pour moi, les grands idéaux
humains entrent en concordance avec le sens si on essaie de répondre
à la question “ pourquoi ? ”, ou “ qu’est-ce
qu’un être humain ? ”. Les réponses
sont sans doute impossibles à formuler de façon précise
et définitive, mais le fait même de se poser la question,
et de ne pas accepter la situation présente comme “ normale ”,
donne une autre dimension à la signification des grands idéaux
humains. Ceux-ci sont alors inscrits dans une perspective d’émancipation
et non de soumission, ils sont replacés dans l’histoire
humaine.
Une ambiance schizophrène
Un cas d’école
Le ministre Allègre prétendait vouloir répondre
à la demande sociale par ses réformes, “ Je
vous soutiens ! ” disait-il aux lycéens. Mais il a
maintenu le système d’autorité sans augmenter les
moyens ni modifier l’organisation des pouvoirs dans l’Education
Nationale, ni changer les orientations : “ mettre la
matière grise au service de la compétitivité ”,
disait-il. Tout ceci est conjoint d’une injonction irréalisable
ou très difficile à réaliser dans le contexte actuel :
“ soyez autonome ! ”, “ pour réussir
dans la vie il faut apprendre ! ”. Cette façon
de procéder est typique de la double contrainte, du double bind,
de la double injonction contradictoire que décrit, entre autres,
l’Ecole de Palo Alto (16). Cette méthode est connue
pour induire la schizophrénie et rendre fou. Nous rencontrons
souvent ce phénomène dans le contexte contemporain.
La double contrainte (ou le double bind)
Selon Bateson et consorts les éléments qui composent une
double contrainte peuvent se décrire ainsi :
* Deux ou plusieurs personnes sont engagées dans une relation
intense qui a une valeur vitale, physique et / ou psychologique
pour l’une d’elle, pour plusieurs ou pour toutes les personnes
en question. Le contexte peut être familial, amical, amoureux,
idéologique, etc.
* Dans un tel contexte, un message est émis qui est structuré
de manière telle que :
a / il affirme quelque chose,
b / il affirme quelque chose sur sa propre affirmation,
c / les deux affirmations s’excluent.
Ainsi, si le message est une injonction, il faut désobéir
pour lui obéir.
* Enfin le récepteur ou la réceptrice du message est mis-e
dans l’impossibilité de sortir du cadre fixé par
son message. La réaction peut être soit la métacommunication
critique, soit le repli, ce qui est le cas le plus courant. On ne peut
pas ne pas réagir à ce message, mais on ne peut pas non
plus y réagir de manière adéquate, c’est
à dire non paradoxale puisque le message lui-même est paradoxal.
La double contrainte peut aussi être relevée dans des injonctions
où l’écart entre le contenu et le ton employé,
entre l’esprit et la lettre ce qui aboutit à un résultat
contradictoire.
La psychanalyse s’est intéressée à cette
approche. Citons Guy Rosolato dans un numéro de la Nouvelle revue
de psychanalyse datée de 1976 et republié récemment
dans le volume Narcisses dirigé par J.-B. Pontalis : “ On
peut définir la double entrave (double bind) comme la focalisation
mentale sur une impasse, un choix indécidable, tel qu’il
envahit toute la vie psychique, au point de la paralyser, soit d’obliger
à recourir à des solutions de rupture, par la violence,
soit à en sortir par un recours à une voie originale extérieure
au système.
Pour l’école de Palo Alto la double entrave rend compte
aussi bien des blocages psychotiques que des issues créatives
pour lesquelles elle sert de point de dislocation et de transformation.
Nous retrouvons ainsi un champ et une bipolarité qui évoquent
ceux du narcissisme. (17).... “ La double entrave imposée
est le pouvoir, la décision de placer autrui dans un choix indécidable,
donc de lui ravir le pouvoir de décision. C’est en cela
que se manifeste l’idéale toute puissance du narcissisme. ” (18)
.... “ La troisième incidence de la double entrave
[la première incidence concerne l’articulation entre la
différence des générations, les identifications
et le complexe d’Œdipe, ou le Moi et le ça chez Freud ;
la seconde incidence a rapport avec la différence des sexes]
court en filigrane à travers toutes les autres : c’est
celle du pouvoir. La formule dit : “ Aie le pouvoir
de vaincre le pouvoir ! ”. ” (19) ....
“ Ainsi, avec ce schéma de la double entrave, pouvons-nous
trouver le chiffre du reflet logique narcissique où par le double
retournement se maintient et parfois s’annule dans l’indécidable
une contradiction portée par les mots. ” (20)
Nous trouvons ici une analyse du pouvoir comme expression de la toute
puissance narcissique, ce phénomène est très présent
dans la domination, dans son fonctionnement et sa reproduction. La double
contrainte peut s’observer dans différents phénomènes
de notre vie politique.
Un mythe errant
Mitterrand, qui a réussi à passer de Pétain au
Parti Socialiste sans grandes difficultés, est, à mon
avis, une grande figure de la postmodernité. Il a réussi
à faire prendre le cynisme, l’intérêt, la
manipulation, les trahisons, les coups tordus, le mensonge, la corruption,
la volonté de maintien au pouvoir à tout prix, la mise
en place d’une cour autour de sa personne, pour de la grande politique.
Pour illustrer mon propos je citerai seulement quelques exemples :
* Pour le cynisme, nous pouvons mentionner le massacre de la grotte
d’Ouvéa en Kanaky par l’armée française,
et le génocide au Rwanda, qui a fait au moins 500 000 morts,
peut-être un million, dont Mitterrand et l’impérialisme
français sont responsables (21).
* Pour les coups tordus, rappelons l’attentat de l’Observatoire,
que Mitterrand avait organisé contre lui-même afin de sortir
de l’oubli dans lequel le tenaient les médias ;
* Pour la volonté de se maintenir au pouvoir à tout prix,
souvenons-nous de la décision de faire monter le FN délibérément,
de lui ouvrir l’accès aux médias pour diviser la
droite ;
* Pour la grande politique, notons que la référence à
Machiavel a saturé tous les jugements émis sur Mitterrand
et que lui-même tenait beaucoup à cette référence.
L’idolâtrie, qui a suivi sa mort, montre que la version
postmoderne de l’exercice du pouvoir était populaire. De
plus, pour un maître de la trahison se faire enterrer à
Jarnac, en faire un lieu de pèlerinage, quelle ironie !
Bravo tonton !
La double contrainte, ici, peut se lire ainsi :
1 / Mitterrand est un personnage politiquement contestable, il
y a arnaque ! ;
2 / Mitterrand est un président de gauche ;
3 / Il est impossible de le critiquer sans discréditer la
gauche.
L’antifascisme
L’antifascisme se limite souvent à une diabolisation du
Front National et de Le Pen. Cette méthode a un effet retour
sur sa propre image au niveau électoral, surtout lorsque politiquement
le parti politique en question (le Parti Socialiste) est discrédité.
Dans la pratique cet antifascisme se contente de protestations en parole
et de quelques défilés. Cet antifascisme n’interroge
pas les thèses actuelles, les méthodes qui font que la
fascisation est à l’oeuvre dans notre société,
au contraire les politiciens s’alignent sur ses thèses
dans le domaine de l’immigration. En haut lieu il est courant
de se lamenter devant le racisme pratique qui se développe, mais
les gouvernements laissent la police se gangrener de thèses racistes
(les contrôles au faciès, les expulsions, c’est normal !),
et bien sûr ne font rien contre la DPS (xiv), ou les discriminations
à l’embauche. La question de l’absence de sens, qui
est si présente en notre monde et qui est à la base de
la montée du FN, n’est jamais posée, au contraire
la crise du sens est entretenue par la gestion du capitalisme et la
dévalorisation du mot politique par les politiciens actuels.
L’antiracisme
Le racisme est souvent réduit à sa composante biologique.
Il est parfois assez difficile de faire admettre qu’aujourd’hui
il est aussi culturel et différentialiste. Actuellement la hiérarchie
n’est plus justifiée par la nature, mais par la culture.
Par contre, se dire antiraciste est bon pour l’image. C’est
une valorisation indispensable à tout “ honnête
homme ” de ces temps bizarres. Nous sommes dans une situation,
où l’apparence peut s’appuyer sur les droits de l’homme
tout en acceptant qu’ils soient bafoués quotidiennement
aux frontières, dans les commissariats, dans l’exercice
du contrôle social et policier, dans la gestion de l’exclusion,
des incivilités, dans la gestion et le développement de
l’apartheid social, des séparations.
La schizophrénie politique
La réalité militante majoritaire des luttes antifascistes
ou antiracistes participe de l’ambiance schizophrène générale.
Très souvent ces luttes n’arrivent pas à rompre
avec la gauche institutionnelle, et, de fait, sont en pleine schizophrénie
politique. La nouvelle droite a su retourner contre nous le thème
de la différence et la gauche française a été
incapable de répondre théoriquement et politiquement.
Alors que les sciences humaines avaient mis à mal l’ethnocentrisme
occidental en insistant sur le relativisme culturel, la gauche n’a
pas su utiliser cet acquis, au contraire elle a admis avec une facilité
déconcertante le fait que la supériorité de certains
êtres humains sur d’autres êtres humains pouvait se
justifier par la culture. Cette thèse, proposée au début
par le Club de l’Horloge, est un dévoiement du relativisme
culturel issu de l’anthropologie ou de l’ethnologie. Ce
que les sciences humaines démontrent c’est qu’aucune
culture humaine n’est supérieure à une autre.
C’est en utilisant la notion de “ différence ”
que les néo-fascistes ont su donner un nouveau contenu à
la justification de la hiérarchie entre les êtres humains.
Pour eux la différence culturelle doit être une frontière
étanche, une séparation infranchissable qui établit
une barrière entre les cultures. D’après eux, évidemment
il faut la renforcer autant que faire se peut pour ne pas être
contaminé, ne pas dégénérer, pour maintenir
notre supériorité. Ce qui était une revendication
pour exister de multiples façons (“ le droit à
la différence ”) est devenu le point d’appui
des thèses de l’extrême-droite, puis de la droite
et ensuite de la gauche. Maintenant ces thèses sont devenues
banales dans la société entière. La base de l’argument
de la nouvelle droite peut se dire ainsi : “ la différence
oui, mais chacun chez soi ! ”. Ce qui était une
revendication pour la possibilité de la différence culturelle
ou de comportement a été lié au territoire. Dans
ce contexte la notion de frontière joue un rôle important
sur le plan matériel mais aussi sur le plan mental. Ceci alimente
l’idéologie qui accompagne l’apartheid social.
La gauche et beaucoup d’antifascistes ou d’antiracistes
se contentent de condamner la hiérarchie entre les êtres
basée sur les anciennes théories biologiques. Ainsi ils
sont hors champ face aux néofascistes et aux néoracistes.
Comme toutes ces personnes sont persuadées qu’un bon gouvernement
peut améliorer les choses, elles restent attachées à
la gestion du système. Alors elles se retrouvent à faire
le grand écart entre leur désir de condamner le racisme
ou le fascisme contemporain et un gouvernement qui applique la xénophobie
au niveau institutionnel. Celui-ci prend des formes variées mais
complémentaires au niveau du racisme d’Etat : le contrôle
au faciès, la transformation des administrations en auxiliaires
de police, les expulsions par la contrainte, la non-application de la
Convention de Genève sur le droit d’Asile, les atteintes
au droit de vivre en famille condamnées plusieurs fois par la
Cour Européenne, l’inaction contre les fascistes, l’incapacité
récurrente à condamner les dérapages des leaders
fascistes, la non condamnation de la brutalité policière,
la reprise des thèmes de la sécurité, l’emploi
de termes insultants par un Ministre de l’Intérieur, etc.
La schizophrénie politique de cette façon de lutter est
piégée dans une double contrainte : dénoncer
les effets du capitalisme, le racisme, la fascisation et accepter la
gestion du système. Pour s’en sortir il faut faire sauter
le verrou de la gestion. Celle-ci se pare des atours de la responsabilité.
Revenir à une éthique de la conviction permet de rejeter
le cadre fixé par le système. Sinon, comme les antiracistes
et les antifascistes institutionnels, nous restons bloqué-es
dans la double contrainte. Cette position, coincée dans ses contradictions,
est, de mon point de vue, une posture schizophrène (au sens négatif
du terme) que je refuse et que je dénonce parce qu’elle
nous contraint à l’inaction, à la compromission.
Elle nous plonge dans la torture mentale et nous laisse dans une insatisfaction
permanente. Le constat est incontournable : la gauche est morte,
elle s’est suicidée politiquement en acceptant de gérer
convenablement le capitalisme et en tolérant Mitterrand.
Il me semble que ce n’est pas la schizophrénie en elle-même
qui pose problème. Si nous acceptons la déviance d’avec
le fait majoritaire, nous avons une double vie ou nous sommes dans une
double vie : une qui se déroule de façon convenue
selon les modalités du système (une vie ordinaire); et
une autre qui, de temps en temps, par la pensée et l’action
critique de façon radicale la domination (une vie extra-ordinaire).
Il peut exister et il existe des morceaux de vie où on essaie
de devenir actrice ou acteur en situation. Nous sommes donc confrontés
à deux façons d’être dans la schizophrénie
politique, une qui bloque les potentialités, qui ne peut pas
prendre en compte les tentatives d’évolution ou les nouvelles
analyses critiques : celle de la gauche actuelle ; et une
autre en recherche, plus ouverte sur la cohérence et les possibles :
celle de la mouvance libertaire. Cette position est sans doute moins
sécurisante que la précédente. L’intégration
dans la gauche classique peut donner accès à des postes,
permet d’avoir de bons réseaux relationnels. Les certitudes
qui sont liées à cette position sont renforcées
par le bilan toujours positif de la gestion. Même en situation
délicate la gauche peut toujours se vanter “ d’avoir
éviter le pire ” et de résultats qu’on
qualifie volontiers d’un “ ce n’est pas si mal
que ça ! ”. Tout cela suffit à rassurer
un grand nombre de personnes. Pour en terminer avec ce problème,
ce qui me surprend ce n’est pas que l’on soit réformiste,
je m’étonne que l’on trouve normal que les réformistes
ne fassent pas de réformes, ou que si peu de gens soient surpris
par le fait que les réformes qui sont réalisées,
au nom du progrès social, soient toujours des réformes
qui vont dans le sens du développement du capitalisme.
En conséquence je pense que la position libertaire doit s’habituer
au fait minoritaire : un à-côté, en quelque
sorte, plus soumis aux attaques du système, une place qui n’est
pas valorisée souvent, qui fréquemment fait peur, dont
on attend parfois beaucoup trop.
Le travail
L’inversion de la valeur
La vision du travail était classiquement : le travail crée
la richesse. Dans notre contexte il semble qu’il faille inverser
les termes pour comprendre : la richesse, l’Etat, la puissance,
l’autorité distribuent le travail et les revenus.
C’est suite à ce genre de constat que certaines analyses
parlent de la fin de la valeur travail. En général cette
thèse est contestée parce que de nombreuses personnes
sont encore concernées par le travail. Parler de la fin du travail
paraît aberrant, pourtant en essayant de comprendre la place de
la valeur accordée au travail au cours de l’histoire humaine,
on s’aperçoit des modifications, de l’évolution :
le travail n’a pas toujours été une valeur importante.
Il est fortement probable que la collectivité humaine aura toujours
besoin de travail (compris comme activité réglée)
pour fonctionner et continuer à vivre. Le travail est encore
massivement dans les têtes, même si le capitalisme, lui,
tend à fonctionner de façon différente que par
le passé et modifie la place du travail dans notre société.
Il existe un écart évident entre le caractère objectif
des changements dans la valeur travail et le vécu subjectif des
personnes, la conscience du rapport au travail. Cet écart est
la source de beaucoup de malentendus dans cette société,
comme pour l’illusion de liberté.
La subjectivité mobilisée
La subjectivité est convoquée pour faire participer tout
le monde au système. Dans le cadre du travail salarié
la motivation est recherchée au travers des cercles de qualité,
les contrats d’objectif ou la notion de projet (individuel ou
collectif). L’intensification du travail est devenue une donnée
générale. Les qualités relationnelles sont indispensables,
comme le sens du contact humain, celui du travail en équipe et
de l’organisation. Tout cela s’accompagne d’une logique
des résultats et d’une appréciation individualisée.
La notion de crise de la valeur travail soulève beaucoup de discussions.
Je ne cherche pas à légitimer les licenciements ou le
chômage actuel. Il est exact que le travail continue d’occuper
beaucoup de temps dans la vie humaine, c’est encore lui qui donne
accès au revenu pour un grand nombre de personnes, il donne une
identité sociale. Ceci est assez similaire à la période
précédente. Ce qui change c’est la valeur objective
économique et symbolique du travail pour le capitalisme. Maintenant
le travail semble avoir un rôle idéologique beaucoup plus
important qu’auparavant, un rôle pour la re-production du
système. La valeur économique du travail s’est amoindrie,
même si la plus value existe toujours. Sur le plan symbolique
la valeur s’est transformée, elle ne peut plus se référer
à un avenir meilleur comme quand le progrès avait un sens.
Souvent sur le plan de la subjectivité il ne s’agit plus
de produire au sens strict, de transformer la matière, mais d’être.
C’est sur cet aspect que se focalise l’idéologie
du management. Marco Revelli insiste sur ce point dans un article sur
ce qu’il nomme “ La centralité du précariat ” :
“ Dans le post-fordisme, la subjectivité, qui était
encore considérée par le fordisme comme un élément
perturbateur à éliminer, devient une ressource, un avantage
pour la compétitivité de l’entreprise. ”
... / ...“ Du travailleur, on demande du dévouement,
et le dévouement ne peut pas être une partie du contrat
de travail. La productivité passe d’une certaine façon
dans la sphère émotionnelle. ” (22)
La banalité du mal
La souffrance
La souffrance au travail est un sujet qui n’est pas souvent abordé (23).
Il évoque chez chacun et chacune d’entre nous les notions
telles que : intensification du travail, stress, heures supplémentaires
(payées ou non), emplois précaires, contraintes, astreintes,
pénibilité, salissures, ...
Tout cela est vrai. Pourtant, l’une des causes majeures de cette
souffrance n’est-elle pas dans l’essence même du travail
aujourd’hui ?
L’ajustement de l’organisation du travail : L’entreprise
ne sait pas décrire le travail de façon humaine, quand
elle le fait dans ses bureaux d’études, c’est une
approche théorique. Elle est souvent incapable de décomposer
avec précision ses différentes étapes autrement
que de façon machinique. Dans le tertiaire il est plus délicat
de faire ce genre d’études que dans l’industrie.
Elle en a donc tiré la conclusion : les contrats de travail
ne définissent plus un poste de travail mais une mission à
accomplir, un résultat à obtenir.
L’automatisation du travail est donc imparfaite : il y a
une différence entre le travail prescrit et le travail réel.
Cette différence oblige le travailleur ou la travailleuse à
avoir des initiatives pour ajuster ce qu’on lui dit de faire à
ce qu’il est possible de faire. Ces initiatives pour faire face
aux difficultés sont coûteuses sur le plan psychique et
risquées, car l’erreur d’appréciation provoque
une sanction, voire le licenciement.
Les horaires de travail deviennent forfaitaires : hausse des heures
supplémentaires non payées, annualisation, ... C’est
l’objet principal des lois actuelles sur les 35 heures.
Le stress mobilise toutes les ressources des salariées. Afin
de contrer cette souffrance, le travailleur ou la travailleuse développe
souvent une stratégie défensive. Elle ou Il essaie ainsi
de trouver une stabilité dans son travail, au prix d’une
mobilisation psychique supplémentaire. Évidemment, cette
stratégie induit une résistance aux changements. L’adaptation
à de nouvelles difficultés peut remettre en cause sa stabilité.
De plus, la frontière entre temps de travail et vie privée
s’estompe. D’où la nécessité d’une
coopération au sein de la famille. Si cette coopération
n’est pas assurée par les membres de la famille ou si la
flexibilité du travail est trop importante, il y a des risques
d’éclatement du foyer (divorce, violence familiale, échec
scolaire des enfants, ...). L’intensification du travail tend
à devenir totalitaire.
La souffrance est aussi physique. Prenons l’exemple de l’automobile
avec ses cadences infernales : les gains de productivité
augmentent de 8 à 10% par an ! Conséquence :
le taux d’invalidité des opérateurs De plus, de
45 ans monte en flèche. Les usines japonaises implantées
en Europe en ont tiré les conséquences : la moyenne
d’âge de leurs ouvriers est de 30 ans. Cet exemple est généralisable
avec le développement massif des préretraites, progressives
ou non, financées sur fonds publics. La France est le pays où
le taux d’activité des 55 à 60 ans est le plus faible.
De leur côté, les COTOREP (COmmission Technique d’Orientation
et de REclassement Professionnel) voient la multiplication des dossiers
concernant des maladies péri-articulaires, créées
par le développement du travail à la chaîne. Contrairement
aux idées reçues, le travail répétitif progresse :
près de 30% des salariés en 1991, soit une progression
de 50% en sept ans (d’après les données du Ministère
du Travail).
L’exemple des caissières de supermarché montre que
la souffrance peut être à la fois mentale et physique,
le rendement implique de la souffrance corporelle et un stress permanent.
On leur demande une disponibilité et une amabilité pendant
tout le temps qu’elles sont en poste alors qu’elles sont
tout le temps sous tension.
Christophe Dejours, dans son livre “ Souffrances en France ” (24)
confirme ce constat, une des stratégies pour faire face aux modifications
du travail ou une des conséquences c’est la maladie. Il
explique, en outre, que le courage est utilisé pour faire adhérer
les humains à des pratiques qui engendrent la souffrance chez
d’autres humains. Il analyse ces comportements à partir
du ressort de la virilité. Il la décrit comme la version
masculine du courage. Elle permet la distorsion entre une rationalité
mensongère et les pratiques réelles dans le monde du travail
au nom de la guerre économique, de la compétitivité :
flexibilité, précarité, intensification du travail,
horaires décalés, .... Il utilise la notion de “ banalité
du mal ” développée par Annah Arendt pour décrire
le phénomène. Cette notion convient bien pour qualifier
la souffrance au travail, comme elle convient bien pour d’autres
situations de notre société. C’est pour cette raison
que je la reprends à mon compte.
Cette notion de banalité du mal nous place au coeur du lien entre
la théorie et la pratique. Le concept a été créé
et utilisé pour décrire et comprendre un aspect du nazisme :
la bureaucratie technicienne au service de la barbarie. Ici, elle est
employée pour nommer le fonctionnement ou les conséquences
du fonctionnement du capitalisme. Sans confondre le nazisme et le capitalisme,
on peut se servir de ce concept. Sa validité vient à la
fois de sa puissance pratique et de sa force théorique. Concrètement,
la banalité du mal est bien adaptée pour rendre compte
de la souffrance réelle que génère l’oppression,
l’exploitation contenues dans la domination capitaliste. Théoriquement,
on peut considérer qu’un concept qui est capable de qualifier
le nazisme peut servir à décrire des maux de moindre envergure :
qui peut le plus peut le moins, enfin en principe. Certaines personnes
récusent l’emploi de cette notion dans le contexte de la
société actuelle, en arguant du fait que ce serait mettre
sur le même plan la Shoah et les maux de la société
contemporaine. Ce faisant elles ou ils refusent de voir, de qualifier
les dégâts dus au système capitaliste et minimisent
les souffrances vécues par des millions de personnes de par le
monde au nom de la défense de la démocratie. Il est toujours
difficile de quantifier ou de qualifier le mal. Les débats sur
le “ mal absolu ” prouvent la difficulté
de cette question. L’argument du “ moindre mal ”
est fallacieux et dangereux. En général l’acceptation
du moindre mal permet de s’accommoder de façon fataliste
des situations d’oppression, d’exploitation ou d’exclusion.
Cette notion est également une justification de beaucoup d’injustices
sociales et politiques. L’actualisation du refus du mal nous oblige
à le penser autrement que comme un manque à être
ou comme le versant négatif du bien qui ne serait visible qu’en
creux. Sa réalité est très répandue, pourtant
il est souvent nié ou dénié. Il est tellement anodin
qu’il en devient invisible, qu’il ne choque plus, ne provoque
plus aucun étonnement. Si on veut penser ce phénomène,
la notion de banalité du mal, suggérée par Hannah
Arendt, me semble justifiée.
La dépression généralisée
Dans notre société tout semble à notre disposition :
marchandises, idées, techniques, .... Mais les difficultés
de réalisation existent à tous les échelons. La
sensation de ne pas être à la hauteur est très courante,
le sentiment d’impuissance aussi. Alain Ehrenberg parle de la
dépression comme mal du siècle, où le symptôme
qu’il nomme “ la fatigue d’être soi ” (25)
est très fréquent. Face aux injonctions de réussite
transmises par le système et à son versant négatif,
la culpabilisation, “ si tu ne réussis pas, cela vient
de toi ! ”, les possibles semblent assez limités,
ce qui augmente l’impression de petitesse. Le contrat de travail
est personnalisé, cela accroît la sollicitation du moi
narcissique. Les notions de “ défis ”,
de “ challenge ” accentuent le phénomène.
L’évaluation personnalisée du management et ses
objectifs à atteindre jouent de façon forte sur cet aspect
où le sujet humain prouve sa valeur par ce qu’il produit
ou crée (le plus souvent il s’agit d’objectifs à
atteindre comme dans le cas du management participatif, ceux-ci sont
définis comme des projets, ils sont immatériels, mais
symboliquement signifiants) et par son adhésion aux valeurs de
l’entreprise ou de l’administration dans laquelle elle ou
il est employé-e.
La souffrance d’aujourd’hui est une souffrance qui touche
souvent le psychisme humain, elle est de plus en plus une souffrance
mentale. Cet aspect est visible en particulier chez les personnes les
plus pauvres. La solitude, la sensation d’isolement, la perte
de confiance dans le collectif, l’incapacité de nouer des
liens dans la société, la démission politique,
sont souvent liés à une conduite d’échec,
un sentiment de dépréciation de soi, la perte de l’estime
de soi. L’angoisse des pauvres est évidemment à
relier avec leurs conditions de vie, mais la difficulté n’est
pas analysée comme sociale, elle est intégrée par
les personnes au niveau personnel comme une atteinte aux capacités
individuelles. La désespérance existentielle est renforcée
par les injonctions paradoxales qui demandent une réussite dans
le travail et par le travail (l’insertion c’est toujours
l’emploi, le travail). Il est clair qu’il n’y a pas
de travail, pas assez de travail ou alors quand il existe, il est précaire,
mal payé, sans perspectives ni garanties minimales, sans possibilité
de progresser, sans gratifications. La réalité de cette
douleur, de cette détresse est étudiée dans un
rapport officiel sur la souffrance (26), ou d’autres sur
les conséquences vis à vis des familles. Ce genre d’étude
existe aussi pour la vie dans les quartiers. Les rapports, les commissions
recherchent des solutions sans pouvoir toucher à l’essentiel :
l’apartheid social, la flexibilisation du travail, les rapports
sociaux liés au capitalisme. A la fin du XIX° siècle,
la souffrance était sans doute plus physique, elle était
due à la misère de ce temps là, aux longues heures
de travail, à la pénibilité du travail de l’époque,
aux maladies. Les symptômes de cette souffrance d’aujourd’hui
sont variés et peuvent être physiques, somatiques. Mais
la source profonde est bien dans la vie d’aujourd’hui, dans
cette perte de sens, dans l’isolement dû à l’exclusion
du monde du travail, dans la relégation dans les quartiers réservés,
dans la sensation que l’on ne pourra pas en sortir, que les efforts
déployés pour continuer à nouer des relations sociales
sont inutiles.
Dans le lien social il semble que l’on puisse distinguer trois
niveaux ou trois lieux :
Le premier étant celui du lien avec les autres, les proches,
les personnes que l’on peut voir souvent, qui est en quelque sorte
un lien de soi à soi ;
Ensuite on peut relever le lien de l’inscription sociale dans
la communauté, celle-ci est locale (quartier, commune, etc.) ;
Le dernier niveau étant celui du lien politique, celui d’une
communauté plus large, en général à l’échelle
d’un pays.
Quand la valorisation de la personne (le lien de soi à soi) est
atteinte (en général au terme d’un processus graduel,
où le sentiment d’identité personnelle est mis à
mal par la société et l’exclusion), le lien social
est attaqué à la racine. Cette situation empêche
les deux autres niveaux (le lien social local, communautaire et le lien
“ national ”) de se développer normalement
ou de se reconfigurer dans de nouveaux dispositifs relationnels. De
plus, les mesures qui portent sur l’insécurité,
la vidéosurveillance, sur le quadrillage policier, ne font que
renforcer la sensation de malaise. La gestion de la peur joue sur le
sentiment diffus d’une menace, alors que cette gestion de la peur
est celle mise en place par et pour la domination. La menace, ainsi
définie, englobe dans la confusion l’origine réelle
de l’insécurité, c’est à dire le développement
du capitalisme et sa gestion, la précarité pour la population
la plus pauvre, la séparation géographique dans les cités.
Les mesures de traitement social du chômage installent les gens
dans la misère et la dépendance sans toucher au fond du
problème : le maintien et le développement de l’injustice
sociale et l’inégalité politique du système
capitaliste.
L’oppression des femmes
La domination patriarcale (le machisme) est toujours présente.
Parité ou pas, le statut des femmes n’est toujours pas
égal à celui des hommes. L’oppression des femmes
est matérielle, réelle, symbolique ; elle est visible
si on veut s’en donner la peine. Dans le contexte postmoderne
la pornographie et la publicité sont à la fois les modalités
et les conséquences de ce phénomène. Dans les deux
cas, il y a une érotisation du corps féminin et une utilisation
pour le spectacle et la marchandise. Dans la publicité, l’image
de la femme est abondamment utilisée, le désir est mis
en scène pour vendre des produits et diffuser des images. Images
qui ont un rôle identificatoire pour les individu-es. Dans la
pornographie, plusieurs phénomènes semblent en jeu et
liés les uns aux autres. Plusieurs arguments sont invoqués
pour expliquer la demande : la misère affective et sexuelle,
le fait de voir une situation érotique ou d’être
dans le contexte d’une situation érotique qui provoque
une excitation chez un certain nombre d’humains (surtout des hommes,
semble-t-il). Une autre explication est à prendre en compte,
même si elle émerge moins souvent, elle est néanmoins
valide : la pornographie permet d’acheter une femme (ou son
image), elle offre la possibilité d’une domination sur
la femme et de la savoir soumise. Il est possible de considérer
que ceci constitue la base de la demande. Dans la prostitution, il est
possible d’acheter un être humain, la responsabilité
des hommes acheteurs est à souligner, notons qu’elle est
pénalisée en Suède. Dans la pornographie il s’agit
de l’image des femmes (ou d’hommes), mais la base est la
même : l’achat et la vente du corps humain. L’offre
est évidemment la marchandise et le spectacle. Il y a effectivement
une réalité industrielle dans la production des vidéos
et de produits pornos. C’est une activité bien structurée
et efficace. Le corps féminin est une marchandise, une matière
première. La marchandisation en médecine utilise les corps
pour les transplantations d’organes, les tissus biologiques, dans
le cas présent, c’est pour vendre des produits classés
“ X ”. Le corps est réduit aux parties
génitales, il est morcelé, nous voyons rarement le visage
de la ou des femmes. Les postures sont souvent, voire presque toujours,
celles des jambes ouvertes, des reins cambrés, des fesses offertes,
des bras relevés, de la torture parfois (le X des sex-shops et
des revues pornos rappelle le X de la croix de saint André),
etc. La femme passive est un objet disponible, consommable immédiatement,
qui, en général, aime être dominée. Il n’existe
pas de relation entre deux êtres qui ont du désir l’un-e
pour l’autre et se donnent du plaisir mutuellement, les rapports
sexuels sont mécaniques, comme une technique toujours identique.
C’est une relation instrumentale, une utilisation du corps des
femmes, pas un lien d’amour. Il y a une survalorisation de la
pénétration, de la puissance masculine machiste (identifiée
à l’érection et à l’éjaculation
vaginale), la femme est un objet de capture pour l’homme. Le plaisir
féminin est absent, hors de propos ; les caresses et la tendresse
n’existent pas dans ce contexte. Si le plaisir des femmes est
présent c’est celui de la soumission, de la douleur, et
de la mort. Aux USA, où l’interdiction de fumer a été
légalisée et tend à devenir obsessionnelle, la
cigarette est devenue un symbole de danger, de la détérioration
de soi, d’une conduite à risque. On y vend des cassettes
vidéos classées X, où l’on voit des femmes
en train de fumer selon divers modes, elles ne font que cela. La douleur
des femmes, leur souffrance (faire mâle) reste donc un élément
de l’érotisation liée à cette société
comme le jeu avec l’interdit. Dans la pornographie les mots utilisés
sont dévalorisants, souvent injurieux. La violence est un thème
présent de façon récurrente, jusqu’au viol
parfois (souvent exprimé dans les phantasmes valorisés
par les produits pornos et ceux qui les réalisent). Les représentations
à l’oeuvre sur le plan symbolique sont toujours les mêmes :
la maman et la putain.
Cet enjeu symbolique a été relevé par Sven-Axel
Mansson dans une étude sur la prostitution. C’est un sociologue
suédois qui a étudié le comportement des hommes
clients des prostituées. Voici ce qu’il dit à ce
sujet : “ La putain incarne le côté “ bestial ”
des désirs sexuels souvent chargés de culpabilité.
Elle est à la fois repoussante et attirante. Repoussante parce
que l’on projette sur elle une partie du mépris de soi-même
et de sa propre sexualité ; attirante parce que on trouve avec
elle le plaisir de se laisser envahir par une libido sans limites, d’accepter
les forces sombres que représente la sexualité interdite. ” (27)
On voit bien comment la sexualité est marquée par une
dichotomie qui ne peut que provoquer la souffrance mentale chez les
hommes et les femmes. D’un coté, le sexe est associé
au mal, au dégoût, à la haine de soi, et on projette
cela sur la prostituée. D’un autre coté, la prostituée
incarne le côté attirant de la sexualité, elle représente
le caractère total de la sexualité, avec elle la sexualité
est possible et vivable, il n’y a pas d’interdit, ni de
tabou, la sexualité “ bestiale ” est autorisée.
Cette coupure entre le sexe coupable et le sexe autorisé est
marqué par la religion et le mariage bourgeois. La femme est
là pour faire les enfants, la maîtresse ou la prostituée
sont là pour le sexe. Certaines pratiques comme le sexe oral,
le sexe anal, l’homosexualité sont interdites avec ou pour
la mère de ses enfants. Cette contradiction provoque des troubles
mentaux. Vu ainsi, le sexe est chargé de honte et il est associé
au côté sale des choses, c’est dégradant et
le trouble naît quand on se rend compte et quand on sait que l’on
désire ce genre de choses. Le côté vulgaire du sexe
se retrouve dans l’habillement type des prostituées qui
accentue les caractéristiques sexuelles des femmes de façon
outrancière. Cette façon de vivre le sexe explique pourquoi
la psychanalyse a pu mettre en évidence l’origine sexuelle
des névroses. L’hystérie des femmes a été
le premier terrain d’élection pour cette nouvelle discipline
de thérapie de la souffrance mentale. Tout cet ensemble mental
nous ferait presque oublier que le sexe c’est quand même
une des plus belles choses qui existent entre les humains ! Pourquoi
cacher que le sexe est un facteur d’épanouissement, de
détente, de bien-être, qu’il fait partie intégrante
des rapports amoureux. Pourquoi nier que le désir donne des ailes,
que l’on se sent à l’aise dans son corps et dans
sa tête quand on est aimé-e, désiré-e et
que c’est parfois très fort, quand en même temps
nous sommes nous-mêmes amoureux-euse. Pourquoi ne pas chercher
ce qui bon pour la santé mentale et physique, ce qui est bon
en lui-même, tout simplement.
Après son étude Sven-Axel Mansson en arrive à la
conclusion suivante : “ La prostitution met à
nu la structure la plus profonde des rôles sexuels traditionnels.
Pour la combattre, il faut modifier les procédés d’apprentissage
par lesquels les garçons deviennent hommes et les filles deviennent
femmes. ” (28)
Cette conclusion est la même que celle des études sur le
genre. L’apprentissage du genre contient la reproduction des rôles
masculins et féminins. Cet apprentissage permet la reproduction
du machisme au niveau intime. Cette analyse n’est pas substantialiste,
elle est culturelle et contient la possibilité d’évoluer
pour les personnes parce qu’on peut mettre en doute sa culture
et ses comportements pour essayer d’évoluer. Ceci implique
certainement ou évidemment un questionnement sur l’intime
et son rapport au désir.
La pornographie et la publicité se développent dans un
contexte où l’espace public est rempli ou presque saturé
de sexualité. Nous avons l’impression qu’il n’y
a plus de tabous, par exemple l’homosexualité, la sodomie,
le sexe oral ne sont plus considérés comme des perversions,
même si l’homophobie existe bel et bien. J’ai parfois
le sentiment que nous parlons beaucoup de sexe dans cette société,
y compris à la télévision. Certaines analyses disent
que cette marchandisation, cette mise en spectacle est le résultat
dévoyé de la libération sexuelle. La femme objet
est omniprésente, l’image du désir est partout.
Mais j’ai l’impression que plus nous en parlons, plus nous
le voyons, plus nous sommes dépossédé-es de la
possibilité de le vivre, au sens de faire l’amour, de produire
de l’amour et non de faire de la haine ou produire de la violence
à l’égard des femmes comme nous le propose souvent
les produits pornos. C’est un peu comme la politique qui sature
l’espace commun de citoyenneté, de paroles politiques et
qui nous confisque cette citoyenneté par le système parlementaire
et médiatique.
Pour qualifier la pornographie, il est admis de temps en temps qu’il
s’agit d’une évolution du système de la prostitution.
Les macs sont devenus producteurs et diffuseurs de films, propriétaires
de sex-shops, de boîtes échangistes. Les femmes prostituées
deviennent actrices, hôtesses, vendeuses, objets et images marchandisées
sous diverses formes. Nous n’avons pas à faire à
la même répression sexuelle qu’au 19ème siècle,
mais à une utilisation de la sexualité et du corps, de
l’image des femmes dans un contexte postmoderne.
Le capitalisme évolue et sait utiliser le désir pour se
reproduire. Mais la situation des femmes et les représentations
collectives n’évoluent pas beaucoup. Nous pouvons même
poser l’hypothèse que, comme en politique, la représentation
présente est une caricature, un leurre politique et un leurre
sexuel. L’image devient plus importante que le réel, la
passivité l’emporte sur l’action libre. La gestion
marchande et spectaculaire et la reproduction du système étouffent
le désir, la sexualité libre et la possibilité
de la libération des femmes. Un lien peut se faire entre le sexe
et la politique, dans les deux cas la situation des femmes est un bon
indice de la domination : l’émancipation est encore
à venir. L’apparence de la libéralisation des moeurs
concerne encore le règne du faux dans le contexte contemporain.
La domination machiste continue en se modifiant, le patriarcat n’est
pas mort. L’évolution de la société, entre
autres, suite aux luttes des femmes elles-mêmes, a fait que le
machisme est moins ouvert ; comme les autres autorités il a tendance
à s’effacer en se maintenant. Je remarque que le discrédit
porté sur les idées féministes participe de la
reproduction de cette domination. Les réactions au féminisme
utilisent souvent le phantasme de la castration pour évacuer
le problème, ce qui est assez révélateur du blocage
actuel. Nous rencontrons cela également dans le milieu militant,
ce qui semble plus étonnant. A mon avis Rébécca
West résume bien la situation, elle date de 1907 et est toujours
valable : “ Je n’ai jamais réussi à
définir le féminisme. Tout ce que je sais, c’est
que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement
ne permet plus de me confondre avec un paillasson. ” (29)
La confusion généralisée ou l’usage du
postmoderne par la domination
Pour conclure sur ces points, il me semble possible de dire que la période
postmoderne est un système de confusion généralisée,
où le mensonge apparaît comme vrai. Cette confusion interdit
ou bloque la pensée des autres possibles.
Les dominants ont admis que l’histoire n’était plus
linéaire, que le progrès était mort, que l’avenir
était incertain, que le beau en art était une idée
susceptible d’être questionnée, que la philosophie
ne pouvait démontrer le fondement, que la métaphysique
était morte, etc. Il leur reste la posture, le geste, le relatif,
le dialogue avec les oeuvres antérieures, etc. Mais le relativisme
n’est qu’apparent, ils gardent l’élitisme de
fait, la hiérarchie sociale, le contrôle de la différence,
le pouvoir, le mépris, l’arrogance, le rapport de force,
etc. Le paraître est essentiel, la parole est primordiale, l’émotion
indispensable, la sincérité et l’authenticité
subjectives remplacent la vérité construite, vérifiée,
démontrée, argumentée.
Les dominants ont bien compris que tout se gère, y compris le
risque, que le symbolique était fondamental, qu’il ne fallait
rien lâcher ni pratiquement ni institutionnellement, que l’on
pouvait s’adapter en attaquant toujours plus fort et plus massivement,
et que, pour cela, il suffisait d’utiliser les nouvelles méthodes
de pouvoir créées par les sciences humaines et les ressources
fournies par les nouvelles technologies. Pour eux, la maîtrise
du “ général intellect ” est une
nécessité évidente et la souplesse une condition
de survie. Tout se vaut à condition de garder la maîtrise
du pouvoir, de le reproduire pour son compte, ce qui veut bien dire
que tout ne se vaut pas. La propriété privée du
capital, par exemple, n’est jamais mise en cause, elle est une
valeur absolue, un tabou qui se cache dans l’évidence.
Le capitalisme continue, ses formes de pouvoir changent. La nécessité
de l’illusion mentale est évidente, en premier lieu pour
les dominants afin de camoufler leur domination et aussi pour les dominé-es
afin de pouvoir supporter la domination. La barbarie libérale
est à la fois soft : culturelle, mentale, médiatique,
communicationnelle, spectaculaire, informatisée, etc. ; et hard :
elle exclut socialement et économiquement, réprime quand
cela est nécessaire, elle pille la planète, détruit
la nature et les humains, etc. Elle est étonnamment compatible
avec “ les droits de l’homme ” et le “ politiquement
correct ”. Toute la vie de l’individu-e est prise dans
les filets du système, elle peut être qualifiée
comme étant la bio-politique capitaliste contemporaine.
Absurdité, “ Faux et usage de faux ”
Notre monde est absurde, la société postmoderne a une
tendance forte à être dans le : “ faux
et usage de faux ”. Deux citations le disent avec clarté :
1 / “ Le vrai est un moment du faux ” de
Guy Debord dans “ La société du spectacle ”
paru en 1967. Il inverse la formule de Hegel “ le faux est
un moment du vrai ” qui voulait expliquer l’évolution
de l’humanité vers les progrès de la raison. Debord
dénonce avec vigueur le fétichisme de la marchandise et
du spectacle propre à notre société. Pour lui,
le faux est la règle commune, l’activité séparée
(aliénée) est partout. Il n’y a pas de bonnes ou
de mauvaises représentations, tout est inclus dans le “ spectaculaire
intégré ”. Sans prendre ces constats pour une
totalisation absolue, nous pouvons quand même remarquer leur pertinence
régulièrement.
2 / “ La parole a un rapport structurel au mensonge
inscrit dans le collectif. Et le collectif actuel est le lieu de cette
chute de la valeur attribuée à la vie, la mort, le désir,
la jouissance, l’amour. Le rapport humain / inhumain se retrouve
alors reporté sur le lien du sujet à ce collectif. Et
l’individu, au plus profond de lui-même, ne peut dès
lors que très difficilement faire confiance à un collectif
potentiellement destructeur de la subjectivité humaine. ” (30).
Le texte, dont est issue cette citation, se situe dans le champ psychanalytique.
Il essaie de penser la rupture opérée par la Shoah, les
conclusions de Jean-Jacques Moscovitz me semblent valides aujourd’hui
pour la société entière.
Notes de bas de page :
1 Jean François Lyotard, Le post-moderne expliqué aux
enfants, Éditions Livre de poche Collection Biblio Essais, Paris,
1993. Première édition : Galilée, 1988.
2 Marc Augé, Non-lieux, Introduction à une anthropologie
de la surmodernité, Éditions du Seuil, Paris, 1992.
3 Roland Brunner, Psychanalyse et société postmoderne,
Éditions l’Harmattan, Paris 1998.
Également Christian Ruby, La solidarité. Essai sur une
autre culture politique dans une société postmoderne,
Collection Polis, Éditions Ellipses, Paris, 1998.
Ou le canadien Yves Boisvert, L’analyse postmoderniste, Éditions
L’Harmattan, Montréal, Collection Logiques Sociales, Montréal,
1997.
4 Catherine Vallée, Hannah Arendt, Socrate et la question du
totalitarisme, Éditions Ellipses, Collection Polis, Paris 1999.
5 Cf par exemple la Revue Mouvements numéro 3 de mars avril 99
aux Éditions de la Découverte intitulée «
Crise de la politique et nouveaux militants ».
Signalons également le premier numéro de la Revue Alice,
« Revue de critique du temps » parue fin 1998. Cette Revue
est presque entièrement consacrée à ce problème,
il y est question de la « production de subjectivité »,
ou « autour du postfordisme » et « revenu garanti
et bio-politique ».
Contact : Alice / MTLC, 21, ter rue Voltaire, 75011 Paris et sur Internet
en édition électronique :
http://www.ecn.org/samizdat/alice
6 Cette analyse de la re-production est notamment développée
dans le numéro 9 de la Revue Temps Critiques.
Contact : Éditions de l’Impliqué B. P. 2005, 34024
Montpellier cedex 01.
Sur Internet : http://www.multimania.com/tempscritiques/
7 Yves Boisvert, L’analyse postmoderniste, une nouvelle grille
d’analyse socio-politique, Éditions l’Harmattan,
collection Logiques sociales, Montréal, 1997.
8 Comme pour le cas Allègre, cette analyse s’inspire de
la démarche de Jean-Pierre Le Goff , La barbarie douce des entreprises
et de l’école, Éditions La Découverte, collection
« Sur le vif », Paris, 1999.
9 Cette notion a été développée par Le Groupe
La Canaille de Tours dans la brochure « Contre l’apartheid
social : révolutionner le nouvel ordre mondial », également
dans la brochure Sans-Papiers, chronique d’un mouvement, Éditions
Im’Média et Réflexes, Paris printemps 1997.
Le contact de ce groupe : La Canaille, No Pasaran, C/O Manta, B. P.
7141, 37071 Tours cedex 2.
10 Cité par Catherine Vallée dans son livre : Hannah Arendt,
Socrate et la question du totalitarisme , Éditions Ellipses,
collection Polis, Paris, 1999. Cette auteure prend sa citation dans
:
11 A. M. Roviello, Sens commun et Modernité chez Hannah Arendt,
Éditions Ousia, Bruxelles, 1987.
12 Robert Di Cosmo et Dominique Nora, Le hold-up planétaire,
la face cachée de Microsoft, Éditions Calman-Lévy,
Paris 1998 .
13 Hervé Richard, « Le bogue de l’an 2000 ou le comble
de l’imprévoyance » dans Le Monde Libertaire, N°1170
du 24 au 30 Juin 1999.
14 Jean Paul Courthéroux, « Sur les euphémismes
des professions et de la société » paru dans la
Revue Droit Social n° 7/8 de Juillet Août 1998.
15 Michel Surya, De la Domination Le capital, la transparence et les
affaires, Éditions Farrago, Tours, 1999. Ces éditions
sont diffusées par Les Belles Lettres. Michel Surya anime la
Revue Lignes.
16 Jean Léon Beauvois, La servitude libérale, Éditions
Dunod, Paris, 1994.
17 P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique de
la communication, Éditions du Seuil, collections Points, Paris,
1985.
18 Guy Rosalato, « Le narcissisme », dans le volume Narcisses
sous la direction de J. B. Pontalis, éditions Folio Essais Gallimard,
Paris, Février 2000, page 39.
19 Idem page 41.
20 Idem page 45.
21 Idem page 46.
22 Pour les personnes qui souhaitent s’informer sur ce génocide
voici quelques références à un prix modique et
en vente libre en France :
Dominique Franche, Rwanda, Généalogie d’un génocide,
éditions Mille et une nuits, collection Les petits libres, Paris,
1997.
Mehdi Ba, Rwanda, un génocide français, éditions
Dagorno, collection l’Esprit frappeur, Paris 1997.
Michel Sitbon, Un génocide sur la conscience, éditions
Dagorno, collection l’Esprit frappeur, Paris, 1999.
François-Xavier Verschave, France-Afrique le crime continue,
éditions Tahin party, Lyon, Février 2000.
Le contact des éditions Tahin Party :20, Rue Cavenne, 69007 Lyon.
Ce livre est également en vente au prix de 10 frs.
23 Marco Revelli, « La centralité du précariat »,
publié dans la Revue berlinoise Arranca, repris dans le document
intitulé Journées d’été d’A.C.
1999, page 6. Contact : AC!, 42, rue d’Avron, 75020 Paris.
24 Pour ce passage je me suis appuyé sur l’article de Thierry
Septembre intitulé « La souffrance au travail »,
article prévu pour une Revue libertaire et non publié.
25 Christophe Dejours, Souffrances en France, La banalisation de l’injustice
sociale, Éditions du Seuil, Paris, 1998.
26 Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi, Éditions
du Seuil, Paris, 1998.
27 Rapport intitulé « Cette souffrance que l’on ne
peut plus cacher ! », réalisé en Février
1995. Rapport du groupe de travail : « Ville, santé, mentale,
précarité et exclusion sociale. »
Ce rapport m’est parvenu par des voies syndicales et a été
diffusé dans le milieu des travailleurs-euses sociaux. Il est
possible de le faire parvenir aux personnes qui le souhaitent.
28 Citation contenue dans le numéro 1854 de l’hebdomadaire
Le Nouvel Observateur du 18 au 24 Mai 2000 qui contient un dossier sur
la prostitution.
Sven-Axel Mansson, « L’homme dans le commerce du sexe »,
Intervention à l’Université du mouvement le CRI
en Novembre 1993. Publiée dans le numéro 1854 de l’hebdomadaire
Le Nouvel Observateur du 18 au 24 Mai 2000 qui contient un dossier sur
la prostitution.
29 Dans Paroles de Femmes, Albin Michel, Paris, 1999.
30 Jean-Jacques Moscovitz « Le sens de la vie, de l’amour,
du désir, de la mort de la jouissance de la filiation, du lien
entre les hommes, après la rupture de l’histoire »
exposé fait à Düsseldorf le 15 Août 1998 lors
du colloque sur « La levée du mutisme », publié
dans le numéro de Septembre / Octobre 1998 de l’Amif. Disponible
sur Internet : http://www.psychanalyse-in-situ.com/
ou sur cette page : LE SENS DE LA VIE, DE L'AMOUR, DU DÉSIR, DE LA MORT, DE LA JOUISSANCE,
DE LA FILIATION,
DU LIEN ENTRE LES HOMMES, APRÈS LA RUPTURE DE L'HISTOIRE
Jean-Jacques Moscovitz
Notes de fin :
I / Marcel Mauss, 1873 - 1950, sociologue français proche de
Durkheim, célèbre pour son « Essai sur le don », où il étudie le potlach,
c’est à dire le rituel d’échanges entre chefs et clans dans les sociétés
primitives des îles du pacifique. Le don assure prestige, puissance
et rang symbolique.
L’enjeu c’est de donner plus. Le don, c’est aussi l’obligation de rendre.
Celui qui donne le plus est le plus puissant. C’est à l’occasion de
cette étude qu’il forge le concept de « fait social total », parce qu’il
mêle un ensemble de faits complexes, tout ce qui constitue la vie sociale
d’une société.
Le fait social total exprime plusieurs dimensions : religieuse, juridique,
morale, politique, matrimoniale, familiale, économique, esthétique,
culturelle, symbolique, etc. Le système de don et de contre-don est
un mécanisme d’échange social, il met en scène toute la société, il
permet la réactivation de la cohésion sociale.
La pertinence de ces observations sur le don et le contre-don est, à
mon avis, encore valable notamment sur le plan symbolique et pratique
dans les activités militantes. La puissance de la chefferie militante
a souvent comme base le don de soi. Le retour symbolique est très valorisant
pour l’engagement en vue des grandes idées humanitaires. Jouer à Zorro
c’est un bon moyen pour avoir une bonne image de soi (socialement et
individuellement).
A propos de la théorie du don, une utilisation récente revient sur ce
qui est essentiel dans le don, c’est à dire : « Le primat du lien
sur le bien ». Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l’ignorance
et de ses conditions modernes, éditions Micro-Climats, Cahors, 1999,
page 135
II / Théodor W. Adorno, 1903 - 1969, philosophe allemand, membre
de l’Ecole de Francfort, exilé aux USA, de retour en Allemagne en 1949.
Promoteur avec Max Horkheimer de la « Théorie critique ». Il a mené
aux USA une étude sur la personnalité autoritaire, il a également étudié
la théorie esthétique et la musique. Il est revenu en Allemagne après
la seconde guerre mondiale. Il s’est intéressé aux rapports entre la
culture et le « monde administré » de la société industrielle. Il termine
son oeuvre par un livre sur la « dialectique négative ». Ce livre est
une tentative de dépasser la « dialectique de la raison » (livre écrit
en collaboration avec Horkheimer), autre nom de l’évolution de la raison
instrumentale qui conduit à l’aliénation capitaliste. C’est une tentative
de réappropriation de la raison, qui se sait porteuse de domination,
par la négation du sujet historique développé par le marxisme et par
le développement du moment critique propre à la révolte sociale.
III / Hannah Arendt, 1906 - 1975, philosophe d’origine allemande,
émigrée en France une première fois pour fuir le nazisme, puis exilée
une seconde fois aux USA. Elle a dû séjourner au camp de Gurs parce
qu’elle était juive. Elle s’est évadée pour fuir de nouveau. Elle est
la disciple et l’amie de Heidegger et de Jaspers. Elle refuse de se
dire philosophe, elle préfère la notion de théorie politique. Elle pose
une question majeure : « Comment penser après Auschwitz ? ». Son oeuvre
est donc fortement connotée à l’étude du totalitarisme.
Elle a provoqué un scandale en rendant compte du procès d’Eichmann à
Jérusalem. Elle a également écrit deux livres sur « La crise de la culture
» et « La condition de l’homme moderne ». Sa pensée continue de servir
de référence ou de base à de nombreux travaux en philosophie et en théorie
politique.
IV / Max Weber, 1864 - 1920, sociologue allemand. Il est célèbre
pour ses études sur l’autorité (traditionnelle, charismatique, bureaucratique).
Il estime que l’Etat est le seul dépositaire de la violence légitime.
Il est également connu pour ses travaux sur l’influence de l’éthique
protestante sur le développement du capitalisme. La rigueur de cette
religion, couplée avec le lien direct entre la personne humaine et Dieu,
a favorisé l’accumulation primitive du capitalisme sur l’axe rhénan.
En effet l’éthique puritaine des premiers entrepreneurs a permis le
développement capitaliste parce qu’ils voyaient dans leur réussite matérielle
un signe d’élection religieuse. Il a également écrit un livre sur «
L’Esprit du capitalisme ».
V / Émile Durkheim, 1858 - 1917, sociologue français, souvent
considéré comme le fondateur de la sociologie. Il propose de « considérer
les faits sociaux comme des choses ». Il cherche à étudier les structures
qui assurent l’intégration des individus et la cohésion sociale pour
essayer de saisir les causes des dérèglements qui se manifestent dans
les sociétés modernes industrielles. Il essaie, dans son livre sur «
Les formes élémentaires de la vie religieuse » (1912), de faire l’histoire
des formes sociales de la prise de conscience du réel, de produire une
théorie générale de l’activité symbolique. Le langage, les signes, les
symboles, envisagés comme des faits sociaux, ne prennent sens qu’en
fonction d’un contexte social et historique précis et de leur position
dans un ensemble de relations.
VI / Kurt Gödel, 1906 - 1978, mathématicien et philosophe né
en Autriche. Il s’exile aux USA. Il a produit deux théorèmes d’incomplétude,
qu’il compléta par une troisième découverte : la non-contradiction relative.
Le premier théorème d’incomplétude démontre que tout système formel
assez puissant pour inclure un minimum d’arithmétiques, de théorie des
ensembles ou de théorie des types comprend des propositions indécidables.
Le second théorème d’incomplétude démontre que tout système S vérifiant
certaines conditions minimales, la consistance de S ne peut être formellement
établie.
Le troisième théorème de non-contradiction relative démontre que si
la théorie des ensembles est cohérente, cette théorie enrichie de l’axiome
de choix et de l’hypothèse généralisée du continu est cohérente.
Ces travaux de Gödel datent de 1931. Ils marquaient les limites internes
du formalisme (le besoin d’un ou de plusieurs indécidables) et mettaient
fin aux espoirs d’une théorie finie des mathématiques comme celle de
Hilbert. Les conséquences des découvertes de Gödel sont les suivantes
:
- dès qu’un domaine des mathématiques est assez large (dès qu’il inclut
l’arithmétique), la démonstration de sa non-contradiction ne peut se
faire qu’à l’aide de systèmes plus puissants que lui ;
- le second théorème signifie qu’aucune démonstration vraiment satisfaisante
de non-contradiction ne sera jamais donnée ;
- le troisième résultat conduit à la notion de calculabilité utilisée
par Turing et reprise ensuite en informatique. Jean-Paul Delahaye résume
l’enjeu des ces théorèmes ainsi :
« L’histoire des mathématiques et des théorèmes de Gödel montrent que
nous ne pourrons jamais être certains de la non-contradiction des théories
que nous utilisons. Que nous soyons des machines ou pas ne change rien
: les théories mathématiques comme les théories physiques ne proposent
pas des certitudes, mais des instruments qui fonctionnent plus ou moins
bien, plus ou moins longtemps et qu’il faut ajuster ou changer de temps
en temps. Peut-être réussira-t-on un jour à démontrer que nous ne sommes
pas des machines, mais cela ne se fera pas sans l’invocation des théorèmes
d’incomplétude de Gödel ! » Du point de vue des mathématiques il estime
qu’il faut :
« Vivre avec les contradictions. ».
Jean-Paul Delahaye est Directeur adjoint du laboratoire d’informatique
fondamentale de Lille du CNRS. Cette citation est extraite d’un article
intitulé : « Statut mathématique des contradictions », publié dans le
numéro 241 de la Revue Pour la science de Novembre 1997.
Article disponible sur Internet : Pour
la Science n° 241
Une autre présentation des théorèmes de Gödel, trouvée sur Internet,
expose le débat de cette façon :
« 1 / Il existe des formules dont on ne peut ni démontrer qu’elles sont
vraies, ni qu’elles sont fausses ;
2 / on ne peut pas savoir a priori si une formule est démontrable. Pire,
le deuxième point se prouve « en construisant une formule qui affirme
qu’elle est elle-même non démontrable ».
Ce que M. Lascar [professeur de mathématiques et directeur de recherche
au CNRS] compare au paradoxe d’Epiménide le Crétois qui prétendait que
tous les crétois étaient des menteurs. A la différence qu’ici, ce n’est
pas le langage humain, avec toutes ses nuances, ses interprétations
qui est utilisé, mais le langage mathématique, autrement appelé logique.
Ces résultats ont été démontrés par Gödel dans les années 30 et 50.
On les appelle les théorèmes d’incomplétude de Gödel. Ils prouvent que
toute théorie mathématique est soit incomplète, soit incohérente. Ils
remettent en question des certitudes bien établies. Ainsi les maths
ne forment pas un tout cohérent, il faut faire des choix (est-ce loin
du pari de Pascal ?). » ..... / .....
« La contradiction touche aussi la logique ... Et alors, où est le problème ?
Est-ce si décourageant de penser que les maths puissent se contredire
? Que le vrai ET le faux sont relatifs ? Que l’on peut répondre oui
ET non à une même question ? Non, ce n’est pas décourageant, c’est exhaltant
au contraire, c’est la preuve qu’il n’y pas de vérité absolue ... ».
Pour chercher sur Internet : ohoui@kafkaiens.org
ou ahnon@kafkaiens.org KaFkaïens
Magazine
Plusieurs textes sur ces thèmes sont présents ici :
Présentation du Théorème
de Gödel par Francine Jaulin-Mannoni
La thèse de Church entraîne l'incomplétude
de Gödel par Bruno Marchal
Kurt GÖDEL Philosophe et logicien 1906-1978
Gödel et les limites de la logique PRÉSENCE
DE L'HISTOIRE par JOHN DAWSON
STATUT MATHÉMATIQUE DES CONTRADICTIONS
LOGIQUE ET CALCUL Jean-Paul Delahaye
VII / Le structuralisme est à la fois une théorie et une méthode
d’analyse qui considère un ensemble de faits comme une structure. Cette
structure est un système, un ensemble solidaire, dont les composants
sont liés par un rapport d’interdépendance. Ce courant de pensée est
issu de la linguistique. Il traite les faits humains comme des éléments
symboliques d’un ensemble, qui peut être identifié ou déchiffré. Cet
ensemble est nommé structure. Le structuralisme est une position en
sciences humaines qui évacue les contenus subjectifs, les significations
que les humains attribuent aux événements pour arriver à une description
objective des structures. En linguistique, par exemple, le sens ne se
définit pas par le rapport entre le mot et la chose, mais dans la relation
dans un système de signes (à la fois comme contenu : le signifié ; et
comme contenant : le signifiant). On peut voir le structuralisme comme
une combinatoire qui opère sans égard par rapport à l’histoire. La structure
n’a pas de contenu distinct, elle est le contenu même, si on l’appréhende
dans son organisation logique, qui est alors une propriété du réel.
Par exemple, Levi-Strauss a appliqué le structuralisme à l’analyse des
mythes. Il estime que l’intelligence humaine est une pensée logique
au niveau du sensible, qui utilise des catégories empiriques, comme
le cru et le cuit, qui deviennent des outils conceptuels pour dégager
des catégories abstraites. La vérité du mythe consiste « en rapports
logiques dépourvus de contenu ou plutôt dont les propriétés invariantes
épuisent leur valeur opératoire, puisque des rapports comparables peuvent
s’établir entre les éléments d’un grand nombre de contenus différents
» (cité par Jean Lacroix article « Le structuralisme de Claude Levi-Strauss
») disponible à l’adresse internet suivante :
http://www.girafe-info.net/jean_lacroix/strauss.htm
Le structuralisme de Levi-Strauss par Jean Lacroix
Selon le structuralisme, il existe une objectivité et une structure
des mythes. Levi-Strauss ne cherche pas à montrer comment les humains
pensent les mythes, mais « comment les mythes pensent dans les hommes
et à leur insu ». On constate donc que le structuralisme établit le
primat de la structure sur l’événement ou le phénomène. L’événement
social ou psychique n’a pas en lui-même sa signification, il renvoie
nécessairement à une globalité. Par voie de conséquence, c’est l’idée
même d’intériorité qui est contestée. Le structuralisme pense où l’organisation
fait système, sans que le sujet humain en soit conscient. Les approches
structuralistes sont différentes selon les domaines et les auteur-es.
Mais le structuralisme est une théorie du fait de son affirmation de
la primauté de la structure sur le phénomène ou l’événement. De ce point
de vue, les processus sociaux se déploient dans le cadre de structures
fondamentales qui, très souvent, restent inconscientes pour les humains.
Le structuralisme est également une méthode qui a pour domaine d’application
tous les phénomènes qui ont un caractère de système. Dans ces systèmes
aucun élément ne peut être modifié ou supprimé sans que cela entraîne
une modification de l’ensemble. La démarche structuraliste consiste
à expliquer les phénomènes à partir de la place qu’ils occupent au sein
même du système dans lequel ils sont inclus, suivant des lois d’association
ou de dissociation. Le structuralisme a une approche « synchronique
», où la coexistence des divers éléments au sein d’un même ensemble,
et ce au même moment, peut fournir l’intelligibilité des phénomènes
étudiés. Cette démarche s’opposait à l’approche « diachronique » basée
sur l’étude de l’histoire, sur la genèse de chaque partie prise séparément.
Cette approche s’opposait au marxisme comme analyse fonctionnant à partir
de l’étude de l’histoire.
VIII / Le phallologocentrisme c’est le nom donné par certaines
critiques au déploiement de la philosophie occidentale basée sur le
logos (à la fois comme discours et comme logique de raisonnement) de
l’homme mâle blanc. Ce terme a été utilisé et développé par certaines
critiques féministes.
IX / Le fordisme tire son nom de Henry Ford, un capitaliste producteur
de voiture à Détroit aux USA. On peut considérer le fordisme comme une
étape du capitalisme moderne, qui est caractérisé à la fois, par la
production de masse, par une division du travail très élaborée, par
une politique d’augmentation des salaires et par un compromis avec les
syndicats, et par un accroissement de la possibilité de crédit bancaire.
Tout ceci permettant la consommation de masse et un développement capitaliste
sans précédent. Au début du XX° siècle pour baisser les coûts dans un
contexte concurrentiel, les entreprises industrielles cherchent à rationaliser
la production. Taylor, puis Ford comprennent que la solution ne viendra
pas de la réduction des salaires, mais de la production en grande série.
Taylor propose une méthode d’organisation du travail, qui sépare la
conception et l’exécution des tâches, une séparation entre les ingénieurs
et les ouvriers-ères considéré-es comme des exécutant-es. La direction
de l’entreprise capitaliste renforce ainsi son contrôle sur les processus
de fabrication. Le travail intellectuel est séparé du travail manuel.
La division du travail ou atomisation du travail (le fameux travail
en miettes) est complétée par l’introduction de la chaîne par Ford en
1917. Le convoyage des pièces est mécanisé et l’ouvrier n’a plus à se
déplacer pour travailler. Le second aspect important du fordisme est
l’augmentation des salaires. Pour que la production en grande série
se vende, il faut qu’il existe des acheteurs-euses. En produisant des
biens moins chers à l’unité et en augmentant un peu les salaires, on
fait se rencontrer la production de masse et la consommation de masse.
La coupure entre travailleurs manuels et intellectuels rencontre la
résistance des ouvriers qualifiés, qui se voient dépossédés de leurs
compétences techniques et organisationnelles. Après une longue résistance,
les syndicats acceptent un compromis. Celui-ci est basé sur la redistribution,
sous forme d’une augmentation de salaire, d’une partie des profits obtenus
par les gains de productivité. Cette augmentation de la productivité
est liée à une rationalisation du travail et une intensification du
travail, ce que Marx nomme la « plus-value relative ».
Il faut également souligner le rôle de Keynes, un économiste
qui préconise l’intervention de l’Etat dans l’économie, ce qui deviendra
plus tard l’Etat-providence (cette nomination est abusive, puisqu’il
s’agit d’une intervention pour réguler la demande et aider le capitalisme
et non pas d’une providence pour l’ensemble de la population). D’autre
part, le développement des banques permet de proposer des crédits afin
d’acheter des biens de consommation. Ce modèle fordiste s’imposa de
façon générale après la fin de la seconde guerre mondiale. Il s’agit
à la fois d’un compromis dans la lutte de classe, d’une nouvelle façon
d’organiser le travail et de la possibilité d’une consommation de masse.
X / Le capital financier semblable à Dieu ? Certaines analyses
remarquent que le capital financier possède maintenant les attributs
qui étaient réservés à Dieu auparavant : Toute puissance, action à distance,
immatérialité, immédiateté, permanence, omniprésence, etc.
XI / Le Goff Cet auteur dénonce « la pensée chewing-gum » qui
caractérise l’alliance de la pensée de gauche et du libéralisme économique.
Il a déjà publié « Le mythe de l’entreprise et l’illusion du management
».
XII / Chevénement est une figure majeure de ce courant de pensée.
XIII / Eduardo Colombo donne l’explication suivante à l’origine
de la nomination des Cyniques : le nom leur vient d’Anthisthène (445
- 360) qui discourait dans le gymnase de Cynosarges, dans la banlieue
d’Athènes: « le chien agile » ou « à l’enseigne du vrai chien ». Le
cynique : « vrai chien toujours prêt à aboyer contre la médiocrité ou
l’hypocrisie des gens bien, et déchirant à belles dents toute forme
d’aliénation, de conformisme ou de superstition » ou de servitude.
Cf Léonce Paquet, Les cyniques grecs, Éditions de l’Université d’Ottawa,
Ottawa, 1975, page 11.
Note contenue dans le numéro 1 de la Revue Réfractions, « Libertés imaginées
», dans l’article « La centralité dans les origines de l’imaginaire
occidental » d’Eduardo Colombo, page 158.
Contact de la Revue Réfractions :
Les amis de Réfractions, B. P. 33, 69 571 Dardilly cedex.
La revue Réfractions a un site Internet
Réfractions
Les textes en ligne de Réfractions http://refractions.plusloin.org/textes/
XIV / DPS C’est le service d’ordre du FN qui se comporte comme
une police parallèle et n’hésite pas à agresser les antifascistes, à
provoquer des heurts pour les traduire en justice, à les ficher, les
filmer. Cet organisme est souvent qualifié de « milice ». Ces méthodes
sont en contradiction flagrante avec l’esprit républicain.