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I / Le contexte postmoderne


Pourquoi ce terme ?

Le mot “ postmoderne ” est utilisé en art, principalement en architecture. Il l’est aussi en philosophie par Jean François Lyotard. Pour cet auteur, c’est le moyen d’exprimer l’irreprésentable, l’indicible alors que la représentation dans son sens classique ne le permet pas. Cet auteur valorise positivement le terme (1).

Je l’emploie ici dans un sens plus large où le versant négatif et complexe me semble caractéristique de notre situation contemporaine en occident : une sorte de fait social total, selon l’acception de Marcel Mauss (i), même si je sais que la prétention à la totalité est toujours illusoire. J’utilise la notion de postmodernité pour tenter de donner une cohérence à ce que nous pouvons considérer comme étant une nouvelle période de la domination et de l’évolution du capitalisme. Cette période se vit de nouveau comme moderne et plus avancée que la précédente. Évidemment, ceci complique la perception et les tentatives de compréhension et explique pourquoi cette notion n’est pas reprise souvent et pourquoi elle n’est pas admise par le sens commun. Au contraire elle parait incongrue. Pourtant, certains auteurs parlent de notre période comme d’une période qui serait postérieure à celle de la postmodernité, ce serait la “ surmodernité ” (2). Pour l’instant, sans dénier la pertinence de ces analyses, j’en resterai à la postmodernité. D’autres personnes m’ont déjà précédé dans l’emploi de ce terme, nous pouvons citer, par exemple, Roland Brunner qui a écrit un livre intitulé “ Psychanalyse et société postmoderne ” (3), où il s’interroge : “ La barbarie a-t-elle changé de forme ? ”.

Le point de départ est bien la ou les limites des modèles issus des Lumières : la raison, le progrès, les visions totalisantes, etc. Le terme même indique que nous sommes dans un temps situé après la modernité. Celle-ci est à entendre dans le sens où elle commence avec la renaissance et trouve son apogée à la fin du 19ème siècle et au 20ème siècle (développement des sciences, de l’éducation, mise en place du système démocratique parlementaire, maîtrise de la nature, place primordiale accordée au sujet humain, etc.). La postmodernité c’est notre temps, celui de la période contemporaine. Nous sommes à la fois dans la continuité et dans la discontinuité avec la modernité. Continuité parce que notre époque est le résultat de la précédente. Discontinuité parce que le changement est notable en particulier dans la façon de justifier la domination, la hiérarchie entre les êtres. D’une justification en nature, d’une explication métaphysique nous sommes passé-es à une justification par la culture enrobée de relativisme. Dans les périodes précédentes les humains pouvaient se référer à un sens, qu’il soit donné par Dieu, la nature, la raison ou par l’histoire, il était là et important comme référence. Aujourd’hui le sens semble avoir disparu, s’être dissout dans les aléas tragiques de l’histoire humaine. Le qualificatif postmoderne ne sera donc pas employé dans ce texte dans un sens esthétique, mais au sens générique et politique parce que l’ambiance mentale qui résulte de tous les bouleversements du 20ème siècle n’est pas la même que celle de la période précédente.

Nous sommes dans une situation inédite. Tout semble mis sur le même plan : les massacres côtoient l’anecdotique et nous avons l’impression de n’y rien comprendre. Dans l’évolution mentale de ce siècle, il existe une crise profonde, une rupture : la Shoah. Elle est le signe le plus marquant de la modification vis à vis de la modernité. Avec cet événement la rationalité occidentale se trouve en échec. Cet effondrement de la civilisation occidentale est vécu et décrit comme une rupture dans le cours de l’histoire de l’humanité. Adorno (ii), à ce sujet, revient sur la fin de la métaphysique et aborde le problème sous l’angle de la critique de la raison instrumentale. Les nazis ont utilisé la raison et ont organisé la mise à mort des humains comme une technique industrielle. De ce fait la raison était atteinte puisque c’était un aboutissement aberrant du projet de Descartes qui souhaitait que l’humain, avec l’aide de la raison, devienne “ comme maître et possesseur de la nature ”. C’est cela qui amène Hannah Arendt (iii) à se poser la question du sens de la politique après Auschwitz, Hiroshima et les goulags de Staline, à assumer la crise de la modernité, la crise de notre culture, le problème de la banalité du mal. Le fascisme et le stalinisme ont en commun d’avoir créé une société totalitaire, mais il existe une différence entre ces deux phénomènes. Comme le dit Catherine Vallée : “ Staline trahissait ses idées par ses crimes, Hitler mettait les siennes en pratique. ” (4)

Il est possible de dire que la modernité elle-même avait déjà produit les éléments qui ont sapé son assise rationnelle. Max Weber (iv) constate “ le désenchantement du monde ”. Au cours du XIX°, siècle l’industrie et la science repoussent les limites de l’influence de la religion au point de faire disparaître la magie enchanteresse qu’elle procurait aux humains sur le monde. Les humains se retrouvent dans un monde technique, efficace mais désenchanté, triste et froid. Avec le développement de l’industrie on n’a plus besoin de croire pour travailler, pour être efficace. La foi n’intervient plus dans le travail. Il s’agit d’une étape décisive dans le processus de sécularisation de la société où la religion tend à devenir seulement une affaire privée. La structure de la crédibilité s’en trouve bouleversée. Au début du XX° siècle Durkheim (v) constate avec effroi la fin du mode d’organisation social communautaire et l’émergence de l’individu-e. Le lien social antérieur est bouleversé et Durkheim s’inquiète. Il y a effectivement de quoi s’inquiéter pour les dominants de cette époque, dans de multiples domaines les évidences de la modernité sont attaquées.
Au niveau théorique, Darwin a commencé l’offensive en montrant que les humains appartenaient au règne animal. L’humain devait alors assumer son origine et son évolution. Des mammifères aux grands primates il n’y avait plus de place pour la création divine, ni pour une différence de nature fondamentale avec les autres animaux.

Puis les philosophes du soupçon mettent à mal beaucoup de certitudes :
- Marx interroge la société comme unité harmonieuse. Avec la notion De plus, value il donne une base solide aux critiques antérieures du capitalisme menées par les socialistes et les libertaires. Il est alors facile de voir que “ un se divise en deux ”, que les classes sociales sont unies, mais de façon antagonique ;
- Nietzsche examine la volonté de vérité comme système de valeurs. Pour lui les catégories logiques sont des instruments à l’aide desquels la vie organise et domine le monde, ce sont des valeurs au service des humains. Il énonce “ Dieu est mort ! ” ;
- Freud assume la division du sujet et limite fortement la prétention de la conscience humaine. Il met en évidence l’inconscient en créant la psychanalyse.

Dans le domaine des sciences, les crises et les bouleversements sont nombreux et profonds, au point que la notion de déterminisme est questionnée :
- la relativité, la mise en évidence du lien observateur-trice / objet observé, l’ambivalence onde / corpuscule, l’utilisation des statistiques pour décrire les phénomènes, l’incomplétude en mathématiques avec Gödel (vi), etc. , aboutissent à un déterminisme complètement remanié.

En art, la tendance à l’abstraction disqualifie l’esthétique antérieure. Les avant-gardes succèdent aux avant-gardes et l’idée de beauté vole en éclat :
- impressionnisme, dadaïsme, fauvisme, expressionnisme, surréalisme, ready-made, cubisme, etc., bouleversent les codes artistiques.
Cet ensemble de crises produit un effet de déstabilisation générale de la rationalité antérieure.
A la fin des années soixante du vingtième siècle, dans les sciences humaines “ la mort de l’homme ” est une notion de combat, elle sert à qualifier des démarches différentes où le structuralisme (vii) est très présent : Foucault, Barthes, Althusser, Levi-Strauss, Lacan, etc. La mort de l’homme est une sorte d’écho à la mort de Dieu. Cette affirmation est une critique de l’homme comme entité autonome, caractérisée par la conscience, la volonté et la liberté.

La relativité des cultures est acceptée, la critique se porte sur l’ethnocentrisme, contre le discours et la logique de domination de l’humain blanc de sexe mâle (ou genre masculin). Cette façon de penser sera nommée un peu plus tard phallologocentrisme (viii).

En philosophie la fin de la métaphysique est assumée, en particulier, avec la diffusion de la pensée d’Heidegger. Celui-ci pose la question de l’oubli du sujet, parce que nous sommes réduit-es à n’être que des étants dans le monde moderne. La mort de la métaphysique est la suite de la mort de Dieu, c’est la reconnaissance que la transcendance divine ou celle des idées n’a pas de fondement rationnel. Le problème de la fondation qui était hétéro-centrée se déplace, elle devient auto-centrée sur l’humain.
La difficulté de fonder en raison fait place aux théories sur l’existence (Sartre), le pouvoir (Foucault), le désir (Reich, Marcuse, Deleuze et Guattari), l’interprétation (Ricoeur), la vie quotidienne (Henri Lefèbvre), la déconstruction (Derrida), la logique, l’épistémologie, l’art, le langage, la postmodernité, l’événement, etc.

Tout ceci met à mal de multiples manières, mais de façon profonde et irréversible, le sujet conscient et volontaire ainsi que la notion de représentation que la rationalité occidentale avait promue pendant si longtemps, en particulier en philosophie.
Sur le plan social, la mise en cause du progrès prend de l’ampleur à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix du vingtième siècle. Ceci est dû, entre autres, au début de l’épuisement du modèle fordiste (le fordisme est un mode de développement capitaliste qui était basé sur la production de masse et l’élévation du niveau de vie, la consommation de masse).

En politique, la critique du progrès se fait à la fois pratiquement et théoriquement. Celle-ci s’exprime, entre autres, par la montée en puissance de l’écologie, avec toutes ses variantes alimentaires, environnementales ou de mode de vie qui critiquent le productivisme, le rapport à la nature. Ensuite les discussions sur le sujet historique s’interrogent sur les acteurs-trices du changement. En 1975, par exemple, dans la mouvance militante à laquelle j’appartenais (le gauchisme maoïste), il s’agissait de savoir si c’était le prolétariat qui devait avoir le rôle principal ou si d’autres groupes pouvaient être moteurs de la lutte anticapitaliste : les immigré-es, les OS, les femmes, les homosexuel-les, les artistes, la jeunesse, etc. Aujourd’hui il est question des sans-papiers et sans-papières, des précaires et chômeuses-eurs, des luttes sur le Sida, etc. Certaines personnes observatrices parlent maintenant des nouvelles modalités d’engagement (5). En 1848 le communisme était un espoir, en 1989 il est devenu un repoussoir. La chute du mur après la critique du stalinisme, porte un coup fatal à la volonté de transformer le monde de façon rationnelle par la prise de pouvoir étatique. Cette voie était mise en avant par le marxisme dans sa variante la plus connue. Il était diffusé dans l’hexagone majoritairement par le P.C.F. Il était transmis sous une forme simple et réductrice, mais il imprégnait fortement la gauche et l’extrême gauche française. De plus, l’expérience de la gauche au pouvoir a bien montré que les idées et les actes ce n’est pas la même chose.
Ceci contribue à dévaloriser l’idée d’un changement social et politique possible, et à attaquer la notion de représentation.

Aujourd’hui le mot “ postmoderne ” est souvent associé au relativisme (“ tout se vaut ! ”), à la confusion des genres, à la perte de sens, de repères, à la fin des grands récits. Il n’y a plus de linéarité. L’attitude postmoderne se caractérise par la reprise des anciens modèles mais réinterprétés. C’est pour cela que souvent les analyses parlent de démarche postmoderne lorsque nous sommes confronté-es aux fragments, à la complexité, à la fiction, au hasard, à l’absence de système, au désordre voire au chaos, à la discontinuité, aux phénomènes aléatoires, aux réseaux ou encore à la pluralité.

Quelques éléments de la domination postmoderne

La postmodernité est conjointe du stade de la re-production, de la reprise, comme la modernité était le moment de la création, de la production, de l’accumulation.

La notion de re-production correspond en économie à la puissance du capital financier et sur le plan mental à la société de l’information. Sur le plan économique le profit ne se fait plus principalement par la production, il est basé essentiellement sur le profit financier. Ceci explique pourquoi la valeur travail (au sens de la plus value) n’a plus le même poids qu’auparavant. Ceci ne veut pas dire que l’exploitation n’existe plus, mais qu’elle est intégrée au système financier, où la place de la spéculation devient décisive. L’exemple des fonds de pensions anglo-saxons est largement connu. Cet aspect de l’évolution du capitalisme permet de comprendre pourquoi les secteurs des transports, de la circulation, de la communication sont devenus fondamentaux pour le capitalisme (6). La maîtrise du centre c’est à la fois la maîtrise de la force (militaire et financière) et la maîtrise du signe (l’information, la publicité, ...). Le point commun entre les deux c’est l’argent qui est de plus en plus virtuel, donc en même temps puissance et pur signe. Le contrôle des pays impérialistes, en particulier l’impérialisme américain, est évident pour l’argent, l’information et la puissance militaire. Les secteurs des services (banques, assurances, logiciels informatiques, bureau d’études, etc.), ou de la création et de la diffusion d’informations (médias mondiaux, publicité, téléphonie, informatique, etc.) sont des secteurs clés dans le fonctionnement de la domination capitaliste. C’est pour cette raison que je reprends l’analyse qui affirme que le signe de la force et la force du signe sont liés. La re-production sur le plan mental ou symbolique, c’est ce que je nomme aujourd’hui “ domination mentale ”.

Le fonctionnement actuel du capitalisme permet à la domination de ne plus vraiment se soucier de la question de la résolution des besoins collectifs. Auparavant ce n’était pas non plus son souci principal, mais le fordisme, dans les pays occidentaux, permettait un compromis social où l’élévation du niveau de vie était conjointe de l’augmentation de la production (ix). L’écart entre le bien commun des humains et le capital s’accroît. Tant et si bien que l’on se demande souvent pourquoi il faut faire fonctionner cette immense machinerie.

La postmodernité, pour moi, correspond à la crise du sens pour tout le monde, dominé-es et dominants.

La tentative de périodisation entre période moderne et période postmoderne a un côté arbitraire. Il n’y a pas de coupure franche entre la modernité et la postmodernité. Ici, la notion de postmodernité est un essai de nomination pour expérimenter une analyse de ce qui change. C’est un point de vue nouveau, qui a un aspect personnel, une projection sans doute contestable, mais aussi la prise en compte des essais de compréhension du monde tentés par d’autres personnes. Yves Boisvert synthétise bien l’enjeu de l’emploi de ce terme dans son livre “ L’analyse postmoderniste ” : “ C’est parce que les postmodernistes sont persuadés qu’il n’est plus possible de définir notre monde, marqué par l’essor technologique, l’informatisation généralisée et l’hégémonie croissante des mass médias, à partir d’une vision élaborée au XVIII° siècle par la philosophie des Lumières, qu’ils ont choisi de se référer à une nouvelle notion : la postmodernité. Cette dernière cherche donc à définir l’ère de changement qui est la nôtre. ” (7)

L’avantage du concept de postmodernité c’est de nous signaler que nous ne sommes plus en 1910, moment où l’éducation devient “ de masse ”, ni en 1960, moment où le fordisme triomphe. Nous débutons un nouveau millénaire avec un nouveau type de régulation sociale, de nouveaux modes de subjectivité. Ses sources nous plongent dans l’histoire de la modernité (du XII° siècle au XX° siècle), son évolution nous conduit à la postmodernité contemporaine (la fin de ce siècle et le début de ce nouveau millénaire). Le fait que cette périodisation correspond à une date précise (l’an 2000) n’est pas connoté à un nouveau millénarisme, la conjonction entre les deux est due aux hasards de l’histoire humaine. Le débat est ouvert, cela va de soi !

Nous pouvons bien sûr observer les phénomènes liés à la postmodernité à grande échelle aux États-Unis et dans le monde entier. Le spectacle et la marchandise sont partout : l’image et les massacres y font bon ménage, la bonne conscience humanitaire et le “ politiquement correct ” font le reste.

Voici quelques éléments idéologiques et politiques pris localement, c’est à dire depuis l’hexagone, nommé France. 

Le pouvoir et l’autorité

L’autorité paradoxale

L’autorité apparaît de moins en moins de façon visible et ouverte, sauf sous sa forme policière ou militaire, mais se maintient de fait. Le capital est devenu virtuel, Pourtant, sa puissance est indéniable (x)et les effets de son développement marquent très fortement la situation. Plus le capital devient invisible et abstrait (des signes sur les systèmes informatiques), plus l’autorité semble s’effacer. C’est une source indéniable de désarroi, de confusion, de perte de sens, d’impuissance. De plus, l’autorité politique, se parant des atours de la gestion de la demande sociale, est plus difficile à identifier ou à questionner (8) (xi).

La force se maquille de droit pour maintenir les différenciations sociales. La force brute est condamnée, en particulier à propos des banlieues, ce qui permet de passer sous silence la violence sociale qui fonctionne si bien et se reproduit à grande échelle. Le contenu de la loi est régulièrement questionné et questionnable. Les défenseurs de notre république parlent d’égalité, d’intégration, mais celle-ci produit, induit, gère l’apartheid social (9), où la séparation entre les mondes devient irréductible. Notre société est incapable, actuellement, d’accepter l’articulation de l’unité et de la différence. Le modèle républicain est alors la parure du maintien de l’ordre (xii).

Souvent le questionnement du droit ne fait que renforcer les autorités de ce temps, puisqu’il est énoncé depuis une position qui réclame “ un droit à ”. Ressentir l’injustice ne suffit pas pour remettre en question la domination, ce peut être une demande d’égalité dans le cadre de la société de consommation. Cette demande peut être légitime sans forcément questionner le bien fondé de l’organisation sociale.
Le questionnement du droit et de la loi qui me semble intéressant, c’est celui qui va au-delà de l’intérêt particulier pour montrer les contradictions du système dans une situation donnée. Cela a eu lieu dans les luttes sur le logement, où la revendication du droit au logement, s’oppose à la propriété privée ; dans les luttes sur le chômage et la précarité, où la question du devenir des humains sans travail interroge une société qui se dit fondée sur le travail ; c’est également le cas des luttes des sans-papiers et des sans-papières, qui demandent si les êtres humains existent seulement au travers d’un morceau de papier et des frontières administratives ; c’est encore le cas des luttes sur les OGM ou la mal-bouffe, qui interrogent le contenu de la production et remettent en cause le productivisme.

La politique : gestion et maîtrise
La politique est transformée en une simple affaire de gestion, de “ maîtrise ” et de distribution des pouvoirs. Les paroles politiques n’ont plus de sens. Les exemples abondent : sang contaminé, nucléaire, fausses factures, corruption, abus de pouvoir, incompétences, couleuvres avalées pour rester au pouvoir, abandon de ses idéaux, copinage, utilisation abusive des moyens de communication et de mise en scène ou de diffusion des images, etc.

Au niveau de l’opinion publique, la politique est assimilée à la gestion de l’Etat et conjointe du système parlementaire. Pour moi, la politique n’est pas la gestion, elle doit toujours être pensée en référence au champ qui définit et oriente le devenir collectif de la communauté humaine, l’espace commun de “ l’être ensemble ”. Auparavant cela était nommé “ bien commun ”. On peut également citer la conception d’Hannah Arendt pour qui la politique est un : “ espace où s’institue et se révèle la communauté du monde. ” (10)

Pour Hannah Arendt la politique n’a pas de lieu fixe, elle n’est pas toujours présente et ne peut pas se laisser enfermer dans des lieux définis à l’avance, ce qui est, pour moi, un autre nom de la situation. D’un point de vue libertaire, la politique ne peut se faire qu’en rupture avec la gestion actuelle, la reproduction de la domination. Cette politique est liée au désir de justice et d’égalité, elle est liberté critique.

L’opacité des fins
La modernité est réduite à une technique, à l’usage des instruments techniques (téléphone portable et ordinateur par exemple), une utilisation des résultats de la science. Le plus bel exemple est celui de l’informatique où les choix les plus rationnels, les plus créatifs, les plus adaptés aux humains sont évacués au nom du profit. Nous pouvons l’observer facilement avec l’empire de Bill Gates : “ micro-douceur ” (11) Il s’agit ici de l’alliance implicite entre Microsoft pour le logiciel Windows et de Intel pour les microprocesseurs. Cette alliance, aussi appelée “ Wintel ” par les personnes qui luttent contre la domination de Microsoft, est en situation de quasi-monopole mondial pour les ordinateurs personnels. Le constat est le même pour le bogue de l’an 2000, qui a été justement qualifié de : “ comble de l’imprévoyance ” (12). Encore une fois ce qui pose problème ce n’est pas la transformation de la matière, la création de nouveaux appareils ou objets. La difficulté vient de l’absence d’interrogation sur les fins, de l’opacité entretenue (ou de la trop grande clarté qui se résume dans la recherche du profit), qui règne autour du choix de développement sur les recherches, sur les orientations, qui président à l’apparition de nouvelles machines ou des nouvelles technologies.

Le cynisme
Les dominants, notamment les intellectuel-les et les artistes, les célébrités du cinéma et de la télévision disent ce qu’ils font, sans honte. Ils ou elles avouent assez facilement leur vacuité ou le caractère vain de ce qu’ils ou elles font, parfois même leur nullité et elles ou ils continuent. La postmodernité est souvent associée à une posture cynique, mais brillante, qui n’a pas peur de s’afficher. Le contenu des énoncés peut être médiocre cela n’a pas d’importance.

Le cynisme est une notion qui a plusieurs sens. Dans son sens philosophique, elle fait référence à une école de philosophie grecque fondée dans la seconde moitié du IV° siècle avant J. C. Son représentant le plus connu est Diogène. Le nom “ cynique ” vient du mot “ chien ” en grec. Ce mot était lié à la façon de vivre sa philosophie que Diogène avait mis en oeuvre. Il critiquait le mode de vie artificiel de ses contemporains et souvent il démontrait la justesse de sa pensée par la provocation, par l’audace qui choque. Les cyniques de l’époque préconisaient un mode de vie ascétique (xiii).

Ici, la notion de cynisme concerne de la nomination de l’attitude qui se moque des convenances et de la morale. Le sens actuel est proche de celui d’impudence. Nous parlons effectivement dans ce texte de l’absence de pudeur des personnes qui profitent de la domination. Sans prôner le souci des convenances, le moralisme, il est possible de noter que le cynisme contemporain n’hésite pas à se moquer des personnes qui ne réussissent pas ou qui sont moins bien placées dans la hiérarchie de la domination. Ce n’est plus une provocation ou un refus de la morale, mais la morale même de la réussite dans notre monde postmoderne. Cette réussite implique que l’on admette comme normal d’écraser les autres pour arriver. La mise en spectacle fait partie de la réussite, cela ne choque plus. Au contraire, c’est l’envie qui semble l’emporter dans cette dynamique de la reproduction de la domination. La notion a donc subi une sorte de retournement. Les plus cyniques aujourd’hui sont ceux et celles que Diogène critiquait de façon virulente, à la manière d’un chien qui mord.

Les euphémismes
Au niveau du discours, de la langue, l’euphémisme est de plus en plus utilisé. Il s’agit d’atténuer le caractère trop direct, trop cru, de certaines expressions ou nominations. Cette façon de procéder est remarquable dans la nomination des métiers ou dans celui des phénomènes sociaux. Jean Paul Courthéroux décèle dans ce phénomène un certain conformisme parce que : “ paradoxalement ceci contribue au maintien même des discriminations réelles en édulcorant leurs apparences ” (13) Cet auteur note que l’euphémisme est une façon habile de faire supporter une réalité brutale.

Le lien entre le discours et la politique est très ancien, les sophistes grecs faisaient commerce de la maîtrise de la langue, de la rhétorique parmi les puissants de l’époque. Aujourd’hui à l’ENA, les futur-es dirigeant-es apprennent à faire un discours sur n’importe quel sujet, même s’ils ou elles ne connaissent que superficiellement le domaine en question. Pour dominer il faut effectivement maîtriser la parole.

Les idées ambiantes

Où est la vérité ?
Au niveau idéologique nous savons tout ou presque, rien n’est caché, mais tout est “ normal ”. Le rôle de la communication, en raison du lien entre l’informatique et les télécommunications, est fondamental. L’omniprésence des médias dans la fabrication de l’opinion est corollaire de la disparition des espaces publics de discussion et de la fin des grands appareils idéologiques : syndicats, partis politiques, églises, mouvements d’éducation populaire, etc. L’espace mental est saturé d’informations et d’images, mais le sens nous échappe sans cesse, si bien que souvent nous croyons que l’on nous cache quelque chose. C’est cette sensation dont il est question dans la célèbre expression : “ On m’aurait menti ? ”. Pourtant, il semble bien que ce soit le contraire qui permette à la domination de se renforcer, Michel Surya le postule : “ Il faut en former l’hypothèse : les affaires ne portent qu’apparemment tort à la domination. Elles sont au contraire le moyen dont celle-ci s’est aussitôt saisie pour assainir les conditions de son exercice. Pour s’exonérer des excès qui la condamneraient. Et entreprendre la plus grande opération de justification idéologique jamais entreprise par elle.

Une opération aussi subreptice n’en a pas moins été aussitôt conceptualisée. Elle l’a été sous le titre de la transparence. ”  (14)
Par exemple, l’émission télévisée “ Capital ” explique comment le capitalisme fonctionne, comment on nous arnaque, comment on fait du profit, mais est-ce une émission critique pour autant ? De mon point de vue : non ! Car elle considère cela sous l’angle de la transparence postmoderne, où si peu de choses choquent. L’écart entre les niveaux de richesses est normal, comme l’est la propriété privée, l’exploitation, le droit de licencier, la précarité aussi, le fait de ne pas se soucier des conséquences, .....

L’illusion de liberté
L’information et la connaissance sont confondus, les médias nous parlent de liberté alors qu’il s’agit de liberté marchande ou spectaculaire et social-démocrate dans le cadre du parlementarisme. Les droits de l’homme sont évoqués perpétuellement, mais les gouvernants laissent la barbarie continuer. Le discours de la domination s’adapte à un monde incertain, plein d’inquiétude, menaçant. La gestion est le seul horizon admissible. La science est omniprésente, les experts sont appelés au secours, mais la raison est régulièrement invalidée par le maintien de l’absurdité de ce monde.

Je me dois de préciser que, de mon point de vue, la liberté ne peut pas seulement se réaliser ou s’éteindre dans les jouissances d’objets ou d’images mises à disposition par le système. Elle peut aussi se mettre en oeuvre par un écart vis à vis des assignations proposées, en disant non à la barbarie capitaliste, au non-sens et impliquer un certain décalage d’avec les jouissances consuméristes et spectaculaires. Cette liberté est critique, elle refuse de cautionner un système qui fait souffrir, tue, détruit ou exclut en notre nom.
Cette période est un moment où la domination s’appuie de façon importante sur l’implication du sujet au niveau mental, sur l’individu-e, en laissant croire à la liberté alors que nous sommes dans une société assez massifiée où la contrainte est forte, même si les modalités de la contrainte ont évolué. Cela est visible dans le travail, mais aussi dans la sphère de la consommation, de l’identité, etc.

La question du pouvoir toujours escamotée
Par exemple, dans le film “ Dîner de con ”, nous voyons le con, un français moyen, sauver le riche cultivé mais d’un cynisme à toute épreuve, avouer lui-même qu’il est con et de fait accepter d’être ridiculisé. Tout cela passe par le rire et la théatralisation style boulevard. Ce film a eu un énorme succès populaire, tendant à prouver qu’il est possible de se moquer des dominé-es, ils ou elles en redemandent. Au mieux, la conclusion est que tout le monde est con, mais ceci, encore une fois, occulte la question du pouvoir. La résignation et l’impuissance l’emportent. Il est exact que la bêtise est un phénomène assez répandu, mais ce film en profite pour promouvoir le cynisme. Car derrière l’apparente auto-dérision, la reproduction du pouvoir fonctionne bien. Peut-être faut-il revenir sur la nuance qui est faite parfois entre les comiques et l’humour. Le rôle des comiques reste la régulation sociale pour évacuer les tensions, explication donnée traditionnellement pour expliquer le rôle et le succès du carnaval. A la différence des comiques, l’humour est souvent un moyen pour prendre de la distance critique vis à vis de la réalité sociale, un moyen de la rendre évidente et de viser une prise de conscience critique en utilisant le rire et les jeux de langage. L’humour est un moyen qui a souvent été utilisé par les libertaires, les dadaïstes, les surréalistes et autres critiques de la société. Avec le film “ Dîner de con ”, nous ne sommes pas dans le registre de la dénonciation sociale, mais dans celui de son maintien puisque la question du pouvoir est escamotée.

Les grands idéaux humains au service de la soumission
Les grands idéaux humains sont très utiles à la soumission volontaire. Ils permettent de se construire une rationalisation une fois que les humains se sont engagé-es dans un processus de soumission face à une autorité. Les travaux de Jean Léon Beauvois sur “ La servitude libérale ” (15) sont intéressants sur ce point. Ils complètent ce que disait Freud sur la raison qui peut justifier toutes sortes de comportements et servir de mécanisme de défense pour le sujet lui-même face à ses angoisses et à son sentiment de culpabilité. Dans la période postmoderne, cet aspect de l’idéologie est puissant, en particulier dans le domaine des droits de l’homme et de l’humanitaire. D’un coté, parce que l’on ne peut soi-disant pas faire autrement, le principe de réalité implique la soumission aux marchés, aux institutions, etc., et de l’autre, les grandes idées sur l’humanité donnent une bonne conscience à peu de frais. Cette méthode fonctionne bien, notamment, pour justifier la construction de l’Europe. Le “ politiquement correct ” et l’humanitaire en sont de bonnes illustrations.

Les grands idéaux humains existent dans notre culture, leur contenu c’est effectivement se soucier des autres, avoir le sens de la justice, penser au bien commun, se référer à l’humanité, être sensible aux souffrances des autres humains, etc. Ils ont une grande valeur symbolique, c’est la référence même de la conscience morale. Ces grands idéaux humains sont très souvent assimilés au sens, ils seraient la réponse à la question du sens, ils suturent la question des possibles. Je pense qu’utilisés ainsi ils ne peuvent pas répondre à la question du sens. Au contraire ils renforcent la soumission du fait même des réponses proposées : l’humanitaire et le politiquement correct.

Le sens, de mon point de vue, est évidemment lié au grands idéaux humains, mais leur mise en oeuvre implique la lutte pour mettre fin à la domination, donc des bouleversements sociaux, politiques, symboliques. Ils demandent que l’on se batte pour l’égalité et la justice, sinon on continue de maintenir un système absurde et destructeur. Pour moi, les grands idéaux humains entrent en concordance avec le sens si on essaie de répondre à la question “ pourquoi ? ”, ou “ qu’est-ce qu’un être humain ? ”. Les réponses sont sans doute impossibles à formuler de façon précise et définitive, mais le fait même de se poser la question, et de ne pas accepter la situation présente comme “ normale ”, donne une autre dimension à la signification des grands idéaux humains. Ceux-ci sont alors inscrits dans une perspective d’émancipation et non de soumission, ils sont replacés dans l’histoire humaine.

Une ambiance schizophrène

Un cas d’école
Le ministre Allègre prétendait vouloir répondre à la demande sociale par ses réformes, “ Je vous soutiens ! ” disait-il aux lycéens. Mais il a maintenu le système d’autorité sans augmenter les moyens ni modifier l’organisation des pouvoirs dans l’Education Nationale, ni changer les orientations : “ mettre la matière grise au service de la compétitivité ”, disait-il. Tout ceci est conjoint d’une injonction irréalisable ou très difficile à réaliser dans le contexte actuel : “ soyez autonome ! ”, “ pour réussir dans la vie il faut apprendre ! ”. Cette façon de procéder est typique de la double contrainte, du double bind, de la double injonction contradictoire que décrit, entre autres, l’Ecole de Palo Alto (16). Cette méthode est connue pour induire la schizophrénie et rendre fou. Nous rencontrons souvent ce phénomène dans le contexte contemporain.

La double contrainte (ou le double bind)
Selon Bateson et consorts les éléments qui composent une double contrainte peuvent se décrire ainsi :
* Deux ou plusieurs personnes sont engagées dans une relation intense qui a une valeur vitale, physique et / ou psychologique pour l’une d’elle, pour plusieurs ou pour toutes les personnes en question. Le contexte peut être familial, amical, amoureux, idéologique, etc.
* Dans un tel contexte, un message est émis qui est structuré de manière telle que :
a / il affirme quelque chose,
b / il affirme quelque chose sur sa propre affirmation,
c / les deux affirmations s’excluent.

Ainsi, si le message est une injonction, il faut désobéir pour lui obéir.
* Enfin le récepteur ou la réceptrice du message est mis-e dans l’impossibilité de sortir du cadre fixé par son message. La réaction peut être soit la métacommunication critique, soit le repli, ce qui est le cas le plus courant. On ne peut pas ne pas réagir à ce message, mais on ne peut pas non plus y réagir de manière adéquate, c’est à dire non paradoxale puisque le message lui-même est paradoxal.
La double contrainte peut aussi être relevée dans des injonctions où l’écart entre le contenu et le ton employé, entre l’esprit et la lettre ce qui aboutit à un résultat contradictoire.

La psychanalyse s’est intéressée à cette approche. Citons Guy Rosolato dans un numéro de la Nouvelle revue de psychanalyse datée de 1976 et republié récemment dans le volume Narcisses dirigé par J.-B. Pontalis : “ On peut définir la double entrave (double bind) comme la focalisation mentale sur une impasse, un choix indécidable, tel qu’il envahit toute la vie psychique, au point de la paralyser, soit d’obliger à recourir à des solutions de rupture, par la violence, soit à en sortir par un recours à une voie originale extérieure au système.

Pour l’école de Palo Alto la double entrave rend compte aussi bien des blocages psychotiques que des issues créatives pour lesquelles elle sert de point de dislocation et de transformation. Nous retrouvons ainsi un champ et une bipolarité qui évoquent ceux du narcissisme. (17).... “ La double entrave imposée est le pouvoir, la décision de placer autrui dans un choix indécidable, donc de lui ravir le pouvoir de décision. C’est en cela que se manifeste l’idéale toute puissance du narcissisme. ” (18) .... “ La troisième incidence de la double entrave [la première incidence concerne l’articulation entre la différence des générations, les identifications et le complexe d’Œdipe, ou le Moi et le ça chez Freud ; la seconde incidence a rapport avec la différence des sexes] court en filigrane à travers toutes les autres : c’est celle du pouvoir. La formule dit : “ Aie le pouvoir de vaincre le pouvoir ! ”. ” (19) .... “ Ainsi, avec ce schéma de la double entrave, pouvons-nous trouver le chiffre du reflet logique narcissique où par le double retournement se maintient et parfois s’annule dans l’indécidable une contradiction portée par les mots. ” (20)

Nous trouvons ici une analyse du pouvoir comme expression de la toute puissance narcissique, ce phénomène est très présent dans la domination, dans son fonctionnement et sa reproduction. La double contrainte peut s’observer dans différents phénomènes de notre vie politique.

Un mythe errant
Mitterrand, qui a réussi à passer de Pétain au Parti Socialiste sans grandes difficultés, est, à mon avis, une grande figure de la postmodernité. Il a réussi à faire prendre le cynisme, l’intérêt, la manipulation, les trahisons, les coups tordus, le mensonge, la corruption, la volonté de maintien au pouvoir à tout prix, la mise en place d’une cour autour de sa personne, pour de la grande politique. Pour illustrer mon propos je citerai seulement quelques exemples :
* Pour le cynisme, nous pouvons mentionner le massacre de la grotte d’Ouvéa en Kanaky par l’armée française, et le génocide au Rwanda, qui a fait au moins 500 000 morts, peut-être un million, dont Mitterrand et l’impérialisme français sont responsables (21).
* Pour les coups tordus, rappelons l’attentat de l’Observatoire, que Mitterrand avait organisé contre lui-même afin de sortir de l’oubli dans lequel le tenaient les médias ;
* Pour la volonté de se maintenir au pouvoir à tout prix, souvenons-nous de la décision de faire monter le FN délibérément, de lui ouvrir l’accès aux médias pour diviser la droite ;
* Pour la grande politique, notons que la référence à Machiavel a saturé tous les jugements émis sur Mitterrand et que lui-même tenait beaucoup à cette référence.
L’idolâtrie, qui a suivi sa mort, montre que la version postmoderne de l’exercice du pouvoir était populaire. De plus, pour un maître de la trahison se faire enterrer à Jarnac, en faire un lieu de pèlerinage, quelle ironie ! Bravo tonton !
La double contrainte, ici, peut se lire ainsi :
1 / Mitterrand est un personnage politiquement contestable, il y a arnaque ! ;
2 / Mitterrand est un président de gauche ;
3 / Il est impossible de le critiquer sans discréditer la gauche.

L’antifascisme
L’antifascisme se limite souvent à une diabolisation du Front National et de Le Pen. Cette méthode a un effet retour sur sa propre image au niveau électoral, surtout lorsque politiquement le parti politique en question (le Parti Socialiste) est discrédité. Dans la pratique cet antifascisme se contente de protestations en parole et de quelques défilés. Cet antifascisme n’interroge pas les thèses actuelles, les méthodes qui font que la fascisation est à l’oeuvre dans notre société, au contraire les politiciens s’alignent sur ses thèses dans le domaine de l’immigration. En haut lieu il est courant de se lamenter devant le racisme pratique qui se développe, mais les gouvernements laissent la police se gangrener de thèses racistes (les contrôles au faciès, les expulsions, c’est normal !), et bien sûr ne font rien contre la DPS (xiv), ou les discriminations à l’embauche. La question de l’absence de sens, qui est si présente en notre monde et qui est à la base de la montée du FN, n’est jamais posée, au contraire la crise du sens est entretenue par la gestion du capitalisme et la dévalorisation du mot politique par les politiciens actuels.

L’antiracisme
Le racisme est souvent réduit à sa composante biologique. Il est parfois assez difficile de faire admettre qu’aujourd’hui il est aussi culturel et différentialiste. Actuellement la hiérarchie n’est plus justifiée par la nature, mais par la culture. Par contre, se dire antiraciste est bon pour l’image. C’est une valorisation indispensable à tout “ honnête homme ” de ces temps bizarres. Nous sommes dans une situation, où l’apparence peut s’appuyer sur les droits de l’homme tout en acceptant qu’ils soient bafoués quotidiennement aux frontières, dans les commissariats, dans l’exercice du contrôle social et policier, dans la gestion de l’exclusion, des incivilités, dans la gestion et le développement de l’apartheid social, des séparations.

La schizophrénie politique
La réalité militante majoritaire des luttes antifascistes ou antiracistes participe de l’ambiance schizophrène générale. Très souvent ces luttes n’arrivent pas à rompre avec la gauche institutionnelle, et, de fait, sont en pleine schizophrénie politique. La nouvelle droite a su retourner contre nous le thème de la différence et la gauche française a été incapable de répondre théoriquement et politiquement. Alors que les sciences humaines avaient mis à mal l’ethnocentrisme occidental en insistant sur le relativisme culturel, la gauche n’a pas su utiliser cet acquis, au contraire elle a admis avec une facilité déconcertante le fait que la supériorité de certains êtres humains sur d’autres êtres humains pouvait se justifier par la culture. Cette thèse, proposée au début par le Club de l’Horloge, est un dévoiement du relativisme culturel issu de l’anthropologie ou de l’ethnologie. Ce que les sciences humaines démontrent c’est qu’aucune culture humaine n’est supérieure à une autre.

C’est en utilisant la notion de “ différence ” que les néo-fascistes ont su donner un nouveau contenu à la justification de la hiérarchie entre les êtres humains. Pour eux la différence culturelle doit être une frontière étanche, une séparation infranchissable qui établit une barrière entre les cultures. D’après eux, évidemment il faut la renforcer autant que faire se peut pour ne pas être contaminé, ne pas dégénérer, pour maintenir notre supériorité. Ce qui était une revendication pour exister de multiples façons (“ le droit à la différence ”) est devenu le point d’appui des thèses de l’extrême-droite, puis de la droite et ensuite de la gauche. Maintenant ces thèses sont devenues banales dans la société entière. La base de l’argument de la nouvelle droite peut se dire ainsi : “ la différence oui, mais chacun chez soi ! ”. Ce qui était une revendication pour la possibilité de la différence culturelle ou de comportement a été lié au territoire. Dans ce contexte la notion de frontière joue un rôle important sur le plan matériel mais aussi sur le plan mental. Ceci alimente l’idéologie qui accompagne l’apartheid social.

La gauche et beaucoup d’antifascistes ou d’antiracistes se contentent de condamner la hiérarchie entre les êtres basée sur les anciennes théories biologiques. Ainsi ils sont hors champ face aux néofascistes et aux néoracistes. Comme toutes ces personnes sont persuadées qu’un bon gouvernement peut améliorer les choses, elles restent attachées à la gestion du système. Alors elles se retrouvent à faire le grand écart entre leur désir de condamner le racisme ou le fascisme contemporain et un gouvernement qui applique la xénophobie au niveau institutionnel. Celui-ci prend des formes variées mais complémentaires au niveau du racisme d’Etat : le contrôle au faciès, la transformation des administrations en auxiliaires de police, les expulsions par la contrainte, la non-application de la Convention de Genève sur le droit d’Asile, les atteintes au droit de vivre en famille condamnées plusieurs fois par la Cour Européenne, l’inaction contre les fascistes, l’incapacité récurrente à condamner les dérapages des leaders fascistes, la non condamnation de la brutalité policière, la reprise des thèmes de la sécurité, l’emploi de termes insultants par un Ministre de l’Intérieur, etc.

La schizophrénie politique de cette façon de lutter est piégée dans une double contrainte : dénoncer les effets du capitalisme, le racisme, la fascisation et accepter la gestion du système. Pour s’en sortir il faut faire sauter le verrou de la gestion. Celle-ci se pare des atours de la responsabilité. Revenir à une éthique de la conviction permet de rejeter le cadre fixé par le système. Sinon, comme les antiracistes et les antifascistes institutionnels, nous restons bloqué-es dans la double contrainte. Cette position, coincée dans ses contradictions, est, de mon point de vue, une posture schizophrène (au sens négatif du terme) que je refuse et que je dénonce parce qu’elle nous contraint à l’inaction, à la compromission. Elle nous plonge dans la torture mentale et nous laisse dans une insatisfaction permanente. Le constat est incontournable : la gauche est morte, elle s’est suicidée politiquement en acceptant de gérer convenablement le capitalisme et en tolérant Mitterrand.

Il me semble que ce n’est pas la schizophrénie en elle-même qui pose problème. Si nous acceptons la déviance d’avec le fait majoritaire, nous avons une double vie ou nous sommes dans une double vie : une qui se déroule de façon convenue selon les modalités du système (une vie ordinaire); et une autre qui, de temps en temps, par la pensée et l’action critique de façon radicale la domination (une vie extra-ordinaire). Il peut exister et il existe des morceaux de vie où on essaie de devenir actrice ou acteur en situation. Nous sommes donc confrontés à deux façons d’être dans la schizophrénie politique, une qui bloque les potentialités, qui ne peut pas prendre en compte les tentatives d’évolution ou les nouvelles analyses critiques : celle de la gauche actuelle ; et une autre en recherche, plus ouverte sur la cohérence et les possibles : celle de la mouvance libertaire. Cette position est sans doute moins sécurisante que la précédente. L’intégration dans la gauche classique peut donner accès à des postes, permet d’avoir de bons réseaux relationnels. Les certitudes qui sont liées à cette position sont renforcées par le bilan toujours positif de la gestion. Même en situation délicate la gauche peut toujours se vanter “ d’avoir éviter le pire ” et de résultats qu’on qualifie volontiers d’un “ ce n’est pas si mal que ça ! ”. Tout cela suffit à rassurer un grand nombre de personnes. Pour en terminer avec ce problème, ce qui me surprend ce n’est pas que l’on soit réformiste, je m’étonne que l’on trouve normal que les réformistes ne fassent pas de réformes, ou que si peu de gens soient surpris par le fait que les réformes qui sont réalisées, au nom du progrès social, soient toujours des réformes qui vont dans le sens du développement du capitalisme.

En conséquence je pense que la position libertaire doit s’habituer au fait minoritaire : un à-côté, en quelque sorte, plus soumis aux attaques du système, une place qui n’est pas valorisée souvent, qui fréquemment fait peur, dont on attend parfois beaucoup trop.

Le travail

L’inversion de la valeur
La vision du travail était classiquement : le travail crée la richesse. Dans notre contexte il semble qu’il faille inverser les termes pour comprendre : la richesse, l’Etat, la puissance, l’autorité distribuent le travail et les revenus.
C’est suite à ce genre de constat que certaines analyses parlent de la fin de la valeur travail. En général cette thèse est contestée parce que de nombreuses personnes sont encore concernées par le travail. Parler de la fin du travail paraît aberrant, pourtant en essayant de comprendre la place de la valeur accordée au travail au cours de l’histoire humaine, on s’aperçoit des modifications, de l’évolution : le travail n’a pas toujours été une valeur importante. Il est fortement probable que la collectivité humaine aura toujours besoin de travail (compris comme activité réglée) pour fonctionner et continuer à vivre. Le travail est encore massivement dans les têtes, même si le capitalisme, lui, tend à fonctionner de façon différente que par le passé et modifie la place du travail dans notre société. Il existe un écart évident entre le caractère objectif des changements dans la valeur travail et le vécu subjectif des personnes, la conscience du rapport au travail. Cet écart est la source de beaucoup de malentendus dans cette société, comme pour l’illusion de liberté.

La subjectivité mobilisée
La subjectivité est convoquée pour faire participer tout le monde au système. Dans le cadre du travail salarié la motivation est recherchée au travers des cercles de qualité, les contrats d’objectif ou la notion de projet (individuel ou collectif). L’intensification du travail est devenue une donnée générale. Les qualités relationnelles sont indispensables, comme le sens du contact humain, celui du travail en équipe et de l’organisation. Tout cela s’accompagne d’une logique des résultats et d’une appréciation individualisée.
La notion de crise de la valeur travail soulève beaucoup de discussions. Je ne cherche pas à légitimer les licenciements ou le chômage actuel. Il est exact que le travail continue d’occuper beaucoup de temps dans la vie humaine, c’est encore lui qui donne accès au revenu pour un grand nombre de personnes, il donne une identité sociale. Ceci est assez similaire à la période précédente. Ce qui change c’est la valeur objective économique et symbolique du travail pour le capitalisme. Maintenant le travail semble avoir un rôle idéologique beaucoup plus important qu’auparavant, un rôle pour la re-production du système. La valeur économique du travail s’est amoindrie, même si la plus value existe toujours. Sur le plan symbolique la valeur s’est transformée, elle ne peut plus se référer à un avenir meilleur comme quand le progrès avait un sens. Souvent sur le plan de la subjectivité il ne s’agit plus de produire au sens strict, de transformer la matière, mais d’être. C’est sur cet aspect que se focalise l’idéologie du management. Marco Revelli insiste sur ce point dans un article sur ce qu’il nomme “ La centralité du précariat ” : “ Dans le post-fordisme, la subjectivité, qui était encore considérée par le fordisme comme un élément perturbateur à éliminer, devient une ressource, un avantage pour la compétitivité de l’entreprise. ” ... / ...“ Du travailleur, on demande du dévouement, et le dévouement ne peut pas être une partie du contrat de travail. La productivité passe d’une certaine façon dans la sphère émotionnelle. ” (22)

La banalité du mal

La souffrance

La souffrance au travail est un sujet qui n’est pas souvent abordé (23). Il évoque chez chacun et chacune d’entre nous les notions telles que : intensification du travail, stress, heures supplémentaires (payées ou non), emplois précaires, contraintes, astreintes, pénibilité, salissures, ...
Tout cela est vrai. Pourtant, l’une des causes majeures de cette souffrance n’est-elle pas dans l’essence même du travail aujourd’hui ?
L’ajustement de l’organisation du travail : L’entreprise ne sait pas décrire le travail de façon humaine, quand elle le fait dans ses bureaux d’études, c’est une approche théorique. Elle est souvent incapable de décomposer avec précision ses différentes étapes autrement que de façon machinique. Dans le tertiaire il est plus délicat de faire ce genre d’études que dans l’industrie. Elle en a donc tiré la conclusion : les contrats de travail ne définissent plus un poste de travail mais une mission à accomplir, un résultat à obtenir.
L’automatisation du travail est donc imparfaite : il y a une différence entre le travail prescrit et le travail réel. Cette différence oblige le travailleur ou la travailleuse à avoir des initiatives pour ajuster ce qu’on lui dit de faire à ce qu’il est possible de faire. Ces initiatives pour faire face aux difficultés sont coûteuses sur le plan psychique et risquées, car l’erreur d’appréciation provoque une sanction, voire le licenciement.
Les horaires de travail deviennent forfaitaires : hausse des heures supplémentaires non payées, annualisation, ... C’est l’objet principal des lois actuelles sur les 35 heures.

Le stress mobilise toutes les ressources des salariées. Afin de contrer cette souffrance, le travailleur ou la travailleuse développe souvent une stratégie défensive. Elle ou Il essaie ainsi de trouver une stabilité dans son travail, au prix d’une mobilisation psychique supplémentaire. Évidemment, cette stratégie induit une résistance aux changements. L’adaptation à de nouvelles difficultés peut remettre en cause sa stabilité.
De plus, la frontière entre temps de travail et vie privée s’estompe. D’où la nécessité d’une coopération au sein de la famille. Si cette coopération n’est pas assurée par les membres de la famille ou si la flexibilité du travail est trop importante, il y a des risques d’éclatement du foyer (divorce, violence familiale, échec scolaire des enfants, ...). L’intensification du travail tend à devenir totalitaire.
La souffrance est aussi physique. Prenons l’exemple de l’automobile avec ses cadences infernales : les gains de productivité augmentent de 8 à 10% par an ! Conséquence : le taux d’invalidité des opérateurs De plus, de 45 ans monte en flèche. Les usines japonaises implantées en Europe en ont tiré les conséquences : la moyenne d’âge de leurs ouvriers est de 30 ans. Cet exemple est généralisable avec le développement massif des préretraites, progressives ou non, financées sur fonds publics. La France est le pays où le taux d’activité des 55 à 60 ans est le plus faible.

De leur côté, les COTOREP (COmmission Technique d’Orientation et de REclassement Professionnel) voient la multiplication des dossiers concernant des maladies péri-articulaires, créées par le développement du travail à la chaîne. Contrairement aux idées reçues, le travail répétitif progresse : près de 30% des salariés en 1991, soit une progression de 50% en sept ans (d’après les données du Ministère du Travail).
L’exemple des caissières de supermarché montre que la souffrance peut être à la fois mentale et physique, le rendement implique de la souffrance corporelle et un stress permanent. On leur demande une disponibilité et une amabilité pendant tout le temps qu’elles sont en poste alors qu’elles sont tout le temps sous tension.

Christophe Dejours, dans son livre “ Souffrances en France ” (24) confirme ce constat, une des stratégies pour faire face aux modifications du travail ou une des conséquences c’est la maladie. Il explique, en outre, que le courage est utilisé pour faire adhérer les humains à des pratiques qui engendrent la souffrance chez d’autres humains. Il analyse ces comportements à partir du ressort de la virilité. Il la décrit comme la version masculine du courage. Elle permet la distorsion entre une rationalité mensongère et les pratiques réelles dans le monde du travail au nom de la guerre économique, de la compétitivité : flexibilité, précarité, intensification du travail, horaires décalés, .... Il utilise la notion de “ banalité du mal ” développée par Annah Arendt pour décrire le phénomène. Cette notion convient bien pour qualifier la souffrance au travail, comme elle convient bien pour d’autres situations de notre société. C’est pour cette raison que je la reprends à mon compte.

Cette notion de banalité du mal nous place au coeur du lien entre la théorie et la pratique. Le concept a été créé et utilisé pour décrire et comprendre un aspect du nazisme : la bureaucratie technicienne au service de la barbarie. Ici, elle est employée pour nommer le fonctionnement ou les conséquences du fonctionnement du capitalisme. Sans confondre le nazisme et le capitalisme, on peut se servir de ce concept. Sa validité vient à la fois de sa puissance pratique et de sa force théorique. Concrètement, la banalité du mal est bien adaptée pour rendre compte de la souffrance réelle que génère l’oppression, l’exploitation contenues dans la domination capitaliste. Théoriquement, on peut considérer qu’un concept qui est capable de qualifier le nazisme peut servir à décrire des maux de moindre envergure : qui peut le plus peut le moins, enfin en principe. Certaines personnes récusent l’emploi de cette notion dans le contexte de la société actuelle, en arguant du fait que ce serait mettre sur le même plan la Shoah et les maux de la société contemporaine. Ce faisant elles ou ils refusent de voir, de qualifier les dégâts dus au système capitaliste et minimisent les souffrances vécues par des millions de personnes de par le monde au nom de la défense de la démocratie. Il est toujours difficile de quantifier ou de qualifier le mal. Les débats sur le “ mal absolu ” prouvent la difficulté de cette question. L’argument du “ moindre mal ” est fallacieux et dangereux. En général l’acceptation du moindre mal permet de s’accommoder de façon fataliste des situations d’oppression, d’exploitation ou d’exclusion. Cette notion est également une justification de beaucoup d’injustices sociales et politiques. L’actualisation du refus du mal nous oblige à le penser autrement que comme un manque à être ou comme le versant négatif du bien qui ne serait visible qu’en creux. Sa réalité est très répandue, pourtant il est souvent nié ou dénié. Il est tellement anodin qu’il en devient invisible, qu’il ne choque plus, ne provoque plus aucun étonnement. Si on veut penser ce phénomène, la notion de banalité du mal, suggérée par Hannah Arendt, me semble justifiée.

La dépression généralisée
Dans notre société tout semble à notre disposition : marchandises, idées, techniques, .... Mais les difficultés de réalisation existent à tous les échelons. La sensation de ne pas être à la hauteur est très courante, le sentiment d’impuissance aussi. Alain Ehrenberg parle de la dépression comme mal du siècle, où le symptôme qu’il nomme “ la fatigue d’être soi ” (25) est très fréquent. Face aux injonctions de réussite transmises par le système et à son versant négatif, la culpabilisation, “ si tu ne réussis pas, cela vient de toi ! ”, les possibles semblent assez limités, ce qui augmente l’impression de petitesse. Le contrat de travail est personnalisé, cela accroît la sollicitation du moi narcissique. Les notions de “ défis ”, de “ challenge ” accentuent le phénomène. L’évaluation personnalisée du management et ses objectifs à atteindre jouent de façon forte sur cet aspect où le sujet humain prouve sa valeur par ce qu’il produit ou crée (le plus souvent il s’agit d’objectifs à atteindre comme dans le cas du management participatif, ceux-ci sont définis comme des projets, ils sont immatériels, mais symboliquement signifiants) et par son adhésion aux valeurs de l’entreprise ou de l’administration dans laquelle elle ou il est employé-e.

La souffrance d’aujourd’hui est une souffrance qui touche souvent le psychisme humain, elle est de plus en plus une souffrance mentale. Cet aspect est visible en particulier chez les personnes les plus pauvres. La solitude, la sensation d’isolement, la perte de confiance dans le collectif, l’incapacité de nouer des liens dans la société, la démission politique, sont souvent liés à une conduite d’échec, un sentiment de dépréciation de soi, la perte de l’estime de soi. L’angoisse des pauvres est évidemment à relier avec leurs conditions de vie, mais la difficulté n’est pas analysée comme sociale, elle est intégrée par les personnes au niveau personnel comme une atteinte aux capacités individuelles. La désespérance existentielle est renforcée par les injonctions paradoxales qui demandent une réussite dans le travail et par le travail (l’insertion c’est toujours l’emploi, le travail). Il est clair qu’il n’y a pas de travail, pas assez de travail ou alors quand il existe, il est précaire, mal payé, sans perspectives ni garanties minimales, sans possibilité de progresser, sans gratifications. La réalité de cette douleur, de cette détresse est étudiée dans un rapport officiel sur la souffrance (26), ou d’autres sur les conséquences vis à vis des familles. Ce genre d’étude existe aussi pour la vie dans les quartiers. Les rapports, les commissions recherchent des solutions sans pouvoir toucher à l’essentiel : l’apartheid social, la flexibilisation du travail, les rapports sociaux liés au capitalisme. A la fin du XIX° siècle, la souffrance était sans doute plus physique, elle était due à la misère de ce temps là, aux longues heures de travail, à la pénibilité du travail de l’époque, aux maladies. Les symptômes de cette souffrance d’aujourd’hui sont variés et peuvent être physiques, somatiques. Mais la source profonde est bien dans la vie d’aujourd’hui, dans cette perte de sens, dans l’isolement dû à l’exclusion du monde du travail, dans la relégation dans les quartiers réservés, dans la sensation que l’on ne pourra pas en sortir, que les efforts déployés pour continuer à nouer des relations sociales sont inutiles.

Dans le lien social il semble que l’on puisse distinguer trois niveaux ou trois lieux :
Le premier étant celui du lien avec les autres, les proches, les personnes que l’on peut voir souvent, qui est en quelque sorte un lien de soi à soi ;
Ensuite on peut relever le lien de l’inscription sociale dans la communauté, celle-ci est locale (quartier, commune, etc.) ;
Le dernier niveau étant celui du lien politique, celui d’une communauté plus large, en général à l’échelle d’un pays.

Quand la valorisation de la personne (le lien de soi à soi) est atteinte (en général au terme d’un processus graduel, où le sentiment d’identité personnelle est mis à mal par la société et l’exclusion), le lien social est attaqué à la racine. Cette situation empêche les deux autres niveaux (le lien social local, communautaire et le lien “ national ”) de se développer normalement ou de se reconfigurer dans de nouveaux dispositifs relationnels. De plus, les mesures qui portent sur l’insécurité, la vidéosurveillance, sur le quadrillage policier, ne font que renforcer la sensation de malaise. La gestion de la peur joue sur le sentiment diffus d’une menace, alors que cette gestion de la peur est celle mise en place par et pour la domination. La menace, ainsi définie, englobe dans la confusion l’origine réelle de l’insécurité, c’est à dire le développement du capitalisme et sa gestion, la précarité pour la population la plus pauvre, la séparation géographique dans les cités. Les mesures de traitement social du chômage installent les gens dans la misère et la dépendance sans toucher au fond du problème : le maintien et le développement de l’injustice sociale et l’inégalité politique du système capitaliste.

L’oppression des femmes
La domination patriarcale (le machisme) est toujours présente. Parité ou pas, le statut des femmes n’est toujours pas égal à celui des hommes. L’oppression des femmes est matérielle, réelle, symbolique ; elle est visible si on veut s’en donner la peine. Dans le contexte postmoderne la pornographie et la publicité sont à la fois les modalités et les conséquences de ce phénomène. Dans les deux cas, il y a une érotisation du corps féminin et une utilisation pour le spectacle et la marchandise. Dans la publicité, l’image de la femme est abondamment utilisée, le désir est mis en scène pour vendre des produits et diffuser des images. Images qui ont un rôle identificatoire pour les individu-es. Dans la pornographie, plusieurs phénomènes semblent en jeu et liés les uns aux autres. Plusieurs arguments sont invoqués pour expliquer la demande : la misère affective et sexuelle, le fait de voir une situation érotique ou d’être dans le contexte d’une situation érotique qui provoque une excitation chez un certain nombre d’humains (surtout des hommes, semble-t-il). Une autre explication est à prendre en compte, même si elle émerge moins souvent, elle est néanmoins valide : la pornographie permet d’acheter une femme (ou son image), elle offre la possibilité d’une domination sur la femme et de la savoir soumise. Il est possible de considérer que ceci constitue la base de la demande. Dans la prostitution, il est possible d’acheter un être humain, la responsabilité des hommes acheteurs est à souligner, notons qu’elle est pénalisée en Suède. Dans la pornographie il s’agit de l’image des femmes (ou d’hommes), mais la base est la même : l’achat et la vente du corps humain. L’offre est évidemment la marchandise et le spectacle. Il y a effectivement une réalité industrielle dans la production des vidéos et de produits pornos. C’est une activité bien structurée et efficace. Le corps féminin est une marchandise, une matière première. La marchandisation en médecine utilise les corps pour les transplantations d’organes, les tissus biologiques, dans le cas présent, c’est pour vendre des produits classés “ X ”. Le corps est réduit aux parties génitales, il est morcelé, nous voyons rarement le visage de la ou des femmes. Les postures sont souvent, voire presque toujours, celles des jambes ouvertes, des reins cambrés, des fesses offertes, des bras relevés, de la torture parfois (le X des sex-shops et des revues pornos rappelle le X de la croix de saint André), etc. La femme passive est un objet disponible, consommable immédiatement, qui, en général, aime être dominée. Il n’existe pas de relation entre deux êtres qui ont du désir l’un-e pour l’autre et se donnent du plaisir mutuellement, les rapports sexuels sont mécaniques, comme une technique toujours identique. C’est une relation instrumentale, une utilisation du corps des femmes, pas un lien d’amour. Il y a une survalorisation de la pénétration, de la puissance masculine machiste (identifiée à l’érection et à l’éjaculation vaginale), la femme est un objet de capture pour l’homme. Le plaisir féminin est absent, hors de propos ; les caresses et la tendresse n’existent pas dans ce contexte. Si le plaisir des femmes est présent c’est celui de la soumission, de la douleur, et de la mort. Aux USA, où l’interdiction de fumer a été légalisée et tend à devenir obsessionnelle, la cigarette est devenue un symbole de danger, de la détérioration de soi, d’une conduite à risque. On y vend des cassettes vidéos classées X, où l’on voit des femmes en train de fumer selon divers modes, elles ne font que cela. La douleur des femmes, leur souffrance (faire mâle) reste donc un élément de l’érotisation liée à cette société comme le jeu avec l’interdit. Dans la pornographie les mots utilisés sont dévalorisants, souvent injurieux. La violence est un thème présent de façon récurrente, jusqu’au viol parfois (souvent exprimé dans les phantasmes valorisés par les produits pornos et ceux qui les réalisent). Les représentations à l’oeuvre sur le plan symbolique sont toujours les mêmes : la maman et la putain.

Cet enjeu symbolique a été relevé par Sven-Axel Mansson dans une étude sur la prostitution. C’est un sociologue suédois qui a étudié le comportement des hommes clients des prostituées. Voici ce qu’il dit à ce sujet : “ La putain incarne le côté “ bestial ” des désirs sexuels souvent chargés de culpabilité. Elle est à la fois repoussante et attirante. Repoussante parce que l’on projette sur elle une partie du mépris de soi-même et de sa propre sexualité ; attirante parce que on trouve avec elle le plaisir de se laisser envahir par une libido sans limites, d’accepter les forces sombres que représente la sexualité interdite. ” (27)

On voit bien comment la sexualité est marquée par une dichotomie qui ne peut que provoquer la souffrance mentale chez les hommes et les femmes. D’un coté, le sexe est associé au mal, au dégoût, à la haine de soi, et on projette cela sur la prostituée. D’un autre coté, la prostituée incarne le côté attirant de la sexualité, elle représente le caractère total de la sexualité, avec elle la sexualité est possible et vivable, il n’y a pas d’interdit, ni de tabou, la sexualité “ bestiale ” est autorisée. Cette coupure entre le sexe coupable et le sexe autorisé est marqué par la religion et le mariage bourgeois. La femme est là pour faire les enfants, la maîtresse ou la prostituée sont là pour le sexe. Certaines pratiques comme le sexe oral, le sexe anal, l’homosexualité sont interdites avec ou pour la mère de ses enfants. Cette contradiction provoque des troubles mentaux. Vu ainsi, le sexe est chargé de honte et il est associé au côté sale des choses, c’est dégradant et le trouble naît quand on se rend compte et quand on sait que l’on désire ce genre de choses. Le côté vulgaire du sexe se retrouve dans l’habillement type des prostituées qui accentue les caractéristiques sexuelles des femmes de façon outrancière. Cette façon de vivre le sexe explique pourquoi la psychanalyse a pu mettre en évidence l’origine sexuelle des névroses. L’hystérie des femmes a été le premier terrain d’élection pour cette nouvelle discipline de thérapie de la souffrance mentale. Tout cet ensemble mental nous ferait presque oublier que le sexe c’est quand même une des plus belles choses qui existent entre les humains ! Pourquoi cacher que le sexe est un facteur d’épanouissement, de détente, de bien-être, qu’il fait partie intégrante des rapports amoureux. Pourquoi nier que le désir donne des ailes, que l’on se sent à l’aise dans son corps et dans sa tête quand on est aimé-e, désiré-e et que c’est parfois très fort, quand en même temps nous sommes nous-mêmes amoureux-euse. Pourquoi ne pas chercher ce qui bon pour la santé mentale et physique, ce qui est bon en lui-même, tout simplement.

Après son étude Sven-Axel Mansson en arrive à la conclusion suivante : “ La prostitution met à nu la structure la plus profonde des rôles sexuels traditionnels. Pour la combattre, il faut modifier les procédés d’apprentissage par lesquels les garçons deviennent hommes et les filles deviennent femmes. ” (28)

Cette conclusion est la même que celle des études sur le genre. L’apprentissage du genre contient la reproduction des rôles masculins et féminins. Cet apprentissage permet la reproduction du machisme au niveau intime. Cette analyse n’est pas substantialiste, elle est culturelle et contient la possibilité d’évoluer pour les personnes parce qu’on peut mettre en doute sa culture et ses comportements pour essayer d’évoluer. Ceci implique certainement ou évidemment un questionnement sur l’intime et son rapport au désir.

La pornographie et la publicité se développent dans un contexte où l’espace public est rempli ou presque saturé de sexualité. Nous avons l’impression qu’il n’y a plus de tabous, par exemple l’homosexualité, la sodomie, le sexe oral ne sont plus considérés comme des perversions, même si l’homophobie existe bel et bien. J’ai parfois le sentiment que nous parlons beaucoup de sexe dans cette société, y compris à la télévision. Certaines analyses disent que cette marchandisation, cette mise en spectacle est le résultat dévoyé de la libération sexuelle. La femme objet est omniprésente, l’image du désir est partout. Mais j’ai l’impression que plus nous en parlons, plus nous le voyons, plus nous sommes dépossédé-es de la possibilité de le vivre, au sens de faire l’amour, de produire de l’amour et non de faire de la haine ou produire de la violence à l’égard des femmes comme nous le propose souvent les produits pornos. C’est un peu comme la politique qui sature l’espace commun de citoyenneté, de paroles politiques et qui nous confisque cette citoyenneté par le système parlementaire et médiatique.

Pour qualifier la pornographie, il est admis de temps en temps qu’il s’agit d’une évolution du système de la prostitution. Les macs sont devenus producteurs et diffuseurs de films, propriétaires de sex-shops, de boîtes échangistes. Les femmes prostituées deviennent actrices, hôtesses, vendeuses, objets et images marchandisées sous diverses formes. Nous n’avons pas à faire à la même répression sexuelle qu’au 19ème siècle, mais à une utilisation de la sexualité et du corps, de l’image des femmes dans un contexte postmoderne.

Le capitalisme évolue et sait utiliser le désir pour se reproduire. Mais la situation des femmes et les représentations collectives n’évoluent pas beaucoup. Nous pouvons même poser l’hypothèse que, comme en politique, la représentation présente est une caricature, un leurre politique et un leurre sexuel. L’image devient plus importante que le réel, la passivité l’emporte sur l’action libre. La gestion marchande et spectaculaire et la reproduction du système étouffent le désir, la sexualité libre et la possibilité de la libération des femmes. Un lien peut se faire entre le sexe et la politique, dans les deux cas la situation des femmes est un bon indice de la domination : l’émancipation est encore à venir. L’apparence de la libéralisation des moeurs concerne encore le règne du faux dans le contexte contemporain. La domination machiste continue en se modifiant, le patriarcat n’est pas mort. L’évolution de la société, entre autres, suite aux luttes des femmes elles-mêmes, a fait que le machisme est moins ouvert ; comme les autres autorités il a tendance à s’effacer en se maintenant. Je remarque que le discrédit porté sur les idées féministes participe de la reproduction de cette domination. Les réactions au féminisme utilisent souvent le phantasme de la castration pour évacuer le problème, ce qui est assez révélateur du blocage actuel. Nous rencontrons cela également dans le milieu militant, ce qui semble plus étonnant. A mon avis Rébécca West résume bien la situation, elle date de 1907 et est toujours valable : “ Je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. Tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de féministe chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson. ” (29)

La confusion généralisée ou l’usage du postmoderne par la domination
Pour conclure sur ces points, il me semble possible de dire que la période postmoderne est un système de confusion généralisée, où le mensonge apparaît comme vrai. Cette confusion interdit ou bloque la pensée des autres possibles.
Les dominants ont admis que l’histoire n’était plus linéaire, que le progrès était mort, que l’avenir était incertain, que le beau en art était une idée susceptible d’être questionnée, que la philosophie ne pouvait démontrer le fondement, que la métaphysique était morte, etc. Il leur reste la posture, le geste, le relatif, le dialogue avec les oeuvres antérieures, etc. Mais le relativisme n’est qu’apparent, ils gardent l’élitisme de fait, la hiérarchie sociale, le contrôle de la différence, le pouvoir, le mépris, l’arrogance, le rapport de force, etc. Le paraître est essentiel, la parole est primordiale, l’émotion indispensable, la sincérité et l’authenticité subjectives remplacent la vérité construite, vérifiée, démontrée, argumentée.

Les dominants ont bien compris que tout se gère, y compris le risque, que le symbolique était fondamental, qu’il ne fallait rien lâcher ni pratiquement ni institutionnellement, que l’on pouvait s’adapter en attaquant toujours plus fort et plus massivement, et que, pour cela, il suffisait d’utiliser les nouvelles méthodes de pouvoir créées par les sciences humaines et les ressources fournies par les nouvelles technologies. Pour eux, la maîtrise du “ général intellect ” est une nécessité évidente et la souplesse une condition de survie. Tout se vaut à condition de garder la maîtrise du pouvoir, de le reproduire pour son compte, ce qui veut bien dire que tout ne se vaut pas. La propriété privée du capital, par exemple, n’est jamais mise en cause, elle est une valeur absolue, un tabou qui se cache dans l’évidence.

Le capitalisme continue, ses formes de pouvoir changent. La nécessité de l’illusion mentale est évidente, en premier lieu pour les dominants afin de camoufler leur domination et aussi pour les dominé-es afin de pouvoir supporter la domination. La barbarie libérale est à la fois soft : culturelle, mentale, médiatique, communicationnelle, spectaculaire, informatisée, etc. ; et hard : elle exclut socialement et économiquement, réprime quand cela est nécessaire, elle pille la planète, détruit la nature et les humains, etc. Elle est étonnamment compatible avec “ les droits de l’homme ” et le “ politiquement correct ”. Toute la vie de l’individu-e est prise dans les filets du système, elle peut être qualifiée comme étant la bio-politique capitaliste contemporaine.

Absurdité, “ Faux et usage de faux ”
Notre monde est absurde, la société postmoderne a une tendance forte à être dans le : “ faux et usage de faux ”. Deux citations le disent avec clarté :

1 / “ Le vrai est un moment du faux ” de Guy Debord dans “ La société du spectacle ” paru en 1967. Il inverse la formule de Hegel “ le faux est un moment du vrai ” qui voulait expliquer l’évolution de l’humanité vers les progrès de la raison. Debord dénonce avec vigueur le fétichisme de la marchandise et du spectacle propre à notre société. Pour lui, le faux est la règle commune, l’activité séparée (aliénée) est partout. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises représentations, tout est inclus dans le “ spectaculaire intégré ”. Sans prendre ces constats pour une totalisation absolue, nous pouvons quand même remarquer leur pertinence régulièrement.

2 / “ La parole a un rapport structurel au mensonge inscrit dans le collectif. Et le collectif actuel est le lieu de cette chute de la valeur attribuée à la vie, la mort, le désir, la jouissance, l’amour. Le rapport humain / inhumain se retrouve alors reporté sur le lien du sujet à ce collectif. Et l’individu, au plus profond de lui-même, ne peut dès lors que très difficilement faire confiance à un collectif potentiellement destructeur de la subjectivité humaine. ” (30). Le texte, dont est issue cette citation, se situe dans le champ psychanalytique. Il essaie de penser la rupture opérée par la Shoah, les conclusions de Jean-Jacques Moscovitz me semblent valides aujourd’hui pour la société entière.



Notes de bas de page :

1 Jean François Lyotard, Le post-moderne expliqué aux enfants, Éditions Livre de poche Collection Biblio Essais, Paris, 1993. Première édition : Galilée, 1988.

2 Marc Augé, Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Éditions du Seuil, Paris, 1992.

3 Roland Brunner, Psychanalyse et société postmoderne, Éditions l’Harmattan, Paris 1998.

Également Christian Ruby, La solidarité. Essai sur une autre culture politique dans une société postmoderne, Collection Polis, Éditions Ellipses, Paris, 1998.

Ou le canadien Yves Boisvert, L’analyse postmoderniste, Éditions L’Harmattan, Montréal, Collection Logiques Sociales, Montréal, 1997.

4 Catherine Vallée, Hannah Arendt, Socrate et la question du totalitarisme, Éditions Ellipses, Collection Polis, Paris 1999.

5 Cf par exemple la Revue Mouvements numéro 3 de mars avril 99 aux Éditions de la Découverte intitulée « Crise de la politique et nouveaux militants ».

Signalons également le premier numéro de la Revue Alice, « Revue de critique du temps » parue fin 1998. Cette Revue est presque entièrement consacrée à ce problème, il y est question de la « production de subjectivité », ou « autour du postfordisme » et « revenu garanti et bio-politique ».
Contact : Alice / MTLC, 21, ter rue Voltaire, 75011 Paris et sur Internet en édition électronique :
http://www.ecn.org/samizdat/alice

6 Cette analyse de la re-production est notamment développée dans le numéro 9 de la Revue Temps Critiques.
Contact : Éditions de l’Impliqué B. P. 2005, 34024 Montpellier cedex 01.
Sur Internet : http://www.multimania.com/tempscritiques/

7 Yves Boisvert, L’analyse postmoderniste, une nouvelle grille d’analyse socio-politique, Éditions l’Harmattan, collection Logiques sociales, Montréal, 1997.

8 Comme pour le cas Allègre, cette analyse s’inspire de la démarche de Jean-Pierre Le Goff , La barbarie douce des entreprises et de l’école, Éditions La Découverte, collection « Sur le vif », Paris, 1999.

9 Cette notion a été développée par Le Groupe La Canaille de Tours dans la brochure « Contre l’apartheid social : révolutionner le nouvel ordre mondial », également dans la brochure Sans-Papiers, chronique d’un mouvement, Éditions Im’Média et Réflexes, Paris printemps 1997.
Le contact de ce groupe : La Canaille, No Pasaran, C/O Manta, B. P. 7141, 37071 Tours cedex 2.

10 Cité par Catherine Vallée dans son livre : Hannah Arendt, Socrate et la question du totalitarisme , Éditions Ellipses, collection Polis, Paris, 1999. Cette auteure prend sa citation dans :

11 A. M. Roviello, Sens commun et Modernité chez Hannah Arendt, Éditions Ousia, Bruxelles, 1987.

12 Robert Di Cosmo et Dominique Nora, Le hold-up planétaire, la face cachée de Microsoft, Éditions Calman-Lévy, Paris 1998 .

13 Hervé Richard, « Le bogue de l’an 2000 ou le comble de l’imprévoyance » dans Le Monde Libertaire, N°1170 du 24 au 30 Juin 1999.

14 Jean Paul Courthéroux, « Sur les euphémismes des professions et de la société » paru dans la Revue Droit Social n° 7/8 de Juillet Août 1998.

15 Michel Surya, De la Domination Le capital, la transparence et les affaires, Éditions Farrago, Tours, 1999. Ces éditions sont diffusées par Les Belles Lettres. Michel Surya anime la Revue Lignes.

16 Jean Léon Beauvois, La servitude libérale, Éditions Dunod, Paris, 1994.

17 P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique de la communication, Éditions du Seuil, collections Points, Paris, 1985.

18 Guy Rosalato, « Le narcissisme », dans le volume Narcisses sous la direction de J. B. Pontalis, éditions Folio Essais Gallimard, Paris, Février 2000, page 39.

19 Idem page 41.

20 Idem page 45.

21 Idem page 46.

22 Pour les personnes qui souhaitent s’informer sur ce génocide voici quelques références à un prix modique et en vente libre en France :
Dominique Franche, Rwanda, Généalogie d’un génocide, éditions Mille et une nuits, collection Les petits libres, Paris, 1997.

Mehdi Ba, Rwanda, un génocide français, éditions Dagorno, collection l’Esprit frappeur, Paris 1997.

Michel Sitbon, Un génocide sur la conscience, éditions Dagorno, collection l’Esprit frappeur, Paris, 1999.

François-Xavier Verschave, France-Afrique le crime continue, éditions Tahin party, Lyon, Février 2000.

Le contact des éditions Tahin Party :20, Rue Cavenne, 69007 Lyon. Ce livre est également en vente au prix de 10 frs.

23 Marco Revelli, « La centralité du précariat », publié dans la Revue berlinoise Arranca, repris dans le document intitulé Journées d’été d’A.C. 1999, page 6. Contact : AC!, 42, rue d’Avron, 75020 Paris.

24 Pour ce passage je me suis appuyé sur l’article de Thierry Septembre intitulé « La souffrance au travail », article prévu pour une Revue libertaire et non publié.

25 Christophe Dejours, Souffrances en France, La banalisation de l’injustice sociale, Éditions du Seuil, Paris, 1998.

26 Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi, Éditions du Seuil, Paris, 1998.

27 Rapport intitulé « Cette souffrance que l’on ne peut plus cacher ! », réalisé en Février 1995. Rapport du groupe de travail : « Ville, santé, mentale, précarité et exclusion sociale. »

Ce rapport m’est parvenu par des voies syndicales et a été diffusé dans le milieu des travailleurs-euses sociaux. Il est possible de le faire parvenir aux personnes qui le souhaitent.

28 Citation contenue dans le numéro 1854 de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur du 18 au 24 Mai 2000 qui contient un dossier sur la prostitution.
Sven-Axel Mansson, « L’homme dans le commerce du sexe », Intervention à l’Université du mouvement le CRI en Novembre 1993. Publiée dans le numéro 1854 de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur du 18 au 24 Mai 2000 qui contient un dossier sur la prostitution.

29 Dans Paroles de Femmes, Albin Michel, Paris, 1999.

30 Jean-Jacques Moscovitz « Le sens de la vie, de l’amour, du désir, de la mort de la jouissance de la filiation, du lien entre les hommes, après la rupture de l’histoire » exposé fait à Düsseldorf le 15 Août 1998 lors du colloque sur « La levée du mutisme », publié dans le numéro de Septembre / Octobre 1998 de l’Amif. Disponible sur Internet : http://www.psychanalyse-in-situ.com/

ou sur cette page : LE SENS DE LA VIE, DE L'AMOUR, DU DÉSIR, DE LA MORT, DE LA JOUISSANCE, DE LA FILIATION,
DU LIEN ENTRE LES HOMMES, APRÈS LA RUPTURE DE L'HISTOIRE
Jean-Jacques Moscovitz


Notes de fin :

I / Marcel Mauss, 1873 - 1950, sociologue français proche de Durkheim, célèbre pour son « Essai sur le don », où il étudie le potlach, c’est à dire le rituel d’échanges entre chefs et clans dans les sociétés primitives des îles du pacifique. Le don assure prestige, puissance et rang symbolique.

L’enjeu c’est de donner plus. Le don, c’est aussi l’obligation de rendre. Celui qui donne le plus est le plus puissant. C’est à l’occasion de cette étude qu’il forge le concept de « fait social total », parce qu’il mêle un ensemble de faits complexes, tout ce qui constitue la vie sociale d’une société.
Le fait social total exprime plusieurs dimensions : religieuse, juridique, morale, politique, matrimoniale, familiale, économique, esthétique, culturelle, symbolique, etc. Le système de don et de contre-don est un mécanisme d’échange social, il met en scène toute la société, il permet la réactivation de la cohésion sociale.
La pertinence de ces observations sur le don et le contre-don est, à mon avis, encore valable notamment sur le plan symbolique et pratique dans les activités militantes. La puissance de la chefferie militante a souvent comme base le don de soi. Le retour symbolique est très valorisant pour l’engagement en vue des grandes idées humanitaires. Jouer à Zorro c’est un bon moyen pour avoir une bonne image de soi (socialement et individuellement).
A propos de la théorie du don, une utilisation récente revient sur ce qui est essentiel dans le don, c’est à dire : « Le primat du lien sur le bien ». Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l’ignorance et de ses conditions modernes, éditions Micro-Climats, Cahors, 1999, page 135

II / Théodor W. Adorno, 1903 - 1969, philosophe allemand, membre de l’Ecole de Francfort, exilé aux USA, de retour en Allemagne en 1949. Promoteur avec Max Horkheimer de la « Théorie critique ». Il a mené aux USA une étude sur la personnalité autoritaire, il a également étudié la théorie esthétique et la musique. Il est revenu en Allemagne après la seconde guerre mondiale. Il s’est intéressé aux rapports entre la culture et le « monde administré » de la société industrielle. Il termine son oeuvre par un livre sur la « dialectique négative ». Ce livre est une tentative de dépasser la « dialectique de la raison » (livre écrit en collaboration avec Horkheimer), autre nom de l’évolution de la raison instrumentale qui conduit à l’aliénation capitaliste. C’est une tentative de réappropriation de la raison, qui se sait porteuse de domination, par la négation du sujet historique développé par le marxisme et par le développement du moment critique propre à la révolte sociale.

III / Hannah Arendt, 1906 - 1975, philosophe d’origine allemande, émigrée en France une première fois pour fuir le nazisme, puis exilée une seconde fois aux USA. Elle a dû séjourner au camp de Gurs parce qu’elle était juive. Elle s’est évadée pour fuir de nouveau. Elle est la disciple et l’amie de Heidegger et de Jaspers. Elle refuse de se dire philosophe, elle préfère la notion de théorie politique. Elle pose une question majeure : « Comment penser après Auschwitz ? ». Son oeuvre est donc fortement connotée à l’étude du totalitarisme.
Elle a provoqué un scandale en rendant compte du procès d’Eichmann à Jérusalem. Elle a également écrit deux livres sur « La crise de la culture » et « La condition de l’homme moderne ». Sa pensée continue de servir de référence ou de base à de nombreux travaux en philosophie et en théorie politique.

IV / Max Weber, 1864 - 1920, sociologue allemand. Il est célèbre pour ses études sur l’autorité (traditionnelle, charismatique, bureaucratique). Il estime que l’Etat est le seul dépositaire de la violence légitime. Il est également connu pour ses travaux sur l’influence de l’éthique protestante sur le développement du capitalisme. La rigueur de cette religion, couplée avec le lien direct entre la personne humaine et Dieu, a favorisé l’accumulation primitive du capitalisme sur l’axe rhénan. En effet l’éthique puritaine des premiers entrepreneurs a permis le développement capitaliste parce qu’ils voyaient dans leur réussite matérielle un signe d’élection religieuse. Il a également écrit un livre sur « L’Esprit du capitalisme ».

V / Émile Durkheim, 1858 - 1917, sociologue français, souvent considéré comme le fondateur de la sociologie. Il propose de « considérer les faits sociaux comme des choses ». Il cherche à étudier les structures qui assurent l’intégration des individus et la cohésion sociale pour essayer de saisir les causes des dérèglements qui se manifestent dans les sociétés modernes industrielles. Il essaie, dans son livre sur « Les formes élémentaires de la vie religieuse » (1912), de faire l’histoire des formes sociales de la prise de conscience du réel, de produire une théorie générale de l’activité symbolique. Le langage, les signes, les symboles, envisagés comme des faits sociaux, ne prennent sens qu’en fonction d’un contexte social et historique précis et de leur position dans un ensemble de relations.

VI / Kurt Gödel, 1906 - 1978, mathématicien et philosophe né en Autriche. Il s’exile aux USA. Il a produit deux théorèmes d’incomplétude, qu’il compléta par une troisième découverte : la non-contradiction relative.

Le premier théorème d’incomplétude démontre que tout système formel assez puissant pour inclure un minimum d’arithmétiques, de théorie des ensembles ou de théorie des types comprend des propositions indécidables.

Le second théorème d’incomplétude démontre que tout système S vérifiant certaines conditions minimales, la consistance de S ne peut être formellement établie.

Le troisième théorème de non-contradiction relative démontre que si la théorie des ensembles est cohérente, cette théorie enrichie de l’axiome de choix et de l’hypothèse généralisée du continu est cohérente.

Ces travaux de Gödel datent de 1931. Ils marquaient les limites internes du formalisme (le besoin d’un ou de plusieurs indécidables) et mettaient fin aux espoirs d’une théorie finie des mathématiques comme celle de Hilbert. Les conséquences des découvertes de Gödel sont les suivantes :

- dès qu’un domaine des mathématiques est assez large (dès qu’il inclut l’arithmétique), la démonstration de sa non-contradiction ne peut se faire qu’à l’aide de systèmes plus puissants que lui ;

- le second théorème signifie qu’aucune démonstration vraiment satisfaisante de non-contradiction ne sera jamais donnée ;

- le troisième résultat conduit à la notion de calculabilité utilisée par Turing et reprise ensuite en informatique. Jean-Paul Delahaye résume l’enjeu des ces théorèmes ainsi :

« L’histoire des mathématiques et des théorèmes de Gödel montrent que nous ne pourrons jamais être certains de la non-contradiction des théories que nous utilisons. Que nous soyons des machines ou pas ne change rien : les théories mathématiques comme les théories physiques ne proposent pas des certitudes, mais des instruments qui fonctionnent plus ou moins bien, plus ou moins longtemps et qu’il faut ajuster ou changer de temps en temps. Peut-être réussira-t-on un jour à démontrer que nous ne sommes pas des machines, mais cela ne se fera pas sans l’invocation des théorèmes d’incomplétude de Gödel ! » Du point de vue des mathématiques il estime qu’il faut :
« Vivre avec les contradictions. ».

Jean-Paul Delahaye est Directeur adjoint du laboratoire d’informatique fondamentale de Lille du CNRS. Cette citation est extraite d’un article intitulé : « Statut mathématique des contradictions », publié dans le numéro 241 de la Revue Pour la science de Novembre 1997.
Article disponible sur Internet : Pour la Science n° 241

Une autre présentation des théorèmes de Gödel, trouvée sur Internet, expose le débat de cette façon :
« 1 / Il existe des formules dont on ne peut ni démontrer qu’elles sont vraies, ni qu’elles sont fausses ;

2 / on ne peut pas savoir a priori si une formule est démontrable. Pire, le deuxième point se prouve « en construisant une formule qui affirme qu’elle est elle-même non démontrable ».
Ce que M. Lascar [professeur de mathématiques et directeur de recherche au CNRS] compare au paradoxe d’Epiménide le Crétois qui prétendait que tous les crétois étaient des menteurs. A la différence qu’ici, ce n’est pas le langage humain, avec toutes ses nuances, ses interprétations qui est utilisé, mais le langage mathématique, autrement appelé logique. Ces résultats ont été démontrés par Gödel dans les années 30 et 50. On les appelle les théorèmes d’incomplétude de Gödel. Ils prouvent que toute théorie mathématique est soit incomplète, soit incohérente. Ils remettent en question des certitudes bien établies. Ainsi les maths ne forment pas un tout cohérent, il faut faire des choix (est-ce loin du pari de Pascal ?). » ..... / .....
« La contradiction touche aussi la logique ... Et alors, où est le problème ? Est-ce si décourageant de penser que les maths puissent se contredire ? Que le vrai ET le faux sont relatifs ? Que l’on peut répondre oui ET non à une même question ? Non, ce n’est pas décourageant, c’est exhaltant au contraire, c’est la preuve qu’il n’y pas de vérité absolue ... ».

Pour chercher sur Internet : ohoui@kafkaiens.org ou ahnon@kafkaiens.org KaFkaïens Magazine

Plusieurs textes sur ces thèmes sont présents ici :

Présentation du Théorème de Gödel par Francine Jaulin-Mannoni

La thèse de Church entraîne l'incomplétude de Gödel par Bruno Marchal

Kurt GÖDEL Philosophe et logicien 1906-1978

Gödel et les limites de la logique PRÉSENCE DE L'HISTOIRE par JOHN DAWSON

STATUT MATHÉMATIQUE DES CONTRADICTIONS LOGIQUE ET CALCUL Jean-Paul Delahaye

VII / Le structuralisme est à la fois une théorie et une méthode d’analyse qui considère un ensemble de faits comme une structure. Cette structure est un système, un ensemble solidaire, dont les composants sont liés par un rapport d’interdépendance. Ce courant de pensée est issu de la linguistique. Il traite les faits humains comme des éléments symboliques d’un ensemble, qui peut être identifié ou déchiffré. Cet ensemble est nommé structure. Le structuralisme est une position en sciences humaines qui évacue les contenus subjectifs, les significations que les humains attribuent aux événements pour arriver à une description objective des structures. En linguistique, par exemple, le sens ne se définit pas par le rapport entre le mot et la chose, mais dans la relation dans un système de signes (à la fois comme contenu : le signifié ; et comme contenant : le signifiant). On peut voir le structuralisme comme une combinatoire qui opère sans égard par rapport à l’histoire. La structure n’a pas de contenu distinct, elle est le contenu même, si on l’appréhende dans son organisation logique, qui est alors une propriété du réel.

Par exemple, Levi-Strauss a appliqué le structuralisme à l’analyse des mythes. Il estime que l’intelligence humaine est une pensée logique au niveau du sensible, qui utilise des catégories empiriques, comme le cru et le cuit, qui deviennent des outils conceptuels pour dégager des catégories abstraites. La vérité du mythe consiste « en rapports logiques dépourvus de contenu ou plutôt dont les propriétés invariantes épuisent leur valeur opératoire, puisque des rapports comparables peuvent s’établir entre les éléments d’un grand nombre de contenus différents » (cité par Jean Lacroix article « Le structuralisme de Claude Levi-Strauss ») disponible à l’adresse internet suivante :
http://www.girafe-info.net/jean_lacroix/strauss.htm

Le structuralisme de Levi-Strauss par Jean Lacroix

Selon le structuralisme, il existe une objectivité et une structure des mythes. Levi-Strauss ne cherche pas à montrer comment les humains pensent les mythes, mais « comment les mythes pensent dans les hommes et à leur insu ». On constate donc que le structuralisme établit le primat de la structure sur l’événement ou le phénomène. L’événement social ou psychique n’a pas en lui-même sa signification, il renvoie nécessairement à une globalité. Par voie de conséquence, c’est l’idée même d’intériorité qui est contestée. Le structuralisme pense où l’organisation fait système, sans que le sujet humain en soit conscient. Les approches structuralistes sont différentes selon les domaines et les auteur-es.

Mais le structuralisme est une théorie du fait de son affirmation de la primauté de la structure sur le phénomène ou l’événement. De ce point de vue, les processus sociaux se déploient dans le cadre de structures fondamentales qui, très souvent, restent inconscientes pour les humains. Le structuralisme est également une méthode qui a pour domaine d’application tous les phénomènes qui ont un caractère de système. Dans ces systèmes aucun élément ne peut être modifié ou supprimé sans que cela entraîne une modification de l’ensemble. La démarche structuraliste consiste à expliquer les phénomènes à partir de la place qu’ils occupent au sein même du système dans lequel ils sont inclus, suivant des lois d’association ou de dissociation. Le structuralisme a une approche « synchronique », où la coexistence des divers éléments au sein d’un même ensemble, et ce au même moment, peut fournir l’intelligibilité des phénomènes étudiés. Cette démarche s’opposait à l’approche « diachronique » basée sur l’étude de l’histoire, sur la genèse de chaque partie prise séparément. Cette approche s’opposait au marxisme comme analyse fonctionnant à partir de l’étude de l’histoire.

VIII / Le phallologocentrisme c’est le nom donné par certaines critiques au déploiement de la philosophie occidentale basée sur le logos (à la fois comme discours et comme logique de raisonnement) de l’homme mâle blanc. Ce terme a été utilisé et développé par certaines critiques féministes.

IX / Le fordisme tire son nom de Henry Ford, un capitaliste producteur de voiture à Détroit aux USA. On peut considérer le fordisme comme une étape du capitalisme moderne, qui est caractérisé à la fois, par la production de masse, par une division du travail très élaborée, par une politique d’augmentation des salaires et par un compromis avec les syndicats, et par un accroissement de la possibilité de crédit bancaire.
Tout ceci permettant la consommation de masse et un développement capitaliste sans précédent. Au début du XX° siècle pour baisser les coûts dans un contexte concurrentiel, les entreprises industrielles cherchent à rationaliser la production. Taylor, puis Ford comprennent que la solution ne viendra pas de la réduction des salaires, mais de la production en grande série. Taylor propose une méthode d’organisation du travail, qui sépare la conception et l’exécution des tâches, une séparation entre les ingénieurs et les ouvriers-ères considéré-es comme des exécutant-es. La direction de l’entreprise capitaliste renforce ainsi son contrôle sur les processus de fabrication. Le travail intellectuel est séparé du travail manuel.

La division du travail ou atomisation du travail (le fameux travail en miettes) est complétée par l’introduction de la chaîne par Ford en 1917. Le convoyage des pièces est mécanisé et l’ouvrier n’a plus à se déplacer pour travailler. Le second aspect important du fordisme est l’augmentation des salaires. Pour que la production en grande série se vende, il faut qu’il existe des acheteurs-euses. En produisant des biens moins chers à l’unité et en augmentant un peu les salaires, on fait se rencontrer la production de masse et la consommation de masse.
La coupure entre travailleurs manuels et intellectuels rencontre la résistance des ouvriers qualifiés, qui se voient dépossédés de leurs compétences techniques et organisationnelles. Après une longue résistance, les syndicats acceptent un compromis. Celui-ci est basé sur la redistribution, sous forme d’une augmentation de salaire, d’une partie des profits obtenus par les gains de productivité. Cette augmentation de la productivité est liée à une rationalisation du travail et une intensification du travail, ce que Marx nomme la « plus-value relative ».

Il faut également souligner le rôle de Keynes, un économiste qui préconise l’intervention de l’Etat dans l’économie, ce qui deviendra plus tard l’Etat-providence (cette nomination est abusive, puisqu’il s’agit d’une intervention pour réguler la demande et aider le capitalisme et non pas d’une providence pour l’ensemble de la population). D’autre part, le développement des banques permet de proposer des crédits afin d’acheter des biens de consommation. Ce modèle fordiste s’imposa de façon générale après la fin de la seconde guerre mondiale. Il s’agit à la fois d’un compromis dans la lutte de classe, d’une nouvelle façon d’organiser le travail et de la possibilité d’une consommation de masse.


X / Le capital financier semblable à Dieu ? Certaines analyses remarquent que le capital financier possède maintenant les attributs qui étaient réservés à Dieu auparavant : Toute puissance, action à distance, immatérialité, immédiateté, permanence, omniprésence, etc.

XI / Le Goff Cet auteur dénonce « la pensée chewing-gum » qui caractérise l’alliance de la pensée de gauche et du libéralisme économique. Il a déjà publié « Le mythe de l’entreprise et l’illusion du management ».


XII / Chevénement est une figure majeure de ce courant de pensée.


XIII / Eduardo Colombo donne l’explication suivante à l’origine de la nomination des Cyniques : le nom leur vient d’Anthisthène (445 - 360) qui discourait dans le gymnase de Cynosarges, dans la banlieue d’Athènes: « le chien agile » ou « à l’enseigne du vrai chien ». Le cynique : « vrai chien toujours prêt à aboyer contre la médiocrité ou l’hypocrisie des gens bien, et déchirant à belles dents toute forme d’aliénation, de conformisme ou de superstition » ou de servitude.

Cf Léonce Paquet, Les cyniques grecs, Éditions de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 1975, page 11.

Note contenue dans le numéro 1 de la Revue Réfractions, « Libertés imaginées », dans l’article « La centralité dans les origines de l’imaginaire occidental » d’Eduardo Colombo, page 158.

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XIV / DPS C’est le service d’ordre du FN qui se comporte comme une police parallèle et n’hésite pas à agresser les antifascistes, à provoquer des heurts pour les traduire en justice, à les ficher, les filmer. Cet organisme est souvent qualifié de « milice ». Ces méthodes sont en contradiction flagrante avec l’esprit républicain.