Pour résumer cette évolution et faire court, on pourrait
dire quà chaque changement de gouvernement on descend dun
cran.
On connaît cela pour le statut du travail du travail. La gauche
a inventé les « emplois jeunes ». Ce nouveau concept
est une légalisation de la précarité au service
de lEtat patron. Aujourdhui on invente « les contrats
jeunes », qui est un statut encore moins bien protégé
et aussi mal payé que le précédent.
En matière dimmigration, on a eu un peu le même phénomène.
Pour donner une idée de cette évolution, le journal Libération
parlait il y a quelques semaines de la visite du président malien
aux travailleurs immigrés de Montreuil. Le journaliste a interrogé
les personnes présentes et a constaté que les plus âgés
avaient des papiers, par contre les plus jeunes sont presque tous en
situation irrégulière. Il parlait de personnes de 35 à
40 ans. Évidemment, le président en question na
pas abordé ce délicat problème.
Pour le détail de lévolution des lois je renvoie
à trois textes que je propose ici : Le tableau qui avait été
publié dans la brochure « Chronique dun mouvement
»( L'évolution des lois
xénophobes ), un texte de Danièle Lochak de 1998 et
un article de presse sur les projets actuels.
Je reviendrai sur les dernières modifications, qui ne sont pas
décrites dans ces textes, auparavant je voudrai aborder de façon
rapide les logiques à loeuvre.
Noublions pas que nous sommes dans une société capitaliste,
où le coût et la mobilité de la main doeuvre
sont un enjeu important pour le taux de profit et la plus-value recherchée.
La logique de lemploi permet de comprendre le lien entre la situation
irrégulière et la précarité. Alain Morice
a abordé cela assez longuement dans la brochure « Sans-Papiers
Chronique dun mouvement » (texte dont on peut faire des
copies aux personnes qui le désirent). Il sagit bien de
trouver de la main doeuvre précaire, mobile et peu coûteuse.
Par exemple, la lutte des employé/es du ménage dans les
grands hôtels parisiens le montre. Les employeurs ont changé
les contrats de travail pour payer les femmes de ménage à
la chambre et non plus à lheure. Au bout du compte cela
donne une grève longue et dure dont on parle peu et qui nest
pas sûre de gagner.
Les autres logiques, qui se conjuguent à celle-ci, sont politiques
et idéologiques. Dans le capitalisme actuel les états
ne contrôlent plus grand chose sur le plan économique et
sur le plan politique ils ont bien du mal à affirmer leur autonomie.
Un des seuls contrôles qui existe et qui est possible, cest
celui des populations qui vivent en France et celles qui veulent y rentrer.
Face à linsécurité et lincertitude
du capitalisme postmoderne, on essaie de trouver un bouc émissaire
avec les immigré/es et les jeunes issu/es de limmigration
qui vivent dans nos banlieues.
Sur lévolution stricte des lois, Danièle Lochak
disait en 1998 que nous sommes passé/es « du contrôle
policier au contrôle de la main doeuvre ». Elle parle
de lévolution depuis 1945. Aujourdhui, je crois que
nous avons les deux. Les modifications vis à vis des textes sur
lentrée et le séjour concernent laccentuation
et la mise en oeuvre systématique des mesures européennes.
Les seules mesures législatives qui ont été modifiées
concernent la nationalité et la durée légale du
maintien en rétention.
La droite avait remis en cause le droit du sol en instaurant une nationalité
conditionnelle à 18 ans pour les enfants étrangers né/es
en France. La gauche a modifié le texte en octroyant la nationalité
à 16 ans et en annulant les possibilités de refus. De
fait, elle a entériné la remise mise en cause du droit
du sol, puisque avant on devenait automatiquement français/e
à la naissance. Le Pen et Maigret lont proposé,
la droite la essayé et la gauche la confirmé.
En 1997, la gauche a fait voter un allongement de la durée de
rétention prévue à lépoque jusquà
12 jours, texte encore en vigueur aujourdhui.
La gauche a parlé de régularisation, mais au 70 à
80 000 personnes nont pas été régularisées.
Le cas par cas a été une source de difficultés
innombrables, les cartes obtenues ont été très
majoritairement des cartes dun an, ce qui validait la remise en
cause de fait de la carte de 10 ans. Cette régularisation a permis
une opération de fichage et de surveillance énorme. On
demandait aux personnes qui voulaient obtenir une régularisation
les lieux dhébergements où ils avaient séjourné,
les sources des moyens financiers utilisés pour survivre, etc..
Le texte de la convention bilatérale entre lAlgérie
et la France a été modifié. Officiellement les
algérien/nes sont rentrés dans le lot commun. L'administration,
elle, a tendance à appliquer la clause la moins favorable.
En 2002, la droite na pas fait voter de nouvelle loi sur limmigration,
ce qui veut dire quelle est satisfaite de ce qua fait la
gauche. On parle de réformer le droit dasile, il faudrait
que la procédure de refus dure au maximum un mois, ce qui devrait,
selon nos politiciens, permettre de résoudre les difficultés
telles que celles qui se sont installées devant notre belle préfecture
de Nantes (une sorte de camp de réfugiés où quinze
personnes dorigines algérienne dorme dans des abris réalisés
avec des cartons et des bâches depuis huit mois. Laccélération
de la procédure est clairement destinée à favoriser
les expulsions et à empêcher les personnes de sinstaller
en France.
Le second point qui devrait être modifié est celui de la
durée de rétention pour arriver à une quinzaine
de jours, peut-être plus
( cf. article du journal Le Monde
Comment le gouvernement va réformer le droit d'asile).
La nouveauté va venir de lEurope, parce que lexpulsion
par charter européen est à létude. Ce pourrait
être mis en oeuvre dici quelques mois. Lespace Schengen
et les fichiers Sis marchent bien et le maillage informatique est serré,
nos amis demandeurs dasile en savent quelque chose.
En 1996, Jean-Pierre Alaux, membre du Gisti, disait quentre les
libertés publiques et la fermeture des frontières il fallait
choisir. Le choix a été fait, il est clair nous avons
à la fois la fermeture es frontières et la violation permanente
et systématique des libertés publiques (autre nom des
libertés démocratiques liées à notre situation).
Le délire sécuritaire légitime tout cela et je
ne comprends pas pourquoi on parle encore de citoyenneté alors
que les droits démocratiques de base ne sont même pas accordés
ou garantis.
Pour terminer, je suis daccord avec le constat qui note que lévolution
dépasse le cadre de notre hexagone, elle est européenne
et nordiste. Par contre, on peut noter le rôle particulier de
Pasqua qui a été à la pointe du combat pour que
lEurope saligne sur la position la plus répressive,
aujourdhui Sarkosy le suit, comme Vaillant et Chevènement
lavait fait avant lui. Dautre part, la gauche nétait
pas obligée de saligner sur le Front National pour accepter
de gérer la xénophobie au pouvoir, titre dun article
écrit en 1995 et qui est plus que jamais dactualité
(La xénophobie au pouvoir ).
Dans sa conclusion, qui date de 1998, D. Lochak note que 1974 est une
date clé. Elle parle de lobsession de la fermeture des
frontières et de lobsession de la fraude et de la clandestinité.
Elle constate les atteintes aux droits fondamentaux pour les étrangers/ères,
les rétrécissements des garanties légales. Elle
parle de suspicion généralisée, dincitation
à la délation, et selon elle, cela soulève la question
de la démocratie (elle est professeur de droit public, membre
des instances dirigeants du Gisti et de la LDH). Elle appelle de ses
voeux une remise en cause de lescalade répressive. La fermeture
des frontières est à remettre en cause.
(Son article La politique de
l'immigration au prisme de la législation sur les étrangers )
En 2002, on voit que le délire sécuritaire a accentué
tout cela. Par contre je constate que la démocratie nest
plus dite « en danger ». Ce qui sest passé
lors des dernières élections est souvent qualifié
de sursaut démocratique.
Dans le dernier numéro de la revue La Griffe, Mogniss Abdallah
sinterroge sur léchec des sans-papiers et il préconise
délargir la lutte à la précarisation, qui
ne touche pas que les émigré/es. Dans le même numéro
Madiguéne Cissé dit quil faut que les sans-papiers
se sentent concerné/es par tous les mouvements sociaux, que ce
soit pour le logement, le travail, etc. Je pense quils ont raison
parce que cest la situation dapartheid social qui continue
de se développer. Évidemment, ceci implique de dépasser
le cas par cas et de construire un rapport de force.
Philippe Coutant, Nantes le 16 Septembre 2002
Lune est un collectif qui regroupe des personnes qui avaient signé
l'appel à l'unité libertaire. La tentative a échoué,
mais localement plusieurs personnes ont souhaité continuer à
faire vivre cette démarche. Lune voulant dire "Libertaires
Unitaires Nantes Estuaire". Ce collectif organise des débats
à Nantes. Il y a eu un débat sur le Nucléaire à
l'automne 2001. Celui sur les luttes des sans-papiers a eu lieu le 15
Novembre 2002. Lors de ce débat il y eu des interventions sur
l'évolution de l'attitude de la France vis-à-vis des immigré/es,
une intervention sur l'histoire des luttes des sans-piers, et une intervention
sur l'attitude des pouvoirs locaux vis-à-vis des luttes récentes
des sans-papiers. Le texte présenté ici constituait la
dernière intervention avant la discussion.
Le lien pour le texte sur la xénophobie au pouvoir : La
xénophobie au pouvoir
Le lien pour le tableau sur l'évolution des lois : L'évolution
des lois xénophobes
La page du texte de D. Lochak : La
politique de l'immigration au prisme de la législation sur les étrangers
Le lien d'origine pour l'article de Danièle Lochak du Gisti : http://www.bok.net/pajol/ouv/LDI/lochak.html
La page pour l'accès au texte sur la réforme du droit d'asile
: Comment le gouvernement va réformer
le droit d'asile
Le lien de cet pour l'article sur l'asile paru dans le journal Le Monde
dans son édition du 31.07.02
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3226--286151-,00.html
Le nouveau site du Gisti http://www.gisti.org/
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