Conférence-débat : Mercredi 9 novembre 2005
Salle de conférence Jules Vallès, Médiathèque
- Quai de la Fosse
Organisé par l’Université de Nantes - UFR de sociologie,
Master EPIC, Lestamp-association
Avec la participation de la librairie Vent d'Ouest
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Présentation de son livre : L'Art de réduire
les têtes
Sur la nouvelle servitude de l'homme libéré à
l'ère du capitalisme total.
Après l’enfer du nazisme et la terreur du communisme,
il est possible qu’une nouvelle catastrophe se profile à
l’horizon. Cette fois, c’est le néo-libéralisme
qui veut fabriquer à son tour un “ homme nouveau ”.
Tous les changements en cours, aussi bien dans l’économie
marchande que dans l’économie politique, l’économie
symbolique ou l’économie psychique, en témoignent.
Le sujet critique de Kant et le sujet névrotique de Freud
nous ont fourni à eux deux la matrice du sujet de la modernité.
La mort de ce sujet est déjà programmée par
la grande mutation du capitalisme contemporain. Déchu de
sa faculté de jugement, poussé à jouir sans
entrave, cessant de se référer à toute valeur
absolue ou transcendantale, le nouvel “ homme nouveau ”
est en train d’apparaître au fur et à mesure
que l’on entre dans l’ère du “ capitalisme
total ” sur la planète. C’est cette véritable
mutation anthropologique, et les conséquences pour le moins
problématiques sur la vie des hommes qu’elle implique,
autrement dit ce que l’auteur appelle “ l’art
de réduire les têtes ”, qu’analyse cet
ouvrage. L’auteur traite ainsi, en philosophe, des questions
pratiques auxquelles sont confrontés aujourd’hui les
sociologues, les psychanalystes ou les spécialistes de l’éducation.
En s’interrogeant très concrètement sur l’avenir
des jeunes générations aux prises avec de nouvelles
façons de consommer, de s’informer, de s’éduquer,
de travailler ou, plus généralement, de vivre avec
les autres.
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Tentative de compte rendu
Nous avons un problème avec l’utilitarisme, qui tend
à confondre le culturel avec la culture. Historiquement,
la culture était liée à un idéal d’émancipation,
il ne faut pas la confondre avec le divertissement. La désymbolisation
actuelle nous impose de penser une anthropologie du rapport entre
le sujet et la culture. La mutation de la subjectivation est en
route.
L’actualité nous donne une confirmation de ce que
j’ai avancé dans “ L’art de réduire
les têtes ”. Le sujet est en général compris
comme lié à la conscience, à une volonté,
un environnement symbolique. Mais l’origine du mot, c’est
être soumis, le sujet est celui qui est soumis, je suis soumis.
La question qui se pose alors est de savoir à quoi on est
soumis. L’histoire nous montre que le sujet est soumis à
des grandes figures, la soumission du sujet est liée à
la figure de l’Autre ou des “ Autres ”, que je
nomme les grands sujets.
Le premier c’est la phusis grecque. Le sujet est soumis à
la nature et à ses forces. Ce sont des dieux immanents, qui
déterminent des événements dans lesquels je
suis pris. Le sujet est soumis à des forces que l’on
ne comprend pas, et qui, de plus, sont contradictoires. La condition
de l’humain grec est celle du tragique. Pour essayer d’y
voir clair, il faut consulter l’Oracle, comme l’a fait
Œdipe. Il faut interpréter et la figure d’Oedipe
est typique. Il respecte la parole de l’oracle, il fuit ses
parents (adoptifs) pour éviter les grands malheurs annoncés,
puis, il tue son père et épouse sa mère, et,
par-là même, réalise l’oracle.
Ensuite, le sujet est soumis au Dieu des monothéismes. Ce
Dieu là est lointain, il est transcendant, unique dans chaque
religion. Cela correspond à l’invention de la subjectivité,
à l’intériorité. Augustin parle du maître
intérieur. Il y a une délibération en chacun
de nous. Ce dialogue intérieur est celui des Confessions
d’Augustin. Ce dialogue avec soi, on le trouve également
chez Montaigne. Il est présent chez Rousseau. Les monothéismes
sont accompagnés de construction politiques et de formes
culturelles et symboliques. L’une d’entre elles est
le Roi. C’est un grand sujet. La monarchie, c’est le
commandement d’un seul. Le Roi soleil illustre bien ce moment
historique, autour de lui il y a des astres plus ou moins proches.
Le Roi est une figure à part, c’est ce qu’a bien
montré Kantorowicz, avec la thèse des deux corps du
Roi : il y a un corps mortel et un corps symbolique, qui est permanent
et sacralisé.
Plus tard, nous avons un nouveau grand sujet : le Peuple, il apparaît
comme grand sujet suite à la révolution française
et aux autres révolutions, qui ont eu lieu en Europe. La
difficulté avec le Peuple, c’est qu’on ne peut
pas l’incarner. Se pose alors la question de la représentation
et de fait une bureaucratie s’installe. St Just s’en
rend compte assez vite. L’esthétique cherche une figuration
possible au travers du romantisme. La démocratie et la raison
deviennent les nouvelles références.
Ultérieurement, la figure du prolétariat s’impose
et il s’agit d’être un sujet du prolétariat.
Ceci a capté les aspirations d’une partie de la jeunesse
des années soixante-dix.
D’un point de vue historique, les figures des grands sujets
sont au centre de la culture de chaque époque. C’est
décisif dans les créations culturelles.
Passons maintenant à la situation actuelle : la postmodernité.
Il faut noter que la modernité a proposé des formes
nouvelles. C’est une rupture, un pas important face aux formes
antérieures. La modernité s’appuie sur les Lumières.
C’est une transformation importante. Il s’agit d’une
nouvelle liberté, où cohabitent des formes différentes
de grands sujets. Kant est typique de cette ouverture au multiple.
Son texte sur le cosmopolitisme montre qu’il existe de multiples
références.
Ces multiples approches circulent dans le cadre de la raison. Il
y a un passage du transcendant au transcendantal. Le sujet moderne
est un sujet critique. Il y a un lieu vide dans la raison, ce qui
permet à l’imagination transcendantale de fonctionner.
La raison doit se dépasser sans cesse. Il faut reprendre
sans cesse l’œuvre de la raison. Cette période
commence dans les années 1800.
Vers les années 1900, c’est l’apparition du
sujet freudien marqué par l’inconscient. Ceci permet
une nouvelle compréhension du sujet, ici soumis à
son inconscient. Le sujet est un sujet névrosé, sa
névrose varie en fonction du grand sujet de sa culture d’origine.
Le sujet névrosé est confronté à la
dette symbolique. En effet, pour énoncer sa parole, il emprunte
au symbolique. Cette dette est une dette impossible à payer.
Le sujet critique des Lumières et le sujet freudien sont
les mêmes.
Aujourd’hui nous sommes dans la postmodernité.
Lyotard a proposé ce concept en disant que la postmodernité
se caractérise par la fin des grands récits [comme
le progrès ou l’utopie socialiste]. Il y a une cohabitation
des temps différents, dont on vient de parler, au sein du
sujet lui-même. Mais la tendance générale est
bien celle-là. Les grands sujets d’avant ne fonctionnent
plus. Nous sommes donc dans une situation nouvelle pour la subjectivité
et pour l’être ensemble.
Il n’y a plus besoin d’un passage par l’Autre.
Le sujet postmoderne est appelé à se fonder lui-même.
Il peut se considérer comme “ enfin libre ” des
attaches extérieures. Mais la nouvelle condition subjective
est problématique, l’appui extérieur n’existe
plus, ce qui peut conduire à ce qu’on appelle les “
états limites ”. Le sujet est empêtré
dans une sorte d’emmêlement intérieur.
Comme l’auto-fondation est très difficile, voire impossible,
le sujet est toujours en deçà ou au-delà. La
fréquence des pathologies liées à la mélancolie,
à la dépression est connue. Ces malaises ont un caractère
massif. Les livres d’Alain Ehrenberg “ L'individu incertain
” et “ La fatigue d'être soi, dépression
et société ” sont la description de cette situation.
Dans cette configuration, le sujet est toujours en deçà
de lui-même.
Sur l’autre versant, le sujet peut chercher une illusion
de toute puissance, un au-delà de lui-même. Le marché
offre tous les moyens pour cela. Le narcissisme est central ici.
Les nouvelles pathologies du narcissisme sont maintenant bien connues
des psychanalystes.
L’injonction démocratique “ sois toi-même
” induit une souffrance qui va des états-limites à
la dépression, de la toute puissance à l’incapacité
sociale.
Dans ce cadre, du défaut de l’Autre, la recherche
des substituts de l’Autre est une solution, en particulier
dans la jeunesse. On peut remarquer quatre grandes tendances mises
en œuvre pour pallier au déficit de références.
La première solution, quand l’Autre manque, c’est
la bande. Elle permet d’être à plusieurs pour
faire face au vide. La bande fait un. Elle fonctionne souvent sur
un mode transitiviste, c’est visible lorsqu’un membre
de la bande se blesse ou est blessé et qu’un autre
membre ressent la douleur, alors qu’il n’est pas blessé.
La bande est aussi un nom collectif avec des signes, des signatures
et un territoire que l’on marque avec des tags. Si vous prenez
le train, vous pouvez voir ces nombreuses marques, qui peuvent se
recouvrir, d’ailleurs.
Si une personne dévie, c’est inadmissible, la bande
va tout faire pour ramener la personne en son sein. On rencontre
la bande à l’école, où quand un professeur
dit quelque chose à un élève, c’est la
bande qui répond collectivement. A l’école,
justement, le temps de négociation est important, il réduit
d’autant celui consacré aux cours. La bande c’est
le contraire de l’autonomie, elle fonctionne sur le mode de
la fusion.
Une variante de la bande c’est le gang. La violence y est
très présente. On retrouve cela dans nos banlieues.
Les gangs ont montré qu’ils avaient des² méthodes
efficaces dans l’industrie musicale. Ces entreprises musicales,
gérées par des gangs, sont les seules à avoir
pu s’opposer aux majors. Ces gangs peuvent contrôler
certains secteurs de l’économie capitaliste.
Le second moyen pour pallier à la carence de l’Autre,
ce sont les sectes. Les sectes offrent une garantie au sujet contre
le manque. La figure du Gourou devient une référence
qui prend la place de l’Autre. On note le développement
de nombreuses sectes au niveau mondial. Certaines développent
un fondamentalisme virulent comme les néo-baptistes, les
nouveaux évangélistes ou le renouveau charismatique.
La secte et le gang peuvent s’associer ou cohabiter. Dans
une même famille, on peut retrouver cette opposition.
La troisième solution est celle qui essaie de réinscrire
l’Autre dans le besoin. Ce qui conduit aux addictions et à
des phénomènes de consommation compulsive. Ceci peut
concerner la drogue ou des marchandises. Ces addictions sont provoquées
et entretenues par le marché, notamment pour les addictions
usuelles avec la télé et le supermarché. Une
autre variante est de choisir un produit très cher, qui exige
des gros sacrifices et induit une dépendance lourde, c’est
la toxicomanie. La difficulté d’exister n’est
plus inscrite dans une quête symbolique. Avec la drogue, on
se soumet totalement à la dépendance de l’Autre,
en partant du réel du besoin, jusqu’à en devenir
esclave.
Le quatrième mode est celui qui essaie d’assumer le
devenir de l’Autre en visant la toute puissance et l’octroi
de pouvoirs supérieurs. Cela conduit souvent à l’hyper
violence. Ces actes de violences, on les connaît avec les
massacres du lycée de Colombine aux USA, en Allemagne lors
d’un autre massacre dans un lycée, en France avec Richard
Durn. Celui-ci a écrit son journal, qui a été
en partie publié dans Le Monde. Il y parle d’exister,
du seul moment, où il a eu le sentiment d’exister,
lorsqu’il a tiré sur les membres du Conseil Municipal
de Nanterre. Cette toute puissance est illusoire et combine bien
souvent le sacrifice et le sacrifié dans le même moment.
Dans les actes violents en banlieue, on peut voir que les modes
de substitution de l’Autre combinent cela. Le sujet postmoderne
est en manque de l’Autre. C’est une tendance lourde
où on rencontre la fascination et l’identification.
Le marché y pourvoit par la musique, les images, les jeux,
etc. Le passage à l’acte concerne surtout des personnes
fragiles, sans véritables familles, peu scolarisées.
Le phénomène est quand même assez large. La
petite délinquance devient la norme. Ce n’est pas un
accident, c’est au contraire un signe de structure, cela a
un effet massif sur le lien social. On parle d’effets délétères
à juste raison.
Pour les moins jeunes, il existe des rituels compulsifs, les fameux
TOC, on essaie de fixer l’errance par des fixations comportementales.
C’est aussi le sentiment du tragique individuel. Les troubles
de la limite deviennent nombreux. C’est aussi l’anorexie
ou la boulimie, ou encore l’hyperactivité, que l’on
veut absolument soigner avec des médicaments.
La crise contemporaine concerne la culture, mais aussi la mutation
de la subjectivité. La mutation agit sur les symptômes
de la névrose. Les psychanalystes ont noté un changement
avec les pathologies liées au narcissisme, ils parlent maintenant
de psycho-névroses.
Cette mutation de la subjectivité a pour cadre la transformation
du capitalisme. Il est dominé par le capitalisme financier.
Les échanges se sont développés de façon
massive. Le nouvel état du capitalisme défait toutes
les formes antérieures d’institutionnalisation et de
symbolisation. Il n’y a plus d’extériorité,
ou du « moins un » dans l’échange, selon
le mot de Lacan. Par exemple, il n’y a plus d’étalon
or, depuis 1972 les monnaies flottent.
Auparavant, la raison était nécessaire pour le discours
philosophique, pour l’État, pour le groupe, il y avait
une exception qui fondait l’ensemble. C’était
la position de Kant et de Lacan. Par exemple, Kant disait que tout
n’était pas monnayable. Les choses avaient soit un
prix, soit une dignité. C'est-à-dire que certaines
choses n’avaient pas de prix, elles avaient une dignité,
qui les rendaient irremplaçables. Il y avait au moins des
principes, pour qu’en raison les autres choses soient échangeables.
Dans la postmodernité, les acteurs du capitalisme ne veulent
plus de limites, plus aucune contrainte. L’idéologie
libérale, poussée jusqu’au bout, nous demande
de maximiser nos profits, d’être des individus égoïstes
et calculateurs. L’horizon de la raison doit être le
profit maximum. Le marché transfigure notre individualisme,
les vices privés deviendraient des vertus publiques par la
magie du marché.
La main invisible du marché date d’Adam Smith, c’est
elle qui pousse au profit maximum. Il n’y a plus besoin d’une
puissance supérieure, les échanges se régulent
tout seuls, par les seules vertus du marché. La désinstitutionalisation
est massive, il n’y a plus besoin d’État, ni
de principes. Il faut démanteler tout ça, en finir
avec les valeurs que ce soit dans le domaine éthique, sur
le plan politique, écologique ou ethétique. Seuls
semblent s’opposer à cela, les économistes keynésiens,
qui préconisent toujours une intervention étatique.
La date de 1968 est celle qui amorce ce passage au libéral.
La désinstitutionalisation est marchande et étatique.
Elle touche l’économie sociale dans son entier. Elle
concerne la famille, où il est maintenant question de la
télé comme troisième parent. Elle touche la
socialisation et la subjectivation. L’école n’est
plus conçue comme une transmission générationnelle,
elle est devenue un dénivelé symbolique. La citoyenneté
et l’égalité ne sont plus à l’ordre
du jour, l’économie symbolique et l’économie
psychique sont touchées. L’enfant est devenu un problème.
L’utilitarisme contamine tout. Cela a des conséquences
pour la subjectivation. On le voit dans les problèmes du
langage. Il permet d’exprimer les nuances de la pensée
et du réel. C’est sur lui que s’appuyaient les
rapports de sens. Maintenant, seuls les rapports de force comptent.
Il faudrait que le langage soit univoque et clair. Le fait qu’il
existe un au-delà du sens devient gênant. Il faut pouvoir
comprendre tout de suite. Des étudiants américains
ont été voir leurs professeurs pour leur demander
de ne plus étudier Platon et Aristote, parce que ce ne sont
pas des auteurs clairs.
La désymbolisation concerne aussi l’art. Il ne s’agit
plus de mettre en forme ou de figurer un au-delà du sens,
mais très souvent de mettre en scène une expression
immédiate. C’est ce qu’énonce l’adage
“ Nous sommes tous et toutes des artistes ou des stars ! ”.
Par exemple, dans la Star Académy, vous êtes sélectionné/e
en fonction de votre conformité au groupe qui vous choisit.
L’éducation c’est un processus long et difficile,
on la remplace par la communication, voire des activités
computationnelles [cf. l’importance des ordinateurs –
computers - et de l’informatique dans tous les domaines de
la vie].
La désymbolisation produit des individus précaires,
des individus flottants et sans attaches. C’est un individu
a-moral, incapable d’auto-réflexion, englué
dans le présent immédiat sans passé ni futur.
Il reste des stratégies de survie. L’absence de déploiement
réflexif est bien visible. Cela peut produire des incendies
d’école et selon un auteur “ la destruction des
villes en temps de paix ”. La destruction est aussi interne
à l’école, parce que tout y devient rapport
de force. Dans ce contexte, il aurait été sage de
ne pas provoquer comme le fait Sarkosy.
La destruction s’amplifie jusqu’à détruire
ce qui reste d’institution. On peut dire que les jeunes, qui
incendient les banlieues, sont le produit du système actuel,
ils sont des victimes, souvent ils ont des capacités symboliques
assez faibles. En même temps, ils sont les agents de la désinstitutionalisation.
Ils reproduisent la loi du plus fort, ce qui est la règle
du capitalisme actuel.
Au Brésil, où je me rends assez souvent, les bandes
maffieuses contrôlent les favelas, ce sont des lieux de non-droit,
si on y va, on se heurte à des jeunes bien armés.
Ce sont des lieux où la drogue est très répandue.
Le modèle capitaliste c’est la loi du plus fort. Les
jeunes apprennent cela très tôt en regardant la télé.
Pour conclure, il faut dire que tout n’est pas que noirceur.
Il y a de belles résistances face à ce capitalisme
hard désymbolisant, qui s’accompagne souvent du populisme.
On résiste de façon multiple, en cherchant à
élaborer son désir et en sortant de l’immédiateté,
en écrivant un poème, en mettant en œuvre la
solidarité, la civilité, en développant la
réflexion politique. Le sujet est soumis, mais il est aussi
un insoumis qui cherche le bien commun, une nouvelle souveraineté,
la culture et de nouvelles modalités de l’être
ensemble. Le sujet insoumis peut renouveler l’ordre symbolique,
utiliser son sens critique pour comprendre, penser et agir.
Un certain anarchisme anti-institutionnel était contenu
dans le mouvement de 1968. Il y a eu une sorte de malentendu. On
voulait combattre le capitalisme et rénover l’institution,
qui en avait bien besoin. C’est très différent
de l’anarcho-capitalisme, qui veut obtenir une circulation
sans contrainte, sans aucune entrave institutionnelle. Pour 1968,
nous avons su plus tard que notre action allait d’une certaine
façon dans le sens du capitalisme. On peut citer les analyses
de Goffman sur l’univers de l’asile psychiatrique. Ces
études sont à l’origine d’extrême
gauche, elles portaient une critique de l’enfermement. Elles
ont été utilisées en Californie par R. Reagan.
Il y a bien une utilisation ultra-libérale des analyses critiques
des institutions. Nous avons contribué sans le savoir et
sans le vouloir au processus de désinstitutionalisation.
D’ailleurs, il faut revenir sur l’institution, celle
qui nous institue comme citoyen. On peut se demander aujourd’hui
comment instituer dans notre époque. Parce que si on ne fait
rien, cela ne peut plus s’instituer. Le sarkosysme allie le
capitalisme hard et un État répressif. Certaines personnalités
de droite trouvent cela insuffisant. Ils voudraient envoyer l’armée
et qu’elle ait le droit de tirer à balle réelle.
Pourtant on voit que la punition, comme celle que les USA ont voulu
infliger à l’Irak, produit la guerre généralisée.
Si on laisse faire ces idées, la société va
devenir un champ de bataille. En Amérique Latine, on le voit
déjà en acte au Brésil et au Mexique.
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Question de la salle sur le retour à l’autorité
?
Réponse de D. R. Dufour : Le paradigme actuel est celui
du réseau et celui de la bonne gouvernance. Le réseau
ne reconnaît pas de loi extérieure à son fonctionnement.
Avec le réseau, plus besoin de tiers. Tout est contenu dans
le réseau lui-même. La négociation est interne.
Par exemple, le plaidé coupable, importé des USA,
c’est une négociation. Il ne s’agit plus de savoir
la vérité au nom de la loi. La négociation
dans le réseau ne se fait pas “ au nom de ! ”.
Pas besoin de se poser la question de l’origine, de l’identité,
de la finalité, du pourquoi ou de savoir où on va.
Le rhizome de Deleuze c’est cela, un présent permanent.
Dans le cadre du réseau, il suffit d’être malin
et branché.
L’individu promu par le capitalisme actuel est un calculateur
rationnel, ce sujet soumis au capitalisme post moderne ne se pose
pas la question de l’origine ou de la finalité.
[Dans le capitalisme postmoderne, pour l’individu conforme
seul compte la satisfaction d’objet, le volume du compte en
banque et une certaine image de soi. La publicité utilise
souvent la promesse d’une plus value narcissique pour nous
inciter à acheter encore et encore. B. Stiegler parle, lui,
de la captation de la libido par le système et de misère
symbolique. A. Gorz décrit la production du consommateur.
Cf.
http://1libertaire.free.fr/BStiegler03.html
http://1libertaire.free.fr/BStiegler04.html
http://1libertaire.free.fr/ProductionduConsommateur.html
].
Pour tranquilliser les esprits, on a les religions et les psychotropes.
Les religions relookées fonctionnent bien. Les néo-religions
produisent des communautés. La mystique de la race revient
en force, que ce soit par la voie du nettoyage au karcher ou par
la voie du fondamentalisme. Mais, la pureté et l’ordre
tendent à remplacer la moralité, la responsabilité,
le jugement critique.
Les angoisses existentielles sont noyées dans la consommation.
Tout ceci se fait au détriment de l’ouverture de la
raison, de l’obligation morale, de la réflexion sur
l’être ensemble. L’intelligence globale a besoin
de philosophie pour comprendre les grandes mutations convergentes
sur l’institution. Cela touche l’économie symbolique,
l’économie psychique, l’éthique, l’écologie,
la régulation politique, la culture, l’esthétique
…
Pour obtenir du commun entre les êtres humains, il faut une
perte de soi. C’est bien ce qu’avait vu Rousseau dans
son Contrat Social. Le marché refuse cette perte de soi.
Donc, la question des instances pour nos intérêts communs
est posée. Même chose, pour la nécessaire régulation
du marché.
Question du professeur de sociologie sur les conditions du dépassement.
Réponse de D. R. Dufour : Les nouveaux symptômes montrent
que la façon d’être homme est marquée
par cette mutation anthropologique. J’ai entamé un
dialogue avec les psychanalystes. Au début, il y avait des
résistances chez les psychanalystes. Il s’agit de ne
pas tout dissoudre dans la jouissance. Ils ne venaient pas nombreux.
Puis, les discussions collectives ont fonctionné, l’intelligence
pratique les amène à changer de position. Maintenant,
ils viennent à deux cent pour m’écouter et discuter
avec moi. Il y a bien quelque chose qui est en route, une résistance,
des réflexions, un désir d’élaboration,
quelque chose qui se travaille. Il faut étudier les différentes
approches, les différents apports des domaines des sciences
humaines pour trouver des convergences et du commun et avancer.
Question sur l’épistémologie et la référence
à Marx ?
Réponse de D. R. Dufour : Il suffit de lire le livre pour
voir que le sujet critique et névrosé est aussi le
sujet marxien.
Question sur le rôle de la philosophie ?
Réponse de D. R. Dufour : Oui la philosophie est convoquée.
Il faut tout remettre à plat, essayer de penser ailleurs.
C’est le travail de la raison qui se dépasse elle–même.
Oui la philosophie est requise dans notre crise.
Compte rendu bricolé par Philippe Coutant
Nantes le 14 Novembre 2005
PS : Les ajouts [ xxxx ] sont de Ph Coutant.
On peut trouver des éléments sur la pensée
de D. R. Dufour à cette adresse web :
http://1libertaire.free.fr/DRDufour10.html
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