"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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À propos de B17

texte publié en mai 2013 dans : "De l’autogestion, théories et pratiques", Ouvrage collectif, Éditions CNT-RP, Paris, 352 pages.

http://www.cnt-f.org/de-l-autogestion-theories-et-pratiques.html

B17 est un local associatif autogéré situé à Nantes. L'histoire de B17 est liée à celle de l'Atelier Mécanique situé au rez de chaussée de Bellamy 17 (B17), cette structure collective existe depuis 1982. C’est une association d’échanges de savoir pour les personnes qui souhaitent apprendre à entretenir et réparer leur voiture sans passer par un garagiste. Le fonctionnement de ce collectif est basé sur l'autogestion. En 1985, l'atelier devient propriétaire du bâtiment, où il est installé. L'espace du premier étage servait régulièrement pour les réunions des militant-es nantais-es de la gauche non-institutionnelle, y compris des libertaires, car l'Atelier prêtait facilement la salle.
L'atelier, dans les années 80/90, diffusait beaucoup d'infos au moyen de l'affichage, c'était un lieu de passage pour nombre de militant-es. A l'époque, IndyMédia n'existait pas. Mais, c'étaient les permanents salariés de l'Atelier qui géraient les lieux, les utilisateurs étaient plutôt dans une position de « consommateurs ».

Dans les années 95/96, le collectif Atelier a commencé à réfléchir pour s'ouvrir sur la ville en s'appuyant sur les échanges de savoirs avec une commission débats ou une commission technologies alternatives, par exemple. Mais ces initiatives restaient essentiellement dirigées vers les adhérents de l'Atelier. La commission « débats » a réaménagé la grande salle en posant des lambris.
Après un échange avec divers usagers du 1er étage en juin 2000, l'Atelier a proposé l'idée de monter un projet avec les utilisateurs du lieu afin que cet espace soit géré par d'autres personnes que les salariés ou des adhérents de l'atelier. Dans ces utilisateurs réguliers de l'époque, on pouvait retrouver notamment l'Aranéa – un collectif qui créait et fabriquait des costumes pour le théâtre, Linux Nantes, Culture et Liberté, le CAE – Collectif Anti Expulsion des sans-papiers, le COSPAL – Comité de solidarité avec les peuples d'Amérique Latine, la CNT, la FA, le GASPROM – Asti de Nantes, association de solidarité avec les immigré-es et pour le droit au séjour, le SCALP, le COLIF – Collectif libertaire féministe, l'OCL ainsi que des collectifs plus ponctuels comme le Collectif anti-marée noire Nantes-St Nazaire, les CEMEA, le CIRC ou d'un collectif contre la culture d'Ogm qui, plus tard, rejoindra les Faucheurs volontaires.

La mise en place du projet se déroule de juin 2000 à Octobre 2001 avec notamment des personnes qui étaient investies dans l'ancien local libertaire du quartier des Olivettes. Sur le plan militant, il existe une certaine continuité entre ces deux lieux. Les groupes de la Cnt et de la Fa étaient également très engagés dans la création de ce qui deviendra B17 au nom de l’autogestion de leurs besoins politiques et la mise en œuvre de leurs idées. A l'AG de mars 2001, les adhérents de l'Atelier ont accepté le principe de création d'un collectif de gestion du premier étage en lien avec la remise en état du lieu. Il a été mis en place un commodat, une forme juridique assez ancienne qui a servi à codifier un prêt à usage gratuit entre l'Atelier et le collectif du premier étage. L'association l'Atelier reste propriétaire des lieux, mais elle est devenue un membre comme les autres du collectif B17. Aucun loyer n'est fixé entre les deux structures, en contrepartie B17 s’est engagé à rembourser sur plusieurs années les fonds empruntés par l'Atelier pour aménager l'étage. L’entretien du local et la participation aux travaux nécessaires pour garder en bon état le bâtiment sont également inclus dans cet accord de Commodat.

Les statuts et règlement intérieur du futur B17 sont mis en place en octobre 2001 avec, entre autres, la gestion du planning et des cotisations. Il faut attendre janvier 2002 pour qu’apparaisse le nom de Bellamy 17, pour le « 17 rue Paul Bellamy » qui sera réduit assez vite en « B17 », cette nomination est adoptée en remplacement du provisoire « Collectif Étage ». Fin 2002, les associations utilisatrices du lieu entérinent les statuts, le règlement intérieur et le commodat, ce qui occasionne beaucoup de discussions. Pour un problème d'assurance, la naissance officielle de B17 n'a lieu qu'en mars 2003 après la déclaration en préfecture de l'association. C’est en avril-mai 2003 que le compte-chèques B17 est ouvert. Les débats nécessaires à la définition des règles ont engagé fortement les personnes vis-à-vis de B17, à la fois dans son fonctionnement et son entretien. C'était une façon de se donner des règles, d'instituer des textes de référence. Les principes de base sont directement repris des textes de l’Atelier :

* Promouvoir une alternative à l'économie de profit,
* Favoriser l'émancipation des individu-es,
* Démystifier et échanger les savoirs et savoir-faire,
* Pratiquer la solidarité et l'ouverture à toutes et tous sans discrimination,
* S'impliquer dans toute initiative sociale et culturelle allant dans le sens des principes énoncés ci-dessus.

Le principe de l’autogestion est affirmé, le refus des subventions est un choix délibéré, parce que nous voulons garder notre indépendance vis-à-vis des pouvoirs locaux et étatiques. Pour le fonctionnement pratique, un tableau d’occupation des salles est mis en place. Pour suivre les demandes et la vie de B17, une personne est déclarée référente pour le mois en cours, la rotation des tâches est une des bases de B17. Nous achetons collectivement un téléphone portable pour prendre en charge les réservations de salles ou pour s’occuper de ce qui se passe à B17. C’est la personne référente qui s’occupe du téléphone. Nous créons également une liste mail pour notre information interne.
Nous avons distingué deux sortes de collectifs au sein de B17 : les membres actifs qui s’engagent à faire vivre l’espace autogéré et les autres qui préfèrent restés simples usagers. La possibilité pour un comité de lutte qui se crée de se réunir à B17 est acceptée et assumée publiquement. Si ce collectif s’installe dans la durée, il peut devenir membre à part entière de l’espace autogéré. Ce qui étonne parfois les personnes extérieures à Nantes, c’est que cohabitent ensemble en un même lieu des regroupements aussi différents que Linux Nantes, la LCR - l’ancêtre du NPA, la Fa, le Scalp, la Cnt, le Gnd – Groupe nantais pour la décroissance et des groupes de théâtres comme le T.O. (Théâtre de l’Opprimé) et les Trublions ou l’Atelier qui s’occupe de l’entretien des voitures. Tout le monde a été d’accord pour que nous refusions les activités commerciales au sein de B17, seules sont autorisées, de fait, la vente de journaux, de brochures, de livres ou de marchandising militant sur les tables de presse lors de débats. C'est dans ce type de situation que la notion de prix libre est arrivée à B17 et s'est diffusée dans cet espace. Ce local ne peut pas non plus être utilisé comme Q .G. de campagne électorale. D’autre part, B17 ne loue pas des salles, s’il existe bien une rétribution en argent, c’est une participation aux frais pour payer le remboursement de l'emprunt contracté par l'Atelier, pour payer l’assurance, l’électricité, l’eau et le gaz, les fournitures pour les travaux et notre vie collective. Le montant des participations aux frais peut évoluer en fonction de l'état de nos finances et des travaux à faire. Beaucoup de personnes en situation de précarité fréquentent B17, ceci implique que nous soyons attentifs à cela avant de fixer le montant à payer.

L’évolution des activités associatives et politiques sur Nantes a conduit à ce que certains groupes disparaissent et que des nouveaux rejoignent B17, comme la Coopart – Coopérative participative, le Sel – Système d'échanges locaux, le Collectif Santé, 44 Breizh, les Embobineuses – un collectif féministe qui organise régulièrement des projections, la troupe de théâtre Les Piqueteros, etc. On peut également signaler qu’il a existé des comités précaires, un collectif Eco-habitat uni autour d'un projet d'habitat collectif écologique, un ou deux groupes de réflexion, un collectif philo en lien avec Apo33 et moults comités anti-répression. L’établissement d’une liste exhaustive demanderait un travail collectif d’enquête plus approfondi. Il y a eu aussi des refus et des tentatives qui n’ont pas été concluantes comme celle du Club du rire. Cette activité est très bruyante et il était impossible de tenir une réunion dans une pièce à côté. Ce n'est pas une plaisanterie, c’est un collectif qui existe et qui fonctionne bien à Nantes : => http://rire44.free.fr/

La question de la transmission est donc régulièrement à l’ordre du jour, parce que les nouveaux camarades qui arrivent n'ont pas participé à l'élaboration des règles. Illes voient ces règles comme extérieures et fixées depuis très longtemps, alors qu'elles sont issues directement du mouvement interne de B17 il y a seulement quelques années, ce sont des conventions discutées collectivement qui sont propres à notre collectif de collectifs, leur origine est humaine. La question « pourquoi c'est ainsi ? » est légitime, donc il faut expliquer et si besoin faire appel à la discussion collective pour avancer, nous ne nous appuyons pas sur des textes sacrés devenus des dogmes, ceux-ci peuvent évoluer et être modifiés suite à des débats en AG et cela a déjà été le cas.

Il est nécessaire d’aborder le chapitre concernant les difficultés de l’autogestion, parce que tout cela n’a rien d’idyllique. La circulation des infos ne va pas toujours de soi, surtout si on aborde la question du pouvoir en milieu militant. La rotation des tâches est affirmée, mais pas toujours facile à appliquer dans la durée. On pourrait croire que spontanément les libertaires font attention à mettre en pratique leurs principes politiques, les faits nous invitent à tracer un tableau beaucoup plus contrasté. L’instrumentalisation des lieux et des humains peut exister et nous y avons été confronté-es, l’esprit de concurrence et le désir de pouvoir sont également des données bien réelles dans les réseaux militants. Même chose pour les rôles genrés et plus particulièrement la prise de parole des femmes. Cela a été abordé dans différents textes et des formations internes à certains groupes :

« Agir pour que la prise de parole des femmes devienne au moins égalitaire à celle des hommes ? »http://1libertaire.free.fr/Prisedeparoledesfemmes.html
« L’autogestion ? Un art difficile ! » http://1libertaire.free.fr/Autogestiondifficle01.html
« Les difficultés de l'autogestion » http://1libertaire.free.fr/DifficultesAutogestion01.html

Il y a eu un clash assez dur entre des féministes et des militants hommes à l’occasion de la tenue d’une réunion non mixte. A cette occasion, l’antisexisme autoproclamé de certains militants a ainsi montré publiquement ses limites. Nous avons du admettre que chez les libertaires, il existait des chefferies militantes et que parfois il y avait un écart important entre la théorie et la pratique. Il en a résulté de nombreuses tensions et un climat assez lourd entre certains membres de B17. D’autre part, agir sur les conditions de possibilités c’est nécessaire, mais c’est loin d’être suffisant. Il n’existe aucune garantie. Pour que ne se perde pas le sens de notre engagement politique, nous devons reprendre régulièrement la question de la cohérence entre les idées et les actes. Il est fréquent que nous ne soyons pas à la hauteur de nos idées.

A plusieurs reprises, nous avons souhaité mettre en place une certaine transversalité au sein de B17, notamment dans ce que nous avons nommé les Vendredi de B17 : des débats ou des projections vidéo le vendredi soir une fois par mois. Le bilan n’est pas nul, il est lui aussi mitigé. Ici, c’est notre volontarisme qui a rencontré ses limites, parce que cette transversalité désirée ne va pas de soi pour tout le monde. La convergence des luttes est souvent souhaitée et proclamée haut et fort, sa mise en œuvre s'avère beaucoup plus délicate.

Au cours de son histoire, B17 a du faire face à au moins trois attaques fascistes avec un nombre important de vitres cassées et des tentatives d’effraction. Les tags laissés sur place ont montré que certains étaient membres du groupe « Renouveau français ». L’anti-fascisme est revenu ouvertement à l’ordre du jour. A une certaine période, nous avons du organiser des tours de garde la nuit en fin de semaine pour protéger cet espace. Ceci a également donné lieu à de réunions élargies afin de défendre la possibilité démocratique qu’existe ce type d’espace autogéré, où des libertaires et d’autres peuvent se réunir et agir sans problèmes.

Nous avons créé un Infokiosk qui a connu des fortunes diverses. Il existe maintenant un site qui reprend diverses brochures, aujourd’hui une bibliothèque a pris le relais :
http://www.kiosqueb17.lautre.net/

Au fil du temps, il faut rappeler les règles, le renouvellement des générations qui utilisent B17 impose de revenir sans cesse sur ce qui pourrait sembler évident dans un lieu autogéré, où personne ne fait le ménage à notre place. Il y a eu des difficultés avec l’usage qui est fait de cet espace. B17 n’est pas séparé du monde extérieur. Après la multiplication des incidents et leur ampleur de plus en plus importante, B17 a été fermé en journée. Quelques temps après la création de B17, nous avions mis en place une partie du lieu avec un accès libre à Internet via des ordinateurs récupérés et réinstallés par Linux Nantes. La gestion de cette aile a nécessité diverses interventions pour expliquer aux personnes qui l’utilisait ce qu’était B17 et son fonctionnement. C’est suite à des dérives répétées dans cet endroit, que la décision de limiter son accès en journée a été prise. Au final, après discussions, l’accès pendant la journée est maintenant réservé aux personnes membres d’un groupe adhérent de B17.

Cette fermeture a provoqué une sorte d’électrochoc parmi de nombreuses personnes pour qui B17 était devenu une évidence qui fonctionnait bien toute seule. Lors de différents débats internes, la question des membres individuels, qui utilisaient et faisaient vivre B17 sans forcément être membre d'un collectif membre de B17, est devenue une question dont il fallait débattre. Nous avons abordé tout cela lors d’une AG. Nous avons alors défini une nouvelle catégorie de membres de B17 : « les membres actifs individuels ». Pour certaines personnes, qui avaient participé à la création de B17, c’était une sorte de révolution, parce que cet espace avait été conçu par des collectifs pour des collectifs. Cette remise à plat a été salutaire, maintenant plusieurs personnes, ayant choisi ce statut, sont actives et reconnues comme telles au sein de B17. Cette AG n’a pas fait disparaître tous les problèmes en cours, mais elle a renforcé l’autogestion au sein de B17.

Un peu après cette rencontre collective, nous avons été confronté-es à une agression sexuelle à B17. Il y en a eu d’autres dans le passé, d'ailleurs certaines n’ont été connues que longtemps après les faits. La dernière en date, a revêtu un caractère particulier, parce qu’elle s’est déroulée à quelques mètres d’un ensemble de personnes en réunion qui ne se sont pas rendues compte de la gravité des faits. Elles ont même demandé le silence, ce qui a bloqué les appels à l’aide de la camarade agressée. Les débats qui ont suivi ont conduit à placarder des affiches avec des recommandations pour que ceci n’arrive plus et avec une liste de choses possibles à faire dans ce genre de situation. Il y a également eu des discussions au sein des collectifs membres de B17 afin de renforcer notre vigilance. La question de la réaction des groupes face aux agressions perpétrées par un de leurs membres a été houleuse pour certaines personnes. On le voit, la vie à B17 n’a rien d’un paradis libertaire.

B17 est à lui seul une multiplicité, où se côtoient plusieurs visions du monde. L’autogestion se conçoit et se vit de différentes manières, cette belle idée recouvre de multiples façons de faire, qui ne sont pas toujours compatibles entre elles. Il existe trois niveaux de régulation : celui de la personne référente qui peut contacter les autres membres de B17 en cas de difficulté ou d’urgence qui peut faire débat, le deuxième niveau est mensuel : le collectif de gestion et le troisième qui est annuel : l'A.G. C'est dans ces deux derniers types de réunions que nous discutons collectivement de la vie de B17. Les questions qui demandent une discussion générale sont abordées en A.G. Normalement, tous les collectifs de B17 ont des représentants dans les réunions mensuelles, elles sont ouvertes à tous les membres de B17. Quand c'est nécessaire, une discussion dans les groupes est demandée avant de prendre une décision, selon le résultat, on décide ou on reporte ce débat en Assemblée Générale.

Pour terminer, nous devons reconnaître la valeur et l’importance de B17 dans la ville de Nantes et sa région, ce n’est pas du seulement à sa situation centrale au niveau géographique. C’est un espace où de nombreux comités de lutte se sont réunis ou peuvent se réunir facilement. Lors du mouvement récent des sans-logis, B17 a servi de refuge au « Collectif un toit pour toutes et tous ». Dans la lutte contre le projet d'aéroport à Notre Dame des Landes, B17 est important pour les personnes de la région nantaise qui se sont engagées dans cette mobilisation, mais aussi pour la Zad elle-même. C’est bien une des conditions de possibilité du déploiement de l’action politique collective contre le monde de l’exploitation et de la domination. B17 est un des lieux où s’expérimente notre biopolitique libertaire, c’est important politiquement, mais aussi humainement, parce que le capitalisme postmoderne tend à capter notre existentiel pour l’intégrer dans sa ronde mortifère. B17 est, par moment, une ligne de fuite qui nous permet de créer et donc de résister, de sortir de l’impuissance et de la tristesse.

Ce texte n’engage personne d’autre que moi-même.

Philippe Coutant, Nantes le 10 mars 2013