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I / Le constat :
Les femmes prennent moins la parole que les hommes dans les assemblées
publiques ou militantes. La solution peut sembler simple : il suffit
qu’elles apprennent à le faire et gagnent en confiance
en elles et qu’elles s’affirment. Des formations proposent
ce type de démarche.
“ Confiance et affirmation de soi pour répondre à
l’agressivité.
Comment se faire entendre, comment maîtriser ses sentiments,
comment prendre la parole devant un auditoire, comment répondre
aux questions inattendues. Des techniques et des méthodes
existent. Cette formation vous permettra d’aborder de nombreuses
situations professionnelles ou personnelles dans les meilleures
conditions.
Maîtrise de l’écrit pour mieux communiquer.
La maîtrise de l’écrit est un atout majeur pour
transmettre ses idées, que ce soit par écrit ou oralement.
En quelques heures seulement, vous serez à même de
structurer et de présenter une communication (discours, note,
mémento) et de prendre des notes avec efficacité.
”
Extrait d’une présentation d’une formation payante.
Outre le fait que nous pouvons certainement organiser cela nous-mêmes,
nous ne pouvons pas occulter qu’il s’agit d’un effet
de la domination des hommes sur les femmes.
“ À propos du concept de domination, ne pourrait-on dire
qu’il y a une dimension de pouvoir qui n’existe pas dans
la question des inégalités ? Pour le dire autrement,
les femmes aujourd’hui, subissent de très fortes inégalités
,mais remettent fortement en cause - au moins partiellement - la domination
au sens prise de pouvoir dont elles se sentent l’objet, qu’il
se soit exprimé par l’exclusion pure et simple (du droit
de vote, de certaines filières de formation et d’emploi),
par la minorisation ou par le fait de ne pas prendre la parole soi-même.
”
Extrait d’un texte où est abordée la question
de la domination constamment renouvelée.
Nous pouvons savoir que la domination machiste est sociale et qu’elle
est installée au niveau intime de chaque humain. En conséquence,
nous savons que pour avancer, il faut à la fois agir collectivement
en public et faire un travail personnel.
II / Les représentations sociales.
Les représentations sociales sont fondamentales. Leur intériorisation
va de pair avec leur invisibilité.
En questionnant les rôles, les modèles, il est possible
de déconstruire les images identificatoires :
Les exemples les plus connus : femme = mère : chargée
de la cuisine et des enfants, femme = objet sexuel : les femmes
dans la publicité, etc...
Le tableau ci-dessous consigne quelques-unes de ces oppositions :
Masculin |
Féminin |
Actif |
Passif |
Fort |
Faible |
Extérieur |
Intérieur |
Public |
Privé |
Sexuel |
Romantique Sentimental |
Etc … |
Etc … |
Le genre (le sexe social) est une construction sociale, ce formatage
entre en concordance avec la structuration psychique individuelle.
Celle-ci agit en partie de façon inconsciente. C’est
au niveau intime que nous sommes devenu/es “ femme ”
ou “ homme ”.
Les femmes ont tendance à se sous-estimer. Elles n’ont
pas forcément confiance en elles. L’habitus social
de la domination machiste fait que, dans la sphère publique,
elles prennent souvent en main les tâches passives, ou peu
valorisées, beaucoup font le secrétariat, par exemple.
III / Quelques méthodes utilisées pour inférioriser
les femmes :
Ulrika Eklund, dans le cadre de son travail de formatrice, en relève
quelques-unes :
§ Rendre l’autre invisible,
§ Rendre l’autre ridicule,
§ Faire de la rétention d’informations ,
§ Afficher une indifférence permanente,
§ Accabler l’autre de culpabilité et de honte.
Extrait du site COYOTE 2 Jeunesse-Formation-Europe, numéro
2 (Mai 2000)
http
://www.training-youth.net/coyote02/french/egalite.htm
Ecrit par Ulrika Eklund Bergsgatan Stockholm, Suède, ulrika.eklund@telia.com
Ou sur EgaliteFemmeHom.html
Le texte sur la “ langue macho ” recense ces méthodes
, certains points sont identiques aux précédents :
§ Jouer au “ solutionneur ” de problèmes
:
Être toujours celui qui donne la réponse ou la “
solution ” ”, avant que les autres n’aient eu
quelque opportunité de contribuer à l’échange.
§ Monopoliser le crachoir :
Parler trop souvent, trop longtemps et trop fort.
§ Parler en “ majuscules ” :
Présenter ses opinions et ses solutions comme le point final
sur tout sujet, attitude renforcée par le ton de la voix
et l’attitude physique.
§ Attitude de combat :
Répondre à toute opinion contraire à la sienne,
comme s’il s’agissait d’une attaque personnelle.
§ Couper les cheveux en quatre :
Soulever chaque imperfection des interventions des autres et une
exception à chaque généralité énoncée.
§ Diriger la scène :
Prendre continuellement la responsabilité des tâches
clés avant que les autres n’aient la chance de se porter
volontaires.
§ Reformuler :
Reprendre en ses propres mots ce qu’une personne (le plus
souvent une femme) vient de dire de façon parfaitement claire.
Embarquer sur la conclusion d’une intervention pour la récupérer
à ses propres fins (phénomène du “ recouvrement
”).
§ Chercher les feux de la rampe :
Se servir de toutes sortes de stratagèmes, de mises en scène,
pour attirer un maximum d’attention sur soi, ses idées,
etc.
§ Rabaisser :
Commencer ses phrases avec des effets du genre : “ auparavant
je croyais cela, mais maintenant... ” ou “ comment peux-tu
en venir à dire que... ”
§ Parler pour les autres :
Faire de ses opinions la voix d’une collectivité pour
leur donner plus de poids : “ beaucoup d’entre nous
pensons que... ”. Interpréter à ses fins ce
que disent les autres : “ ce qu’elle veut dire, en fait,
c’est que ... ”
§ Faire du “ forcing ” :
Imposer comme seuls valables la tâche et le contenu, en éloignant
le groupe de l’éducation de chacun-e, ainsi que d’une
attention au processus de travail collectif et à la forme
des productions.
§ Déplacer la question :
Ramener le sujet de la discussion à quelque thème
que l’on maîtrise, de façon à briller
en donnant libre cours à ses dadas.
§ Négativisme :
Trouver quelque chose d’incorrect ou de problématique
à tout sujet ou projet abordé.
§ N’écouter que soi :
Formuler mentalement une réponse dès les premières
phrases de la personne qui parle, ne plus écouter à
partir de ce moment et prendre la parole à la première
occasion.
§ Intransigeance et dogmatisme :
Affirmer une position finale, sur un ton indiscutable, même
à propos de sujets mineurs.
§ Jouer à la hiérarchie :
S’accrocher à des positions de pouvoir formelles et
leur donner plus d’importance qu’il ne faut.
§ Éviter toute émotion :
Intellectualiser, blaguer ou opposer une résistance passive
lorsque vient le temps d’échanger des sentiments personnels.
§ Condescendance et paternalisme :
Infantiliser les femmes et les nouveaux arrivants. phrase typique
: “ maintenant, est-ce qu’une des femmes a quelque chose
à ajouter ? ”
§ Draguer :
Traiter les femmes avec séduction, se servir de la sexualité
pour les manipuler. humour ambigu, pro-féminisme de façade.
§ Jouer au coq :
Aller chercher l’attention et le soutien des femmes en entrant
en compétition avec les hommes face à elles.
§ Tendance à l’instrumentalisation très
développée :
Concentrer jalousement les informations clés du groupe entre
ses mains pour son propre usage et profit.
L’origine de ce texte : “ La langue "macho"
par "Overcoming Masculine Oppression in Mixed Groups"
Paru en 1977 dans WIN Magazine ("Workshops in Nonviolence"),
il est attribué à Bill Moyer et Alan Tuttle, des activistes
pacifistes de Philadelphie. Il sera ensuite publié à
plusieurs reprises, notamment dans le "Civil Disobedience Campaign
Handbood" (NYC), et "Off Their Backs--understanding &
fighting sexism : A call to men overcoming masculine oppression
in mixed groups".
Sa version québécoise est l'oeuvre de Philippe Duhamel
et de Martin Dufresne, du Collectif masculin contre le sexisme.
Texte trouvé sur la page : <http
://www.avarap06.org/article.php3?id_article=57>
Elle est présente sur <Languemacho.html>
IV / Les moyens que l’on peut mettre en œuvre
dans toute la société :
Il est nécessaire de développer la notion de “
genre social ” pour le rendre visible et faire en sorte que
ce concept devienne banal.
Nous pouvons donc essayer de rendre visibles les femmes, de mettre
en lumière publiquement la domination des femmes.
Nous sommes capables de faire un travail afin pour rendre évident
les implicites intériorisés de la domination machiste.
Féminiser les textes est une solution, que tout le monde
peut mettre en œuvre. Il existe plusieurs façons de
le faire. La langue est un enjeu important dans le fonctionnement
de la domination masculine.
En employant le mot “ personne ” ou “ humain ”
pour parler de tous les humains, nous ne parlons plus seulement
des hommes. Nous devons voir l’importance symbolique liée
à ces changements.
Nous pouvons amener les hommes à remarquer la banalité
de leur domination dans leurs comportements, leurs attitudes et
leurs mots.
Pour ne plus reproduire une des bases du pouvoir machiste, on peut
diffuser l’information et toute l’information aux femmes.
Ne pas prendre la parole au nom des autres, en particulier des femmes,
est une marque de respect, qui permet de ne plus occulter leur existence,
Etc …
V / Quelques éléments pour notre militance.
Le problème se pose dans notre vie militante pour deux raisons,
au moins, qui sont la conséquence de la domination machiste.
La parole des femmes est un “ je ” difficile à
faire entendre, comme le dit Michèle Riot-Sarcey. Un certain
nombre d’hommes prennent la parole facilement en public. L’absence
de tour de parole favorise les plus forts, c’est-à-dire
les hommes. Le texte sur “ La jungle des militants prophètes
” le décrit très bien. Avoir ces exigences n’est
pas insurmontable. Cela demande un effort, il faut sans doute avoir
une attitude volontariste pour inverser la tendance.
Nous pouvons essayer d’arriver à la parité dans
les postes de responsabilité et dans la maîtrise des
techniques utilisées pour militer.
Nous devons réfléchir à des systèmes
préférentiels pour encourager les femmes à
prendre la parole, à la mise en œuvre de méthodes
de discriminations positives.
Il est possible d’organiser le tour de parole, afin que les
personnes membres des groupes dominés puissent s’exprimer
correctement. Il est nécessaire de donner le temps à
ces personnes de parler, même si cela est plus long que d’habitude.
Nous pouvons mettre en place une modération, qui donne la
parole aux femmes avant les hommes. Nous devons accorder une priorité
de parole aux femmes. À terme, nous prendrons l’habitude
d’instaurer une modération qui veille à cela.
Il faut le dire et le redire ... Une fois que des progrès
ont été faits, il sera possible de donner la parole
en alternance homme / femme.
Nous devons veiller à ne pas couper la parole, une façon
de faire, qui est une violence machiste banale.
Pour ne plus nier leur présence, il est important de ne pas
parler à la place des femmes.
Nous devons encourager les personnes en situation de domination
à apprendre à s’exprimer, à classer leurs
idées, à argumenter, à s’entraîner
et à faire des évaluations pour voir comment tout
cela progresse.
Etc ….
VI / Les groupes non mixtes, une nécessité
à soutenir.
Contre l’infériorité, la peur, la soumission...
la parole des femmes doit pouvoir s’exprimer dans des groupes
de femmes. L’existence d’espaces non-mixtes est une
des conditions de la lutte féministe.
Il est possible d’utiliser le théâtre-forum,
comme le Théâtre de l’Opprimé, pour apprendre
à avoir confiance en soi et à prendre la parole en
public.
Nous devons favoriser la création et le fonctionnement des
réseaux de femmes pour que l’expression féministe
devienne plus forte et plus facile.
VII / Nous pouvons reprendre certaines méthodes proposées
en Amérique du Nord.
Voici quelques façons concrètes proposées pour
prendre nos responsabilités, pour sortir de la “langue
macho ” du sexisme ordinaire.
“ § N’interrompre personne :
On a remarqué que dans un groupe mixte, près de 100%
des interruptions étaient le fait des hommes. Un bon exercice
à tenter est de se donner une pause de quelques secondes
entre chaque intervention.
§ Offrir une bonne écoute :
Il est aussi important de bien écouter que de bien parler,
autrement autant parler tout seul chez soi. Bien écouter
ne signifie pas qu’il faille se retirer lorsqu’on ne
parle pas. Au contraire, écouter attentivement est aussi
une forme de participation.
§ Recevoir et donner du soutien :
L’entraide est essentielle dans un groupe où certaines
personnes cherchent à reconnaître et à mettre
fin à leurs “formes [patterns] de contrôle des
autres ”. Chacun des membres du groupe doit prendre ses responsabilités
en ce sens afin d’éviter que ce ne soit toujours le
rôle des femmes. Cette prise en charge permettra aussi aux
femmes de sortir de leur rôle traditionnel, qui les forces
généralement à prendre soin des besoins des
hommes en ignorant les leurs.
§ Cesser de parler en réponses / solutions :
On peut communiquer ses opinions et ses idées de façon
convaincue, mais non-compétitive face à celles des
autres. On n’est pas obligé de parler de tous les sujets,
ni d’exprimer chacune des idées qui nous viennent,
surtout en grand groupe.
§ Ne rabaisser personne :
Apprendre à se surveiller pour s’arrêter au moment,
où on s’apprête à attaquer quelqu’un-e.
Se demander, par exemple : “ Qu’est-ce que je ressens
exactement ? Pourquoi est-ce que je ferais cela ? De quoi ai-je
vraiment besoin ? Qu’est-ce qui profitera le mieux au groupe
? ”.
§ Détendre l’atmosphère, rester cool, relax
:
Le groupe peut très bien se passer de nos petites attaques
d’anxiété. Il s’en portera d’autant
mieux.
§ Interrompre les schémas d’oppression :
Il appartient à chacun(e) de nous de prendre dès maintenant
la responsabilité d’interrompre, chez un collègue
ou un ami, un comportement d’oppression qui nuit aux autres
et qui paralyse le propre développement de cette personne.
Ce n’est pas de l’amitié que de permettre à
qui que ce soit de dominer ceux et celles qui l’entourent.
Apprenons à ajouter un peu de franchise et d’exigence
à nos rapports d’amitié. ”
La source de ce texte : <http
://www.avarap06.org/article.php3?id_article=57>
ou <Languemacho.html>
VII / Savoir que la vigilance est nécessaire.
Les acquis sont toujours fragiles, ils peuvent être remis
en cause, la notion de “backlash” en rend compte (cf.
le livre de Susan Faludi “Backlash” publié aux
Editions des Femmes en 1993, avec comme sous-titre “La guerre
froide contre les femmes”).Le terme “ backlash ”
vient des USA, il veut dire “ revanche ”, c’est
la réaction machiste, qui attaque les femmes et les féministes
en particulier.
La reproduction de la domination fonctionne de façon permanente.
Il faut donc reprendre sans cesse cette lutte contre la domination
machiste. Elle n’est jamais achevée et il est possible
qu’elle ne le soit jamais.
Ce document a été réalisé à la
demande de Marilyne Anatole, qui constate la difficulté à
parler des femmes dans les réunions de la CNT 44. Ce constat
est valable pour beaucoup de lieux militants. Ce texte peut être
accompagné d’annexes, qui donnent quelques explications
sur la façon dont les femmes sont dominées et comment
certaines pistes sont proposées pour essayer de faire évoluer
la situation.
Philippe Coutant, Nantes le 31 Octobre 2003
Ce texte est paru dans la revue de la CNT Vignoles "Les Temps
Maudits" n° 18.
Il a servi de base à un debat lors d'une formation interne
de la CNT 44 fin Février 2004
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