"En tant que formateur/trice, je peux faire prendre conscience
de la domination masculine et changer la situation." Sur la base
des résultats de recherches menées par des féministes,
Ulrika explique pourquoi il est important d'être conscient des
questions de sexes dans les situations de formation, et expose quelques
idées sur la promotion de l'égalité des sexes par
les formateurs.
Les femmes et les hommes, les garçons et les filles, sont tous
des individus. Est-ce que ma façon d'agir en tant que formateur/trice
a de l'importance? Suis-je et devrais-je être neutre par rapport
aux sexes?
En tant que formateur/trice observant la vie, la formation et l'égalité
des sexes, je peux adopter l'une des attitudes suivantes:
1. Il n'y a pas de domination masculine. La société donne
aux femmes les mêmes droits et possibilités qu'aux hommes.
En conséquence, il n'y a pas de problème et, en tant que
formateur/trice, je n'ai pas à agir de façon particulière.
2. La domination masculine est une réalité, mais elle
provient du fait que les femmes sont généralement moins
capables que les hommes. En tant que formateur/trice, je gère
seulement des individus. Si l'un des sexes monopolise davantage d'attention
et d'espace, c'est parce qu'il le mérite et il appartient alors
à l'autre sexe de faire la preuve de ses compétences.
3. La domination masculine est un état de fait dans nos sociétés
mais, en réalité, les femmes sont tout aussi capables.
En tant que formateur/trice, je peux faire prendre conscience de la
domination masculine et changer la situation.
Dans la société, la norme en vigueur est masculine. Les
hommes, en tant que groupe, sont au pouvoir. Mais, cette situation a-t-elle
des répercussions sur vous en tant que formateur/trice? Ma réponse
est oui. Si, en tant que formateur/trice, vous travaillez sans tenir
compte de cette réalité, lequel des deux sexes va alors
monopoliser l'attention, l'espace et le temps? Lequel des deux sexes
est encouragé à relever en permanence de nouveaux défis?
Et lequel est plutôt encouragé à se confiner dans
des rôles familiers? De quel sexe parle-t-on en tant qu'individus
et duquel parle-t-on en tant que groupe? Quel sexe est encouragé
à pousser son argumentation le plus loin possible dans une discussion?
Quelles sont les méthodes utilisées? Quels sont les thèmes
et les sujets abordés? Qui sert de modèle?
Un tiers - pas davantage
De nombreux travaux de recherche ont souligné le sentiment général
selon lequel les femmes dominent une situation dès lors qu'elles
occupent plus de 30% du temps ou de l'espace. Que ce soit en classe,
dans une réunion ou dans les médias. Des études
menées sur l'école ont montré que les professeurs
tendent à parler les deux tiers du temps, tandis que les garçons
monopolisent les deux tiers du temps restant; ainsi, seul un neuvième
du temps total est laissé aux filles.
D'autres recherches ont prouvé qu'un même texte est appréhendé
différemment selon que son auteur est supposé être
une femme ou un homme. Lorsque les lecteurs pensent que l'auteur est
un homme, leur jugement est plus positif que s'ils savaient qu'il s'agit
en fait d'une femme.
Berit Ås, professeur de psychologie sociale à l'université
d'Oslo, a constaté que, lorsqu'une femme parle plus de 33% du
temps, l'impression générale est qu'elle domine la conversation.
Même les personnes très conscientes de ce fait réagissent
de cette façon.
Dans les années 70, le professeur Ås a mis en évidence
cinq "techniques de négation de l'autre" très
usitées dans le langage du pouvoir, qui servent aux hommes à
affirmer leur domination souvent aux dépens des femmes. Voici
ces techniques:
1. Rendre l'autre invisible
2. Rendre l'autre ridicule
3. Faire de la rétention d'informations
4. Afficher une indifférence permanente
5. Accabler l'autre de culpabilité et de honte
Vous devriez apprendre à repérer et à faire barrage
à ces techniques très typiques du langage des hommes.
Le gagnant remporte tout
Alors, si vous ne veillez pas à l'égalité des sexes,
les "gagnants" des stages de formation risquent fort d'être
les participants masculins. Peut-être les participants masculins
obtiennent-ils davantage d'attention et d'espace. Dans ce cas, en tant
que formateur, vous devez être vigilant et employer des méthodes
adaptées. Et cela, même si l'on constate, concernant les
projets soutenus par le Fonds Européen pour la Jeunesse et les
activités des Centres Européens de la jeunesse, que les
participants se répartissent également entre les deux
sexes. Les activités subventionnées par le Fonds Européen
pour la Jeunesse comptaient, en 1998, 46,8% de participants et 53,2%
de participantes; en 1999, ces chiffres étaient de 47,2% de participants
et 52,8% de participantes. Aux Centres Européens de la Jeunesse
de Strasbourg et de Budapest, il y avait, en 1998, 46,9% de participants
et 53,1% de participantes; en 1999, ces chiffres étaient de 45,8%
de participants et 54,2% participantes.
Rendre une situation visible
Il importe également de rendre cette situation visible dans l'éducation.
Une façon de faire consiste à faire appel à des
statistiques. L'Association suédoise des pouvoirs locaux a conduit
un projet d'intégration, dans le but d'élaborer un outil
d'analyse de l'égalité hommes-femes au niveau des activités
de la municipalité. Gertrud Åström, responsable du
projet, a alors présenté la "méthode des 3R":
le premier R pour "Représentation", le deuxième
pour "Ressources" et le troisième pour "Realia".
Représentation permet de répondre à la question:
"Combien de femmes et combien d'hommes?". Un comptage a été
effectué dans l'ensemble des organes et des activités.
Ressources permet de répondre à la question: "Comment
vos ressources communes - argent, espace et temps - sont-elles réparties
entre hommes et femmes?". Enfin, Realia permet de répondre
à la question: "D'où vient le fait que la représentation
et les ressources sont ainsi réparties entre hommes et femmes?".
C'est un projet qui s'intéressait davantage à la mise
en évidence de normes et de valeurs, et à la reconnaissance
de la situation telle qu'elle est. Il s'agissait de découvrir
si l'on respecte de la même façon les intérêts
et les besoins des femmes et des hommes. L'aspect quantitatif répond
aux deux premières questions sur la représentation et
les ressources, tandis que l'aspect qualitatif est mis en évidence
par la troisième question. Il est impossible de mesurer Realia,
c'est l'analyse des deux premières questions qui le permet.
Les questions précitées sont nécessaires à
la tenue d'une activité intégrée. Vous disposez
des statistiques ainsi que de la possibilité de réfléchir
aux normes qui régissent les activités. "Intégrer
les questions relatives aux femmes" signifie imprégner la
situation globale d'une philosophie basée sur l'égalité
des sexes, depuis l'analyse et le rapport, jusqu'à la mise en
oeuvre et l'évaluation.
L'Union européenne et le Conseil de l'Europe ont décidé
de travailler sur le principe de l'intégration des questions
relatives aux femmes. Il s'agit d'un concept apparu pour la première
fois dans des textes internationaux suite à la troisième
Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes, tenue à
Nairobi en 1985. Si vous voulez travailler selon ce principe, voici
cinq points à considérer:
1. Rendre la situation visible par le biais des chiffres, en appliquant
la méthode des 3R par exemple.
2. Il est important que les responsables et les décideurs établissent
de manière ferme la légitimité de l'approche intégrée
de l'égalité. Dans les stages de formation, cela signifie
que tant les formateurs que l'organisation sont impliqués.
3. Vous n'aurez jamais trop de connaissances. Montrez les faits.
4. L'approche qui consiste à intégrer les questions relatives
aux femmes doit imprégner l'activité dans sa globalité,
depuis sa planification jusqu'à son évaluation, de façon
à obtenir un effet d'ensemble.
5. Distribuer/redistribuer de manière égale les ressources
entre les hommes et les femmes. Par exemple, les ressources financières
ou la quantité de temps passé avec les formateurs.
Social ou biologique?
Il se pourrait que démarre une discussion pour savoir si le sexe
est le résultat d'une construction sociale ou biologique. Mais,
au lieu d'en rester là, essayez d'aller plus loin. L'important
est de modifier la situation, et la réponse n'est jamais blanche
ou noire. Quoi qu'il en soit, il existe des facteurs sociaux et culturels
et, selon moi, ceux-là sont plus facilement modifiables que les
facteurs biologiques.
Cinquante - cinquante
Quand y a t-il égalité?
Faudrait-il qu'il y ait toujours exactement le même nombre d'hommes
et de femmes partout? L'important n'est pas forcément cette parité,
mais plutôt la conscience qu'un des sexes obtient quelque chose
au détriment de l'autre, le choix est délibéré.
Aussi, à moins d'objectifs particuliers, il est bon de s'en tenir
au principe des "cinquante - cinquante".
Stratégies pour une éducation des sexes - petits trucs
pour formateurs
Voici quelques exemples de méthodes que vous pouvez utiliser
pour travailler sur la question d'un partage égalitaire du temps.
Certaines sont employées dans la pédagogie féministe.
Soyez vigilan t!
Divisez le temps et le temps de parole - interrogez alternativement
les femmes et les hommes, ou accordez le même temps de parole
aux hommes et aux femmes.
Donnez la parole à tour de rôle. Assis en cercle, demandez
aux participants de s'exprimer un par un, servez-vous du cercle. Ne
laissez par les autres interrompre l'orateur.
Travaillez en groupes non mixtes. Les réponses seront peut-être
les mêmes dans les groupes d'hommes et de femmes, mais la façon
de travailler pourrait être différente.
Travaillez en groupes restreints, 6-8 personnes.
Faites appel à des hommes et des femmes pour les rôles
de formateurs et de conférenciers.
Mentionnez des exemples tirés de la réalité des
femmes et de celle des hommes.
Soyez conscient des techniques de négation des femmes et faites
preuve de vigilance.
En préparant une invitation - A qui l'adresser?
Décidez d'une stratégie avec le responsable
d'équipe concernant la façon dont vous allez gérer
cette question.
La présentation est importante - Faites en sorte de mettre les
participants en confiance et donnez-leur la possibilité de s'exprimer.
Pensez à la façon dont vous allez meubler la salle. Prévoyez
du temps pour des pauses café.
Faites appel à des jeux et discutez du rôle des sexes.
Servez-vous de jeux comme Abigaël, l'Albatros, ainsi que d'exercices
sur les valeurs comme "Quelle est votre position" ou encore
le Théâtre des Opprimés.
Je ne dis pas qu'il faut forcer les "silencieux" à
parler. Mais soyez conscients que ces personnes sont dans la salle et
doivent écouter les autres.
Je ne dis pas que les quotas sont une fin en soi. Pourtant, c'est une
méthode valable tant que l'égalité des hommes et
des femmes n'est pas réalisée.
Je ne dis pas que les femmes et les hommes sont exactement pareils,
que toutes les femmes sont pareilles, ou que tous les hommes sont pareils.
Je dis simplement que femmes et hommes doivent avoir les mêmes
opportunités dans nos sociétés contemporaines dominées
par les hommes.
Je ne dis pas que tous les hommes sont des oppresseurs et que toutes
les femmes sont opprimées. Mais il faut savoir que les hommes,
en tant que groupe, ont aujourd'hui davantage de pouvoir que les femmes
en tant que groupe.
Dilemme
Le dilemme, lorsque l'on aborde la question de l'inégalité
des sexes, est que l'on risque de creuser le fossé au lieu de
le combler. Mais, si on n'en parle pas, la domination masculine ne cessera
jamais. Tel est le dilemme pour une féministe concernée
par les questions de sexes et d'éducation.
Coordonnées: Ulrika Eklund Bergsgatan 7B, S-112 23 Stockholm, Suède
Tél.: +46 (0) 8 650 63 38, e-mail:
ulrika.eklund@telia.com
Extrait du site COYOTE 2 Jeunesse-Formation-Europe, numéro
2 (Mai 2000)
Le lien d'origine : http://www.training-youth.net/coyote02/french/egalite.htm
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