La langue "macho"
"Overcoming Masculine Oppression in Mixed Groups" [1]
Plus souvent qu'autrement, ce sont les hommes qui, même minoritaires,
dominent les activités des groupes mixtes. On peut presque parler
d'un "schéma masculin de comportement" ; non parce
qu'il n'arrive jamais qu'une femme s'exprime de cette façon,
mais parce que ce sont généralement les hommes qui ont
le privilège d'agir impunément de la sorte. Et ces comportements
ont pour effet d'entretenir ce privilège, en aliénant
celles et ceux qui recherchent des échanges plus naturels, égalitaires
et efficaces.
Certaines personnes ont déjà commencé à
identifier leurs schémas de pouvoir et à assumer la responsabilité
de s'en défaire. Voici une liste des comportements qu'ils cherchent
à changer en elles et autour d'elles : les caractéristiques
de la "langue macho"...
Commençons par arriver à l'entendre, autour de nous et
dans nos propres interventions.
JOUER AU "SOLUTIONNEUR" DE PROBLEMES
Être toujours celui qui donne la réponse ou la "solution",
avant que les autres n'aient eu quelque opportunité de contribuer
à l'échange.
MONOPOLISER LE CRACHOIR
Parler trop souvent, trop longtemps et trop fort.
PARLER EN "MAJUSCULES"
Présenter ses opinions et ses solutions comme le point final
sur tout sujet, attitude renforcée par le ton de la voix et l'attitude
physique.
ATTITUDE DEFENSIVE
Répondre à toute opinion contraire à la sienne
comme s'il s'agissait d'une attaque personnelle.
COUPER LES CHEVEUX EN QUATRE
Soulever chaque imperfection des interventions des autres et une exception
à chaque généralité énoncée.
DIRIGER LA SCENE
Prendre continuellement la responsabilité des tâches-clé
avant que les autres n'aient la chance de se porter volontaires.
REFORMULER
Reprendre en ses propres mots ce qu'une personne (le plus souvent une
femme) vient de dire de façon parfaitement claire. Embarquer
sur la conclusion d'une intervention pour la récupérer
à ses propres fins (phénomène du "recouvrement").
CHERCHER LES FEUX DE LA RAMPE
Se servir de toutes sortes de stratagèmes, de mises en scène,
pour attirer un maximum d'attention sur soi, ses idées, etc.
RABAISSER
Commencer ses phrases avec des effets du genre : "Auparavant je
croyais cela, mais maintenant..." ou "Comment peux-tu en venir
à dire que..."
PARLER POUR LES AUTRES
Faire de ses opinions la voix d'une collectivité pour leur donner
plus de poids : "Beaucoup d'entre nous pensons que...". Interpréter
à ses fins ce que disent les autres : "Ce qu'elle veut dire,
en fait, c'est que...".
FAIRE DU "FORCING"
Imposer comme seuls valables la tâche et le contenu, en éloignant
le groupe de l'éducation de chacun-e, ainsi que d'une attention
au processus de travail collectif et à la forme des productions.
DEPLACER LA QUESTION
Ramener le sujet de la discussion à quelque thème que
l'on maîtrise, de façon à briller en donnant libre
cours à ses dadas.
NEGATIVISME
Trouver quelque chose d'incorrect ou de problématique à
tout sujet ou projet abordé.
N'ECOUTER QUE SOI
Formuler mentalement une réponse dès les premières
phrases de la personne qui parle, ne plus écouter à partir
de ce moment et prendre la parole à la première occasion.
INTRANSIGEANCE ET DOGMATISME
Affirmer une position finale, sur un ton indiscutable, même à
propos de sujets mineurs.
JOUER A LA HIERARCHIE
S'accrocher à des positions de pouvoir formelles et leur donner
plus d'importance qu'il ne faut.
ÉVITER TOUTE EMOTION
Intellectualiser, blaguer ou opposer une résistance passive lorsque
vient le temps d'échanger des sentiments personnels.
CONDESCENDANCE ET PATERNALISME
Infantiliser les femmes et les nouveaux arrivants. Phrase typique :
"maintenant, est-ce qu'une des femmes a quelque chose à
ajouter ?"
DRAGUER
Traiter les femmes avec séduction, se servir de la sexualité
pour les manipuler. "Humour" ambigu, pro-féminisme
de façade.
JOUER AU COQ
Aller chercher l'attention et le soutien des femmes en entrant en compétition
avec les hommes face à elles.
ESTUDIANTITE AIGUE
Concentrer jalousement les informations-clé du groupe entre ses
mains pour son propre usage et profit.
Ces comportements-là affaiblissent grandement la pleine richesse
des connaissances et des aptitudes que pourrait se donner le groupe.
Les femmes et les hommes qui ont moins d'assurance que les autres, surtout
face à un climat de compétition, se voient en effet exclues
et exclus de l'échange d'expériences et d'idées.
Si l'on ne met pas fin au sexisme à l'intérieur même
des groupes qui visent un changement social, il ne pourra y avoir de
mouvement pour un véritable changement. Non seulement le mouvement
s'enlisera-t-il dans des divisions, mais on n'arrivera même pas
à envisager clairement une libération des rapports d'oppression
imposés aux femmes. Tout changement de société
demeure incomplet s'il n'inclut pas une émancipation des femmes
et des hommes des structures qui reproduisent ces rapports d'oppression.
Voici quelques façons concrètes de prendre enfin nos responsabilités
pour sortir de la "langue macho".
N'INTERROMPRE PERSONNE
On a remarqué que dans un groupe mixte, près de 100% des
interruptions étaient le fait des hommes. Un bon exercice à
tenter est de se donner une pause de quelques secondes entre chaque
intervention.
OFFRIR UNE BONNE ECOUTE
Il est aussi important de bien écouter que de bien parler, autrement
autant parler tout seul chez soi. Bien écouter ne signifie pas
qu'il faille se retirer lorsqu'on ne parle pas. Au contraire, écouter
attentivement est aussi une forme de participation.
RECEVOIR ET DONNER DU SOUTIEN
L'entraide est essentielle dans un groupe où certaines personnes
cherchent à reconnaître et à mettre fin à
leurs "patterns de contrôle des autres". Chacun des
membres du groupe doit prendre ses responsabilités en ce sens
afin d'éviter que ce ne soit toujours le rôle des femmes.
Cette prise en charge permettra aussi aux femmes de sortir de leur rôle
traditionnel qui les forces généralement à prendre
soins des besoins des hommes en ignorant les leurs.
CESSER DE PARLER EN REPONSES/SOLUTIONS
On peut communiquer ses opinions et ses idées de façon
convaincue mais non-compétitive face à celles des autres.
On n'est pas obligé de parler de tous les sujets, ni d'exprimer
chacune des idées qui nous viennent, surtout en grand groupe.
NE RABAISSER PERSONNE
Apprendre à se surveiller pour s'arrêter au moment où
on s'apprête à attaquer quelqu'un-e. Se demander, par exemple
: "qu'est-ce que je ressens exactement ? Pourquoi est-ce que je ferais
cela ? De quoi ai-je vraiment besoin ? Qu'est-ce qui profitera le mieux
au groupe ?".
RELAXER
Le groupe peut très bien se passer de nos petites attaques d'anxiété.
Il s'en portera d'autant mieux.
INTERROMPRE LES SHEMAS D'OPPRESSION
Il appartient à chacun(e) de nous de prendre dès maintenant
la responsabilité d'interrompre, chez un collègue ou un
ami, un comportement d'oppression qui nuit aux autres et qui paralyse
le propre développement de cette personne. Ce n'est pas de l'amitié
que de permettre à qui que ce soit de dominer ceux et celles
qui l'entourent. Apprenons à ajouter un peu de franchise et d'exigence
à nos rapports d'amitié.
Mardi 27 mai 2003
[1] Paru en 1977 dans WIN Magazine ("Workshops in Nonviolence"),
il est attribué à Bill Moyer et Alan Tuttle, des activistes
pacifistes de Philadelphie. Il sera ensuite publié à plusieurs
reprises, notamment dans le "Civil Disobedience Campaign Handbood"
(NYC), et "Off Their Backs--understanding & fighting sexism
: A call to men overcoming masculine oppression in mixed groups".
Sa version québécoise est l'oeuvre de Philippe Duhamel
et de Martin Dufresne, du Collectif masculin contre le sexisme.
Source de cette page http://www.avarap06.org/article.php3?id_article=57
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