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Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés,
Journal de la consultation « Souffrance et Travail » 1997-2008
Recension

LA FABRIQUE DES HARCELEURS Marie GRENIER-PEZE
LA FABRIQUE DES HARCELEURS Marie GRENIER-PEZE




Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Journal de la consultation « Souffrance et Travail » 1997-2008

Ed. Pearson, 2008, 200 p., 17 euros.

http://www.alternatives-economiques.fr/ils-ne-mouraient-pas-tous-mais-tous-etaient-frappes--journal-de-la-consultation--souffrance-et-travail--1997-2008-par-marie-peze_fr_art_789_39299.html

Les ressources humaines sont en danger. C'est le cri d'alarme de Marie Pezé, psychologue clinicienne, qui a créé en 1997 la première consultation "Souffrance et travail" à l'hôpital de Nanterre. Dans ce livre, elle compile les histoires les plus frappantes auxquelles elle a été confrontée. De cette secrétaire harcelée par son supérieur qui l'oblige à coller les timbres à 4 millimètres du bord des enveloppes, règle en main. Ou de ce boucher déboussolé par la réorganisation de son travail.

Ce journal dresse à travers dix portraits un tableau accablant de la souffrance occasionnée quotidiennement par le travail. Tout y passe: stress, troubles musculo-squelettiques, suicides… Mis bout à bout, ces récits ont quelque chose d'effrayant. Mais l'auteure ne cède pas à la facilité de s'en tenir au simple document choc. Elle essaye de comprendre et d'analyser; elle élabore des outils de diagnostic, souligne l'importance des relations qu'elle a établies avec des juristes et des médecins du travail pour mieux appréhender de manière pluridisciplinaire la dure réalité du travail. En filigrane, c'est bien l'organisation du travail qui est en cause, la dérive vers ce qu'elle appelle un "hyperproductivisme".

Laurent Jeanneau | Alternatives Economiques n° 273 - octobre 2008


Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés , Journal de la consultation "Souffrance et Travail " : 1997-2008 Marie Pezé

Ces patients, adressés à Marie Pezé par le médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se ronge pour la sécurité de ses malades au point de sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de se doper au travail pour se sentir " vivant " ; Solange, secrétaire depuis quinze ans, qui se voit propulsée comme téléopératrice sur un plateau téléphonique après un congé maladie ; François, juriste d'entreprise, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de travail parce qu'il n'y " arrive pas ".

Et tant d'autres. Ce sont eux les " héros " de ce journal qui dresse un constat terrible : les troubles liés au travail s'aggravent et se généralisent ; l'hyperproductivisme est devenu la norme de fonctionnement de toutes les entreprises, fragilisant l'ensemble des salariés. Au-delà du cri d'alarme, Marie Pezé décrypte les situations et montre que le harcèlement moral et le stress sont loin de constituer des explications suffisantes.

Avec ce livre, elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun, victime potentielle ou proche de celle-ci (collègue, manager, responsable des Ressources humaines, psychothérapeute, médecin) puisse identifier le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle, ceux que l'on appelle aujourd'hui les " Ressources humaines " sont en danger.
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés , Journal de la consultation "Souffrance et Travail " : 1997-2008 Marie Pezé
Lahmadi Ghizlaine

http://www.revue-interrogations.org/article.php?article=209



La lecture de cet ouvrage ne peut laisser indifférent, elle nous forme en même temps qu’elle nous transforme. Marie Pezé, psychologue clinicienne, psychanalyste, psychosomaticienne, et désignée expert auprès de la Cours d’Appel de Versailles lors de la création d’une section Psychopathologie du travail, nous fait partager quelques unes de ses consultations « Souffrance et Travail » de 1997 à 2008. En plus d’éveiller notre conscience, de nous ébranler, toutes ces expériences nous mènent à poser la question du devenir de notre société dans un système de plus en plus délétère.

Ce livre reprend le titre d’un film documentaire de Sophie Bruneau et Marc Antoine Roudil sorti en février 2006 et rappelle aux amateurs des Fables de la Fontaine, le septième vers des Animaux malades de la peste. On y voit apparaître Marie Pezé, qui a créé la première consultation spécialisée au Centre d’accueil hospitalier et des soins de Nanterre. On y découvre également Marie-Christine Soula, médecin inspecteur du travail qui en a ouvert une deuxième à Garches, et le docteur Nicolas Sandret qui a poursuivi à Créteil. Nous sommes alors projetés au cœur des maux qui parlent, de l’impuissance parfois des praticiens à apporter des solutions exhaustives à un tel fléau, mais aussi de la force de leur travail. La lecture peut être plus rude que le documentaire et plus riche aussi, dans la mesure où nous avons accès à une mine d’informations importantes en ce qui concerne les méthodes de travail de Marie Pezé, ses difficultés et les raisons de ces consultations qui sortent nettement des cadres cliniques habituels.

L’intérêt de cet ouvrage est d’entendre les maux des patients, de les comprendre, de les analyser dans un ensemble bien plus complexe que le simple schéma pervers/victime ou harceleur/harcelé, c’est-à-dire en les mettant en lien avec une analyse de l’organisation. Le cas de Solange (en situation d’aliénation sociale) et de sa directrice Madame T (diplômée de l’Ecole polytechnique féminine) symbolisant au premier abord et respectivement le schéma de la victime et du bourreau, se sont pourtant bien retrouvées toutes les deux dans la même salle de consultation à exprimer leur souffrance (pas en même temps bien sûr, d’abord Solange, puis un mois plus tard, Madame T). Toute les deux effondrées même si pour l’une la posture consiste à assumer le rôle du dominateur et l’autre, à accepter de se soumettre. Cet exemple tout comme les autres, dénoncent les nouvelles formes de management que les organisations ne peuvent s’empêcher d’instrumentaliser pour faire face aux défis économiques toujours plus accrus. « Sous cet angle, je mesure que la construction du couple « pervers/victime s’avère plus complexe que dans le courant victimologique. Le récit du « harcelé » permet la mise à jour de la radicalisation de l’organisation du travail, celui du « harceleur » renvoie à des idéologies défensives construites et défendues collectivement dans un glissement éthique qui semble inexorable » (p. 24)

Les consultations « Souffrance et Travail » sont devenues le lieu de l’expression des âmes meurtries par le travail, lieu où se voient les blessures physiques et psychiques que la médecine et la psychologie tentent de guérir ou à défaut d’atténuer. Lieu où les cicatrices invitent à comprendre, à remonter à leur propre source. C’est vers ce lieu que nous nous sommes aventurés en découvrant page après page les maux de certaines victimes du travail. En somme, ces consultations vont prendre des allures de politique anti-managériale malgré elles, dénonçant ces nouvelles organisations qui abîment, écrasent, brisent, annihilent certains qui ne sont pourtant pas les plus fragiles.

C’est le cas de Monsieur W, boucher de métier travaillant à la cuisine de l’hôpital. Son témoignage excelle dans ce qu’il a de dénonciateur de ce néomanagement. Monsieur W. a littéralement été anéanti, tout comme ses collègues Mouzina, et Zaïra harcelées moralement et sexuellement, sans parler de Delphes violée deux fois par ses propres collègues. Pourtant, tout allait bien avant que ne s’opèrent quelques changements… Au service de réanimation, une fois de plus l’ambiance s’est altérée à cause des nouvelles méthodes de gestion des organisations : perte de confiance, ambiance négative, malveillance entre collègues. Agathe, aide soignante est alors devenue le bouc émissaire du service. L’émergence de cette persécution permettait de ressouder l’équipe et de se protéger de ces nouvelles formes de travail. Agathe est aujourd’hui brisée au point de devenir paranoïaque tant elle est rongée par la sécurité des patients dont elle a la charge. Serge lui, est un cadre condamné à l’hyperactivité pour se sentir vivre, « se doper », même au détriment de sa vie personnelle et de sa santé…

Annihilée, Monique chargée de gestion, a toujours tenté d’être à la hauteur malgré les cadences infernales. Tout cela pour finalement ne récolter que les critiques de son supérieur jusqu’au moment où la mort l’obsède et se présente à son esprit comme l’unique délivrance. François, juriste, ne s’en sortait plus dans son travail. L’humiliation, la honte l’habitaient au point de préférer dissimuler ses failles, ses incompétences. Ses « tricheries » ont failli lui coûter la vie ; il tenta de se donner la mort sur son lieu de travail. « Je voulais qu’ils mesurent ce qu’ils étaient en train de me faire, que ça serve d’exemple, qu’on ne le fasse plus à personne » (p. 177). Il était condamné par ces évaluations scientifiques du travail, ces cribles auxquels il devait tous les jours passer au point d’en arriver à parler de « suicide militant ». Solange et sa directrice Madame T, étaient également les sacrifiées de ces nouvelles formes d’organisations encore plus destructrices pour elles, qui avaient une conscience professionnelle.

Marie Pezé ne nous a livré dans cet ouvrage qu’un échantillon représentatif d’une souffrance au travail patente et très souvent en rapport avec les organisations. D’ailleurs, à force d’approcher tous ces condamnés du travail, elle-même n’en est pas sortie indemne… « Je n’ai pas vu venir l’épuisement. Comme mes patients, « la tête dans le guidon », submergée de situations d’urgence, sans aide, ni intendance, je n’ai pas senti ma descente. En quelques semaines, je perds l’usage de mon bras droit, avec le cortège des troubles neurologiques qu’accompagne une atteinte de la moelle épinière. […] Je suis dans le trou noir de la décompensation » (p. 85).

La démarche de Marie Pezé amène à souligner deux grands points. Le premier correspond à cette nécessité d’un travail d’équipe et à la fois pluridisciplinaire. La question de la souffrance au travail reste assez complexe et doit, pour être appréhendée, faire appel à différentes institutions, corps professionnels, disciplines. Juristes, avocats, ergonomes, inspecteurs, médecins (médecins du travail, généralistes, experts), psychologues, psychiatres, chercheurs sont acteurs dans ce travail en réseau pour aider au mieux les patients. Pour la majorité d’entre eux, ils se sont retrouvés seuls et perdus. C’est pourquoi, il s’agit dès lors pour l’équipe de prise en charge, de réhabiliter un travail collectif avec une reconnaissance des compétences de chacun, tout en admettant humblement ses propres limites, ce que Christophe Dejours nomme le « vivre ensemble ».

Deuxième point qui peut attirer l’attention des champs des sciences de l’information et de la communication. Il concerne le rôle que doit jouer Marie Pezé face à ses patients et du cadre qu’elle leur offre. Bien sûr, rien de bien luxueux ! Nous ne sommes pas dans une salle de relaxation. Pourtant, tout est disposé de manière à créer un véritable espace de médiation où des nœuds vont peut-être bien se défaire. Le patient s’exprime et cet espace lui permet de laisser sa pensée reconstruire son identité... Un cas très particulier n’a pas été évoqué auparavant car il n’exprimait pas une dénonciation directe des nouvelles formes d’organisation. Il reste pour autant lié au travail et à la vie personnelle de Fatima, 48 ans, femme de ménage. Marie Pezé va se trouver à écrire « le livre de Fatima […], le livre de l’immigrée nettoyant la maison des femmes qui travaillent, dans un double effacement, celui de ses compétences, celui de ses origines » (p. 98). Son corps épuisé finit par lâcher en 1999, elle fait une chute dans les escaliers, depuis douleurs aiguës qu’aucun examen médical (radiographie, scanner, scintigraphie, etc.) ne parvient à démontrer. En 2000, elle est alors adressée en dernier recours à Marie Pezé qui relève la somatisation : « la douleur a remplacé la peur ». Fatigue non pas liée dans le cas de Fatima au surmenage, mais à l’inactivité ou l’activité monotone. Le travail de Marie Pezé et de toute son équipe lui permettra d’être classée comme travailleur handicapé. « Dans ce travail, la souffrance naît surtout du décalage entre le recours à l’inventivité, à l’intelligence du corps […] et l’absence de regard sur le travail » (p. 97).

Ce lieu était un magnifique espace d’échange où quelque chose s’est passé et où la médiation s’est même exprimée par l’écriture d’un livre. Fatima ne sera pas seule à adresser ses remerciements à Marie Pezé qui aura également vécu à travers cette médiation, un grand moment : « Ne me remerciez pas, Fatima. Grâce à vous, grâce à votre livre, j’ai pu réhabiliter le travail domestique de ma mère. Grâce à vous, j’ai pu rêver du parcours que ma mère, si intelligente aurait pu faire à l’université » (p. 104).



D. Huez (avec la collaboration de N. Jones-Gorlin), Souffrir au travail : comprendre pour agir, Paris, Editions Privé, 2008

Le premier intérêt majeur de cet ouvrage est de comprendre la souffrance au travail de l’intérieur via l’expérience d’un médecin du travail. Dominique Huez exerce sa profession depuis aujourd’hui plus de trente ans. Des années 80 à aujourd’hui, beaucoup de choses ont bougé, changé dans les organisations, et pas toujours dans le bon sens, comme d’ailleurs l’auteur en témoigne. La deuxième particularité qui nous invite à lire cet ouvrage avec attention repose sur la singularité de son approche en tant que praticien et sur sa volonté de dépasser l’ambiguïté dont est victime sa profession, de réfléchir sur son rôle avec beaucoup d’éthique, de travailler en réseau tout en préférant rester sur le terrain de la formation et de l’évolution… volonté ? Pas seulement. Il se laisse porter par le sens des responsabilités que nécessite sa profession.

Alors évidemment, si nous avions approché la souffrance au travail à partir des apports de la psychodynamique de Christophe Dejours ou encore à partir des expériences engagées de Marie Pezé en tant que psychologue et faisant partie de ce même réseau pluridisciplinaire, nous pourrions penser que ce livre n’est qu’une synthèse simplifiée et redondante de ce qui a déjà été plus profondément et précisément décrit. Pourtant, cet ouvrage apporte sa spécificité dans la mesure où il laisse un acteur clef de la santé et du milieu organisationnel réfléchir sur ses propres expériences professionnelles. Puis il s’en décentre, nous partage ses analyses sur le rôle et la posture que devrait tenir le médecin du travail contre ce fléau.

Les réflexions et concepts de la psychodynamique ont inéluctablement inspiré les pensées et pratiques de Dominique Huez. Ce que nous pouvons retenir de ses analyses, c’est que l’entreprise et l’organisation du travail représentent des facteurs déterminants de la santé de ses employés. On ne peut éluder les dysfonctionnements ou les fragilités de certaines personnes, simplement en recherchant dans les problèmes personnels. Les consultants, managers, coachs appelés aussi « prédateurs » par Dominique Huez, excellent dans ce type de stratégies pourtant absurdes et aliénantes. Leur pouvoir est juste suffisant pour affaiblir humainement les employés. Et c’est ainsi au détriment de leur humanité et même de leur intégrité qu’ils se rendent davantage efficaces et performants pour l’entreprise. Les exemples vécus ne manquent pas et accompagnent ses analyses tout le long du livre. La responsabilité de l’entreprise est nécessairement engagée dès lors qu’elle repose sur l’addition des efforts de chaque homme. Le travail peut faire souffrir au point de mettre en péril notre santé. Homme ou femme, personne n’est à l’abri de dépressions ou pire de pulsions suicidaires. Il n’y a pas de profil type du suicidaire ou a contrario du « résistant guerrier ». C’est ce qui peut rendre la tâche encore moins évidente dans le travail de prévention et de dépistage des pathologies ou d’actes critiques. Néanmoins, dès lors que l’on prend en compte chez l’individu, aussi bien son cadre familial que professionnel, on se donne davantage les moyens de trouver des signes d’alarme ou des indicateurs permettant de comprendre les causes de cette souffrance, puis d’agir dans un second temps. Dominique Huez nous introduit dans une pratique épidémiologique où l’intérêt économique n’intervient pas dans son jugement professionnel.

Il nous ouvre à l’idée d’envisager le problème de la souffrance au travail différemment. Pourquoi penser que le problème vient nécessairement de l’homme employé qui, à un moment donné, exprime une fatigue, une souffrance, un mal être ? En outre, en posant la question dans ce sens là, on finit par penser tout naturellement que c’est à l’homme de s’adapter aux contraintes de l’environnement. Or, du point de vue de Dominique Huez, qui ne fédère pas tous ses pairs, c’est au niveau de l’organisation qu’il faut bouger les choses. Le problème est pris à sens opposé. C’est d’ailleurs cette conception qui va l’amener à intervenir dans les entreprises et à réfléchir différemment. En fait, Nous n’entrerons pas dans les différentes stratégies de défenses (collectives ou individuelles) employées, parce que ce n’est probablement pas là la grande spécificité de l’auteur, mais plus celle de la psychodynamique. En revanche, ce qui est intéressant ce sont les pratiques professionnelles de ce métier qui sembleraient, par ailleurs, menacées. On peut dresser trois profils différents de médecin du travail : 10% seraient subordonnés aux décisions des employeurs. Ils ont alors une faible marge de manœuvre et ont tendance à mettre leurs connaissances au service des profits économiques. Dans la seconde catégorie, ils se voient comme des experts. Ils réfléchissent un peu comme des sociétés d’assurance et cherchent à favoriser le recrutement des plus sains. Une aberration pour Dominique Huez qui, au contraire, sait que pour certains malades, « le travail c’est la santé » et que cela reste bien discutable. « Pas question de sélectionner à l’embauche de pseudoprofils de santé pour éviter les difficultés. » (p. 146) Enfin, il y a « les médecins du travail qui, de mon point de vue, exercent pleinement leurs prérogatives réglementaires se mettent au service exclusif de la santé des hommes et des femmes au travail. Prévenir et dépister les atteintes de la santé du fait du travail, tels doivent être leurs objectifs principaux. La rationalité économique ne doit pas rentrer dans leur champ décisionnel. […] Les médecins n’ont pas à prendre en compte la question des surrisques comme critère de sélection. » (pp. 146-147) Dominique Huez a conscience de ne pas penser et pratiquer comme la majorité des médecins du travail, mais il sait aussi qu’en réalité, le recul que prennent ses confrères, est lié essentiellement à un manque de compétences et de connaissances. « Ces médecins ont peur de leur méconnaissance et de leur incapacité à se saisir de nouveaux questionnements. » (p. 148)

Son approche guide vers une réflexion qui peut alimenter les débats en sciences de l’information et de la communication. En effet, nous notons in fine, que les organisations semblent cruellement manquer d’espace… Des espaces de rencontre, d’échanges sur le quotidien du travail, de partage, de construction de lien social et de solidarisation, « des espaces de respiration » où les rapports des uns et des autres se régulent dans ces moments d’humanité. C’est encore là que nous pensons à un espace potentiel mendélien où « l’actepouvoir », concept emprunté à Gérard Mendel, ferait apparaître un pouvoir sur nos propres actes et une liberté. Dispositif démocratique simple, mais pourtant si nécessaire, vital aujourd’hui ; permettre à tous de se réunir pour parler publiquement du travail, proposer, manifester, réfuter, débattre… Un lieu de création, de stimulation, et même de compréhension, de dissipation de tensions, de barrage aux non-dits, à l’isolement et aux nouvelles formes de management destructrices, etc. Ce livre tout comme celui de Marie Pezé, qui a été la première à ouvrir les consultations « Souffrance et Travail(1) », pose la question de la médiation. En effet, ces deux praticiens ne sont-ils pas en réalité dans une position de médiateur lorsqu’on voit le temps qu’ils consacrent à leurs patients et ce qu’ils y investissent ? N’ouvrent-ils pas un espace de médiation, devenu quasi inexistant dans les nouvelles organisations régies par le néomanagement ? Ne représentent-ils pas un réseau d’acteurs dynamiques qui tentent de « panser » le travail, et de le penser, sous une nouvelle forme ? En tout cas, cette façon d’aborder la souffrance au travail, ces conceptions, ces types d’interventions nous amènent à les penser comme les acteurs d’une médiation qui serait une sorte de « remédiation » d’un travail de plus en plus malade.

Marie Peze, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Journal de la consultation « Souffrance et Travail », 1997-2008, Pearson Education France, Paris, 2008.

http://www.revue-interrogations.org/article.php?article=184



Lundi 26 janvier 2009 1 26 /01 /2009 11:07

Solenne de Thésut observe les pratiques Ressources Humaines des entreprises

Ancienne responsable des ressources humaines chez Pepsico France, Solenne de Thésut, 30 ans, a lancé en juin 2008 le blog meilleures-entreprises.fr, sur lequel elle décortique chaque jour les pratiques RH des entreprises qui favorisent le développement de leurs collaborateurs. Actuellement, 200 pratiques de 140 entreprises sont répertoriées.

Quel est votre parcours professionnel ?

Solenne de Thésut : Après une maîtrise de droit privé et un DEA de droit social à Assas, j'ai obtenu un DESS RH au Ciffop. J'ai débuté chez Johnson & Johnson en tant que chargée de recrutement puis sur un poste de responsable de ressources humaines (RRH). Ensuite, je suis partie 6 mois en Guyane faire une mission humanitaire d'alphabétisation. A mon retour, j'ai été embauchée par Pepsico France comme RRH. Au bout de 2 ans et demi, j'ai démissionné car mon mari a eu l'opportunité de travailler à Riga, à Lettonie. Nous y sommes depuis 1 an. Là-bas, j'ai eu mon premier enfant. Puis, j'ai lancé mon blog en juin 2008. L'idée me trottait dans la tête depuis un moment. Je voulais aider les personnes à connaître les pratiques RH des entreprises pour les aider à bien choisir leur entreprise.

Comment avez-vous choisi les 6 critères pour décrire les pratiques d'entreprises (développement des compétences, développement durable, environnement de travail, management, promotion de la diversité, rémunération) ?

S. de T. : Plutôt que de critères, je préfère parler de dimensions. Mon objectif est d'apporter un éclairage sur une pratique mais nullement de noter une entreprise. Jamais, je ne publierai un Top 10 des entreprises.

J'ai retenu ces dimensions par rapport à mon expérience, à ce qui influence, selon moi, l'épanouissement et le bien-être des salariés, en essayant de couvrir toutes les dimensions de la fonction ressources humaines.

Où trouvez-vous les informations ? Quelles sont vos sources ?

S. de T. : Elles sont multiples. D'une part, je reçois des informations de mon propre réseau professionnel. Ensuite, je lis beaucoup la presse écrite et lorsqu'une pratique m'interpelle, j'approfondis en contactant l'entreprise. J'utilise également les bilans sociaux. Enfin, des salariés commencent à m'envoyer des pratiques, que je vérifie bien entendu.

D'autre part, j'essaye également de recueillir des pratiques de PME mais elles ne sont pas faciles à obtenir. C'est l'un de mes prochains objectifs !

Parmi les pratiques RH dont vous vous faites écho, quelles sont celles qui vous semblent les plus intéressantes ? Et à contrario, celles qui vous semblent les plus contre-productives ?

S. de T. : Parmi celles qui me semblent intéressantes, je citerai les démarches sociétales mises en place par des entreprises pour prendre le relais de lacunes de l'Etat. On peut citer SFR sur la question du handicap, Thalès sur celle des seniors ou encore Danone qui a mis en place un programme permettent aux ouvriers d'accéder à des diplômes. J'ai aussi apprécié celles qui associent davantage ou de façon créative les salariés aux résultats de l'entreprise, comme Dassault ou Facéo.

En revanche, je me méfie beaucoup des pratiques qui surfent sur les nouvelles tendances ou les effets marketing. Je pense notamment aux blogs d'entreprise (et ne pas confondre avec les Intranets). Je ne suis pas favorable à ces tentatives de créer une communauté. Cela pose en plus des problèmes de confidentialité, de diffamation, de règles d'utilisation, etc.. Autre pratique discutable : celle de Gan Patrimoine qui a utilisé une émission de télé- réalité pour recruter. Cela me semble peu respectueux des candidats. Une autre pratique qui me semble contre-productive est celle de yahoo, qui explique à tous ces managers comment licencier "froidement, sans commettre d'impair juridique". Cela crée une culture d'entreprise "inhumaine", à l'opposé de ce en quoi je crois.

De nombreux salariés connaissent très mal ce que font leurs DRH et/ou ne comptent pas beaucoup sur eux pour faire avancer les choses. En tant qu'ancienne responsable RH, qu'avez-vous envie de leur dire ?

S. de T. : Je pense effectivement qu'il y a beaucoup d'incompréhension de part et d'autre. S'il est légitime d'attendre beaucoup d'un RRH, il faut également comprendre qu'il n'est pas en charge du bien-être des salariés. Il est là pour construire des process (autour des parcours professionnels, de la formation, de l'évaluation), pour garantir l'équité d'une promotion, de la rémunération mais ensuite, c'est aux managers de proximité de relayer et de diffuser les messages. Pour moi, ce n'est donc pas parce que l'on n'a pas de contact avec son RRH qu'il est forcément mauvais.

D'autre part, il faut bien reconnaître que les RH ne sont malheureusement pas présentes dans toutes les entreprises ou alors encore trop cantonnées à un rôle purement administratif. C'est une fonction encore relativement nouvelle.

En terme de conciliation vie privée / vie professionnelle, quelles tendances percevez-vous ? Quelles pratiques RH vous semblent vraiment concrètes et utiles ?

S. de T. : Les actions et initiatives sont un peu partout les mêmes, comme les codes de bonne conduite pour les horaires de réunions, des formations sur l'organisation du temps ou encore les crèches et conciergeries d'entreprise. La conciliation vie privée/vie professionnelle est un vraie demande mais je trouve que l'on traite les effets et pas la source du problème. Ces pratiques facilitent certes un meilleur équilibre mais une formation ne suffit pas à faire changer profondément les choses. Ce sont les mentalités et la culture qu'il faut revoir complétement.

Pour moi, cette question rejoint beaucoup celle de l'égalité hommes/femmes car ce sont quand même majoritairement les femmes qui rencontrent des problèmes pour concilier les deux ! Par conséquent, je considère que la promotion de l'égalité hommes/femmes au sein d'une entreprise est un bon indicateur de la prise en compte de la conciliation vie privée/vie professionnelle.

Pour faire progresser profondément les choses, il faut développer le respect de l'autre. Mais quand on voit que dans les instances dirigeantes, ce sont essentiellement des hommes qui n'ont aucune contrainte personnelle et même pas le réflexe d'être sensibles aux contraintes personnelles des autres, on se dit que le chemin est encore long à parcourir....

Vous écrivez dans la présentation de votre blog, "être convaincue que la finalité de l'entreprise est le développement des hommes". Mais alors comment expliquez-vous que les entreprises n'en soient pas plus conscientes ?!

S. de T. : Je pense que l'on est tellement enfermé dans le système financier qu'on en oublie que l'entreprise a été créée par l'homme et pour servir le développement de l'homme. Je pense qu'il est temps de retrouver un certain équilibre entre l'économique et l'humain. Pourquoi ne pas créer pas un indice humain à côtés des indices financiers ? Peut-être la crise actuelle va -t-elle permettre une meilleure prise en compte de la "valeur humaine" dans les entreprises...

Les témoignages de salariés restent encore peu nombreux. Avez-vous des idées pour les faire participer davantage ? Comment expliquer leurs réticences à témoigner ?

S. de T. : Si je suis très satisfaite du nombre de visites (entre 500 et 600 par jour, hors WE), je suis en revanche un peu déçue par le nombre de commentaires que je souhaiterais plus nombreux. Car rien ne vaut une vision de l'intérieur. Je réfléchis à comment inciter les personnes à laisser leurs commentaires, par exemple en étant moins affimative dans mes propos. J'espère aussi qu'avec la notoriété grandissante du blog, certains finiront par oser témoigner !



Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés
Journal de la consultation Souffrance et Travail
Marie Pezé

« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail ? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez place sur cette chaise à côté de la mienne. Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut sauver. Il peut tuer aussi. Travail sous contrainte de temps, harcèlement, emploi précaire, déqualification, chômage sont le lot quotidien des patients de la consultation Souffrance et Travail ».
MARIE PEZÉ

Ces patients, adressés à Marie Pezé par le médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se ronge pour la sécurité de ses malades au point de sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de se doper au travail pour se sentir « vivant » ; Solange, assistante de direction depuis 15 ans, qui se voit propulsée sur un plateau téléphonique après un congé maladie ; François, juriste d'entreprise, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de travail parce qu'il n'y « arrive pas ». Et tant d’autres… Ce sont eux les « héros » de ce journal qui dresse un constat terrible : les troubles liés au travail s’aggravent et se généralisent ; l’hyperproductivisme est devenu la norme de fonctionnement de toutes les entreprises, fragilisant l’ensemble des salariés.

Au-delà du cri d’alarme, Marie Pezé décrypte les situations et montre que le harcèlement moral et le stress sont loin de constituer des explications suffisantes. Avec ce livre, elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun, victime potentielle ou proche de celle-ci (collaborateur, manager, responsable des Ressources humaines, psychologue, médecin du travail) puisse identifier le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle, ceux que l’on appelle aujourd’hui les « Ressources humaines » sont en danger.

Sommaire
01. La fabrique des harceleurs
02. Le premier qui dit la vérité, il sera exécuté
03. Contrainte par corps
04. Chaude chaîne froide
05. La beauté du geste
06. Aliénation mentale ou aliénation sociale ?
07. Travail, surcharge mentale et physique
08. Mort subite au travail
09. L'hyperactivité, rouage essentiel du productivisme
10. Les suicides se multiplient

Critiques de la presse
Le Monde
Marie Pezé au chevet du travail. Soigner la souffrance des salariés et d'abord la comprendre : une mission que ce médecin s’est assignée, en pionnière, depuis onze ans. Elle en a tiré un livre terrible

Le Monde diplomatique
Ecrit dans un souci de prévention, ce livre est une invitation à ne pas se dérober face à la gravité des états de détresse, quelquefois présuicidaires, d'un nombre croissant de salariés, indépendamment de leur statut. C’est en quelque sorte un manuel pratique de lutte contre l’injustice

La Tribune
Une critique radicale du management
Libération
Après consultation, la version crue des maux du travail. La psychanalyste Marie Pezé publie le récit de salariés en souffrance

Le Parisien Hauts-de-Seine matin
Elle soigne le mal-être des salariés à Nanterre (…) Elle revient, dans un livre, sur ses onze années d'expériences

Ouest France
Au travail, on peut s'épanouir, parfois s’abîmer

Nice Matin
Elle est au cœur d'un cyclone. A l’écoute de la souffrance des salariés au travail, Marie Pezé (…) vient de publier un ouvrage explosif (…) Un tableau noir pour un monde conflictuel dont on perçoit de plus en plus les effets dévastateurs

Alternatives Economiques
Ce journal dresse à travers un tableau accablant de la souffrance occasionnée quotidiennement par le travail. Tout y passe : stress, troubles musculo-squelettiques, suicides (..) l'auteur ne cède pas à la facilité de s’en tenir au simple document choc. Elle essaye de comprendre et d’analyser
Entreprise & Carrières
Marie Pezé fait entrer le lecteur dans l'intimité de douloureux récits (…) Publier cet ouvrage signifie, pour l’auteure, tenter d’alerter le grand public, lui livrer ses outils de diagnostics. Ainsi chacun pourra identifier le danger et intervenir, voire prévenir

L'Infirmière magazine
Labeur et malheur. Un brûlot sur la souffrance des salariés en entreprise

Le Journal Mediapart
Souffrance au travail, une femme à l'écoute

Les Inrockuptibles
Dans cet ouvrage construit autour de dix témoignages bouleversants, révoltants, Marie Pezé, avec une rare acuité, met en lumière la « centralité » du travail dans la construction identitaire, le travail qui, comme elle l'écrit peut « sauver » mais « tuer aussi »

Santé Mentale
Souffrance au travail : comprendre pour agir

La Revue du practicien
Un livre remarquable

Panorama du Médecin
Avec son livre-témoignage, la psychanaliste Marie Pezé veut alerter grand public et soignants sur la progression d'un mal sous-estimé

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Quand le travail devient souffrance : une consultation pour dire les maux

Actualités
Une interview de Marie Pezé est paru dans Le Parisien/Aujourd'hui en France (Quotidien du 30 mars) et dans Générations Femme (n° mars/avril 2010)

http://www.pearson.fr/livre/?GCOI=27440100779750



Entretiens Pezé Marie
novembre 2008, par serge cannasse

Psychologue clinicienne, psychanalyste, expert judiciaire auprès de la Cour d’appel de Versailles, Marie Pezé a fondé en 1997 la première consultation "Souffrance et travail". Elle vient de publier " Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés " (2008), un livre magnifique, à la fois émouvant et pédagogique, sur dix années de consultation. Le lecteur y avance pas à pas, par études de cas, explications théoriques et conseils sur la conduite à tenir. Dans cet entretien, elle bat en brèche quelques idées reçues sur les généralistes, les psychotropes, le stress, etc.

Le stress au travail est devenu un enjeu de santé public. Cela vous satisfait-il ?

Le stress n’est pas une pathologie, c’est un processus adaptatif de l’organisme. En revanche, il existe de véritables psychopathologies du travail, qui sont des pathologies de surcharge, intellectuelle, psychique ou physique. C’est d’elles qu’il faut parler, et non du stress. Elles ont été très bien décrites par les cliniciens du travail et font l’objet de nombreux travaux épidémiologiques, par exemple les enquêtes SUMER ou celles de la DARES. Toutes ont montré que les problèmes de santé au travail liés à cette surcharge se sont aggravés ces dernières années. Elles sont bien connues. C’est pourquoi je ne vois pas l’intérêt de mettre au point un nouvel outil statistique sur « le stress », comme le propose le rapport Légeron, alors que l’urgence est d’agir sur les causes de ces pathologies, les nouvelles organisations du travail.

N’y a t’il pas aussi une susceptibilité individuelle ?

Les psychopathologies du travail naissent de facteurs multiples : formes d’organisation du travail, choix de société, choix politiques et bien entendu, organisation psychique personnelle de chaque travailleur. Mais il ne faut surtout pas s’imaginer quelles atteignent des sujets fragiles. C’est exactement le contraire : elles touchent des personnes exigeantes quant à la qualité de leur travail. Souvent, ce sont même des personnes importantes pour l’équilibre de leurs équipes, dont elles sont le pivot.

On ne peut pas comprendre ces maladies si on se contente d’une seule approche. Je suis psychanalyste. Mais la psychanalyse ne suffit pas pour comprendre pourquoi ce sont les femmes qui ont les emplois ayant un lien avec la saleté, la mort, la vieillesse, l’enfance, la maladie, ni pourquoi à travail égal leur salaire est en moyenne inférieur de 25 % à celui des hommes. Elles seraient masochistes ? Ici la théorie psychanalytique n’a aucun intérêt.

L’argument de la fragilité ne tient pas devant l’ampleur du phénomène. Celui-ci ne touche aucun profil psychique particulier.

Les patients ont-ils une symptomatologie particulière ?

Les patients me sont adressés parce qu’ils sont dans une situation grave, d’urgence, qui a tous les caractères des névroses post-traumatiques : cauchemars nocturnes, reviviscences diurnes, réveils en sursaut, crises d’angoisse par analogie (par exemple, fausse reconnaissance de la voiture du persécuteur), perte de l’élan vital, repli social, sentiment d’incompétence, de culpabilité, etc.

Ces névroses s’expliquent par l’impossibilité de recourir à une des deux voies possibles en cas de traumatisme. Soit l’élaboration psychique, c’est-à-dire réfléchir à la situation et y répondre intellectuellement de manière satisfaisante, soit la fuite sensori-motrice. Celle-ci est interdite au travail : on ne peut pas répondre agressivement à son employeur, on ne peut pas abandonner son travail, sous peine de perdre tous ses droits d’indemnisation. L’autre possibilité suppose de comprendre l’ensemble des processus en jeu, ce qui est très complexe.

Pour vous, le travail est donc constitutif de l’identité personnelle.

Il est central pour sa construction. Le travail d’organisation du monde débute dès la naissance, c’est alors un travail psychique. Il se poursuit à l’école, au foyer, dans les emplois que nous occupons.

Parler de fin du travail ou promouvoir la paresse comme mode de vie est une forme de cynisme qui fait beaucoup de dégâts. Il faut remettre le travail au centre de la vie, le « travailler bien et ensemble ».

D’où vient que l’organisation du travail est pathogène ?

Le travail concrètement effectué ne correspond pas au travail tel qu’il est prescrit par la hiérarchie. Celle-ci suit une logique gestionnaire qui ne tient aucun compte de l’adaptation au réel que tout travailleur doit effectuer. Nous devons tous ruser avec le réel, nous apprenons tous constamment notre métier. Vouloir faire des descriptions exhaustives des tâches à accomplir est un fantasme de toute puissance venant de gens qui croient tout savoir parce qu’ils ont un diplôme de niveau élevé. Mais ils n’ont aucune expérience du terrain.

Leurs méthodes sont nées dans les années 90. Elles utilisent les données des sciences humaines pour accroître la productivité des salariés en jouant sur la pression morale (vouloir bien faire) plutôt que celle de la reconnaissance par les autres. Elles individualisent en cassant les collectifs de travail, suppriment la mémoire des anciennes formes d’organisation en licenciant les seniors, organisent la porosité entre la vie privée et la vie professionnelle et mettent les salariés en concurrence entre eux. Elles tiennent essentiellement par la peur du chômage.

Cela aboutit à une hyperactivité qui touche aujourd’hui tout le monde, y compris les médecins. Une des mes patientes, mise en invalidité pendant 6 mois, a retourné la terre de son jardin tous les jours ; elle ne savait plus s’arrêter. L’hyperactivité fonctionne comme la douleur : quand un seuil est passé, elle s’entretient toute seule, mécaniquement. Pour moi, c’est la pulsion de mort devenue autonome. Les gens ont l’impression qu’ils ne peuvent l’arrêter qu’en se supprimant.

Intervenez-vous sur l’organisation des entreprises ?

Non, je n’ai aucune compétence pour cela, au contraire d’autres professionnels dont c’est le métier. Je peux aider au repérage de la souffrance au travail ou donner un avis au médecin du travail. C’est d’abord lui qui doit s’adresser à l’employeur pour lui signaler les problèmes d’absentéisme, de renouvellement rapide des équipes, d’arrêts maladies, etc, liés à tel service de son entreprise, sans pour cela stigmatiser personne, mais en soulevant les problèmes d’organisation. J’ai aussi donné beaucoup de formations en entreprises, mais je ne suis pas certaine que cela ait été très utile.

Par qui les patients vous sont ils adressés ?

Le plus souvent par le médecin du travail. De toute façon, je ne peux rien faire sans lui, que ce soit pour muter un salarié, aménager le poste de travail ou obtenir un licenciement dans de bonnes conditions. Quand ils me sont adressés par un généraliste, je lui conseille aussi de se mettre en relation avec le médecin du travail.

Les généralistes ont pourtant la réputation de ne pas s’intéresser aux questions du travail.

C’est faux. Ce sont eux qui sont en première ligne, qui dirigent vers les consultations spécialisées comme la mienne et qui prescrivent les arrêts de travail. Ces derniers sont souvent le seul moyen d’éviter une situation qui peut conduire au suicide. La plupart des arrêts sont justifiés, il ne faut surtout pas penser le contraire. Les généralistes font ce qu’ils peuvent avec les outils qu’ils ont : le médicament et l’arrêt-maladie. C’est une des raisons pour lesquelles ils prescrivent beaucoup de psychotropes.

En revanche, ils ont besoin d’être formés, non seulement en clinique, mais aussi pour les démarches médico-administratives, pour gagner du temps et bien aiguiller leurs patients et rédiger leurs certificats sans préjudice. Tout cela est fondamental. Pour cela, avec Christophe Dejours, nous avons créé une formation pluridisciplinaire au CNAM (Conservatoire national des Arts et Métiers) et beaucoup publié dans la presse médicale, en particulier dans la Revue du praticien et le Concours médical, en expliquant les outils que nous avons construits (et qu’ils peuvent retrouver à la fin de mon livre).

J’ai des rapports constants avec des généralistes, comme avec des médecins du travail, des médecins conseils, des médecins de la COTOREP, des médecins inspecteurs, des psychiatres, des psychanalystes et des juristes. Nous travaillons en coordination dans un vaste réseau informel qui couvre toute l’Île de France. Mais cela prend beaucoup de temps, un temps que souvent le généraliste n’a pas.

Serait-ce utile de le formaliser ?

Pas vraiment. Il faut surtout savoir qui fait quoi. Ce qui serait utile serait que les médecins travaillant dans les organismes sociaux restent plus longtemps au même poste pour assurer un suivi efficace et qu’on puisse plus facilement les joindre directement par téléphone plutôt que d’aboutir à un plateau téléphonique anonyme.

Marie Pezé. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. Pearson Education France, 2008. 214 pages. 17 euros.

http://www.carnetsdesante.fr/Peze-Marie



Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés

Résumé

Aux avant-postes de la souffrance au travail, Marie Pezé décrypte ce fléau grandissant de notre société. Un livre coup de poing.

Description

« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail ? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez place sur cette chaise à côté de la mienne. Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut sauver. Il peut tuer aussi. Travail sous contrainte de temps, harcèlement, emploi précaire, déqualification, chômage sont le lot quotidien des patients de la consultation Souffrance et Travail ». MARIE PEZÉ

Ces patients, adressés à Marie Pezé par le médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se ronge pour la sécurité de ses malades au point de sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de se doper au travail pour se sentir « vivant » ; Solange, assistante de direction depuis 15 ans, qui se voit propulsée sur un plateau téléphonique après un congé maladie ; François, juriste d'entreprise, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de travail parce qu'il n'y « arrive pas ». Et tant d'autres... Ce sont eux les « héros » de ce journal qui dresse un constat terrible : les troubles liés au travail s'aggravent et se généralisent ; l'hyperproductivisme est devenu la norme de fonctionnement de toutes les entreprises, fragilisant l'ensemble des salariés.

Au-delà du cri d'alarme, Marie Pezé décrypte les situations et montre que le harcèlement moral et le stress sont loin de constituer des explications suffisantes. Avec ce livre, elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun, victime potentielle ou proche de celle-ci (collaborateur, manager, responsable des Ressources humaines, psychologue, médecin du travail) puisse identifier le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle, ceux que l'on appelle aujourd'hui les « Ressources humaines » sont en danger.

Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés

«I’ve been high, I’ve climbed so high
The light, sometimes it washes over me»
I’ve been High (REM).

Je suis un homme des chemins de traverses, difficile à mettre dans une case et j’ai du mal à y rester. Ado, je n’avais pas de passions particulières, pas d’orientation favorite. Le système a choisi pour moi. Ayant croisé par hasard la route des 1ers PCs, je me suis retrouvé ingénieur informatique et j’ai commencé a faire du développement (OS en col blanc) dans la hi-tech. Pas de quoi se plaindre, un monde dynamique, à la pointe, valorisant, des bons salaires.

Puis mon désir de bougeotte a pris le dessus. Je suis resté dans le même monde et j’ai tour a tour été intégrateur (comprendre OS en cravate chez des clients), avant-vente (comprendre caution technique du vendeur), commercial (un peu), manager, j’ai monté ma propre petite société puis j’ai basculé: directeur financier (et aussi directeur juridique et DRH) de X, une PME française de 60 personnes dans la hi-tech.

Mon cheminement intellectuel s’est fait en parallèle. Je suis issu d’une famille typiquement française (racines paysannes, exode rural puis ascension sociale des baby boomers - mes parents en l’occurrence), raisonnablement conservatrice, qui m’ont élevé dans les valeurs du devoir, de la compétition, du travail, valeurs que j’ai parfaitement intégrées (mon Surmoi, dirait Sigmund) et que je ne renie pas systématiquement (la valeur travail reste pour moi une noble valeur).

J’étais adapté au système, le système m’était adapté. Au fil des années, des failles tectoniques sont apparues, le doute en moi s’est immiscé. Le système auquel j’adhérais pleinement m’est apparu de plus en plus insensé, inhumain, ubuesque. J’étais partie prenante intégrale d’un système auquel je croyais de moins en moins. J’ai commencé à en parler à quelques amis, puis à quelques collègues à la salle café, puis sur Facebook. Il est étonnant de constater le nombre de gens partageant le même sentiment.

Il y a quelques mois, ma société, X, a été rachetée par une société américaine, Y. Pas de gros drames, pas d’énormes charrettes, et j’ai gardé mon poste. J’ai aussi du augmenter encore mon rythme de travail, être connecté en permanence, soir (conf-calls avec le décalage horaire de 9 heures) et week-end, améliorer mon anglais et subir les frustrations et humiliations, bien souvent involontaires mais bien réelles, des collègues du siège social pour qui les français sont des papous avec un os dans le nez (no offense pour les papous) et qui comptaient bien faire valoir le droit du vainqueur (le racheteur). «Winner takes it all», dit-on au pays de l’Oncle Sam (et aussi en Suède avec ABBA).

Mon corps a commencé à émettre des signaux, doucement, puis de plus en plus fort. Je les ai ignorés, j’allais au travail chargé comme Marco Pantani dans la montée de l’Alpe d’Huez (caféine/corticoïdes pour le speed, codéine pour la douleur, Lexomil®/Stilnox® pour redescendre).

Puis mon corps a dit stop, plus possible, arrêt immédiat, moteur cassé, en panne sur la bande d’arrêt d’urgence. Je suis en arrêt maladie. J’ai de la chance, je suis sûrement endommagé mais pas détruit comme tant d’autres…

Je ne sais pas de quoi sera fait mon avenir. Aujourd’hui, je veux juste témoigner et réfléchir sur ce système qui fait payer un si lourd tribut aux individus. Un système où il y a finalement peu de salauds mais beaucoup de saloperies. Comprendre, analyser et espérer.



L'experte de la souffrance au travail « discriminée » puis virée
Par Augustin Scalbert | Rue89 | 22/07/2010 | 13H41

Créatrice de la première consultation sur la souffrance au travail, Marie Pezé est victime de tensions liées à son handicap.

Avec son livre « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés », la psychologue Marie Pezé a contribué à rendre public le problème de la souffrance au travail.

C'est du passé : sa consultation est condamnée depuis qu'elle a reçu, mardi, une lettre de licenciement après des années de bras de fer avec la direction de l'hôpital qui l'employait.

Son histoire est d'une ironie confondante : alors qu'elle reçoit des salariés en souffrance au Centre d'accueil et de soins hospitaliers (Cash) de Nanterre (Hauts-de-Seine), Marie Pezé est licenciée après avoir tenté, en vain, d'obtenir des aménagements de son poste de travail, qui la faisait souffrir.

Psychanalyste et docteur en psychologie, Marie Pezé a créé sa consultation, la première de France, en 1997. Elle est handicapée à 80%, un handicap physique qu'elle nous demande de ne pas évoquer. « La première fiche de la médecine du travail date de 1999 », raconte-t-elle. « Il y en a eu trois au total. A chaque fois, mon cas s'était aggravé. »

L'hôpital ne réalise pas les aménagements demandés

Voici par exemple ce que préconise en 2003 un médecin du travail qui la déclare « apte sur poste aménagé » :

* « pas de port de charges,
* aide à la gestion des dossiers, courriers et photocopies,
* déplacements limités : aide, vestiaire à proximité,
* pas de gestes fins et répétés : dictaphone pour courrier, utilisation d'oreillette téléphonique,
* secrétariat aidant. »

Mais la direction du Cash n'effectue pas les aménagements demandés par la médecine du travail pour ce poste à mi-temps. Marie Pezé est souvent en arrêt maladie. Quand elle exerce -sa consultation accueille 900 patients par an, dont un tiers travaillent dans le même hôpital qu'elle-, ses patients la voient répondre au téléphone, faire des photocopies, porter des dossiers…

Outre ses patients, des magistrats, des médecins du travail ou des psychologues constatent aussi ses conditions d'exercice : pour obtenir le certificat de spécialisation en psychopathologie du travail, dont Marie Pezé est responsable pédagogique, ils assistent à ses consultations.

Des journalistes et des parlementaires la sollicitent

Des élus, des documentaristes ou des personnalités diverses, intéressés par les pathologies que la psychologue a contribué à mettre en lumière, viennent aussi, avec l'accord des patients.

L'automne dernier, le journaliste Jean-Robert Vialet l'interroge dans sa très belle série documentaire sur France 2, « La Mise à mort du travail », qui obtient le prix Albert-Londres 2010. Les députés UMP auditionnent Marie Pezé dans une commission parlementaire et l'interrogent pour leur site Lasouffranceautravail.fr.

Mais au Cash, seuls les médecins ont droit à un secrétariat et à une imprimante dans leur bureau. Marie Pezé, malgré son handicap, doit aller au bout du couloir, et porter ses dossiers elle-même : quoique docteur, elle n'est pas médecin.

Début 2009, une psychologue du travail qui recevait les employés de l'hôpital (1 500 fonctionnaires, médecins et contractuels) s'en va. Elle n'est pas remplacée avant 18 mois.

« Depuis son départ, j'ai récupéré les salariés qu'elle prenait en charge », raconte Marie Pezé.

Le Cash doit faire des économies

Le 7 avril 2010, elle écrit au directeur de l'hôpital pour, une fois de plus, lui « faire mesurer la nécessité de recruter rapidement un psychologue du travail en remplacement » de la précédente. Deux pages de rappel à la loi et de détails, dont ceux-ci :

« Les agents du Cash sont, du fait même de la population prise en charge par l'institution, confrontés à des situations de violence qu'il ne faut pas banaliser : incendies avec morts, crimes, tentatives de meurtre, viols, coups et blessures, injures, insultes, provocations, incivilités… »

Le directeur, nommé un an plus tôt avec mission de faire des économies, répond le jour-même :

« Madame,

Vous avez oublié parmi les destinataires le premier président de la Cour des comptes. Cette noble institution pense qu'il y a aussi des efforts à faire dans les hôpitaux en matière de gestion. »

Marie Pezé n'est donc pas la seule à souffrir des restrictions budgétaires.

Le 16 juin 2010, un médecin du travail la déclare « inapte définitive ». « Inapte à mon poste, pas à mon travail », dit la psychologue.

« Je faisais le même tableau clinique que mes patients »

La direction du Cash ne communique pas sur le licenciement de Marie Pezé. C'est l'avocate de l'hôpital, Me Anne-Françoise Abecassis, qui s'en charge :

« Mme Pezé a été licenciée en raison d'une inaptitude physique constatée par le médecin du travail. Elle ne souhaitait pas être reclassée. Au contraire, elle a clairement exprimé qu'elle attendait ce licenciement. Les écrits en témoignent. »

Pour des raisons juridiques, Marie Pezé refuse de commenter les propos de l'avocate. Simple réponse :

« Je faisais le même tableau clinique que mes patients. »

A propos des demandes d'aménagement du poste de travail de Marie Pezé, que l'hôpital était légalement dans l'obligation d'effectuer, l'avocate botte en touche :

« Je ne connais pas l'historique de ce dossier, j'en ai été saisie très récemment. Mais elle a refusé un autre bureau, car elle voulait un environnement très immédiatement médicalisé. »

Marie Pezé répond qu'elle reçoit des patients « qui font des poussées d'hypertension et des malaises ».

La direction : « C'est une perte pour l'établissement »

Ils iront désormais les faire ailleurs, puisque Me Abecassis confirme que la consultation de Marie Pezé, qui a la particularité d'être psychologue clinicienne, sera supprimée :

« Mais tout le monde s'accorde à dire que c'est une perte pour l'établissement. »

L'avocate rappelle que la psychologue « a exprimé qu'elle est très fatiguée physiquement, psychiquement » et ajoute, énigmatique, qu'elle n'a pas envie d'en dire plus que ce que Marie Pezé dit elle-même sur son état.

La psychologue, renvoyée à un an et demi de la retraite, perd du même coup tous les emplois afférents : ses fonctions de responsable pédagogique, d'experte devant les tribunaux, et d'enseignante à l'université.

Elle s'apprête à déposer plainte contre l'hôpital. Ses avocats réfléchissent au motif : « Harcèlement » ? « Discrimination au handicap » ?



Souffrance au travail : appel aux questions à Marie Pezé
Par Sophie Verney-Caillat | Rue89 | 24/09/2008

Un livre dont on ne sort pas indemne. Vendredi matin, Rue89 va interviewer, avec vos questions, Marie Pezé, psychologue dans la première consultation « Souffrance et travail » en France. Elle vient de publier « Ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés ».

Un documentaire du même nom, sorti en salle en 2006, avait permis au public de jeter un œil dans cette consultation si particulière, où se lisent les maux de notre société. Là, accompagnés d'une professionnelle dotée d'une écriture précise, à la fois ultra sensible et médicale, on entre dans le psychisme d'Agathe, aide-soignante paranoïaque ; de Serge, qui cherche dans son travail à se « sentir vivant » ; de Solange, secrétaire martyrisée par un chef qui lui fait coller les timbres à 4 mm du bord ; de Fatima, femme de ménage illettrée devenue poète…

Au-delà de ces destins personnels, ce livre révèle à quel point « le travail nous confronte à nous-mêmes », « pour le meilleur, dans l'espoir d'élargir et d'enrichir notre savoir, nos compétences, notre contact au monde », mais « pour le pire quand le travail est vide de sens, quand il contraint nos corps, quand il verrouille notre fonctionnement mental ».

Voici brièvement les idées fortes du livre, qui vous permettront de lui poser des questions :

* Le travail définit l'identité : « Travailler n'est pas seulement produire, mais se travailler soi-même. Le sujet qui affronte authentiquement le travail accepte de se faire habiter tout entier par lui. Chacun des patients présentés dans ce livre investissait son travail, avec énergie et endurance, dans une forte résonance symbolique. (…) La mise en échec au regard des exigences que nous avons de nous-même fait chavirer l'estime de soi. Alors, on s'accuse d'impuissance, on est habité par des sentiments de honte et d'indignité. L'idée du suicide comme seule délivrance peut ainsi se profiler ».

Et pourtant, travailler engage bien plus que notre intellect. Pour l'ouvrier qui « danse » sur son échafaudage comme pour le chirurgien admirant le moiré du tendon qu'il suture, pour la caissière qui vous reconnaît et donc vous sourit vraiment, pour la psychanalyste qui perçoit l'angoisse de son patient avec tout son corps, travailler implique de convoquer corps organique et corps érotique. »

* L'impossibilité de démissionner aggrave les cas : les salariés en souffrance sont dans l'impasse. Ils ne peuvent démissionner, sous peine de perdre tous leurs droits sociaux. Ainsi, il faut tenir coûte que coûte ; parce que le salaire tombe à la fin du mois. Seul l'arrêt maladie est capable d'alerter les médecins et l'entreprise elle-même sur le fait que quelque chose ne va pas. D'arrêt maladie en incapacité de travail, les plus en peine finissent pas être pris en charge par la Sécurité sociale, alors qu'une possibilité de s'octroyer une pause avant de craquer aurait pu éviter la chute.

* La peur comme mode de management : une « idéologie manageriale » s'est propagée dans le monde de l'entreprise, note Marie Pezé. A force d'objectifs chiffrés, pas toujours compréhensibles par les salariés, d'injonctions paradoxales venant d'une hiérarchie autoritaire, les plus faibles plongent dans le stress, la dépression, et finissent par craquer.

* La mise en cause de l'organisation du travail : l'auteur cite l'exemple d'un boucher, dont le métier s'appuie sur des compétences dans la coupe, l'anatomie animale et le geste de travail. Or ce boucher employé dans une cuisine industrielle « a subi une modification de ses conditions de travail, une organisation rationalisée, taylorisée, chaque tâche est séquencée, morcelée (…)et le travail se résume à une simple manutention nécessitant aucune compétence particulière ».

* La spécificité des femmes : beaucoup des patients de Marie Pezé sont des patientes, victimes de machisme, voire considérées comme des objets sexuels par leur hiérarchie. Pire encore est leur sort si elles sont divorcées avec des enfants à charge, noyées sous les contingences et la précarité.

* Les ressources humaines sont en danger, crie Marie Pezé, en épilogue. « Certes les consultations Souffrance et Travail se sont multipliées (plus d'une quinzaine aujourd'hui). Mais sans financement, toujours grâce à des initiatives locales (…). A qui demander conseil ? Vers qui se tourner quand l'exécution du geste de travail devient difficile ? » La question reste largement sans réponse. Certes la justice entend maintenant le préjudice de harcèlement, et peut obliger les fautifs à réparer. « Mais quelle réparation possible pour un emploi perdu. Pour l'atteinte à la santé mentale et/ou physique ? pour la perte du sens du travail ? » et « quelle place pour la prévention ? » interroge l'auteur.

Ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés par Marie Pezé - Editions Pearson - 17€.



« Travailler à en mourir » enquête sur l'entreprise d'aujourd'hui
Par Hubert Artus | Rue89 | 26/10/2009

« Le suicide s'attrape-t-il comme la grippe ? », s'interrogeait récemment Guillemette Faure, présentant le livre « Point de bascule » de l'Américain Malcolm Gladwell. « Travailler à en mourir », paru juste au lendemain de la découverte d'un 25e suicide à France Telecom depuis février 2008, est un ouvrage qui fait la jonction entre Gladwell et « Capitalisme et pulsion de mort », de l'économiste Bernard Maris, paru en janvier dernier.

L'ouvrage est en fait né de « Travailler à en mourir », un documentaire de Paul Moreira (ancien rédacteur en chef de l'émission « 90 Minutes » sur Canal) diffusé dans la case « Infrarouge » sur France 2. Un succès d'audience inattendu sur cette tranche horaire tardive.

Paul Moreira a alors voulu faire « un objet qui dure, un livre ». Il a rencontré le journaliste et romancier Hubert Prolongeau, auteur de nombreux documents et témoignages (on lira le très subtil « Sans domicile fixe » ou encore « Victoire sur l'excision », prix France Télévisions 2006). Ensemble, ils ont prolongé le travail d'enquête.

« Travailler à en mourir » est un livre de journalistes : il répond à un phénomène (vague de suicides) par des histoires et par des exemples. C'est surtout un livre qui tombe bien : ses approches (« harcèlement institutionnel », culpabilité, suicide, silence des chefs de service, deuil des familles) sont assez sobres pour être extrêmement parlantes en période de crise. (Voir la vidéo)

Trois catégories de travailleurs

L'ouvrage est bâti en trois parties. « La mort frôlée », avec un exemple unique. Une banque. La Banque de l'Ain, une filiale du CIC, à travers le cas de deux conseillers locaux.

Lorsque le CIC fusionne avec le Crédit mutuel en 1999, on exige de ces conseillers des objectifs inatteignables. Les types n'ont plus de vie. Sauvés de justesse du geste fatal, ils sont néanmoins « inaptes au travail ». Pas un bien, juste un moins pire.

« La mort choisie » est évidemment la partie la plus longue. Centrée autour du Technocentre Renault de Guyancourt, elle retrace les conditions dans lesquelles se sont suicidés sur leur lieu de travail Antonio B. (octobre 2006), Hervé T. (janvier 2007) et Raymond D. (février 2007).

L'enquête des deux auteurs y fut compliquée, mais ils sont parvenus à retracer le fil de trois destins en rencontrant familles, collègues et supérieurs (les fameux « N+1, N+2, des sigles qui en disent long sur le tabou de l'enquête et sur la dématérialisation de l'objet même du travail et de la production). Où l'on s'aperçoit que, parfois, les responsables hiérarchiques des prévenus sont ceux qui parlent le plus vrai.

Une partie où un homme est pointé clairement : “ Cost Killer ”, le patron de Renault Carlos Ghosn, et surtout son “ contrat 2009 ” (doubler la gamme de modèles, vendre plus, sans embaucher). Un modèle économique pour certains. Pour d'autres un modèle de pression psychologique. Qui peut mener au suicide.

“ La mort imposée ”, enfin, où l'on arrive sur le terrain de la sidérurgie. Et d'Arcelor-Mittal. Un pays où le CDI n'est même plus envisageable, et où on transforme “ le salarié en sous-traitant ”. L'homme, ici, est nié. Trois parties distinctes. Trois catégories de travailleurs parmi d'autres. (Voir la vidéo)

Etat des lieux

Alors que, lundi dernier, la veuve d'Antionio B. était devant le Tribunal de la Sécurité Sociale à Nanterre pour faire qualifier le suicide de son défunt mari en accident du travail (délibéré au 14 décembre), ce livre allie témoignages et mises en perspective de la déshumanisation du travail à l'heure où la valeur travail se raréfie et que l'on ne sait plus pour qui on travaille (voir vidéo).

Il décrypte un système et une mécanique qui ont mené des hommes à la mort. Qui plonge dans le monde du silence : l'entreprise, aujourd'hui. Le mérite des auteurs est d'avoir exhumé, en partant du phénomène de la mort, ce qui peut s'en verbaliser, s'en socialiser.

La mort (accident ou suicide) sur le lieu de travail est un phénomène sur lequel on n'a quasi pas de chiffres. Dans le livre, les auteurs avancent qu'il “n'existe pas d'étude nationale sur le sujet. La seule que nous possédions est régionale, elle date de 2003 avec les réponses de 190 médecins du travail en Basse-Normandie”.

De l'avis de nombreux chercheurs, médecins, etc, le chiffre réel des suicides au travail est très largement supérieur à une personne par jour. (Voir la vidéo)

“Travailler à en mourir” est, comme le dit Prolongeau “l'histoire de gens qui se sont dit ‘Ma vie c'est le travail’, et pour qui le travail a été la mort”, un livre d'époque. A relire avec “Capitalisme et pulsion de mort”.

Travailler à en mourir – Quand le monde de l'entreprise mène au suicide de Paul Moreira et Hubert Prolongeau (Flammarion, Coll. EnQuête, 240 pp., 20€)



Mal-être au travail: une mission sénatoriale rend un rapport préoccupant
De Cécile AZZARO (AFP) – 7 juil. 2010

PARIS — Après des suicides de salariés dans plusieurs entreprises, la mission d'information sénatoriale sur le mal-être au travail a rendu mercredi un "diagnostic préoccupant", accompagné d'une série de propositions pour améliorer le management, la médecine du travail et le Code du travail.

"A l'évidence, le mal-être au travail progresse dans notre pays. Il touche tous les secteurs d'activités, les employés comme les cadres, sans oublier les chefs d'entreprises", a souligné le sénateur Gérard Dériot (UMP), rapporteur de la mission d'information, lors d'une conférence de presse.

La mission d'information s'est constituée en octobre 2009, au moment où France Télécom affrontait une série de suicides de salariés, très médiatisés. Composée de 19 membres issus de tous les groupes parlementaires, elle a mené au total 36 auditions (syndicats, patronat, DRH, psychologues, sociologues, etc) ou tables rondes, a expliqué son président le sénateur PS Jean-Pierre Godefroy.

Elle s'est déplacée aussi sur le terrain: au technocentre de Renault à Guyancourt, où trois salariés se sont donnés la mort entre fin 2006 et début 2007, et dans un centre d'appels de France Télécom, qui est, selon M. Godefroy, "devenu pour beaucoup de Français le symbole du mal-être au travail", après 35 suicides de salariés en 2008 et 2009.

Se basant sur plusieurs études, la mission a présenté "un diagnostic préoccupant", rappelant notamment qu'un salarié sur cinq se plaint de devoir gérer une charge de travail excessive, et que 30% déclarent être victimes d'agressions verbales ou souffrir de conflits de valeurs.

Les causes de ce mal-être sont "à rechercher dans les mutations du monde du travail", a expliqué M. Deriot, citant "la recherche de la performance à tout prix", "l'isolement croissant des salariés" et "la perte de sens du travail", aggravées par "le stress des transports" dans les grandes agglomérations et la "double journée" des femmes.

Dans son rapport, la mission d'information préconise de mieux former les managers à la "gestion d'équipe" et de "les doter d'un socle minimum de connaissances sur la relation entre santé et travail", encore "peu étudiée dans les grandes écoles".

Plus concrètement, elle propose qu'"une part de la rémunération variable des managers dépendent d'indicateurs sociaux et de santé au travail", comme le nombre de suicides, d'accidents du travail, etc.

Une telle démarche est déjà en vigueur dans certaines entreprises, comme le groupe Danone, a expliqué M. Godefroy.

France Télécom va aussi mettre en place un tel dispositif: une partie de la part variable des 1.O00 cadres dirigeants sera basée sur les résultats d'un "baromètre social", réalisé auprès des salariés par un organisme extérieur.

Le Code du travail impose déjà à l'employeur de protéger la santé physique et mentale du salarié, mais "en terme très généraux", souligne la mission, qui propose d'affirmer clairement que "la charge psychosociale du poste de travail" fait partie des risques que l'employeur a l'obligation d'évaluer.

Elle suggère aussi de renforcer la médecine du travail, actuellement trop "peu attractive", et les Comités hygiène sécurité et conditions de travail (CHSCT), dont les membres devraient être élus, selon elle, directement par les salariés afin "d'ouvrir le débat dans l'entreprise sur la santé et la sécurité au travail".

Enfin, en matière de réparation des préjudices causés par la souffrance au travail, la mission propose que le stress post-traumatique, consécutif à un accident ou une agression, soit intégré dans le tableau des maladies professionnelles qui peuvent être indemnisées.



Génération « information – addiction » & pathologies associées


by Carole Blancot

Parfois je me demande comment font les autres !

Dorment-ils aussi avec leur smartphone a proximité pour ne pas laisser passer THE information à traiter sans délai, LE mail auquel répondre immédiatement ? Vérifient-ils également d’une main fébrile la présence de leur téléphone dans leur sac ou dans leur poche si celui-ci n’a pas sonné ou vibré les 15 dernières minutes ? Ont-ils 3 bouquins inachevés dont la lecture est sans cesse interrompue ? Leur sacoche contient-elle chaque jour une dizaine d’articles à lire pour décider si oui ou non ceux-ci mériteront un traitement particulier ? Reçoivent-ils comme c’est mon cas 200 mails en moyenne par jour, 10 DM (directs messages) sur twitter, 15 messages en moyenne par jour par Viadeo et 8 sur LinkedIn ? Traitent-ils 4 appels téléphoniques entrants en moyenne ? Entretiennent-ils activement en complément de leur activité professionnelle 4 réseaux et 3 communautés qui drainent à elles-seules plusieurs centaines d’inputs quotidiens ?

Je ne parle même pas de la vingtaine d’outils informatiques maniés chaque jour pour une tâche différente et à laquelle on se connecte avec un mot de passe particulier. (En ce qui me concerne, mon capital ‘where & what’ caractérisant mon identité numérique recelle pas moins de 150 url pour 15 mots de passe différents) [Et après on s'étonne que je n'ai pas la télévision ! Mais quand donc voulez-vous que je la regarde. Je la regarderai sur iPad, voilà tout...]

Quand je lis ce qui suit, j’obtiens les premières réponses à mes questions… Et puis récemment, tandis que j’étais réveillée à 5h du matin, j’ai compris que certains, dont l’expertise et l’activité principale ont trait au Social Media, ont effectivement pour habitude de poster « Bonjour à tous » sur Twitter à cette heure si matinale. Il n’y a pas d’heure pour les relations virtuelles !

Génération d’addictions

Entre les wagons de mails, les tonnes de coups de fils, les monticules de dossiers, les sollicitations par messages instantanés, le « trop-plein » n’est pas loin. « Chaque salarié doit traiter dix à quinze fois plus d’informations aujourd’hui qu’au début des années 2000, » estime Jean-Pierre Testa, responsable de l’offre management des équipes à la Cegos. Dans le même temps, la sacro-sainte secrétaire qui filtrait, classait, organisait… – bref, permettait au manager de ne pas se laisser submerger – est en voie de disparition dans les entreprises. « Il faut trouver le subtil équilibre entre la nécessité d’être informé pour assurer une veille technologique ou le suivi de ses clients et celle de ne pas être noyé par l’information », prévient Loïc Lebigre, responsable emploi et formation à l’ADBS, association des professionnels de l’information.

Source

« Chaque semaine, je fais hospitaliser 2 ou 3 cadres noyés sous l’information »

Submergés par les mails, joignables à tout moment… les cadres sont constamment sous pression. « La profusion d’informations va au-delà de ce que peut supporter le corps humain », alerte Marie Pezé, docteur en psychologie et responsable de la consultation « souffrance au travail » à l’hôpital de Nanterre.

Capital.fr : Pourquoi le trop-plein d’informations est-il source de stress, voire de souffrances ?

Marie Pezé : Les nouvelles technologies de l’information ont un impact évident sur notre façon de travailler : il faut répondre dans l’instant, prendre des décisions au quart de tour. On ne peut plus s’organiser, ni prioriser ses tâches pour donner un sens à son travail. La boîte mail ou les sites de microblogging comme Twitter en sont les meilleures illustrations. Devenue le tonneau des Danaïdes, elle se remplit sans fin et à toute vitesse, ce qui finit par user très vite nos capacités cognitives. Le fonctionnement logique de notre cerveau change : notre concentration se fractionne, nous avons tendance à raisonner de plus en plus en mots-clés.

Capital.fr : Pourtant, cette course à la réactivité semble inéluctable…

Marie Pezé : On demande au manager de gérer et digérer toujours plus d’informations, d’être joignable 24h sur 24, donc de devenir un athlète de la quantité. Mais l’homme n’est pas une machine. Ces exigences dépassent ce que le corps humain peut supporter. La rétine de l’œil, par exemple, ne devrait pas lire 400 mails par jour, et pourtant ce seuil est souvent dépassé.

Capital.fr : Comment les managers font-ils face à cette surcharge d’informations ?

Marie Pezé : Très mal pour certains. Chaque semaine, je fais hospitaliser deux ou trois cadres en urgence dans un service psychiatrique pendant huit jours. C’est la solution pour qu’ils réussissent à déconnecter complètement, je leur confisque ordinateur et téléphone portable. C’est très efficace ! Ils sont souvent tétanisés car ils savent qu’ils laisseront passer des informations importantes et qu’ils risquent d’être pénalisés dans leur travail. Mais lorsqu’ils viennent me voir, c’est que leur surcharge de travail a dépassé la limite du supportable.

Capital.fr : Quels symptômes doivent nous alerter ?

Marie Pezé : Les pathologies de surcharge de travail se manifestent de différentes façons : irritabilité, troubles du sommeil, troubles alimentaires, perte d’acuité visuelle, problèmes de concentration, oublis (clés de voiture, numéro de carte bleue ou de sécurité sociale). Ne plus dire bonjour, au revoir, merci dans ses emails est tout aussi révélateur. Le manager est tellement obsédé par la masse d’informations qu’il doit encore traiter, qu’il en oublie les civilités de base. Lorsque le corps nous envoie ces signaux, il faut en parler à son médecin traitant. Sinon le risque de débordement est réel : agression des collègues, burn-out, voire suicide.

Source : www.capital.fr/ Propos de Marie Pezé recueillis par Arnaud Normand (12/05/2010).



Marie Pezé : au chevet du travail

LE MONDE | 15.09.08 Mis à jour le 17.09.09

Son bureau est bourré de dynamite. "J'ai de quoi faire sauter toutes les entreprises françaises", prévient-elle. Boutade, évidemment, mais il y a bel et bien de la matière explosive derrière les portes de son armoire métallique. Des dizaines de dossiers sur des femmes et des hommes essorés par le boulot : secrétaires harcelées, ouvrières soumises à des cadences infernales, cadres rongés par des pulsions suicidaires... Déballés sur la place publique, ces récits feraient voler en éclats la réputation de nombreux groupes.

Parcours
1951
Naissance à Cannes (Alpes-Maritimes).
1973
Commence à travailler à l'hôpital de Nanterre.
1980
Soutenance de sa thèse.
1997
Ouverture de la consultation "souffrance et travail".
2007
Nommée expert près la cour d'appel de Versailles.
2008
Sortie d' "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés".
Sur le même sujet
Après qu'une nouvelle tentative de suicide d'un salarié de France Télécom a relancé le débat sur les conséquences du stress au travail, la direction a annoncé le gel des mutations forcées de salariés jusqu'au 31 octobre et l'ouverture de négociations en vue d'un accord national sur ce sujet.



Témoignages France Télécom : "Des humiliations quotidiennes"

Zoom Comment Renault a fait face aux suicides au technocentre de Guyancourt


Edition abonnés Archive : Danièle Linhart : "Certains ne savent littéralement plus où ils sont"

Mais Marie Pezé ne cherche pas à jouer aux poseurs de bombe. Elle écoute les victimes de l'horreur économique et les aide à se remettre debout. Au centre d'accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre, elle dirige une consultation, "souffrance et travail", qu'elle a ouverte en 1997. C'était une première en France, à l'époque.

Chaque année, Marie Pezé reçoit environ 900 personnes. De ces rencontres, la psychanalyste et docteur en psychologie a tiré un livre terrible, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés (Village mondial, 214 p., 17 euros). Son titre est le même que celui du documentaire de Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau, sorti en salle en 2006. Le film présente plusieurs entretiens entre salariés et cliniciens enregistrés dans des consultations spécialisées - dont celle du CASH de Nanterre.

Dès les premières lignes, Marie Pezé met en garde le lecteur : "Vous n'en sortirez pas indemne." Elle a raison. Page après page, elle décrit une "orgie de violence sociale". Il y a Carole, secrétaire sous les ordres d'un chef obsessionnel, qui exige que les timbres soient collés à quatre millimètres du bord de l'enveloppe. Ou Eliane, délogée de son poste d'assistante après un congé-maternité, qui se "débat" pour retrouver sa place. Malgré tous ses efforts, la DRH refuse de lui accorder la moindre promotion. Sous le choc, Eliane fait un malaise à la sortie de son entreprise ; le SAMU ne parviendra pas à la réanimer...

Difficile à croire. Et difficile de s'en remettre. D'ailleurs, Marie Pezé ne s'en est pas remise. Face à toutes ces situations d'urgence, son corps a réagi : perte de l'usage du bras droit, effacement du goût et de l'odorat... Une longue dégringolade "dans le trou noir de la décompensation". Pour retrouver la sensibilité de ses doigts, elle a pétri de la terre. De cet exercice sont, peu à peu, sorties des représentations de corps torturés par la douleur. Ceux qui la connaissent bien parlent avec admiration des "visages" qu'elle a façonnés.

Aujourd'hui, Marie Pezé va beaucoup mieux. Mais elle a toujours au fond de sa poche un petit boîtier transparent rempli de comprimés oblongs. Une prise "toutes les trois heures", soupire-t-elle, avant de faire passer la pilule avec un verre d'eau.

Au départ, rien n'indiquait que cette femme au beau visage, éclairé par deux yeux bleu myosotis, s'intéresserait, un jour, aux éclopés du "productivisme". Sa carrière a démarré fin 1973 au CASH de Nanterre, dans le service d'un chirurgien de la main. Pendant des années, elle a accompagné des personnes victimes de lésions. Puis des patients d'un nouveau type ont débarqué à partir des années 1990 : des caissières, des employées de crèche qui se plaignaient de douleurs aux bras, à la nuque, etc. "Je ne comprenais pas ce qui se passait, il me manquait des concepts", raconte-t-elle. Elle se plonge dans les livres de Christophe Dejours, qui occupe alors la chaire de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). "Ce fut une illumination."

Marie Pezé réalise que l'organisation du travail peut être "pathogène". Au-delà de quelques hiérarques retors sévissant ici et là, le fond du problème, selon elle, se situe dans "l'idéologie managériale" qui se propage dans le monde de l'entreprise. Les salariés sont de plus en plus seuls et assujettis à des objectifs qu'ils ne peuvent pas atteindre, souligne-t-elle.

Progressivement, la consultation qu'elle assurait au CASH de Nanterre se réoriente vers les pathologies du travail. "J'ai pris la tangente", résume-t-elle. Un peu comme sa grand-mère, bergère dans un village troglodyte du Piémont italien, qui décida d'émigrer vers la France, à l'âge de 20 ans, avec quatre enfants sous le bras. La famille s'installe dans la région de Cannes. De condition modeste, le père et la mère de Marie Pezé furent longtemps employés comme domestiques dans une riche propriété.

Leur fille cadette est montée à Paris pour poursuivre ses études. En 1980, elle soutient sa thèse de doctorat, sur l'Approche psychosomatique des lésions en chirurgie de la main. Un savoir aussi pointu pourrait servir à épater la galerie, tenir à distance. Marie Pezé témoigne, au contraire, d'une qualité d'écoute qui frappe ses interlocuteurs - amis, relations de travail ou patients. "Elle est posée, calme, toujours disponible, patiente", énumère une ancienne salariée de l'industrie chimique, suivie à Nanterre pendant près de deux ans.

Dans sa pratique quotidienne, Marie Pezé a tricoté un réseau avec toutes sortes de partenaires : inspecteur du travail, médecin traitant, caisse primaire d'assurance-maladie... Ce "travail de lien" évite à des salariés en souffrance d'être ballottés d'un service à un autre. Pour enrichir sa réflexion sur la prise en charge des patients, elle s'implique dans un petit groupe informel qui réunit divers spécialistes : avocat, médecin du travail, etc. Aujourd'hui, une vingtaine de consultations existent en France, calquées, peu ou prou, sur le modèle de la structure fondée à Nanterre. Marie Pezé a ouvert une voie.

"Ce qu'elle fait est très original mais son discours sur l'organisation du travail est un peu taillé à la serpe. Elle se situe dans une dénonciation qui n'aide pas les acteurs à modifier leurs pratiques", juge Damien Cru, professeur associé d'ergonomie à l'Institut des sciences et techniques de l'ingénieur d'Angers (Istia).

La psychanalyste n'hésite pas à prendre position sur certaines politiques publiques. Rendu en mars, le rapport de Patrick Légeron, psychiatre, et de Philippe Nasse, vice-président du Conseil de la concurrence, préconise la construction d'un "indicateur global" sur le stress professionnel. Une idée reprise par le gouvernement. "Le chiffrage, la quantification vont lisser encore la compréhension de la situation", craint-elle.

Mais l'important n'est sans doute pas là pour les patients de Marie Pezé. Bon nombre d'entre eux préfèrent exprimer leur reconnaissance. "Elle m'a rendu à ma féminité, assure Fatima Elayoubi. Elle a réparé mon âme." Proche de la soixantaine, une femme, qui ne souhaite pas dévoiler son identité, confie : "Je lui dois la vie."

Bertrand Bissuel

http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/09/15/marie-peze-au-chevet-du-travail_1095340_3224.html



Suicides au travail : le cri d’alarme d’une psy

Au moins une personne par jour se suicide à cause de son travail, c’est le diagnostic que porte la psychologue Marie Pezé. Si rien n’est fait, elle prédit une augmentation du fléau.

HÉLÈNE BRY 30.03.2010

Marie Pezé est une pionnière. Docteur en psychologie, psychanalyste et expert judiciaire, elle a fondé en 1997 la première consultation « souffrance et travail » en France, à l’hôpital Max Fourestier de Nanterre (Hauts-de- Seine). Treize ans, donc, qu’elle sert de bouée de sauvetage aux salariés à la dérive, déboussolés par les humiliations quotidiennes du petit chef, la pression de la productivité.

L’auteure d’« Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés » (2008, Pearson) lance un cri d’alarme sur le risque imminent de suicide de nombreux salariés.

Souffre-t-on davantage au travail aujourd’hui qu’il y a dix ans ?

MARIE PEZÉ. Incontestablement, oui. Il y a une aggravation évidente de l’état psychique des salariés. Il y a treize ans, les gens arrivaient en dépression, ou souffrant de stress posttraumatique. Aujourd’hui, il y en a de plus en plus qui atterrissent dans mon bureau en crise psychique aiguë. Leur discours, c’est « Soit je me tue, soit je le tue » (sous-entendu « mon patron, mon supérieur »). Ces cas extrêmes, qui me sont envoyés par les médecins du travail, sont devenus courants. Ils aboutissent à deux ou trois hospitalisations psychiatriques par semaine...

Comment gérez-vous cette urgence ?

Difficilement... Avant, quand un salarié allait mal, on savait qu’il allait mettre quelques mois à s’en remettre. Aujourd’hui, on est souvent dos au mur en termes de prise en charge : on sait qu’il faut faire très vite, sinon ils vont passer à l’acte. Je pense qu’il y a aujourd’hui en France environ un suicide par jour à cause du travail.

Mais qu’est-ce qui fait tant souffrir ces salariés ? Y a-t-il un mal typiquement français ?

Ils disent qu’ils travaillent tous à flux tendu, avec des horaires effrénés. On voit des gens très abîmés, qui ont l’impression de faire du sale boulot, notamment dans les hôpitaux où beaucoup évoquent une augmentation des erreurs médicales. Beaucoup de médecins libéraux sont très mal aussi. Ils subissent beaucoup de contraintes, notamment dans le contrôle de leurs actes.

Les lois qui punissent le harcèlement sont de plus en plus sévères. Est-on en train de venir à bout de ce fléau ?

Non, pas du tout. Des lois existent et l’existence du harcèlement managérial est désormais reconnue par la Cour de cassation... Mais à l’inverse, il existe des stages, des guides de management interne dans les entreprises qui sont très élaborés, et très pervers. Evidemment, il n’est jamais dit clairement : « On va vous apprendre à maltraiter vos salariés. » Mais on apprend aux chefs à mettre quelqu’un en invisibilité, à l’effacer de l’organigramme, à l’enlever du papier à en-tête. On lui reproche de ne pas être venu à une réunion, on ne communique plus avec lui que par mail. Pire : on ne lui donne plus rien à faire... Les gens vivent une situation de mise au ban qui les détruit. Ils finissent par tomber gravement malades. Ensuite, pour nous, la prise en charge est complexe. On commence par les arrêter deux ou trois mois, puis on réfléchit à la suite, avec les médecins, les magistrats, les avocats, les kinés...

Concrètement, que conseillez-vous aux personnes qui vont mal aujourd’hui ?

De se faire aider. Il existe 30 consultations « souffrances et travail » et une cinquantaine de services hospitaliers spécialisés*. Et il ne faut pas hésiter à aller voir le médecin du travail. Les gens ne doivent pas avoir peur qu’il « parle » : il est soumis au serment d’Hippocrate, au secret professionnel. Il ne peut pas prescrire, mais il oriente le salarié vers les bonnes personnes.

http://www.leparisien.fr/abo-vivremieux/suicides-au-travail-le-cri-d-alarme-d-une-psy-30-03-2010-867838.php



Femmes au travail, la double peine : une tribune de Marie Pezé
Le 18 décembre 2009

LE FIL IDéES - Souffrance au travail, suite. Cette semaine étaient rendues deux études, l’une émanant du cabinet Technologia, l’autre de la commission Copé, qui s’intéressaient aux salariés de France Télécom. Leur constat est accablant. Marie Pezé, psychologue, créatrice de la première consultation sur la souffrance au travail, que nous avons déjà largement mise à contribution sur ce thème ici, faisait partie de cette commission. Elle publie une tribune sur la condition particulière des femmes, que nous reproduisons ici.

Marie Pezé : “On a commencé à voir des cas de suicides liés au travail à partir de 2002-2003” | 28 octobre 2009

Hasard du calendrier, le cabinet Technologia a rendu en début de semaine les premiers résultats de son enquête menée auprès des 102 000 salariés de France Télécom tandis que Jean-François Copé remettait hier le rapport de la Commission sur la souffrance au travail qu'il avait mis sur pied en octobre suite aux nombreux suicides à France Télécom. Conclusion : à France Télécom comme ailleurs, il y a du boulot pour améliorer les conditions de travail. « Ressenti général très dégradé, fragilisation de la santé physique et mentale de certains salariés, grande défaillance du management, ambiance de travail tendue, voire violente », explique Technologia. « Situation du travail très dégradée, management souvent inadapté et démuni, déshumanisation du monde du travail, peur du déclassement », répond en écho le rapport Copé, qui dresse un catalogue de propositions pour lutter plus efficacement contre la souffrance au travail. www.lasouffranceautravail.fr

Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, créatrice de la première consultation spécialisée sur la souffrance au travail en 1997, a fait partie de cette commission. A l'occasion de la publication du rapport et pour apporter une nouvelle contribution au débat, nous publions une tribune qu'elle nous a envoyée sur un thème qui lui tient particulièrement à cœur : la situation spécifique des femmes dans l'organisation du travail en France.

Les femmes dans l’organisation du travail en France : La double peine

En France, dans l’organisation du travail, l’étalon de référence demeure le corps masculin avec ses normes physiques, morphologiques, physiologiques. Les hommes ont, historiquement, organisé le travail au masculin neutre. Or, des transformations notables ont été observées ces trente dernières années, en termes de croissance de l’activité féminine dans le monde entier. En France aujourd’hui, 80 % des femmes âgées de 25 à 49 ans sont actives. 34 % d’entre elles appartiennent à la catégorie « cadres et professions intellectuelles supérieures ».

Mais, à niveau de formation égale, hommes et femmes ne se voient toujours pas affectés aux mêmes postes de la division sociale du travail :
- inégalités de distribution dans les différents étages de l’économie nationale,
- dissymétries dans l’accès aux postes de responsabilités,
- importantes disparités de rémunération (le salaire féminin est inférieur de 27 %).
Certaines tendances dans l’évolution de l’emploi féminin sont même préoccupantes :
* anciennes, comme la déqualification à l’embauche, la répétitivité des tâches,
* nouvelles, comme le temps partiel imposé, l’accroissement du travail en horaires décalés, l’augmentation des contraintes de rythme, le retour de congés maternité aléatoire..

Toutes les études soulignent la surdité de l’organisation du travail à la charge temporelle et mentale des « impondérables » familiaux qui incombent systématiquement aux femmes. Les absences qui en découlent, tout comme les congés maternité, relèvent de « l’absentéisme féminin ». Les aléas de la prise en charge de la sphère familiale (maladies des enfants, vacances, activités extrascolaires, réunions avec les professeurs..) entrent fréquemment en conflit avec les contraintes d’un emploi. « Pour les femmes qui occupent des emplois qualifiés, il est notoire que le fait de prendre le mercredi pour les enfants se solde souvent par le fait de devoir ramener du travail à la maison. Quand les « femmes actives » surveillent les devoirs d’un œil, tout en enfournant la pizza surgelée de l’autre, tandis qu’elles répondent sur leur mobile à des appels professionnels, en même temps qu’elles bouclent un rapport pour le lendemain et démarrent une lessive, il devient une gageure de décrire leur activité et les savoir-faire mobilisés, comme de calculer avec certitude un « temps de travail ». (Molinier, 2000)

L’organisation du travail au masculin neutre a donc peu de compréhension pour les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes qui veulent conjuguer vie professionnelle et vie familiale. Bien pire, le chef d’entreprise se charge de rappeler à une femme qu’il embauche qu’elle aura des enfants, des règles, une ménopause qui la rendront moins disponible qu’un homme sur le même poste. Certes. On peut rappeler aux femmes à juste titre que leur corps a un ancrage biologique. Faut-il leur en faire grief ? Surtout quand cet ancrage biologique a des aspects positifs pour les hommes, au-delà de leur mise au monde ? Dans notre société, ce sont majoritairement les femmes qui prennent en charge la santé et l’entretien domestique de leur famille, (rendez-vous chez le médecin, le dentiste, le pédiatre, devoirs des enfants, linge, courses, cuisine..). Pour les hommes, la prise en charge de la santé, de la gestion de la sphère familiale et du travail domestique, st donc externalisée sur les femmes. Si les hommes peuvent s’approprier les tâches à responsabilité qui impliquent une forte bio-disponibilité, il faut rappeler que la performance masculine n’est souvent obtenue que grâce au soutien du corps masculin par les femmes. Secrétaire aux petits soins, panseuse efficace et admirative, épouse dévouée épargnent le patron, le chirurgien, le mari quant à la prise en charge du réel. La capacité de travail des hommes est donc soutenue par le travail corporel des femmes, travail invisible, qui va de soi et dont le don doit être fait avec le sourire.

Outre la discrimination salariale à l’embauche, la discrimination dans les affectations, l’assignation à la sous-traitance de la sphère privée, les femmes, athlètes du quotidien, se voient privées de la reconnaissance de leurs savoir-faire invisibles. Les entreprises pourraient-elles enfin organiser le travail au masculin/féminin, en cessant de retourner contre elles ce que le corps des femmes apporte à la pérennité de la société, ce que le courage silencieux des femmes épargne aux corps des hommes qui travaillent ? Une question à poser aux femmes qui travaillent, une seule : quelle modification de l’organisation du travail faciliterait votre vie ? »



MARIE PEZE DOCTEUR EN PSYCHOLOGIE

LE HARCELEMENT AU TRAVAIL
LA MALADIE DE VOTRE EMPLOYEUR POUR VOUS TUER

Il n'est plus besoin de présenter le docteur MARIE PEZE psychologue clinicienne, docteur en psychologie, psychanalyste et psychosomaticienne. En 1997, elle a créé à Nanterre la première consultation Souffrance et Travail qu'elle dirige toujours. En 2007, elle a été nommée expert près la Cour d'Appel de Versailles lors de la création d’une section Psychopathologie du travail

Son livre "ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés "dont voici un extrait révèle le mal qui est présent dans les entreprises

« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail ? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez place sur cette chaise à côté de la mienne. Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut sauver. Il peut tuer aussi. Travail sous contrainte de temps, harcèlement, emploi précaire, déqualification, chômage sont le lot quotidien des patients de la consultation Souffrance et Travail ». MARIE PEZÉ

Ces patients, adressés à Marie Pezé par le médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se ronge pour la sécurité de ses malades au point de sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de se doper au travail pour se sentir « vivant » ; Solange, assistante de direction depuis 15 ans, qui se voit propulsée sur un plateau téléphonique après un congé maladie ; François, juriste d'entreprise, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de travail parce qu'il n'y « arrive pas ». Et tant d’autres… Ce sont eux les « héros » de ce journal qui dresse un constat terrible : les troubles liés au travail s’aggravent et se généralisent ; l’hyperproductivisme est devenu la norme de fonctionnement de toutes les entreprises, fragilisant l’ensemble des salariés. Au-delà du cri d’alarme, Marie Pezé décrypte les situations et montre que le harcèlement moral et le stress sont loin de constituer des explications suffisantes. Avec ce livre, elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun, victime potentielle ou proche de celle-ci (collaborateur, manager, responsable des Ressources humaines, psychologue, médecin du travail) puisse identifier le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle, ceux que l’on appelle aujourd’hui les « Ressources humaines » sont en danger.

LE HARCELEMENT ,LA MALADIE DE VOTRE EMPLOYEUR.

« Suicide au travail : le cri d’alarme d’une psy »

Le Parisien

« Au moins une personne par jour se suicide à cause de son travail, c’est le diagnostic que porte la psychologue Marie Pezé .

Si rien n’est fait, elle prédit une augmentation du fléau » titre Le Parisien.

Le quotidien indique que, Docteur en psychologie, psychanalyste et expert judiciaire, Marie Pezé « a fondé en 1977 la première consultation « souffrance et travail » en France, à l’hôpital Max Fourestier de Nanterre (Hauts de Seine) » et qu’elle « pousse un cri d’alarme sur le risque imminent de suicide de nombreux salariés ».

Interrogée par Le Parisien, elle précise qu’aujourd’hui il y a « de plus en plus » de salariés qui « atterrissent » dans son bureau « en crise psychique aigue (..)

Ces cas extrêmes qui me sont envoyés par les médecins du travail, sont devenus courants.

Ils aboutissent à deux ou trois hospitalisations psychiatriques par semaine ».

Marie Pezé souligne que l’« on voit des gens très abîmés, qui ont l’impression de faire du sale boulot, notamment dans les hôpitaux où beaucoup évoquent une augmentation des erreurs médicales.

Beaucoup de médecins libéraux sont très mal aussi.

Ils subissent beaucoup de contraintes, notamment dans le contrôle de leurs actes ».

Le Parisien précise qu’avec « 52 suicides d’enseignants en 2008-2009, cette profession est l’une des plus touchées par ce fléau ».

Le quotidien indique également que « Le ministre Luc Chatel a annoncé qu’il souhaite désormais que « chaque enseignant dispose d’un bilan de santé l’année de ses 50 ans » et que « 80 médecins du travail soient recrutés ».

La psychologue rappelle qu’il existe « 30 consultations « souffrance et travail » et une cinquantaine des services hospitaliers spécialisés » et qu’il ne faut pas « hésiter à aller voir le médecin du travail » dont elle rappelle qu’il est « soumis au serment d’Hippocrate, au secret professionnel » et que par conséquent « les gens ne doivent pas avoir peur qu’il parle ».

Marie Pezé précise également que le médecin du travail « ne peut pas prescrire, mail il oriente le salarié vers les bonnes personnes ».

Oui vous avez bien lu, et je parle des permanents syndicaux ; un milieu que je connais très bien pour l'avoir été moi même durant 8 années où j'ai été présent...Quoi qu'en disent les mauvaises langues, on finit toujours dans le clan des divorcés car celle là vous ne la voyez pas arriver;)

Sérieusement, la loi de 2008 sur la représentativité a été un sérieux coup de pied dans les milieux où les gens officient en plein temps pour le compte de leurs organisations syndicales.

Après les dernières élections (prudhommales, professionnelles ou internes), certains ont perdu leurs mandats électifs ; dans la continuité de réduction des postes de permanents syndicaux par établissement...

Mais que faire de ces gens qui ont traité d'égale à égale avec les Directions...

Comment leur carrière va se dérouler ?

Peut être certains auront la chance de suivre un bilan de compétences, d'autre une hypothétique VAE...

Je vous préconise un sérieux suivit thérapeutique en évitant la case médicaments facteurs de dépressions aggravées.

Mesdames et Messieurs les Secrétaires Généraux, je vous invite à une sérieuse réflexion sur le sujet " risques psychosociaux" dans l'intérêt des Femmes et des Hommes qui vous ont servi...

Il est vrai qu' assez souvent les personnes venant à l'hôpital ou dans toute annexe médicale ; considèrent le personnel comme des surhumains. Des gens qui travaillent et donc oublient d'être humain.

Mais qui se trouve derrière une blouse ?

Un Docteur, une infirmière, une aide soignante...

Ce ne sont que des fonctions, des qualificatifs professionnels pour résumer.

La vraie réponse est : des femmes et des hommes.

Des gens comme tout le monde, avec leurs rêves, leur vie et leurs soucies.

Mais face à leur implication dans cette profession si "humaine", au contact le plus proche de l'autre au moment le plus difficile de sa vie, comment font ils/elles ?

Que dire du stress psychologique généré par leurs relations avec les patients malades, la difficulté de certaines pathologies, le relationnel avec la famille du malade, la fatigue physique générée par les cycles de travail et par le travail en lui même.

Que faire de ces deuils à répétitions et que penser de toutes ses émotions internes et pourtant si contradictoires ?

Est il nécessaire de passer par des états du types :

-mal-être, anxiété, angoisse, troubles de l'humeur, tristesse, morosité, mélancolie, absence de projection dans l'avenir, repli social...

-difficultés d'attention, de concentration, troubles de la mémoire...

-asthénie, ennui...

-insomnies, hypersomnies

-migraines, troubles musculo squelettique (mains, poignées,coudes, épaules,cou et dos)...

-troubles digestifs (colite, diarrhée, gastralgie...)

-troubles cardiaques...

-variation de poids...

-conduite addictive...

-prise de médicaments

-absentéisme

-TS

 



« Le plan antistress de France Télécom »
Le Parisien

Le Parisien relate le « projet de prévention du stress remis aujourd’hui à France Télécom, [qui] comporte 107 propositions ». Le journal note en effet que « la comptabilité macabre continue chez France Télécom – déjà 7 suicides depuis janvier et 44 au total depuis 2008 ».

Le quotidien indique que le rapport du cabinet Technologia est une « «note d’étape intermédiaire», rédigée «à marche forcée» compte tenu de la gravité de la situation, avant le plan final de prévention qui sera remis en mai ».

Le Parisien explique qu’« il s’agit dans les grandes lignes de simplifier l’organisation du groupe, de donner plus d’autonomie aux manageurs locaux et de «réinventer» le rôle des «ressources humaines» totalement disqualifiées aujourd’hui ».

Le journal relève entre autres que « le rapport préconise la création d’«un réseau de médiateurs». Sortes de casques bleus, composés pour 30% d’intervenants extérieurs, ils relèveraient d’une «entité autonome» et seraient chargés d’écouter les salariés en difficulté et de jouer un «réel rôle d’arbitrage» ».

Le Parisien se penche également sur les médecins du travail, qui« se sont plaints d’avoir été ignorés lorsqu’ils signalaient des salariés en détresse. Leur rôle serait renforcé et le secret médical garanti ».

Le document précise que « cela suppose une remise en question éthique du management et des RH ».
Recueillant la parole des patients, l'auteure, psychologue et médecin, dresse un tableau noir des conditions de travail affectant la santé des employés. L'hyper-productivisme et l'acceptation de situations intenables font naître des pathologies nouvelles. Constatant que le fonctionnement de l'entreprise fragilise tous les salariés, l'auteure interpelle les managers.

Quatrième de couverture

« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail ? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez place sur cette chaise à côté de la mienne. Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut sauver. Il peut tuer aussi. Travail sous contrainte de temps, harcèlement, emploi précaire, déqualification, chômage sont le lot quotidien des patients de la consultation « Souffrance et Travail ». Marie Pezé

Ces patients, adressés à Marie Pezé par le médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se ronge pour la sécurité de ses malades au point de sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de se doper au travail pour se sentir « vivant » ; Solange, secrétaire depuis quinze ans, qui se voit propulsée comme téléopératrice sur un plateau téléphonique après un congé maladie ; François, juriste d'entreprise, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de travail parce qu'il n'y « arrive pas ». Et tant d'autres... Ce sont eux les « héros » de ce journal qui dresse un constat terrible : les troubles liés au travail s'aggravent et se généralisent ; l'hyperproductivisme est devenu la norme de fonctionnement de toutes les entreprises, fragilisant l'ensemble des salariés.

Au-delà du cri d'alarme, Marie Pezé décrypte les situations et montre que le harcèlement moral et le stress sont loin de constituer des explications suffisantes. Avec ce livre, elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun, victime potentielle ou proche de celle-ci (collègue, manager, responsable des Ressources humaines, psychothérapeute, médecin) puisse identifier le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle, ceux que l'on appelle aujourd'hui les « Ressources humaines » sont en danger.



Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Journal de la consultation « Souffrance et Travail » 1997-2008
par : Lahmadi Ghizlaine

La lecture de cet ouvrage ne peut laisser indifférent, elle nous forme en même temps qu’elle nous transforme. Marie Pezé, psychologue clinicienne, psychanalyste, psychosomaticienne, et désignée expert auprès de la Cours d’Appel de Versailles lors de la création d’une section Psychopathologie du travail, nous fait partager quelques unes de ses consultations « Souffrance et Travail » de 1997 à 2008. En plus d’éveiller notre conscience, de nous ébranler, toutes ces expériences nous mènent à poser la question du devenir de notre société dans un système de plus en plus délétère.

Ce livre reprend le titre d’un film documentaire de Sophie Bruneau et Marc Antoine Roudil sorti en février 2006 et rappelle aux amateurs des Fables de la Fontaine, le septième vers des Animaux malades de la peste. On y voit apparaître Marie Pezé, qui a créé la première consultation spécialisée au Centre d’accueil hospitalier et des soins de Nanterre. On y découvre également Marie-Christine Soula, médecin inspecteur du travail qui en a ouvert une deuxième à Garches, et le docteur Nicolas Sandret qui a poursuivi à Créteil. Nous sommes alors projetés au cœur des maux qui parlent, de l’impuissance parfois des praticiens à apporter des solutions exhaustives à un tel fléau, mais aussi de la force de leur travail. La lecture peut être plus rude que le documentaire et plus riche aussi, dans la mesure où nous avons accès à une mine d’informations importantes en ce qui concerne les méthodes de travail de Marie Pezé, ses difficultés et les raisons de ces consultations qui sortent nettement des cadres cliniques habituels. L’intérêt de cet ouvrage est d’entendre les maux des patients, de les comprendre, de les analyser dans un ensemble bien plus complexe que le simple schéma pervers/victime ou harceleur/harcelé, c’est-à-dire en les mettant en lien avec une analyse de l’organisation. Le cas de Solange (en situation d’aliénation sociale) et de sa directrice Madame T (diplômée de l’Ecole polytechnique féminine) symbolisant au premier abord et respectivement le schéma de la victime et du bourreau, se sont pourtant bien retrouvées toutes les deux dans la même salle de consultation à exprimer leur souffrance (pas en même temps bien sûr, d’abord Solange, puis un mois plus tard, Madame T). Toute les deux effondrées même si pour l’une la posture consiste à assumer le rôle du dominateur et l’autre, à accepter de se soumettre. Cet exemple tout comme les autres, dénoncent les nouvelles formes de management que les organisations ne peuvent s’empêcher d’instrumentaliser pour faire face aux défis économiques toujours plus accrus. « Sous cet angle, je mesure que la construction du couple « pervers/victime s’avère plus complexe que dans le courant victimologique. Le récit du « harcelé » permet la mise à jour de la radicalisation de l’organisation du travail, celui du « harceleur » renvoie à des idéologies défensives construites et défendues collectivement dans un glissement éthique qui semble inexorable » (p. 24)

Les consultations « Souffrance et Travail » sont devenues le lieu de l’expression des âmes meurtries par le travail, lieu où se voient les blessures physiques et psychiques que la médecine et la psychologie tentent de guérir ou à défaut d’atténuer. Lieu où les cicatrices invitent à comprendre, à remonter à leur propre source. C’est vers ce lieu que nous nous sommes aventurés en découvrant page après page les maux de certaines victimes du travail. En somme, ces consultations vont prendre des allures de politique anti-managériale malgré elles, dénonçant ces nouvelles organisations qui abîment, écrasent, brisent, annihilent certains qui ne sont pourtant pas les plus fragiles.

C’est le cas de Monsieur W, boucher de métier travaillant à la cuisine de l’hôpital. Son témoignage excelle dans ce qu’il a de dénonciateur de ce néomanagement. Monsieur W. a littéralement été anéanti, tout comme ses collègues Mouzina, et Zaïra harcelées moralement et sexuellement, sans parler de Delphes violée deux fois par ses propres collègues. Pourtant, tout allait bien avant que ne s’opèrent quelques changements… Au service de réanimation, une fois de plus l’ambiance s’est altérée à cause des nouvelles méthodes de gestion des organisations : perte de confiance, ambiance négative, malveillance entre collègues. Agathe, aide soignante est alors devenue le bouc émissaire du service. L’émergence de cette persécution permettait de ressouder l’équipe et de se protéger de ces nouvelles formes de travail. Agathe est aujourd’hui brisée au point de devenir paranoïaque tant elle est rongée par la sécurité des patients dont elle a la charge. Serge lui, est un cadre condamné à l’hyperactivité pour se sentir vivre, « se doper », même au détriment de sa vie personnelle et de sa santé… Annihilée, Monique chargée de gestion, a toujours tenté d’être à la hauteur malgré les cadences infernales. Tout cela pour finalement ne récolter que les critiques de son supérieur jusqu’au moment où la mort l’obsède et se présente à son esprit comme l’unique délivrance. François, juriste, ne s’en sortait plus dans son travail. L’humiliation, la honte l’habitaient au point de préférer dissimuler ses failles, ses incompétences. Ses « tricheries » ont failli lui coûter la vie ; il tenta de se donner la mort sur son lieu de travail. « Je voulais qu’ils mesurent ce qu’ils étaient en train de me faire, que ça serve d’exemple, qu’on ne le fasse plus à personne » (p. 177). Il était condamné par ces évaluations scientifiques du travail, ces cribles auxquels il devait tous les jours passer au point d’en arriver à parler de « suicide militant ». Solange et sa directrice Madame T, étaient également les sacrifiées de ces nouvelles formes d’organisations encore plus destructrices pour elles, qui avaient une conscience professionnelle.

Marie Pezé ne nous a livré dans cet ouvrage qu’un échantillon représentatif d’une souffrance au travail patente et très souvent en rapport avec les organisations. D’ailleurs, à force d’approcher tous ces condamnés du travail, elle-même n’en est pas sortie indemne… « Je n’ai pas vu venir l’épuisement. Comme mes patients, « la tête dans le guidon », submergée de situations d’urgence, sans aide, ni intendance, je n’ai pas senti ma descente. En quelques semaines, je perds l’usage de mon bras droit, avec le cortège des troubles neurologiques qu’accompagne une atteinte de la moelle épinière. […] Je suis dans le trou noir de la décompensation » (p. 85).

La démarche de Marie Pezé amène à souligner deux grands points. Le premier correspond à cette nécessité d’un travail d’équipe et à la fois pluridisciplinaire. La question de la souffrance au travail reste assez complexe et doit, pour être appréhendée, faire appel à différentes institutions, corps professionnels, disciplines. Juristes, avocats, ergonomes, inspecteurs, médecins (médecins du travail, généralistes, experts), psychologues, psychiatres, chercheurs sont acteurs dans ce travail en réseau pour aider au mieux les patients. Pour la majorité d’entre eux, ils se sont retrouvés seuls et perdus. C’est pourquoi, il s’agit dès lors pour l’équipe de prise en charge, de réhabiliter un travail collectif avec une reconnaissance des compétences de chacun, tout en admettant humblement ses propres limites, ce que Christophe Dejours nomme le « vivre ensemble ».

Deuxième point qui peut attirer l’attention des champs des sciences de l’information et de la communication. Il concerne le rôle que doit jouer Marie Pezé face à ses patients et du cadre qu’elle leur offre. Bien sûr, rien de bien luxueux ! Nous ne sommes pas dans une salle de relaxation. Pourtant, tout est disposé de manière à créer un véritable espace de médiation où des nœuds vont peut-être bien se défaire. Le patient s’exprime et cet espace lui permet de laisser sa pensée reconstruire son identité... Un cas très particulier n’a pas été évoqué auparavant car il n’exprimait pas une dénonciation directe des nouvelles formes d’organisation. Il reste pour autant lié au travail et à la vie personnelle de Fatima, 48 ans, femme de ménage. Marie Pezé va se trouver à écrire « le livre de Fatima […], le livre de l’immigrée nettoyant la maison des femmes qui travaillent, dans un double effacement, celui de ses compétences, celui de ses origines » (p. 98). Son corps épuisé finit par lâcher en 1999, elle fait une chute dans les escaliers, depuis douleurs aiguës qu’aucun examen médical (radiographie, scanner, scintigraphie, etc.) ne parvient à démontrer. En 2000, elle est alors adressée en dernier recours à Marie Pezé qui relève la somatisation : « la douleur a remplacé la peur ». Fatigue non pas liée dans le cas de Fatima au surmenage, mais à l’inactivité ou l’activité monotone. Le travail de Marie Pezé et de toute son équipe lui permettra d’être classée comme travailleur handicapé. « Dans ce travail, la souffrance naît surtout du décalage entre le recours à l’inventivité, à l’intelligence du corps […] et l’absence de regard sur le travail » (p. 97).

Ce lieu était un magnifique espace d’échange où quelque chose s’est passé et où la médiation s’est même exprimée par l’écriture d’un livre. Fatima ne sera pas seule à adresser ses remerciements à Marie Pezé qui aura également vécu à travers cette médiation, un grand moment : « Ne me remerciez pas, Fatima. Grâce à vous, grâce à votre livre, j’ai pu réhabiliter le travail domestique de ma mère. Grâce à vous, j’ai pu rêver du parcours que ma mère, si intelligente aurait pu faire à l’université » (p. 104).
Le pouvoir d’agir ou la dynamique qui porte l’être humain

Constater la diminution ou ressentir la perte de son pouvoir d’agir sur sa situation personnelle de travail génère une souffrance intime au jour le jour. Car vivre sa vie d’adulte suppose de déployer son pouvoir d’agir et d’exprimer sa créativité. Au sens où Winnicott, Canguilhem, Vygotski, entendent cette notion qui rend rapidement synonymes : activité, santé, initiative, dépassement de soi.

Tosquelles (1) écrit : « c’est en faisant des choses que l’homme se fait lui-même ». Pour ce psychiatre, le mot « activité » caractérise l’homme car c’est ainsi qu’il adapte le milieu à lui-même, qu’il l’affecte, par un processus d’« humanisation ». L’homme instaure un rapport avec l’activité propre, individuelle comme collective, qui tire le monde à lui et qui le maintient en bonne santé en augmentant son pouvoir d’agir.

Ces mots « pouvoir d’agir » théorisés et analysés par nombreux chercheurs, psychologues, philosophes…, découlent d’un champ conceptuel vaste, ils parlent de la dynamique qui porte l’être humain. Ils se réfèrent à la pensée de Spinoza, philosophe du XVIIe siècle :

« Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre, que l'État est institué ; au contraire, c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. […] La fin de l'État est donc en réalité la liberté. »

Le « droit naturel d’exister et d’agir » implique de vivre à la fois le plus longtemps possible et dans la meilleure santé possible (droit d'exister), et de satisfaire l’homme en tant qu’être de désir poussé à l'action (droit d'agir). Et Spinoza de souligner dans son « Traité politique » la fragilité de ce droit naturel qui conditionne la liberté individuelle et doit pourtant être socialement organisé pour ne pas être illusoire et pour constituer un authentique bonheur.

Transposée dans le milieu professionnel cette pensée peut s’exprimer ainsi : l’activité à la fois contenue et permise par une organisation du travail va développer ou atrophier le pouvoir d’agir selon la latitude réelle rencontrée par le salarié d’exercer sa créativité au sein d’une tâche.

Pour Yves Clot (2) deux éléments internes au sujet qui travaille conditionnent le rayonnement de l’activité : le sens et l’efficience qui augmentent ou diminuent le pouvoir d’agir. Une activité pleine d’un sens qui compte vraiment pour le sujet entraîne un accroissement d’énergie, mais celle-ci demande à être pérennisée par l’efficience de l’action menée. La dynamique du pouvoir d’agir ne se réalise pas en ligne droite et peut se perdre dans le réel d’une activité vidée de ses valeurs.

Dans sa rencontre avec des contraintes externes, le pouvoir d’agir comporte un caractère potentiellement conflictuel dans la mesure où il se heurte au développement du pouvoir d’agir d’autrui donc à la question du pouvoir. (3)

Quand un salarié en situation de souffrance liée au travail sollicite de l’aide, l’amener à exprimer et à penser son histoire, par l’écoute et la réflexion, peut lui permettre de renouer avec le sens personnel et légitime de son activité. Puis de sortir de l’impasse psychique qui bloque l’usage de son corps et de sa subjectivité en comprenant que ce sont le sens et l’efficience de l’activité qui sont mis à mal dans un conflit de logiques de travail camouflé sous de bien réelles quoique trompeuses difficultés interpersonnelles.

Revenir au sens de son travail et à l’économie des gestes de métier revitalise le pouvoir d’agir du sujet et le rend à ses « possibilités non réalisées » dont, selon Vygotski, « l’homme est plein à chaque minute » (4).

Valérie Tarrou

1) Tosquelles F. (2009 – 1ère éd. 1967). « Le travail thérapeutique en psychiatrie ». Toulouse : Erès.

2) Clot Y. (2008). « Travail et pouvoir d’agir ». Paris : Puf.

3) Davezies P. (2006). Repères pour une clinique médicale du travail, « 29e Congrès national de Médecine et Santé au Travail ». Lyon, le 31 mai 2006.

4) Vygotski L. (trad. 2003). « Conscience, inconscient, émotions ». Paris : La Dispute.

 



dimanche 20 décembre 2009
« Femmes au travail, la double peine »
Reprise d’un article de Télérama du 19 décembre 2009 : une tribune de Marie Pezé.

« Hasard du calendrier, le cabinet Technologia a rendu en début de semaine les premiers résultats de son enquête menée auprès des 102 000 salariés de France Télécom tandis que Jean-François Copé remettait hier le rapport de la Commission sur la souffrance au travail qu'il avait mis sur pied en octobre suite aux nombreux suicides à France Télécom. Conclusion : à France Télécom comme ailleurs, il y a du boulot pour améliorer les conditions de travail. « Ressenti général très dégradé, fragilisation de la santé physique et mentale de certains salariés, grande défaillance du management, ambiance de travail tendue, voire violente », explique Technologia. « Situation du travail très dégradée, management souvent inadapté et démuni, déshumanisation du monde du travail, peur du déclassement », répond en écho le rapport Copé, qui dresse un catalogue de propositions pour lutter plus efficacement contre la souffrance au travail.

Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, créatrice de la première consultation spécialisée sur la souffrance au travail en 1997, a fait partie de cette commission. A l'occasion de la publication du rapport et pour apporter une nouvelle contribution au débat, nous publions une tribune qu'elle nous a envoyée sur un thème qui lui tient particulièrement à cœur : la situation spécifique des femmes dans l'organisation du travail en France.

Les femmes dans l’organisation du travail en France : La double peine

En France, dans l’organisation du travail, l’étalon de référence demeure le corps masculin avec ses normes physiques, morphologiques, physiologiques. Les hommes ont, historiquement, organisé le travail au masculin neutre. Or, des transformations notables ont été observées ces trente dernières années, en termes de croissance de l’activité féminine dans le monde entier. En France aujourd’hui, 80 % des femmes âgées de 25 à 49 ans sont actives. 34 % d’entre elles appartiennent à la catégorie « cadres et professions intellectuelles supérieures ».

Mais, à niveau de formation égale, hommes et femmes ne se voient toujours pas affectés aux mêmes postes de la division sociale du travail :

- inégalités de distribution dans les différents étages de l’économie nationale,

- dissymétries dans l’accès aux postes de responsabilités,

- importantes disparités de rémunération (le salaire féminin est inférieur de 27 %).

Certaines tendances dans l’évolution de l’emploi féminin sont même préoccupantes :

- anciennes, comme la déqualification à l’embauche, la répétitivité des tâches,

- nouvelles, comme le temps partiel imposé, l’accroissement du travail en horaires décalés, l’augmentation des contraintes de rythme, le retour de congés maternité aléatoire.

Toutes les études soulignent la surdité de l’organisation du travail à la charge temporelle et mentale des « impondérables » familiaux qui incombent systématiquement aux femmes. Les absences qui en découlent, tout comme les congés maternité, relèvent de « l’absentéisme féminin ». Les aléas de la prise en charge de la sphère familiale (maladies des enfants, vacances, activités extrascolaires, réunions avec les professeurs...) entrent fréquemment en conflit avec les contraintes d’un emploi. « Pour les femmes qui occupent des emplois qualifiés, il est notoire que le fait de prendre le mercredi pour les enfants se solde souvent par le fait de devoir ramener du travail à la maison. Quand les “femmes actives” surveillent les devoirs d’un œil, tout en enfournant la pizza surgelée de l’autre, tandis qu’elles répondent sur leur mobile à des appels professionnels, en même temps qu’elles bouclent un rapport pour le lendemain et démarrent une lessive, il devient une gageure de décrire leur activité et les savoir-faire mobilisés, comme de calculer avec certitude un “temps de travail” ». (P. Molinier, 2000)

L’organisation du travail au masculin neutre a donc peu de compréhension pour les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes qui veulent conjuguer vie professionnelle et vie familiale. Bien pire, le chef d’entreprise se charge de rappeler à une femme qu’il embauche qu’elle aura des enfants, des règles, une ménopause qui la rendront moins disponible qu’un homme sur le même poste. Certes. On peut rappeler aux femmes à juste titre que leur corps a un ancrage biologique. Faut-il leur en faire grief ? Surtout quand cet ancrage biologique a des aspects positifs pour les hommes, au-delà de leur mise au monde ? Dans notre société, ce sont majoritairement les femmes qui prennent en charge la santé et l’entretien domestique de leur famille, (rendez-vous chez le médecin, le dentiste, le pédiatre, devoirs des enfants, linge, courses, cuisine…). Pour les hommes, la prise en charge de la santé, de la gestion de la sphère familiale et du travail domestique, sont donc externalisée sur les femmes.

Si les hommes peuvent s’approprier les tâches à responsabilité qui impliquent une forte bio-disponibilité, il faut rappeler que la performance masculine n’est souvent obtenue que grâce au soutien du corps masculin par les femmes. Secrétaire aux petits soins, panseuse efficace et admirative, épouse dévouée épargnent le patron, le chirurgien, le mari quant à la prise en charge du réel. La capacité de travail des hommes est donc soutenue par le travail corporel des femmes, travail invisible, qui va de soi et dont le don doit être fait avec le sourire.

Outre la discrimination salariale à l’embauche, la discrimination dans les affectations, l’assignation à la sous-traitance de la sphère privée, les femmes, athlètes du quotidien, se voient privées de la reconnaissance de leurs savoir-faire invisibles. Les entreprises pourraient-elles enfin organiser le travail au masculin/féminin, en cessant de retourner contre elles ce que le corps des femmes apporte à la pérennité de la société, ce que le courage silencieux des femmes épargne aux corps des hommes qui travaillent ? Une question à poser aux femmes qui travaillent, une seule : quelle modification de l’organisation du travail faciliterait votre vie ? »

Publié par Valérie Tarrou



mercredi 16 décembre 2009
« La tenue vestimentaire est-elle importante au travail ? »

L’actualité sociale des derniers mois a mis au centre des enjeux politiques de construire une meilleure prévention des risques psychosociaux au travail, en particulier par un renforcement des actions de la médecine du travail et des pouvoirs du CHSCT.

Le groupe socialiste présente ce jour à l’Assemblée nationale 5 pistes pour « travailler mieux afin de vivre mieux » :
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/12/15/01011-20091215FILWWW00605-stress-au-travail-le-ps-presente-5-pistes.php

Les députés UMP rapportent aujourd’hui les conclusions de leurs travaux pour « travailler mieux » à travers 4 priorités et 30 propositions, et pour refuser « l’amalgame entre souffrance et travail » :
http://www.lasouffranceautravail.fr/tl_files/telechargements/Rapportfinal-2.pdf

Par ailleurs, la clinique des souffrances vécues au quotidien par les salariés rappelle que si il appartient aux politiques d’établir un cadre légal de travail respectueux du corps et de la subjectivité des femmes et des hommes, le praticien doit entendre dans le récit du patient l’ensemble et le détail des peurs, des souffrances et des difficultés.

Ainsi, quand un sujet en dépression suite à une période de harcèlement au travail pose la question suivante : « la tenue vestimentaire est-elle importante au travail ? », puis ponctue par un silence la formulation de cette interrogation, le clinicien ne doit-il pas s’en emparer à la fois comme une clé proposée pour ouvrir des portes psychiques et comme une demande exigeant une réponse rapatriant la théorie dans le champ clinique ?

En ce sens, les concepts de la psychologie du travail permettent de s’engager en précisant que la présentation de soi relève des règles sociales. Des règles qui organisent les relations entre les gens, en vue de relations compréhensives et pacifiées. Ce sont les usages, la politesse, la présentation de soi, la convivialité. Elles sont nécessaires car nous choisissons rarement nos partenaires de travail.

Les règles sociales peuvent être prescrites par l’entreprise, ou faire l’objet d’une élaboration par un collectif de travail. Dans ce second cas, elles tendent à favoriser la possible construction d’une confiance réciproque, qui elle non plus n’est pas première dans les relations de travail. Elaborées et remaniées par un collectif de travail, quand il existe, les règles de métier, dont les règles sociales, servent à se mettre d’accord sur ce qui est considéré comme valide, correct, juste ou légitime.

Quand les manières de se vêtir sont prescrites - port d’uniforme, « dress code » - elles agissent sur le corps et sur l’image du corps car elles exigent de renoncer à sa part de singularité pour se conformer à un moule, pour s’intégrer. Ce travail d’adaptation sociale, tant extérieur qu’intérieur, n’est pas psychologiquement neutre et peut générer une forme de souffrance au travail.

Sans prescription, sans que rien ne soit dit, les vêtements témoignent pourtant de l’intégration ou de l’inadaptation à une équipe déjà constituée. Cela implique que ces règles peuvent être excluantes, quand leur acceptation se révèle trop difficile. L’intériorisation des règles de métier suppose un cheminement individuel, qui peut exiger de modifier quelque chose en soi.

Les règles sociales constituent l’une des quatre grandes familles de règles qui forment le vivre ensemble au travail, avec les règles techniques (façons de faire), les règles langagières (façons de dire) et les règles éthiques (valeurs et normes de référence). Leur connaissance et leur existence sont pour le sujet au travail à la fois une ressource et une contrainte.

Cru, D. (1988). « Les règles de métier ». In Plaisir et souffrance dans le travail, T1. Paris : PSY. T.A., 29-51.

Molinier, P. (2006). Les Enjeux psychiques du travail. Paris : Payot.

Publié par Valérie Tarrou



mardi 15 décembre 2009
« Soigner le travail - Itinéraire d’un médecin du travail »

Le Monde se fait l’écho du livre de Gabriel Fernandez « Soigner le travail – Itinéraire d’un médecin du travail » paru aux éditions Erès en octobre 2009.

http://www.lemonde.fr/talents-fr/article/2009/12/14/soigner-le-travail-de-gabriel-fernandez_1280177_3504.html

Gabriel Fernandez est docteur en médecine et en psychologie, médecin du travail en activité au sein de l’hôpital public. Il participe aux enseignements de la chaire de Psychologie du travail du Cnam, ainsi qu’aux travaux de recherche de l’équipe Clinique de l’Activité, il y développe plus particulièrement l’analyse psychologique du mouvement humain en situation de travail.

Cet ouvrage relate un certain nombre de situations auxquelles le médecin du travail est confronté. Le premier des cinq chapitres est consacré au « cœur du métier » : la consultation elle-même. Le deuxième au « tiers-temps », cela désigne les activités en milieu de travail, les visites d'entreprise, les études de postes de travail, etc. Le troisième concerne « les CHSCT », comités d'hygiène, de sécurité, et des conditions de travail, dont les médecins du travail sont partie prenante. Le quatrième chapitre est consacré à l'« aptitude au travail ». Le dernier chapitre est lié aux problèmes « connexes », parmi lesquels le stress.

Gabriel Fernandez souligne le rôle qu’il considère comme fondamental de l’instance collectif de travail qu’il présente comme « le sentiment chez chacun de ses membres de participer à une œuvre commune qui le transcende » et qui représente pour lui la meilleure prévention contre toutes les pathologies.

Valérie Tarrou



vendredi 4 décembre 2009
Marie Pezé : généralistes et médecins du travail face à la souffrance au travail

Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, est interviewée par Medecinews dans le cadre de sa consultation Souffrance et Travail à Nanterre. Des propos développés dans un entretien filmé consultable dans les archives d'octobre du blog : « Marie Pezé : témoignage en 3 vidéos ». http://www.medecinews.com/640/la-souffrance-au-travail-se-banalise-dans-tous-les-secteurs.html

Vous dîtes que sans les arrêts de travail des médecins généralistes, nous aurions plus de suicides. Malgré tout, est-ce qu’il n’est pas plus dangereux parfois de sortir quelqu’un de son univers professionnel ?

80 % de mes patients retrouvent un travail après avoir été sorti du poste où il subissait une organisation du travail pathogène. La décision de sortir un salarié de son poste de travail se prend après mûre réflexion et après avoir utilisé toute les possibilités internes à l’entreprise (mutation, reclassement, CIF, formation..). Faire cesser, faire sortir est une nécessité clinique qui évite la décompensation grave et irréversible.

Beaucoup de médecins, comme vous le savez, sont en burn-out. Et , en tant que libéraux, nous n’avons pas de médecine du travail. Que pouvons-nous faire pour un confrère en épuisement professionnel ?

Il faut aller consulter directement dans les services de pathologies professionnelles qui sont au nombre de 50 en France, ou bien dans les consultations spécialisées dans la Souffrance au travail ( voir liste des consultations spécialisées )

J’ai souvent vu dans ma consultation des cadres extrêmement investis dans leur travail. Mais à quel moment, le surinvestissement devient une souffrance ?

C’est une question clinique passionnante. Soit la surcharge de travail et l’hyperactivité aliénante sont d’origine organisationnelle. Les méthodes managériales utilisées orchestrent l’assujettissement des corps et des psychismes par les moyens technologiques qui effacent la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Proposer au salarié de devenir un héros en atteignant les objectifs qui feront la gloire et le prestige de son entreprise vient capturer notre envie de laisser une trace, de contribuer au développement d’une histoire, d’être reconnu par nos pairs.

Soit le sujet se shoote au travail comme d’autres à la drogue pour calmer son vide intérieur ou son angoisse et s’impose ses rythmes, ses exigences, ses objectifs, sans parvenir à diminuer une charge de travail qu’il juge pourtant excessive . Mais quelquefois, ce désir d’exister, d’être reconnu comme un être unique s’engouffre dans le travail, rien que le travail. Se détacher du travail devient impossible. La souffrance surgit lorsque le travail devient toute la vie.

Les salariés ont souvent l’impression que le médecin du travail dépend totalement du patron. Du coup, ils ont une certaine défiance vis à vis de lui. Cependant, en tant que médecin traitant, que puis-je attendre de lui ?

L’image du médecin du travail est malheureusement souvent négative alors qu’il est un acteur médical central dans l’entreprise puisqu’il est le conseiller du salarié comme du chef d’entreprise. Il est le seul à pouvoir entrer dans l’entreprise, faire une visite de poste, mettre inapte temporairement ou définitivement, faire muter, reclasser, alerter sur une situation de harcèlement véritable. Il fait appliquer le Code du travail. Les pratiques de coopération avec lui sont fondamentales et il est soumis au secret professionnel comme les autres médecins.

Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 26-08-08 sur les maladies à caractère professionnel :

http://www.medecinews.com/assets/pdf/suivre/beh_32_2008.pdf

Publié par Valérie Tarrou



mardi 1 décembre 2009


Si
gnaler les « salariés fragiles »

Le Parisien du 30-11-09 :

« France Télécom : “Le secret médical est bafoué” »

« A la tête du principal syndicat des médecins du travail, Bernard Salengro condamne la demande faite par France Télécom de lui signaler les salariés qui doivent faire l’objet d’une attention particulière. Une démarche contraire, explique-t-il, au Code de déontologie médicale et même au Code pénal. »

http://www.leparisien.fr/economie/france-telecom-le-secret-medical-est-bafoue-30-11-2009-728399.php

Nombreux articles, presse, blogs, TV, relaient l’annonce des démissions d’une dizaine de médecins du travail chez France Télécom, sur soixante-dix environ, qui par ce geste fort expriment leur refus de « passer en revue l’ensemble des personnes qui devraient faire l’objet d’une attention redoublée ». Une « demande » de leur direction qui suppose la trahison du secret médical.

Si le médecin du travail a bien un rôle de conseil auprès de l’employeur, il lui appartient de traduire les plaintes individuelles en problèmes collectifs. Bernard Salengro donne un exemple : « Il peut dire que dans telle région ou sur tel poste, les salariés souffrent. Mais il est strictement interdit de nommer les malades, sauf exception de risques extrêmes comme un suicide. »

Pour le Dr Catherine Morel, médecin du travail qui suivait les salariés de France Télécom en particulier à Annecy, sa démission est avant tout motivée par « une impossibilité d'exercer son métier de médecin du travail ». En effet, théoriquement indépendants, les médecins du travail sont salariés par l’entreprise qui peut exercer des pressions sur leur activité : ignorer les recommandations d’ajustement de poste, rejeter les conseils de mutation, refuser les demandes d’adaptation temporaire d’objectifs de productivité… alors même que l’employeur est tenu de les suivre.

Le Dr Morel dénonce dans une lettre adressée à sa direction le manque de moyens auquel elle s’est heurtée : « Pendant ces deux années, et encore plus depuis les derniers événements dramatiques, j'ai eu le sentiment d'être cantonnée au cabinet médical uniquement dans l'écoute de salariés en souffrance, sans aucun moyen d'action pour faire évoluer ce constat négatif. »

« Sans aucun moyen d’action », ainsi exclue de la lutte contre la souffrance des salariés qui a conduit à des suicides, le médecin exprime sa propre souffrance au travail quand elle constate la perte de son pouvoir agir dans l’intérêt de la santé des salariés alors que, de part ses fonctions de médecin du travail, elle devrait disposer du pouvoir de les protéger contre des conditions de travail nocives pour leur santé physique ou psychique.

Dans cette position difficile, comment le médecin du travail peut-il développer la confiance des salariés malades à cause de leur travail ? Hommes et femmes qui ne sont pas à regarder comme fragiles mais comme des fenêtres ouvertes sur les dysfonctionnements de l’organisation du travail.

Valérie Tarrou

Le Service de santé au travail est chargé de veiller à la santé et à la sécurité des salariés. Le médecin du travail, a un rôle de conseil auprès de l’employeur, des salariés et représentants du personnel dans la prévention des risques et l’amélioration des conditions de travail. Suivant l'importance de l'entreprises, le service de santé au travail peut être propre à une seule entreprise ou commun à plusieurs. Ces services peuvent être assurés par un ou plusieurs médecins du travail. Ce choix est fait par l'employeur, sauf opposition des représentants du personnel préalablement consultés. Les dépenses liées aux services de santé au travail sont à la charge des employeurs ; dans le cas de services interentreprises, ces frais sont répartis proportionnellement au nombre des salariés.

Publié par Valérie Tarrou



Bon bout d'an !

Par Sylviane LAURO le mercredi 30 décembre 2009,

Voilà donc la fin de l'année qui s'annonce et avant le temps des bonnes résolutions, petite rétrospective de l'année écoulée. Il s'est passé beaucoup de choses dans le domaine des RPS cette année : beaucoup de souffrances innommables bien entendu, mais beaucoup de positif aussi et de résilience fort heureusement...

L'heure de rendre hommage également à tous ces professionnels qui oeuvrent, parfois au détriment de leur propre santé, pour que cela n'arrive plus... Et de terminer l'année avec cet article qui présente des témoignages de cette souffrance au coeur de la consultation de Marie PEZE où tout est dit ou presque....

Histoire de ne pas oublier que demain cela pourrait être vous...

Bon bout d'an à tous et à l'année prochaine...

Marie Pezé est une femme à l'écoute. C'est sans doute ce qui la définit le mieux. A l'écoute des abîmés du productivisme, des estropiés de « l'évaluation individualisée des performances », des fracassés du harcèlement, qui défilent chaque mardi et jeudi au Centre d'accueil et de soins hospitaliers (Cash) de Nanterre, où elle créa, en 1997, une consultation spécialisée sur la souffrance au travail. La première en France. Depuis, le modèle a essaimé, il en existe vingt-trois. L'année dernière, Marie Pezé a raconté cette histoire dans un livre qui emprunte son titre à un vers de La Fontaine : Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. La psychanalyste y témoigne de la cruauté des rapports sociaux, de la dissolution des solidarités traditionnelles dans l'entreprise et de la nocivité de certaines formes de management. Une orgie de violence sociale qui laisse nombre de ses patients dans des états de détresse difficilement imaginables.

« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail ? interroge-t-elle dès les premières lignes de son livre. Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez place sur cette chaise à côté de la mienne. Il faudrait que vous assistiez à la consultation avec moi. Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut sauver. Il peut tuer aussi. » Alors, parce que le travail tue plus souvent qu'à son tour en ce moment, parce qu'il est plus facile d'être dans le ­déni, d'aller chercher des faiblesses dans la fragilité inhérente à l'humain plutôt que dans l'organisation du travail, parce que la France se classe au troisième rang mondial de la productivité horaire mais aussi au troisième rang mondial du nombre de dépressions liées au travail, on s'est assis sur cette chaise à côté de la sienne. On a assisté à ses consultations. On a écouté. On l'a écoutée.

Jeudi 24 septembre

« Marie Pezé, bureau 6. » Il faut traverser un long couloir éclairé aux néons pour y arriver. L'endroit est impersonnel. Des murs blanc cassé, une table, des chaises, une armoire métallique remplie de dossiers qui nourriraient les tribunaux prud'homaux pendant des générations. Pas de superflu. Ici, ils sont environ neuf cents à passer chaque année.

La femme qui entre a une cinquantaine d'années et le visage miné par l'angoisse et les nuits sans sommeil. De son métier d'assistante sociale auprès d'adultes handicapés ou de familles en difficulté, elle parle avec passion : « C'est comme être maçon. Quand on voit le mur monté, on est satisfait, même si le travail est dur. » Elle dit aussi : « Ma vie est un conte de fées, j'ai un mari super, des enfants magnifiques », et elle ajoute : « Je me le répète aujourd'hui tous les jours pour ne pas mourir. » La vie de Sophie a basculé le jour où elle a accepté d'accompagner à un entretien une collègue victime de harcèlement sexuel par un supérieur. La direction n'a pas cru sa collègue, l'a licenciée, mais a contraint le harceleur à la démission.

Cherchez l'erreur. Sophie, elle, restait là, témoin gênant d'une affaire gênante. A pousser dehors, donc. Mais, pour Sophie, le travail ne se réduit pas à un salaire, c'est aussi un élément structurant. Alors elle résiste, pare les mauvais coups, les entretiens humiliants, la dévalorisation de son travail, la fabrication de fausses preuves pour la prendre en faute. « Qu'ont-ils touché chez vous en agissant ainsi ? » lui demande Marie Pezé. « Tout, répond Sophie, en larmes. Je viens de l'étranger. Je travaille dur. Je veux offrir à mes enfants la vie de monsieur Tout-le-monde. » A bout de forces et d'épuisement, traversée par l'idée du suicide, elle finit par accepter à contrecoeur un arrêt de travail. « De ma vie, je n'en avais jamais eu aucun. » C'était il y a deux ans. A l'entendre, c'était hier. Entre-temps, Sophie a été placée en maladie longue durée, l'inspection du travail a mené son enquête et l'audience devant les prud'hommes a été reportée. « Vous êtes en danger et je veux que ça s'arrête. Je vais demander au médecin du travail de vous rédiger une inaptitude à tout poste de travail dans cette entreprise pour danger grave et immédiat. Promis : quand vous aurez rompu le lien avec cette entreprise vous irez bien mieux ». Sophie hésite : « J'ai peur de ne pas retrouver de travail. Peur de ma réaction quand je recevrai la première lettre de refus d'embauche. »

La porte à peine refermée, Marie Pezé s'insurge. « Ici, tout le monde est responsable. L'employeur, qui traficote des fautes, son avocat, incapable d'entamer une négociation, le médecin du travail, qui laisse traîner les choses, la Sécurité sociale, qui l'oublie en longue maladie. Vous vous rendez compte de ce que coûte à la société une histoire pareille ! Et c'est tout le temps comme ça. Il y a une faillite de la pensée, du réseau, des soignants. Chacun est dans son coin, isolé, compartimenté. Il est impératif de tisser plus de liens entre les acteurs du travail. Il n'y a plus que cela qui marche. » Lancée, Marie Pezé embraye sur la situation des femmes au travail. Un sujet ­qu'elle a chevillé au corps. Dans ses consultations, le nombre de femmes et d'hommes s'équilibre, mais certaines catégories de femmes - les moins qualifiées et celles qui vivent seules avec leurs enfants - sont particulièrement exposées à la souffrance au travail. Leur besoin impératif de travailler les poussant souvent à accepter plus longtemps des situations de maltraitance. Plus généralement, la psychanalyste estime que les femmes sont plus exposées que les hommes aux nouvelles formes d’organisation du travail. « Elles sont entrées dans un monde du travail organisé au masculin neutre. Elles en pâtissent doublement : quand elles sont peu nombreuses dans leur environnement, elles doivent faire face à un climat sexiste de plus en plus présent et à des stratégies viriles défensives. Et, quand elles montent dans la hiérarchie, elles doivent intérioriser des pratiques managériales agressives et viriles et neutraliser les codes de leur féminité. Pour une femme, réussir dans le monde du travail, c’est coûteux physiquement et psychiquement. Chez les femmes, la souffrance au travail provoque des dégâts loin d'être encore tous mesurés, continue Marie Pezé. Elles présentent un taux de pathologies gynécologiques (perte de règles, kyste de l'ovaire, cancer du sein ou du col de l'utérus...) bien au-dessus de la norme acceptable. »

Lundi 28 septembre

Un salarié de France Télécom se suicide en Haute-Savoie. Le vingt-quatrième en dix-huit mois. Didier Lombard, le pdg de France Télécom, annonce la suppression du plan de mobilité interne.

Mardi 29 septembre

Il est cadre supérieur dans une très grande entreprise. Il est à un peu plus de quatre ans de la retraite. Tout en lui (habillement, attitude...) dit le mal-être. Il refuse de cautionner des pratiques professionnelles qu'il juge contraires à son éthique et trop éloignées de celles de son entreprise avant qu'elle ne soit privatisée. Il est devenu réfractaire au changement. Il pense que les syndicats ont trahi les salariés pour un bol de soupe. Il est ostracisé. Il confie d'une voix lasse que « dans la querelle des anciens et des modernes, les anciens c'était bien aussi ». Il ne partira pas, parce qu'il a calculé que c'est environ un quart de sa retraite qui se joue dans les quatre années à venir. Il conclut en trois mots : « Je vais résister. »

Jeudi 1er octobre

Le premier entretien avec un patient harcelé est toujours très long. Il a ­besoin de temps pour se raconter, pour remettre une chronologie dans les événements, afin qu'ils prennent sens. Une catharsis souvent douloureuse. Face à lui, Marie Pezé est un bloc d'écoute bienveillante et expérimentée. Elle possède aussi une ­réserve inépuisable de Kleenex. « Je ne suis ni pour ni contre le patient, mais à ses côtés, dans un travail de perpétuelle décentration, explique-t-elle. Je ne le regarde pas comme une victime traumatisée. Je ne convoque pas uniquement son histoire infantile pour expliquer ce qui lui arrive. J'apporte pour l'écouter tout ce que je sais et tout ce que je ne sais pas. Sans quoi l'application stricte de mes théories et de ma pratique deviendrait une maltraitance supplémentaire. »

Ce matin, elle fait face à Myriam, une jeune et jolie étudiante d'un naturel réservé qui travaille à temps partiel, pour payer ses études, dans un magasin appartenant à une chaîne de chaussures. Tout se passait bien avant qu'une nouvelle responsable ne soit nommée et qu'elle ne découvre à la fois l'injustice d'être prise pour cible sans raison apparente et l'indifférence de ses collègues à son sort. En très peu de temps, elle se voit imposer des horaires impossibles, reprocher sa santé précaire, dénigrée. « Elle est mon pire cauchemar », dira un jour aux autres vendeuses celle qui lui en fait désormais vivre un quotidiennement. Si les histoires de harcèlement finissent mal en général, celle-là a une morale. En l'absence de médecin du travail (ce qui est illégal), Marie Pezé contacte la DRH, qui reconnaîtra les faits et fera ­muter la responsable du magasin. ­Myriam y a gagné des conditions de travail normales, mais reste minée par l'injustice qui lui a été faite et « l'hypocrisie » de ses collègues. Son âge a des valeurs que le temps n'a pas encore émoussées. Après son départ, Marie Pezé pointe la réaction du collectif. « Le chacun pour soi, l'absence de solidarité dans le travail peut tuer tout autant que les pratiques d'une responsable. »

Vendredi 2 octobre

L'inspection du travail adresse au président-directeur général de ­France Télécom, Didier Lombard, un courrier, que la direction de l'entreprise s'est bien gardée de rendre public. Et pour cause, dans cette lettre, on lit ceci : « La démarche d'évaluation des risques psychosociaux s'accommode mal d'une logique de réorganisation permanente impactant la vie professionnelle et privée des personnels de la SA France Télécom et susceptible de porter atteinte à leur état de santé mentale. Aussi, compte tenu de la gravité de la situation et afin de prévenir tout risque de suicide supplémentaire, il semblerait raisonnable de suspendre les réorganisations, restructurations affectant les conditions de travail des personnels, en termes de lieu de travail, métier, fonction, rémunération jusqu'à la restitution par le cabinet Technologia de ses conclusions.

En conséquence, au vu de la situation dangereuse constatée, je vous informe qu’en application de l’article L4721-1 du Code du travail j’ai adressé au directeur départemental du Travail de l’Emploi et de la Formation professionnelle de Paris un rapport en vu de l’établissement d’une mise en demeure. Cette mise en demeure a pour objet la suspension des réorganisations précitées jusqu’à restitution par le cabinet Technologia de son rapport. Elle vise également à la mise en place d’une évaluation des risques psychosociaux intégrant les principes généraux de prévention et la mise en œuvre d’actions de prévention, de methodes de travail et de production intégrées à tous les niveaux de l’entreprise et de l’encadrement et garantissant la protection de la santé mentale et physique des travailleurs. (…) »

Et pour ne pas laisser d'ambiguïté sur le sens de sa démarche, l'inspection du travail conclut : « Pour finir, j'attire votre attention sur le fait que l'enquête que je diligente et les procédures en cours dans plusieurs services d'inspection du travail sont susceptibles de conduire à la mise en cause de responsabilités tant de personnes physiques que de la personne morale de France Télécom. Dans un tel contexte, tout nouveau suicide dont les circonstances permettraient de penser qu'il est en lien avec les conditions de travail au sein de la société pèserait lourdement dans ­l'appréciation des faits. »

Lundi 5 octobre

La direction de France Télécom annonce qu'elle prolonge jusqu'au 31 décembre son gel des mobilités forcées qui devait initialement prendre fin le 31 octobre.

Le numéro deux de France Télécom, Louis-Pierre Wenes, considéré comme l'artisan des plans de suppression de postes, est remplacé par Stéphane Richard, ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde.

Parmi les mesures destinées à lutter contre le déficit de l'assurance-­maladie, le gouvernement propose de durcir la lutte contre les arrêts maladie jugés injustifiés. Un projet qui ulcère Marie Pezé. « Depuis des années, les pathologies du travail augmentent en gravité et l'arrêt maladie est la seule arme du médecin généraliste pour sortir un salarié au bord du suicide de sa situation de travail. Combien faudra-t-il de suicides de plus pour que les pouvoirs publics prennent la mesure de la gravité de la situation et du niveau explosif que nous avons atteint ? La surdité et la cécité qui conduiraient à un contrôle punitif des arrêts maladie mèneraient tout droit à une augmentation du nombre de suicides. »

Mardi 6 octobre

« J'en étais à espérer avoir un cancer. » La femme qui prononce ces mots a la cinquantaine, le visage en cendres et dans la main un mouchoir qu'elle n'en finit plus de triturer. Depuis une heure, elle raconte avec un mélange de passion et d'émotion difficilement contenue son travail quotidien d'éducatrice spécialisée. En l'écoutant, on se prend à penser que les familles qui ont eu affaire à elle ont eu beaucoup de chance. En l'écoutant, on ne peut qu'éprouver un infini respect pour le professionnalisme et l'humanité dont elle semble avoir fait preuve dans un travail où chaque jour on se coltine des situations de grande détresse. Pascale fait partie de ce que Marie Pezé appelle des « salariés sentinelles ». Ces individus expérimentés qui maintiennent la cohésion dans un collectif de travail et perçoivent très en amont les conséquences parfois insupportables des modifications ­apportées à l'organisation du travail. Ces « salariés sentinelles » sont toujours les premiers à réagir en cas de problème. Ils encaissent beaucoup et en payent souvent l'addition.

Depuis des années, Pascale est confrontée à une baisse des effectifs et des moyens dans son service. Des restrictions vite insupportables quand on touche à l'humain. « Nous arrivons de moins en moins à obtenir des aides d'urgence. On nous demande toujours plus sans prendre le temps de la réflexion. Notre travail s'est dégradé et mon expérience me permet de dire qu'il est intolérable de travailler de cette manière. » Pascale a tout donné pour pallier les manques et continuer à exercer son métier dans l'éthique qui était la sienne. Elle s'est épuisée physiquement et mentalement, refusant longtemps l'idée de s'arrêter. « Je pensais aux enfants, à ce qu'il fallait faire. A tout ce qu'il fallait faire. Dans mon métier, quand on ne vient pas, les choses ne se font pas. » D'où l'idée du cancer, une maladie suffisamment grave pour s'autoriser à souffler.

Profondément affectée par le sort d'un enfant qu'elle suivait, Pascale a fini par rendre les armes. Elle est en arrêt maladie depuis quelques mois. Toujours fragile, porteuse d'une expérience et d'une lucidité qui ne sont plus que souffrance. Face à elle, on est désarmé, respectueux et en colère. Ce ne sont pas les travailleurs qui sont malades, c'est le travail.

Au cours de l'entretien, Marie Pezé a discrètement pris une petite boîte dont elle a extrait un comprimé oblong. On ne sort pas indemne de l'écoute continuelle d'un tel flot de souffrance. Elle a payé au prix fort : perte de l'usage du bras droit, effacement du goût et de l'odorat, dégringolade dans le trou noir de la décompensation... C'était il y a sept ans. Aujourd'hui, Marie Pezé va mieux, mais son corps réclame son dû à heure fixe. Elle ne s'en cache pas, ne s'apitoie pas, en plaisante. « Je suis bionique. Je prends les mêmes médicaments que mes patients. C'est un avantage. Je sais ce qu'ils vivent. »

Mercredi 7 octobre

Le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) révèle que, pour la première fois, les pathologies psychosociales (anxiété, stress, dépression, etc.) arrivent au premier rang des maladies professionnelles pour lesquelles les salariés vont consulter. Elles représentent plus du quart d'entre elles.

Jeudi 8 octobre

L'Humanité dimanche fait le récit d'une formation dans laquelle se sont retrouvés, fin septembre, 550 DRH pendant 48 heures dans un Relais & Châteaux parisien. Au terme de son intervention, Olivier Barberot, directeur des Ressources humaines de France Télécom, explique qu'il « faut savoir perdre du temps à écouter les salariés... » « Euh..., c'est entre guillemets », sourit-il lorsque son voisin et confrère de Renault lui fait remarquer que l'expression est peut-être malheureuse. C'est une mode, le lapsus à France Télécom...

Paris, mairie du IXe arrondissement. Le Réseau des préventeurs et ergonomes des collectivités territoriales (RESPECT) réunit son septième congrès sur un thème en prise directe avec l’actualité : « Les risques psychosociaux au travail, des risques comme les autres ? » Marie Pezé répond à la question à sa manière en plongeant une assemblée muette dans le quotidien de travail d’une de ses patientes : une ouvrière qui visse vingt-sept bouchons par minute. « Elle mime le geste devant moi, raconte Marie Pezé. Elle me dit qu’au bout de vingt minutes, ses collègues et elle ont toutes des cloques sur les mains. Elle m’explique que les gants qu’on leur donne sont trop grands et se prennent dans le bouchon, ce qui ralentit la cadence.

– Comment tenez-vous le rythme ?

– C’est dur. Il y a d’abord que je n’ai pas le choix, je dois travailler. Il y a que la rage de ce travail, je la mets dans le geste et ça m’accélère. Il y a que je fais partie des anciennes et des meilleures et que je me dois d’aller vite. Et quand je vais plus vite que le rythme, je me sens libre ! Des fois, je vais tellement vite que je ne pense plus. Je suis toute entière dans la répétition du geste. »

« Voilà, elle a tout dit, explique Marie Pezé. A une certaine intensité, l’activité de travail entre en concurrence avec la pensée. L’activité fantasmatique n’est plus seulement inutile, elle devient dangereuse. Le silence mental se prête mieux au travail monotone. Le geste sert à ne plus penser la souffrance de ce travail-là. “Je suis devenu un robot”, dit l’ouvrière, en mimant encore et encore ce geste de vissage dont son corps n’arrive plus à se délester. L’hyperactivité comme défense contre la souffrance venant du travail. Mais l’hyperactivité aussi comme voie de décharge de la violence que génère ce type d’organisation du travail. La rage, la haine, la colère, la frustration sont rapatriés dans l’accélération du geste. “Et lorsque la haine devient trop forte, me dit-elle, elles font des crises de nerf dans l’atelier, vont s’allonger dans le vestiaire sur l’un des brancards prévus à cet effet, avalent leur demi-barrette de Lexomyl et laissent retomber la vapeur. Un quart d’heure plus tard, le chef d’atelier vient les chercher et elles reprennent leur place.” L’organisation du travail a tout prévu, même la crise de nerfs qui évacue le trop plein d’excitation. Economie psychique versus économie de marché. »

Silence absolu dans la salle. Marie Pezé poursuit. « L’ouvrière dit aussi qu’en allant plus vite que la cadence demandée, elle dégage une marge de liberté, une individualité, un triomphe temporaire. L’esclave de la quantité devient athlète de la quantité. Des athlètes de la quantité qui s’excitent, s’usent, disparaissent. Vite remplacées par d’autres. »

Vendredi 9 octobre

Xavier Darcos, ministre du Travail, somme les entreprises de plus de mille salariés de conclure des accords sur les risques psychosociaux d'ici au 1er février 2010. Une avancée ? Pas sûr. « Concrètement, comment les entreprises vont-elles prendre en charge les risques psychosociaux ? Quels professionnels vont les conseiller ? » s'interroge Marie Pezé. Surtout, elle craint que les contraintes macroéconomiques qui pèsent sur les entreprises soient trop ­lourdes pour qu'elles modifient leur ­organisation du travail, même si elle est pathogène.

Une étude de la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam) révèle que, de janvier 2008 à juin 2009, vingt-huit suicides ont été reconnus comme accidents du travail sur les soixante-douze demandes étudiées. L'étude témoigne de la diversité des publics : un tiers des suicides déclarés concerne des personnes très qualifiées (trois « dirigeants » et vingt et une « professions intellectuelles supérieures », un tiers des professions intermédiaires et des employés de bureau et le dernier tiers des salariés peu qualifiés (ouvriers, conducteurs, manœuvres). Tous égaux devant la souffrance au travail...

Jean-Claude Delgenes, directeur général du cabinet Technologia, mandaté par France Télécom pour prévenir les suicides dans l'entreprise déclarera quelques jours plus tard : « Nous connaissons actuellement dans notre pays un pic suicidaire élevé lié au travail. A mes yeux, le chiffre de 500 suicides annuels (sur les quelques 12 000 suicides dénombrés en France) est sous-évalué. »

Dans un amphithéâtre du Conservatoire national des arts et métiers, à Paris, ils sont une quarantaine, en majorité psychologues ou médecins du travail, à démarrer une année de psychopathologie du travail, spécialisation créée en 2008 par Marie Pezé et le psychanalyste Christophe Dejours. Certains pensent monter une consultation « souffrance et travail » dans leur région, beaucoup témoignent de situations de souffrance dans les secteurs où ils exercent (éducation, police, pompiers...), tous disent qu'ils sont là « pour rompre leur isolement dans le travail, chercher du courage, des outils et des armes ». Avec humour, Marie Pezé attaque : « Je règle d'abord avec vous les questions administratives, Christophe Dejours commencera ensuite son cours. C'est ce qu'on appelle la division sexuelle du travail. » Pointant deux retardataires qui essaient de se faufiler discrètement, elle fonce vers eux en lançant à un auditoire amusé : « Je vais commencer par vous apprendre les règles du harcèlement... » Les retardataires sont gentiment invités à s'asseoir.

Lundi 12 octobre

Face à un parterre essentiellement composé de DRH réunis en formation dans un somptueux quatre-étoiles parisien, Marie Pezé rappelle les fondamentaux du travail et pose un constat. « Je suis venu vous redire la place centrale du travail dans le maintien d’un équilibre physique et psychique. En contribution de ce que nous apportons à l'organisation du travail, nous attendons un retour. Pas simplement un salaire, mais aussi une reconnaissance qui nous permet d'être rassurés sur notre contribution à l'œuvre collective, sur la place que nous avons pu nous construire parmi les autres. Cette reconnaissance se décline autour de deux jugements : un jugement d'utilité sociale, économique ou technique, et un jugement de beauté énoncé par nos pairs. Ces deux jugements sont aujourd’hui profondément compromis par les modes actuels d’organisation du travail, qui nous contraignent trop souvent à un travail dégradé. »

Mardi 13 octobre

Celui qui entre ce matin dans le bureau de Marie Pezé n’a pas la tête de l’emploi. Il est jeune, grand, bronzé. Il s'assied, croise des bras qu’il ne décroisera plus durant tout l'entretien et commence à se raconter. François se rêvait exploitant agricole, il est devenu, un peu par hasard, logisticien dans une PME spécialisée dans la réception et le transport de bois. Visage fermé, il évoque les tâtonnements de ses débuts professionnels et son goût pour le travail bien fait. Derrière les mots, on devine une personnalité carrée dont les principes s’accommodent mal des petits arrangements avec la loi. Alors, quand des exploitants lui proposent de truquer la pesée du bois pour percevoir plus d’argent et le partager avec lui, François refuse. Ils insistent, lui persiste. Viennent alors l'intimidation, les menaces. François se tourne vers sa hiérarchie. Vainement. Faut-il y voir un lien avec son élection comme délégué du personnel et son insistance à aborder la question des heures supplémentaires payées au noir, en dessous du taux horaire et distribuées à la tête du client ? A l'écouter, poser la question, c'est y répondre.

François commence à mal dormir, à devenir nerveux. Le pire est devant lui. Son employeur l’accuse de vol et ne lui laisse le choix qu’entre la démission ou une plainte en justice. Il refuse. On lui propose un licenciement pour faute avec mise à pied à titre conservatoire. Il craque. Dépression réactionnelle, diagnostique le médecin. La suite se décline comme une accumulation kafkaïenne d'impasses en tous genres – refus du licenciement par l'inspection du travail, tentatives de négociation avortées, mutation sans lendemain, arrêts de travail à répétition... « Que voulez-vous qu'on fasse? », demande doucement Marie Pezé.

– Je ne sais pas...

– Vous vous rendez compte à quel point ce conflit vous affecte ? Il faut rompre ce contrat qui ne vous mène nulle part. »

François reparti, Marie Pezé soupire : « On ne dit pas suffisamment que, dans ce pays, on ne peut pas quitter facilement une entreprise où on vous maltraite. La démission est impossible sauf à renoncer à ses droits. L’agressivité aussi, sous peine d’être sanctionné. On interdit ainsi les deux grandes voies d'écoulement des excitations traumatiques, ce qui provoque inéluctablement un vécu d'impasse psychique absolue. »

PSA Peugeot Citroën officialise un accord de prévention sur les risques psychosociaux signé par cinq syndicats. A cette occasion, le DRH de PSA, Denis Martin, confie à Libération qu’une enquête réalisée par un cabinet extérieur auprès de 3 000 salariés, entre 2007 et 2008, après deux suicides sur le site de Peugeot à Mulhouse montrait « qu’un salarié sur cinq était en situation de stress trop élevé et que 50 % de l’absentéisme était lié à ce stress ».

Mercredi 14 octobre

Une enquête publiée par le Wall Street Journal révèle que les banques américaines ont provisionné près de 140 milliards de dollars à verser en 2009 en salaires, bonus et bénéfices divers à leurs traders. C’est 10 milliards de plus qu’en 2007, avant la crise. A Paris, le CAC 40 clôture à son plus haut niveau depuis un an.

Jeudi 15 octobre

A Lannion, un nouveau salarié de France Télécom se suicide.

A Nanterre, Sophie est revenue. Son état a empiré. Marie Pezé demande son hospitalisation immédiate.

Dans la petite pièce sans fenêtre qui sert de salle de repos aux infirmières du service, elle avale rapidement un déjeuner entre deux consultations. Au menu : tartes surgelées, café, et la question du harcèlement. « C'est notre affaire à tous, pas seulement celle des pouvoirs publics, explique-t-elle. La question que je pose à tous les gens harcelés qui viennent ici est la même : "Avant votre harcèlement, quelqu'un d'autre était-il harcelé ?" "Oui." "Qui ?" "Ma collègue." "Et qu'avez-vous fait ?" "Rien." La question majeure est donc celle du consentement. Nous sommes tous les rouages de cette maltraitance. Il nous suffirait de décider de faire un pas de côté et de regarder ce à quoi nous consentons pour modifier du jour au lendemain ce qui se passe dans ce pays. Les petites collusions, les petites lâchetés, les petites cécités quotidiennes par peur de perdre notre travail, c'est là-dessus que nous devons tous travailler. »

Mardi 20 octobre

France Télécom suspend les restructurations prévues au sein du groupe jusqu’à la fin de l’année, date de la fin des négociations sur les conditions de travail. Pas de consultation aujourd'hui. Marie Pezé passe la journée avec des DRH et les gendarmes du GIGN, qui veulent comprendre la psychologie de ceux qui se livrent à de nouvelles formes de violence sociale contre eux-mêmes ou contre les autres. Comme un écho à ce qu'elle pronostiquait quelques jours plus tôt devant un parterre de DRH : « Les séquestrations, les sabotages de l'outil de travail, nous n'avons pour l'instant assisté qu'aux prémices de tout cela. Ils sont à venir, et probablement de manière grave. »

Source : Télérama - Octobre 2009



La Poste victime du syndrome France Telecom
Laura Raim - 03/06/2010 18:45:00

Taux d'absentéisme sans précédent, épuisement physique ou psychique et très forte augmentation des accidents du travail...Un courrier du syndicat des médecins de la Poste dresse un constat alarmant sur la santé des 300.000 postiers français. L'Expansion.com fait le point.

Que dénonce le syndicat des médecins de la Poste ?

Il signale la rapide détérioration de la santé au travail des 300.000 salariés du deuxième employeur public de France. Parmi les clignotants au rouge, figurent des suicides ou tentatives de suicide. Aucun décompte n'a encore été réalisé. En avril, le syndicat FO avait indiqué que 9 salariés avaient mis fin à leur jour, depuis début 2009, mais tous en dehors du lieu de travail. Autre signal d'alarme : un taux d'absentéisme pour maladie qui "atteint des seuils sans précédent". Il "augmente d'un jour par an à La Poste", confirme Nadine Capdeboscq, déléguée CFDT. Selon le rapport, "les agents à la distribution sont confrontés à des situations d'épuisements physiques et psychiques". "On reçoit des mails inquiétants de collègues qui sont au bord de craquer", signale en effet Nicolas Galepides, administrateur Sud. D'où la très forte augmentation des accidents du travail et maladies professionnelles dont font aussi état les médecins du travail. Le rapport constate par ailleurs une explosion des congés non accordés et notamment des problèmes pour les obtenir à des dates les permettant de les partager avec les proches. Enfin, le syndicat fait état de pressions exercées sur certains salariés pour qu'ils quittent l'entreprise.

Quelles sont les causes de ce malaise ?

Le premier facteur de stress est la réduction des effectifs. De fait, la Poste a entrepris depuis quelques années un vaste plan de restructuration interne afin de se préparer à l'ouverture du marché européen à la concurrence. "62 000 emplois ont été supprimés depuis fin 2002, c'est le plus grand plan social de France, affirme Nicolas Galepides. Il y a environ 12 000 départs naturels par an, or seulement une personne sur trois ou quatre doit être remplacée jusqu'en 2015, ce qui signifie encore 50 000 suppressions de postes d'ici là. "

Le résultat, c'est une surcharge de travail pour ceux qui restent. "Les facteurs finissent souvent une heure et demi après leur fin de service théorique", explique le syndicaliste de Sud.

Moins de personnel, cela signifie aussi "plus d'attente aux guichets, donc des usagers en colère qui deviennent plus agressifs avec les agents, ce qui ajoute encore au stress", ajoute Marie Pezé, médecin spécialiste de la souffrance au travail et auteur de l'ouvrage "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés".

Le deuxième source de mal-être à la Poste est la réorganisation du travail, qui se calque sur celle des bureaux, où les différents services (colis, banques, courrier...) sont désormais segmentés. "La Poste n'est plus un service public, mais une boutique, résume Marie Pezé. Comme à France Telecom, c'est le « tous vendeurs » qui prime". Dans la branche bancaire notamment, "où la pression commerciale est la plus forte, reconnaît Nicolas Galepides, chaque vendeur doit vendre cinq produits Evoleo par jour. Et comme chez France Telecom, ce sont les managers de proximité qui mettent la pression car ils doivent fournir du chiffre à la direction". "Pour des personnes qui ont choisi de travailler pour le service public, cette transformation peut provoquer un bouleversement identitaire et soulever des questions éthiques", souligne la psychiatre Stéphanie Palazzi.

Peut-on comparer la Poste à France Telecom ?

Quand le syndicat de médecins écrit qu'il "faut engager des actions concrètes pour enrayer ce qui pourrait vite devenir un processus morbide connu aujourd'hui par d'autres entreprises", difficile de ne pas penser à France Télécom. De fait, la transformation des méthodes de travail qui a accompagné la privatisation de l'ancienne entreprise publique, frappée par une vague de suicides, rappelle celle que subit actuellement la Poste, bien que cette dernière ne soit pas, à proprement parler, en cours de privatisation.

Mais en fait, "ce n'est pas la privatisation ou l'ouverture à la concurrence qui est à l'origine du stress, affirme Nicolas Galepides. Il n'y a qu'à voir la situation d'un organisme purement public comme Pôle Emploi, qui a enregistré 4300 agressions depuis le début de l'année !" En réalité, avec la politique du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, on retrouve ce stress un peu partout dans la fonction publique, selon lui.

Pourquoi entend-on plus parler de ces problèmes dans les grandes entreprises publiques ou anciennement publiques que dans celles du privé ?

Les salariés de La Poste, Renault, Pôle Emploi, France Telecom ont-ils vraiment la vie plus dure que ceux de L'Oréal, Véolia ou Carrefour ? Bien sûr que non. C'est ce qu'avait fait valoir en avril la direction de la Poste, face aux critiques formulées par FO. Elle avait rappelé qu'avec ses 300.000 collaborateurs, elle constituait "un échantillon reflet de la population", et constatait "les mêmes phénomènes sociaux chez ses collaborateurs que dans la société française".



La Poste victime du syndrome France Telecom
Laura Raim - 03/06/2010 - L'Expansion.com

En effet, "les organisations du travail sont les même partout, que ce soit à la Poste, chez France Telecom, Areva ou à l'hôpital du coin, affirme Marie Pezé. Partout, les critères sont de plus en plus productivistes. Alors que la productivité horaire des salariés français est déjà parmi les plus fortes en 35 heures, on leur demande toujours plus."

Pourquoi, alors, parler davantage des entreprises publiques ?
Parce que le processus a commencé depuis 30 ou 40 ans dans le secteur privé, alors qu'il est récent dans le public. Surtout, cette réorganisation se fait "à marche forcée, à coups de massue", afin de rattraper les concurrents.

Enfin, si les doléances des salariés du public sont plus entendues, c'est "parce qu'il y n'y que là qu'il existe encore un syndicalisme suffisamment vivant pour pouvoir faire des revendications", explique Marie Pezé.
La vie au travail : changer la donne. Entretien avec Marie Pezé, psychanalyste*
Marie Pezé

Parmi les patients qui viennent vous voir, les femmes sont-elles plus nombreuses et existe-t-il des traits communs à ces femmes en souffrance ?

Je reçois en consultation autant d'hommes que de femmes. Mais ces dernières présentent effectivement des caractéristiques communes liées à ce qu'on appelle en sociologie le levier de soumission et qui touche essentiellement les femmes peu qualifiées et les familles monoparentales. Leur situation personnelle fait qu'elles acceptent plus longtemps des situations de maltraitance car elles ont besoin de leur travail pour vivre. D'autre part, en raison de la division sexuelle du travail, les femmes occupent encore majoritairement des fonctions exécutantes. En condition de subordination, elles sont de fait à même de supporter plus fréquemment un management de maltraitance.

Estimez-vous que les femmes sont plus sensibles que les hommes aux formes actuelles d'organisation du travail ?

Oui, car l'organisation du travail est au masculin neutre. Les femmes sont entrées plus tard dans le monde du travail et elles doivent s'adapter à cette organisation masculine. Elles en pâtissent sur deux versants : quand elles sont seules ou peu nombreuses dans leur environnement, elles doivent faire face à un climat sexiste de plus en plus présent et à des stratégies défensives viriles. Et quand elles veulent monter dans la hiérarchie, elles doivent intérioriser des pratiques managériales viriles et agressives, qui sont plus confortables pour les hommes car en droite ligne de leur identité de genre. Quand un manager sera exigeant, voire brutal, on dira qu'il est un bon manager alors que cela aura une connotation négative pour la femme.

Quels sont les principaux effets pathogènes de l'organisation du travail ? Comment le vivent vos patientes ?

Les techniques d'évaluation (entretien individuel, 360°, etc.) cassent les solidarités collectives et aiguisent la compétition entre salariés. Elles sont porteuses de forts paradoxes et d'injonctions contradictoires car souvent déconnectées du travail réel, mais elles sont des armes efficaces pour tenir le salarié. Les femmes sont prêtes à travailler beaucoup et vite si elles en ont les moyens. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre, comme cette infirmière qui n'a plus le temps de bien faire ses pansements au détriment de ses malades. L'image de soi en sort abîmée. Cette sensation de faire du "sale boulot" entraîne des pathologies de surcharges.



La vie au travail : changer la donne. Entretien avec Marie Pezé, psychanalyste

Marie Pezé

Pour les femmes, quels sont les impacts de la vie privée sur la vie professionnelle ?

Il s'agit là d'une question centrale. La porosité entre vie privée et vie professionnelle est totale. Les femmes n'ont pas le temps de boucler tout ce qu'elles ont à faire et donc le soir, entre la surveillance des devoirs des enfants et la préparation du dîner, elles tentent de terminer leurs dossiers. Cela entraîne une augmentation de la violence dans la sphère privée (violence sur les enfants, irritabilité...). Les patientes que je reçois sont dans l'angoisse du lundi matin et n'arrivent plus à s'occuper de leurs familles.

Il faut évoquer cette charge spécifique aux femmes. Les femmes doivent en permanence articuler leur travail de production (emploi) et celui de reproduction (famille). Pour elles, le clivage foyer/travail est impossible, car elles portent la charge mentale du foyer alors que les hommes, eux, peuvent cliver.

Quels conseils donner aux femmes qui commencent à perdre pied dans leur travail ?

Ne pas basculer dans des mécanismes dangereux tels que l'hyperinvestissement pour faire plaisir à son patron. Augmenter la qualité et la quantité de son travail est un piège. Il leur faut être attentives par exemple aux pathologies gynécologiques et ne pas hésiter à consulter précocement son médecin du travail avant d'en arriver à une maladie de surcharge. Il n'y a pas de fatalité, il faut témoigner.

*Marie Pezé dirige la consultation "Souffrance et Travail" à l'hôpital de Nanterre, elle est l'auteure de "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés" aux éditions Pearson

Propos recueillis par Gaëlle Picut, le 14/10/2008



Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés. Journal de la consultation « Souffrance et travail », 1997-2008
Marie Pezé

Reprenant ici le titre d’un documentaire de 2006, la psychanalyste Marie Pezé propose d’entrer dans l’univers de ses consultations « Souffrance et travail », d’entendre le récit de ses patients, et de la suivre dans ses réactions et ses interprétations. La maltraitance, qui devient la règle avec la généralisation de l’hyperproductivisme et des systèmes de management, ne se réduit pas à des oppositions simples entre « harceleurs » et « harcelés », « pervers » et « victimes », catégories à partir desquelles il est tentant de psychologiser la souffrance au travail. L’un après l’autre, les témoignages dévoilent l’extraordinaire impact du travail et de son organisation sur les dynamiques collectives dans les entreprises, et sur le corps et le psychisme des individus. La méthode d’exposition choisie par l’auteure offre des outils d’analyse accessibles à tous. Ecrit dans un souci de prévention, ce livre est une invitation à ne pas se dérober face à la gravité des états de détresse, quelquefois présuicidaires, d’un nombre croissant de salariés, indépendamment de leur statut. C’est en quelque sorte un manuel pratique de lutte contre l’injustice.

Noëlle Burgi.
Pearson, Paris, 2008, 214 pages, 17 euros.



Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés

Un livre formidable de Marie Pezé, médecin du travail, qui y décrit les situations de travailleurs venus la consulter. Clair, précis, et bouleversant.

Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail ? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez place sur cette chaise à côté de la mienne. Il faudrait que vous assistiez à la consultation avec moi. Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l extraordinaire impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut sauver. Il peut tuer aussi. Êtes-vous prêt à entendre tout ce que les patients ont à dire sur leur travail ? Quoi qu ils disent ? Je dois vous prévenir, vous n’en sortirez pas indemnes. Car ici, entre ces murs, sur mon territoire clinique, les pathologies sont criantes, caricaturales. Travail sous contrainte de temps, harcèlement, emploi précaire, déqualifi cation, chômage, sont le lot quotidien des patients de la consultation Souffrance et Travail.

Marie Pezé, Apostrophe du livre “Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés”, août 2008, Village Mondial éditeur, 17 euros.

Marie Pezé a ouvert la consultation Souffrance et travail en France à Nanterre en 1997 première d une vingtaine qui ont vu le jour un peu partout en France. Pendant treize années elle y a reçu des patients aux profils les plus divers du cadre sup à la simple secrétaire de l aide soignante au chef comptable tous ceux que l on appelle les « Ressources humaines ». Dans ce livre elle leur donne la parole pour rappeler d abord que le travail n est pas une valeur en voie de perdition. Qu au contraire s il peut sauver aussi bien que tuer c est parce qu il occupe une place centrale dans nos vies et dans notre société.



Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés,
Journal de la consultation « Souffrance et Travail » 1997-2008 Recension
Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés,
Journal de la consultation « Souffrance et Travail » 1997-2008 Recension