|
LA FABRIQUE DES HARCELEURS Marie GRENIER-PEZE
LA FABRIQUE DES HARCELEURS Marie GRENIER-PEZE
Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient
frappés, Journal de la consultation « Souffrance et Travail
» 1997-2008
Ed. Pearson, 2008, 200 p., 17 euros.
http://www.alternatives-economiques.fr/ils-ne-mouraient-pas-tous-mais-tous-etaient-frappes--journal-de-la-consultation--souffrance-et-travail--1997-2008-par-marie-peze_fr_art_789_39299.html
Les ressources humaines sont en danger. C'est le cri d'alarme de
Marie Pezé, psychologue clinicienne, qui a créé
en 1997 la première consultation "Souffrance et travail"
à l'hôpital de Nanterre. Dans ce livre, elle compile
les histoires les plus frappantes auxquelles elle a été
confrontée. De cette secrétaire harcelée par
son supérieur qui l'oblige à coller les timbres à
4 millimètres du bord des enveloppes, règle en main.
Ou de ce boucher déboussolé par la réorganisation
de son travail.
Ce journal dresse à travers dix portraits un tableau accablant
de la souffrance occasionnée quotidiennement par le travail.
Tout y passe: stress, troubles musculo-squelettiques, suicides…
Mis bout à bout, ces récits ont quelque chose d'effrayant.
Mais l'auteure ne cède pas à la facilité de
s'en tenir au simple document choc. Elle essaye de comprendre et
d'analyser; elle élabore des outils de diagnostic, souligne
l'importance des relations qu'elle a établies avec des juristes
et des médecins du travail pour mieux appréhender
de manière pluridisciplinaire la dure réalité
du travail. En filigrane, c'est bien l'organisation du travail qui
est en cause, la dérive vers ce qu'elle appelle un "hyperproductivisme".
Laurent Jeanneau | Alternatives Economiques n° 273 - octobre
2008
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés
, Journal de la consultation "Souffrance et Travail " :
1997-2008 Marie Pezé
Ces patients, adressés à Marie Pezé par le
médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se
ronge pour la sécurité de ses malades au point de
sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de
se doper au travail pour se sentir " vivant " ; Solange,
secrétaire depuis quinze ans, qui se voit propulsée
comme téléopératrice sur un plateau téléphonique
après un congé maladie ; François, juriste
d'entreprise, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de
travail parce qu'il n'y " arrive pas ".
Et tant d'autres. Ce sont eux les " héros " de
ce journal qui dresse un constat terrible : les troubles liés
au travail s'aggravent et se généralisent ; l'hyperproductivisme
est devenu la norme de fonctionnement de toutes les entreprises,
fragilisant l'ensemble des salariés. Au-delà du cri
d'alarme, Marie Pezé décrypte les situations et montre
que le harcèlement moral et le stress sont loin de constituer
des explications suffisantes.
Avec ce livre, elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun,
victime potentielle ou proche de celle-ci (collègue, manager,
responsable des Ressources humaines, psychothérapeute, médecin)
puisse identifier le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle,
ceux que l'on appelle aujourd'hui les " Ressources humaines
" sont en danger.
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés
, Journal de la consultation "Souffrance et Travail "
: 1997-2008 Marie Pezé
Lahmadi Ghizlaine
http://www.revue-interrogations.org/article.php?article=209
La lecture de cet ouvrage ne peut laisser indifférent, elle
nous forme en même temps qu’elle nous transforme. Marie
Pezé, psychologue clinicienne, psychanalyste, psychosomaticienne,
et désignée expert auprès de la Cours d’Appel
de Versailles lors de la création d’une section Psychopathologie
du travail, nous fait partager quelques unes de ses consultations
« Souffrance et Travail » de 1997 à 2008. En plus
d’éveiller notre conscience, de nous ébranler,
toutes ces expériences nous mènent à poser la
question du devenir de notre société dans un système
de plus en plus délétère.
Ce livre reprend le titre d’un film documentaire de Sophie
Bruneau et Marc Antoine Roudil sorti en février 2006 et rappelle
aux amateurs des Fables de la Fontaine, le septième vers
des Animaux malades de la peste. On y voit apparaître Marie
Pezé, qui a créé la première consultation
spécialisée au Centre d’accueil hospitalier
et des soins de Nanterre. On y découvre également
Marie-Christine Soula, médecin inspecteur du travail qui
en a ouvert une deuxième à Garches, et le docteur
Nicolas Sandret qui a poursuivi à Créteil. Nous sommes
alors projetés au cœur des maux qui parlent, de l’impuissance
parfois des praticiens à apporter des solutions exhaustives
à un tel fléau, mais aussi de la force de leur travail.
La lecture peut être plus rude que le documentaire et plus
riche aussi, dans la mesure où nous avons accès à
une mine d’informations importantes en ce qui concerne les
méthodes de travail de Marie Pezé, ses difficultés
et les raisons de ces consultations qui sortent nettement des cadres
cliniques habituels.
L’intérêt de cet ouvrage est d’entendre
les maux des patients, de les comprendre, de les analyser dans un
ensemble bien plus complexe que le simple schéma pervers/victime
ou harceleur/harcelé, c’est-à-dire en les mettant
en lien avec une analyse de l’organisation. Le cas de Solange
(en situation d’aliénation sociale) et de sa directrice
Madame T (diplômée de l’Ecole polytechnique féminine)
symbolisant au premier abord et respectivement le schéma
de la victime et du bourreau, se sont pourtant bien retrouvées
toutes les deux dans la même salle de consultation à
exprimer leur souffrance (pas en même temps bien sûr,
d’abord Solange, puis un mois plus tard, Madame T). Toute
les deux effondrées même si pour l’une la posture
consiste à assumer le rôle du dominateur et l’autre,
à accepter de se soumettre. Cet exemple tout comme les autres,
dénoncent les nouvelles formes de management que les organisations
ne peuvent s’empêcher d’instrumentaliser pour
faire face aux défis économiques toujours plus accrus.
« Sous cet angle, je mesure que la construction du couple
« pervers/victime s’avère plus complexe que dans
le courant victimologique. Le récit du « harcelé
» permet la mise à jour de la radicalisation de l’organisation
du travail, celui du « harceleur » renvoie à
des idéologies défensives construites et défendues
collectivement dans un glissement éthique qui semble inexorable
» (p. 24)
Les consultations « Souffrance et Travail » sont devenues
le lieu de l’expression des âmes meurtries par le travail,
lieu où se voient les blessures physiques et psychiques que
la médecine et la psychologie tentent de guérir ou
à défaut d’atténuer. Lieu où les
cicatrices invitent à comprendre, à remonter à
leur propre source. C’est vers ce lieu que nous nous sommes
aventurés en découvrant page après page les
maux de certaines victimes du travail. En somme, ces consultations
vont prendre des allures de politique anti-managériale malgré
elles, dénonçant ces nouvelles organisations qui abîment,
écrasent, brisent, annihilent certains qui ne sont pourtant
pas les plus fragiles.
C’est le cas de Monsieur W, boucher de métier travaillant
à la cuisine de l’hôpital. Son témoignage
excelle dans ce qu’il a de dénonciateur de ce néomanagement.
Monsieur W. a littéralement été anéanti,
tout comme ses collègues Mouzina, et Zaïra harcelées
moralement et sexuellement, sans parler de Delphes violée
deux fois par ses propres collègues. Pourtant, tout allait
bien avant que ne s’opèrent quelques changements…
Au service de réanimation, une fois de plus l’ambiance
s’est altérée à cause des nouvelles méthodes
de gestion des organisations : perte de confiance, ambiance négative,
malveillance entre collègues. Agathe, aide soignante est
alors devenue le bouc émissaire du service. L’émergence
de cette persécution permettait de ressouder l’équipe
et de se protéger de ces nouvelles formes de travail. Agathe
est aujourd’hui brisée au point de devenir paranoïaque
tant elle est rongée par la sécurité des patients
dont elle a la charge. Serge lui, est un cadre condamné à
l’hyperactivité pour se sentir vivre, « se doper
», même au détriment de sa vie personnelle et
de sa santé…
Annihilée, Monique chargée de gestion, a toujours
tenté d’être à la hauteur malgré
les cadences infernales. Tout cela pour finalement ne récolter
que les critiques de son supérieur jusqu’au moment
où la mort l’obsède et se présente à
son esprit comme l’unique délivrance. François,
juriste, ne s’en sortait plus dans son travail. L’humiliation,
la honte l’habitaient au point de préférer dissimuler
ses failles, ses incompétences. Ses « tricheries »
ont failli lui coûter la vie ; il tenta de se donner la mort
sur son lieu de travail. « Je voulais qu’ils mesurent
ce qu’ils étaient en train de me faire, que ça
serve d’exemple, qu’on ne le fasse plus à personne
» (p. 177). Il était condamné par ces évaluations
scientifiques du travail, ces cribles auxquels il devait tous les
jours passer au point d’en arriver à parler de «
suicide militant ». Solange et sa directrice Madame T, étaient
également les sacrifiées de ces nouvelles formes d’organisations
encore plus destructrices pour elles, qui avaient une conscience
professionnelle.
Marie Pezé ne nous a livré dans cet ouvrage qu’un
échantillon représentatif d’une souffrance au
travail patente et très souvent en rapport avec les organisations.
D’ailleurs, à force d’approcher tous ces condamnés
du travail, elle-même n’en est pas sortie indemne…
« Je n’ai pas vu venir l’épuisement. Comme
mes patients, « la tête dans le guidon », submergée
de situations d’urgence, sans aide, ni intendance, je n’ai
pas senti ma descente. En quelques semaines, je perds l’usage
de mon bras droit, avec le cortège des troubles neurologiques
qu’accompagne une atteinte de la moelle épinière.
[…] Je suis dans le trou noir de la décompensation
» (p. 85).
La démarche de Marie Pezé amène à souligner
deux grands points. Le premier correspond à cette nécessité
d’un travail d’équipe et à la fois pluridisciplinaire.
La question de la souffrance au travail reste assez complexe et
doit, pour être appréhendée, faire appel à
différentes institutions, corps professionnels, disciplines.
Juristes, avocats, ergonomes, inspecteurs, médecins (médecins
du travail, généralistes, experts), psychologues,
psychiatres, chercheurs sont acteurs dans ce travail en réseau
pour aider au mieux les patients. Pour la majorité d’entre
eux, ils se sont retrouvés seuls et perdus. C’est pourquoi,
il s’agit dès lors pour l’équipe de prise
en charge, de réhabiliter un travail collectif avec une reconnaissance
des compétences de chacun, tout en admettant humblement ses
propres limites, ce que Christophe Dejours nomme le « vivre
ensemble ».
Deuxième point qui peut attirer l’attention des champs
des sciences de l’information et de la communication. Il concerne
le rôle que doit jouer Marie Pezé face à ses
patients et du cadre qu’elle leur offre. Bien sûr, rien
de bien luxueux ! Nous ne sommes pas dans une salle de relaxation.
Pourtant, tout est disposé de manière à créer
un véritable espace de médiation où des nœuds
vont peut-être bien se défaire. Le patient s’exprime
et cet espace lui permet de laisser sa pensée reconstruire
son identité... Un cas très particulier n’a
pas été évoqué auparavant car il n’exprimait
pas une dénonciation directe des nouvelles formes d’organisation.
Il reste pour autant lié au travail et à la vie personnelle
de Fatima, 48 ans, femme de ménage. Marie Pezé va
se trouver à écrire « le livre de Fatima […],
le livre de l’immigrée nettoyant la maison des femmes
qui travaillent, dans un double effacement, celui de ses compétences,
celui de ses origines » (p. 98). Son corps épuisé
finit par lâcher en 1999, elle fait une chute dans les escaliers,
depuis douleurs aiguës qu’aucun examen médical
(radiographie, scanner, scintigraphie, etc.) ne parvient à
démontrer. En 2000, elle est alors adressée en dernier
recours à Marie Pezé qui relève la somatisation
: « la douleur a remplacé la peur ». Fatigue
non pas liée dans le cas de Fatima au surmenage, mais à
l’inactivité ou l’activité monotone. Le
travail de Marie Pezé et de toute son équipe lui permettra
d’être classée comme travailleur handicapé.
« Dans ce travail, la souffrance naît surtout du décalage
entre le recours à l’inventivité, à l’intelligence
du corps […] et l’absence de regard sur le travail »
(p. 97).
Ce lieu était un magnifique espace d’échange
où quelque chose s’est passé et où la
médiation s’est même exprimée par l’écriture
d’un livre. Fatima ne sera pas seule à adresser ses
remerciements à Marie Pezé qui aura également
vécu à travers cette médiation, un grand moment
: « Ne me remerciez pas, Fatima. Grâce à vous,
grâce à votre livre, j’ai pu réhabiliter
le travail domestique de ma mère. Grâce à vous,
j’ai pu rêver du parcours que ma mère, si intelligente
aurait pu faire à l’université » (p. 104).
D. Huez (avec la collaboration de N. Jones-Gorlin), Souffrir
au travail : comprendre pour agir, Paris, Editions Privé,
2008
Le premier intérêt majeur de cet ouvrage est de comprendre
la souffrance au travail de l’intérieur via l’expérience
d’un médecin du travail. Dominique Huez exerce sa profession
depuis aujourd’hui plus de trente ans. Des années 80
à aujourd’hui, beaucoup de choses ont bougé,
changé dans les organisations, et pas toujours dans le bon
sens, comme d’ailleurs l’auteur en témoigne.
La deuxième particularité qui nous invite à
lire cet ouvrage avec attention repose sur la singularité
de son approche en tant que praticien et sur sa volonté de
dépasser l’ambiguïté dont est victime sa
profession, de réfléchir sur son rôle avec beaucoup
d’éthique, de travailler en réseau tout en préférant
rester sur le terrain de la formation et de l’évolution…
volonté ? Pas seulement. Il se laisse porter par le sens
des responsabilités que nécessite sa profession.
Alors évidemment, si nous avions approché la souffrance
au travail à partir des apports de la psychodynamique de
Christophe Dejours ou encore à partir des expériences
engagées de Marie Pezé en tant que psychologue et
faisant partie de ce même réseau pluridisciplinaire,
nous pourrions penser que ce livre n’est qu’une synthèse
simplifiée et redondante de ce qui a déjà été
plus profondément et précisément décrit.
Pourtant, cet ouvrage apporte sa spécificité dans
la mesure où il laisse un acteur clef de la santé
et du milieu organisationnel réfléchir sur ses propres
expériences professionnelles. Puis il s’en décentre,
nous partage ses analyses sur le rôle et la posture que devrait
tenir le médecin du travail contre ce fléau.
Les réflexions et concepts de la psychodynamique ont inéluctablement
inspiré les pensées et pratiques de Dominique Huez.
Ce que nous pouvons retenir de ses analyses, c’est que l’entreprise
et l’organisation du travail représentent des facteurs
déterminants de la santé de ses employés. On
ne peut éluder les dysfonctionnements ou les fragilités
de certaines personnes, simplement en recherchant dans les problèmes
personnels. Les consultants, managers, coachs appelés aussi
« prédateurs » par Dominique Huez, excellent
dans ce type de stratégies pourtant absurdes et aliénantes.
Leur pouvoir est juste suffisant pour affaiblir humainement les
employés. Et c’est ainsi au détriment de leur
humanité et même de leur intégrité qu’ils
se rendent davantage efficaces et performants pour l’entreprise.
Les exemples vécus ne manquent pas et accompagnent ses analyses
tout le long du livre. La responsabilité de l’entreprise
est nécessairement engagée dès lors qu’elle
repose sur l’addition des efforts de chaque homme. Le travail
peut faire souffrir au point de mettre en péril notre santé.
Homme ou femme, personne n’est à l’abri de dépressions
ou pire de pulsions suicidaires. Il n’y a pas de profil type
du suicidaire ou a contrario du « résistant guerrier
». C’est ce qui peut rendre la tâche encore moins
évidente dans le travail de prévention et de dépistage
des pathologies ou d’actes critiques. Néanmoins, dès
lors que l’on prend en compte chez l’individu, aussi
bien son cadre familial que professionnel, on se donne davantage
les moyens de trouver des signes d’alarme ou des indicateurs
permettant de comprendre les causes de cette souffrance, puis d’agir
dans un second temps. Dominique Huez nous introduit dans une pratique
épidémiologique où l’intérêt
économique n’intervient pas dans son jugement professionnel.
Il nous ouvre à l’idée d’envisager le
problème de la souffrance au travail différemment.
Pourquoi penser que le problème vient nécessairement
de l’homme employé qui, à un moment donné,
exprime une fatigue, une souffrance, un mal être ? En outre,
en posant la question dans ce sens là, on finit par penser
tout naturellement que c’est à l’homme de s’adapter
aux contraintes de l’environnement. Or, du point de vue de
Dominique Huez, qui ne fédère pas tous ses pairs,
c’est au niveau de l’organisation qu’il faut bouger
les choses. Le problème est pris à sens opposé.
C’est d’ailleurs cette conception qui va l’amener
à intervenir dans les entreprises et à réfléchir
différemment. En fait, Nous n’entrerons pas dans les
différentes stratégies de défenses (collectives
ou individuelles) employées, parce que ce n’est probablement
pas là la grande spécificité de l’auteur,
mais plus celle de la psychodynamique. En revanche, ce qui est intéressant
ce sont les pratiques professionnelles de ce métier qui sembleraient,
par ailleurs, menacées. On peut dresser trois profils différents
de médecin du travail : 10% seraient subordonnés aux
décisions des employeurs. Ils ont alors une faible marge
de manœuvre et ont tendance à mettre leurs connaissances
au service des profits économiques. Dans la seconde catégorie,
ils se voient comme des experts. Ils réfléchissent
un peu comme des sociétés d’assurance et cherchent
à favoriser le recrutement des plus sains. Une aberration
pour Dominique Huez qui, au contraire, sait que pour certains malades,
« le travail c’est la santé » et que cela
reste bien discutable. « Pas question de sélectionner
à l’embauche de pseudoprofils de santé pour
éviter les difficultés. » (p. 146) Enfin, il
y a « les médecins du travail qui, de mon point de
vue, exercent pleinement leurs prérogatives réglementaires
se mettent au service exclusif de la santé des hommes et
des femmes au travail. Prévenir et dépister les atteintes
de la santé du fait du travail, tels doivent être leurs
objectifs principaux. La rationalité économique ne
doit pas rentrer dans leur champ décisionnel. […] Les
médecins n’ont pas à prendre en compte la question
des surrisques comme critère de sélection. »
(pp. 146-147) Dominique Huez a conscience de ne pas penser et pratiquer
comme la majorité des médecins du travail, mais il
sait aussi qu’en réalité, le recul que prennent
ses confrères, est lié essentiellement à un
manque de compétences et de connaissances. « Ces médecins
ont peur de leur méconnaissance et de leur incapacité
à se saisir de nouveaux questionnements. » (p. 148)
Son approche guide vers une réflexion qui peut alimenter
les débats en sciences de l’information et de la communication.
En effet, nous notons in fine, que les organisations semblent cruellement
manquer d’espace… Des espaces de rencontre, d’échanges
sur le quotidien du travail, de partage, de construction de lien
social et de solidarisation, « des espaces de respiration
» où les rapports des uns et des autres se régulent
dans ces moments d’humanité. C’est encore là
que nous pensons à un espace potentiel mendélien où
« l’actepouvoir », concept emprunté à
Gérard Mendel, ferait apparaître un pouvoir sur nos
propres actes et une liberté. Dispositif démocratique
simple, mais pourtant si nécessaire, vital aujourd’hui
; permettre à tous de se réunir pour parler publiquement
du travail, proposer, manifester, réfuter, débattre…
Un lieu de création, de stimulation, et même de compréhension,
de dissipation de tensions, de barrage aux non-dits, à l’isolement
et aux nouvelles formes de management destructrices, etc. Ce livre
tout comme celui de Marie Pezé, qui a été la
première à ouvrir les consultations « Souffrance
et Travail(1) », pose la question de la médiation.
En effet, ces deux praticiens ne sont-ils pas en réalité
dans une position de médiateur lorsqu’on voit le temps
qu’ils consacrent à leurs patients et ce qu’ils
y investissent ? N’ouvrent-ils pas un espace de médiation,
devenu quasi inexistant dans les nouvelles organisations régies
par le néomanagement ? Ne représentent-ils pas un
réseau d’acteurs dynamiques qui tentent de «
panser » le travail, et de le penser, sous une nouvelle forme
? En tout cas, cette façon d’aborder la souffrance
au travail, ces conceptions, ces types d’interventions nous
amènent à les penser comme les acteurs d’une
médiation qui serait une sorte de « remédiation
» d’un travail de plus en plus malade.
Marie Peze, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient
frappés, Journal de la consultation « Souffrance et
Travail », 1997-2008, Pearson Education France, Paris, 2008.
http://www.revue-interrogations.org/article.php?article=184
Lundi 26 janvier 2009 1 26 /01 /2009 11:07
Solenne de Thésut observe les pratiques Ressources
Humaines des entreprises
Ancienne responsable des ressources humaines chez Pepsico France,
Solenne de Thésut, 30 ans, a lancé en juin 2008 le
blog meilleures-entreprises.fr, sur lequel elle décortique
chaque jour les pratiques RH des entreprises qui favorisent le développement
de leurs collaborateurs. Actuellement, 200 pratiques de 140 entreprises
sont répertoriées.
Quel est votre parcours professionnel ?
Solenne de Thésut : Après une maîtrise de droit
privé et un DEA de droit social à Assas, j'ai obtenu
un DESS RH au Ciffop. J'ai débuté chez Johnson &
Johnson en tant que chargée de recrutement puis sur un poste
de responsable de ressources humaines (RRH). Ensuite, je suis partie
6 mois en Guyane faire une mission humanitaire d'alphabétisation.
A mon retour, j'ai été embauchée par Pepsico
France comme RRH. Au bout de 2 ans et demi, j'ai démissionné
car mon mari a eu l'opportunité de travailler à Riga,
à Lettonie. Nous y sommes depuis 1 an. Là-bas, j'ai
eu mon premier enfant. Puis, j'ai lancé mon blog en juin
2008. L'idée me trottait dans la tête depuis un moment.
Je voulais aider les personnes à connaître les pratiques
RH des entreprises pour les aider à bien choisir leur entreprise.
Comment avez-vous choisi les 6 critères pour décrire
les pratiques d'entreprises (développement des compétences,
développement durable, environnement de travail, management,
promotion de la diversité, rémunération) ?
S. de T. : Plutôt que de critères, je préfère
parler de dimensions. Mon objectif est d'apporter un éclairage
sur une pratique mais nullement de noter une entreprise. Jamais,
je ne publierai un Top 10 des entreprises.
J'ai retenu ces dimensions par rapport à mon expérience,
à ce qui influence, selon moi, l'épanouissement et
le bien-être des salariés, en essayant de couvrir toutes
les dimensions de la fonction ressources humaines.
Où trouvez-vous les informations ? Quelles sont vos
sources ?
S. de T. : Elles sont multiples. D'une part, je reçois des
informations de mon propre réseau professionnel. Ensuite,
je lis beaucoup la presse écrite et lorsqu'une pratique m'interpelle,
j'approfondis en contactant l'entreprise. J'utilise également
les bilans sociaux. Enfin, des salariés commencent à
m'envoyer des pratiques, que je vérifie bien entendu.
D'autre part, j'essaye également de recueillir des pratiques
de PME mais elles ne sont pas faciles à obtenir. C'est l'un
de mes prochains objectifs !
Parmi les pratiques RH dont vous vous faites écho, quelles
sont celles qui vous semblent les plus intéressantes ? Et
à contrario, celles qui vous semblent les plus contre-productives
?
S. de T. : Parmi celles qui me semblent intéressantes, je
citerai les démarches sociétales mises en place par
des entreprises pour prendre le relais de lacunes de l'Etat. On
peut citer SFR sur la question du handicap, Thalès sur celle
des seniors ou encore Danone qui a mis en place un programme permettent
aux ouvriers d'accéder à des diplômes. J'ai
aussi apprécié celles qui associent davantage ou de
façon créative les salariés aux résultats
de l'entreprise, comme Dassault ou Facéo.
En revanche, je me méfie beaucoup des pratiques qui surfent
sur les nouvelles tendances ou les effets marketing. Je pense notamment
aux blogs d'entreprise (et ne pas confondre avec les Intranets).
Je ne suis pas favorable à ces tentatives de créer
une communauté. Cela pose en plus des problèmes de
confidentialité, de diffamation, de règles d'utilisation,
etc.. Autre pratique discutable : celle de Gan Patrimoine qui a
utilisé une émission de télé- réalité
pour recruter. Cela me semble peu respectueux des candidats. Une
autre pratique qui me semble contre-productive est celle de yahoo,
qui explique à tous ces managers comment licencier "froidement,
sans commettre d'impair juridique". Cela crée une culture
d'entreprise "inhumaine", à l'opposé de
ce en quoi je crois.
De nombreux salariés connaissent très mal ce
que font leurs DRH et/ou ne comptent pas beaucoup sur eux pour faire
avancer les choses. En tant qu'ancienne responsable RH, qu'avez-vous
envie de leur dire ?
S. de T. : Je pense effectivement qu'il y a beaucoup d'incompréhension
de part et d'autre. S'il est légitime d'attendre beaucoup
d'un RRH, il faut également comprendre qu'il n'est pas en
charge du bien-être des salariés. Il est là
pour construire des process (autour des parcours professionnels,
de la formation, de l'évaluation), pour garantir l'équité
d'une promotion, de la rémunération mais ensuite,
c'est aux managers de proximité de relayer et de diffuser
les messages. Pour moi, ce n'est donc pas parce que l'on n'a pas
de contact avec son RRH qu'il est forcément mauvais.
D'autre part, il faut bien reconnaître que les RH ne sont
malheureusement pas présentes dans toutes les entreprises
ou alors encore trop cantonnées à un rôle purement
administratif. C'est une fonction encore relativement nouvelle.
En terme de conciliation vie privée / vie professionnelle,
quelles tendances percevez-vous ? Quelles pratiques RH vous semblent
vraiment concrètes et utiles ?
S. de T. : Les actions et initiatives sont un peu partout les mêmes,
comme les codes de bonne conduite pour les horaires de réunions,
des formations sur l'organisation du temps ou encore les crèches
et conciergeries d'entreprise. La conciliation vie privée/vie
professionnelle est un vraie demande mais je trouve que l'on traite
les effets et pas la source du problème. Ces pratiques facilitent
certes un meilleur équilibre mais une formation ne suffit
pas à faire changer profondément les choses. Ce sont
les mentalités et la culture qu'il faut revoir complétement.
Pour moi, cette question rejoint beaucoup celle de l'égalité
hommes/femmes car ce sont quand même majoritairement les femmes
qui rencontrent des problèmes pour concilier les deux ! Par
conséquent, je considère que la promotion de l'égalité
hommes/femmes au sein d'une entreprise est un bon indicateur de
la prise en compte de la conciliation vie privée/vie professionnelle.
Pour faire progresser profondément les choses, il faut développer
le respect de l'autre. Mais quand on voit que dans les instances
dirigeantes, ce sont essentiellement des hommes qui n'ont aucune
contrainte personnelle et même pas le réflexe d'être
sensibles aux contraintes personnelles des autres, on se dit que
le chemin est encore long à parcourir....
Vous écrivez dans la présentation de votre blog,
"être convaincue que la finalité de l'entreprise
est le développement des hommes". Mais alors comment
expliquez-vous que les entreprises n'en soient pas plus conscientes
?!
S. de T. : Je pense que l'on est tellement enfermé dans
le système financier qu'on en oublie que l'entreprise a été
créée par l'homme et pour servir le développement
de l'homme. Je pense qu'il est temps de retrouver un certain équilibre
entre l'économique et l'humain. Pourquoi ne pas créer
pas un indice humain à côtés des indices financiers
? Peut-être la crise actuelle va -t-elle permettre une meilleure
prise en compte de la "valeur humaine" dans les entreprises...
Les témoignages de salariés restent encore peu
nombreux. Avez-vous des idées pour les faire participer davantage
? Comment expliquer leurs réticences à témoigner
?
S. de T. : Si je suis très satisfaite du nombre de visites
(entre 500 et 600 par jour, hors WE), je suis en revanche un peu
déçue par le nombre de commentaires que je souhaiterais
plus nombreux. Car rien ne vaut une vision de l'intérieur.
Je réfléchis à comment inciter les personnes
à laisser leurs commentaires, par exemple en étant
moins affimative dans mes propos. J'espère aussi qu'avec
la notoriété grandissante du blog, certains finiront
par oser témoigner !
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés
Journal de la consultation Souffrance et Travail
Marie Pezé
« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail
? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez
place sur cette chaise à côté de la mienne.
Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire
impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut
sauver. Il peut tuer aussi. Travail sous contrainte de temps, harcèlement,
emploi précaire, déqualification, chômage sont
le lot quotidien des patients de la consultation Souffrance et Travail
».
MARIE PEZÉ
Ces patients, adressés à Marie Pezé par le
médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se
ronge pour la sécurité de ses malades au point de
sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de
se doper au travail pour se sentir « vivant » ; Solange,
assistante de direction depuis 15 ans, qui se voit propulsée
sur un plateau téléphonique après un congé
maladie ; François, juriste d'entreprise, qui fait une tentative
de suicide sur son lieu de travail parce qu'il n'y « arrive
pas ». Et tant d’autres… Ce sont eux les «
héros » de ce journal qui dresse un constat terrible
: les troubles liés au travail s’aggravent et se généralisent
; l’hyperproductivisme est devenu la norme de fonctionnement
de toutes les entreprises, fragilisant l’ensemble des salariés.
Au-delà du cri d’alarme, Marie Pezé décrypte
les situations et montre que le harcèlement moral et le stress
sont loin de constituer des explications suffisantes. Avec ce livre,
elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun, victime potentielle
ou proche de celle-ci (collaborateur, manager, responsable des Ressources
humaines, psychologue, médecin du travail) puisse identifier
le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle, ceux que
l’on appelle aujourd’hui les « Ressources humaines
» sont en danger.
Sommaire
01. La fabrique des harceleurs
02. Le premier qui dit la vérité, il sera exécuté
03. Contrainte par corps
04. Chaude chaîne froide
05. La beauté du geste
06. Aliénation mentale ou aliénation sociale ?
07. Travail, surcharge mentale et physique
08. Mort subite au travail
09. L'hyperactivité, rouage essentiel du productivisme
10. Les suicides se multiplient
Critiques de la presse
Le Monde
Marie Pezé au chevet du travail. Soigner la souffrance des
salariés et d'abord la comprendre : une mission que ce médecin
s’est assignée, en pionnière, depuis onze ans.
Elle en a tiré un livre terrible
Le Monde diplomatique
Ecrit dans un souci de prévention, ce livre est une invitation
à ne pas se dérober face à la gravité
des états de détresse, quelquefois présuicidaires,
d'un nombre croissant de salariés, indépendamment
de leur statut. C’est en quelque sorte un manuel pratique
de lutte contre l’injustice
La Tribune
Une critique radicale du management
Libération
Après consultation, la version crue des maux du travail.
La psychanalyste Marie Pezé publie le récit de salariés
en souffrance
Le Parisien Hauts-de-Seine matin
Elle soigne le mal-être des salariés à Nanterre
(…) Elle revient, dans un livre, sur ses onze années
d'expériences
Ouest France
Au travail, on peut s'épanouir, parfois s’abîmer
Nice Matin
Elle est au cœur d'un cyclone. A l’écoute de la
souffrance des salariés au travail, Marie Pezé (…)
vient de publier un ouvrage explosif (…) Un tableau noir pour
un monde conflictuel dont on perçoit de plus en plus les
effets dévastateurs
Alternatives Economiques
Ce journal dresse à travers un tableau accablant de la souffrance
occasionnée quotidiennement par le travail. Tout y passe
: stress, troubles musculo-squelettiques, suicides (..) l'auteur
ne cède pas à la facilité de s’en tenir
au simple document choc. Elle essaye de comprendre et d’analyser
Entreprise & Carrières
Marie Pezé fait entrer le lecteur dans l'intimité
de douloureux récits (…) Publier cet ouvrage signifie,
pour l’auteure, tenter d’alerter le grand public, lui
livrer ses outils de diagnostics. Ainsi chacun pourra identifier
le danger et intervenir, voire prévenir
L'Infirmière magazine
Labeur et malheur. Un brûlot sur la souffrance des salariés
en entreprise
Le Journal Mediapart
Souffrance au travail, une femme à l'écoute
Les Inrockuptibles
Dans cet ouvrage construit autour de dix témoignages bouleversants,
révoltants, Marie Pezé, avec une rare acuité,
met en lumière la « centralité » du travail
dans la construction identitaire, le travail qui, comme elle l'écrit
peut « sauver » mais « tuer aussi »
Santé Mentale
Souffrance au travail : comprendre pour agir
La Revue du practicien
Un livre remarquable
Panorama du Médecin
Avec son livre-témoignage, la psychanaliste Marie Pezé
veut alerter grand public et soignants sur la progression d'un mal
sous-estimé
TV5.org
Quand le travail devient souffrance : une consultation pour dire
les maux
Actualités
Une interview de Marie Pezé est paru dans Le Parisien/Aujourd'hui
en France (Quotidien du 30 mars) et dans Générations
Femme (n° mars/avril 2010)
http://www.pearson.fr/livre/?GCOI=27440100779750
Entretiens Pezé Marie
novembre 2008, par serge cannasse
Psychologue clinicienne, psychanalyste, expert judiciaire auprès
de la Cour d’appel de Versailles, Marie Pezé a fondé
en 1997 la première consultation "Souffrance et travail".
Elle vient de publier " Ils ne mouraient pas tous, mais tous
étaient frappés " (2008), un livre magnifique,
à la fois émouvant et pédagogique, sur dix
années de consultation. Le lecteur y avance pas à
pas, par études de cas, explications théoriques et
conseils sur la conduite à tenir. Dans cet entretien, elle
bat en brèche quelques idées reçues sur les
généralistes, les psychotropes, le stress, etc.
Le stress au travail est devenu un enjeu de santé
public. Cela vous satisfait-il ?
Le stress n’est pas une pathologie, c’est un processus
adaptatif de l’organisme. En revanche, il existe de véritables
psychopathologies du travail, qui sont des pathologies de surcharge,
intellectuelle, psychique ou physique. C’est d’elles
qu’il faut parler, et non du stress. Elles ont été
très bien décrites par les cliniciens du travail et
font l’objet de nombreux travaux épidémiologiques,
par exemple les enquêtes SUMER ou celles de la DARES. Toutes
ont montré que les problèmes de santé au travail
liés à cette surcharge se sont aggravés ces
dernières années. Elles sont bien connues. C’est
pourquoi je ne vois pas l’intérêt de mettre au
point un nouvel outil statistique sur « le stress »,
comme le propose le rapport Légeron, alors que l’urgence
est d’agir sur les causes de ces pathologies, les nouvelles
organisations du travail.
N’y a t’il pas aussi une susceptibilité
individuelle ?
Les psychopathologies du travail naissent de facteurs multiples
: formes d’organisation du travail, choix de société,
choix politiques et bien entendu, organisation psychique personnelle
de chaque travailleur. Mais il ne faut surtout pas s’imaginer
quelles atteignent des sujets fragiles. C’est exactement le
contraire : elles touchent des personnes exigeantes quant à
la qualité de leur travail. Souvent, ce sont même des
personnes importantes pour l’équilibre de leurs équipes,
dont elles sont le pivot.
On ne peut pas comprendre ces maladies si on se contente d’une
seule approche. Je suis psychanalyste. Mais la psychanalyse ne suffit
pas pour comprendre pourquoi ce sont les femmes qui ont les emplois
ayant un lien avec la saleté, la mort, la vieillesse, l’enfance,
la maladie, ni pourquoi à travail égal leur salaire
est en moyenne inférieur de 25 % à celui des hommes.
Elles seraient masochistes ? Ici la théorie psychanalytique
n’a aucun intérêt.
L’argument de la fragilité ne tient pas devant l’ampleur
du phénomène. Celui-ci ne touche aucun profil psychique
particulier.
Les patients ont-ils une symptomatologie particulière
?
Les patients me sont adressés parce qu’ils sont dans
une situation grave, d’urgence, qui a tous les caractères
des névroses post-traumatiques : cauchemars nocturnes, reviviscences
diurnes, réveils en sursaut, crises d’angoisse par
analogie (par exemple, fausse reconnaissance de la voiture du persécuteur),
perte de l’élan vital, repli social, sentiment d’incompétence,
de culpabilité, etc.
Ces névroses s’expliquent par l’impossibilité
de recourir à une des deux voies possibles en cas de traumatisme.
Soit l’élaboration psychique, c’est-à-dire
réfléchir à la situation et y répondre
intellectuellement de manière satisfaisante, soit la fuite
sensori-motrice. Celle-ci est interdite au travail : on ne peut
pas répondre agressivement à son employeur, on ne
peut pas abandonner son travail, sous peine de perdre tous ses droits
d’indemnisation. L’autre possibilité suppose
de comprendre l’ensemble des processus en jeu, ce qui est
très complexe.
Pour vous, le travail est donc constitutif de l’identité
personnelle.
Il est central pour sa construction. Le travail d’organisation
du monde débute dès la naissance, c’est alors
un travail psychique. Il se poursuit à l’école,
au foyer, dans les emplois que nous occupons.
Parler de fin du travail ou promouvoir la paresse comme mode de
vie est une forme de cynisme qui fait beaucoup de dégâts.
Il faut remettre le travail au centre de la vie, le « travailler
bien et ensemble ».
D’où vient que l’organisation du travail
est pathogène ?
Le travail concrètement effectué ne correspond pas
au travail tel qu’il est prescrit par la hiérarchie.
Celle-ci suit une logique gestionnaire qui ne tient aucun compte
de l’adaptation au réel que tout travailleur doit effectuer.
Nous devons tous ruser avec le réel, nous apprenons tous
constamment notre métier. Vouloir faire des descriptions
exhaustives des tâches à accomplir est un fantasme
de toute puissance venant de gens qui croient tout savoir parce
qu’ils ont un diplôme de niveau élevé.
Mais ils n’ont aucune expérience du terrain.
Leurs méthodes sont nées dans les années 90.
Elles utilisent les données des sciences humaines pour accroître
la productivité des salariés en jouant sur la pression
morale (vouloir bien faire) plutôt que celle de la reconnaissance
par les autres. Elles individualisent en cassant les collectifs
de travail, suppriment la mémoire des anciennes formes d’organisation
en licenciant les seniors, organisent la porosité entre la
vie privée et la vie professionnelle et mettent les salariés
en concurrence entre eux. Elles tiennent essentiellement par la
peur du chômage.
Cela aboutit à une hyperactivité qui touche aujourd’hui
tout le monde, y compris les médecins. Une des mes patientes,
mise en invalidité pendant 6 mois, a retourné la terre
de son jardin tous les jours ; elle ne savait plus s’arrêter.
L’hyperactivité fonctionne comme la douleur : quand
un seuil est passé, elle s’entretient toute seule,
mécaniquement. Pour moi, c’est la pulsion de mort devenue
autonome. Les gens ont l’impression qu’ils ne peuvent
l’arrêter qu’en se supprimant.
Intervenez-vous sur l’organisation des entreprises
?
Non, je n’ai aucune compétence pour cela, au contraire
d’autres professionnels dont c’est le métier.
Je peux aider au repérage de la souffrance au travail ou
donner un avis au médecin du travail. C’est d’abord
lui qui doit s’adresser à l’employeur pour lui
signaler les problèmes d’absentéisme, de renouvellement
rapide des équipes, d’arrêts maladies, etc, liés
à tel service de son entreprise, sans pour cela stigmatiser
personne, mais en soulevant les problèmes d’organisation.
J’ai aussi donné beaucoup de formations en entreprises,
mais je ne suis pas certaine que cela ait été très
utile.
Par qui les patients vous sont ils adressés ?
Le plus souvent par le médecin du travail. De toute façon,
je ne peux rien faire sans lui, que ce soit pour muter un salarié,
aménager le poste de travail ou obtenir un licenciement dans
de bonnes conditions. Quand ils me sont adressés par un généraliste,
je lui conseille aussi de se mettre en relation avec le médecin
du travail.
Les généralistes ont pourtant la réputation
de ne pas s’intéresser aux questions du travail.
C’est faux. Ce sont eux qui sont en première ligne,
qui dirigent vers les consultations spécialisées comme
la mienne et qui prescrivent les arrêts de travail. Ces derniers
sont souvent le seul moyen d’éviter une situation qui
peut conduire au suicide. La plupart des arrêts sont justifiés,
il ne faut surtout pas penser le contraire. Les généralistes
font ce qu’ils peuvent avec les outils qu’ils ont :
le médicament et l’arrêt-maladie. C’est
une des raisons pour lesquelles ils prescrivent beaucoup de psychotropes.
En revanche, ils ont besoin d’être formés, non
seulement en clinique, mais aussi pour les démarches médico-administratives,
pour gagner du temps et bien aiguiller leurs patients et rédiger
leurs certificats sans préjudice. Tout cela est fondamental.
Pour cela, avec Christophe Dejours, nous avons créé
une formation pluridisciplinaire au CNAM (Conservatoire national
des Arts et Métiers) et beaucoup publié dans la presse
médicale, en particulier dans la Revue du praticien et le
Concours médical, en expliquant les outils que nous avons
construits (et qu’ils peuvent retrouver à la fin de
mon livre).
J’ai des rapports constants avec des généralistes,
comme avec des médecins du travail, des médecins conseils,
des médecins de la COTOREP, des médecins inspecteurs,
des psychiatres, des psychanalystes et des juristes. Nous travaillons
en coordination dans un vaste réseau informel qui couvre
toute l’Île de France. Mais cela prend beaucoup de temps,
un temps que souvent le généraliste n’a pas.
Serait-ce utile de le formaliser ?
Pas vraiment. Il faut surtout savoir qui fait quoi. Ce qui serait
utile serait que les médecins travaillant dans les organismes
sociaux restent plus longtemps au même poste pour assurer
un suivi efficace et qu’on puisse plus facilement les joindre
directement par téléphone plutôt que d’aboutir
à un plateau téléphonique anonyme.
Marie Pezé. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient
frappés. Pearson Education France, 2008. 214 pages. 17 euros.
http://www.carnetsdesante.fr/Peze-Marie
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés
Résumé
Aux avant-postes de la souffrance au travail, Marie Pezé
décrypte ce fléau grandissant de notre société.
Un livre coup de poing.
Description
« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail
? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez
place sur cette chaise à côté de la mienne.
Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire
impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut
sauver. Il peut tuer aussi. Travail sous contrainte de temps, harcèlement,
emploi précaire, déqualification, chômage sont
le lot quotidien des patients de la consultation Souffrance et Travail
». MARIE PEZÉ
Ces patients, adressés à Marie Pezé par le
médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se
ronge pour la sécurité de ses malades au point de
sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de
se doper au travail pour se sentir « vivant » ; Solange,
assistante de direction depuis 15 ans, qui se voit propulsée
sur un plateau téléphonique après un congé
maladie ; François, juriste d'entreprise, qui fait une tentative
de suicide sur son lieu de travail parce qu'il n'y « arrive
pas ». Et tant d'autres... Ce sont eux les « héros
» de ce journal qui dresse un constat terrible : les troubles
liés au travail s'aggravent et se généralisent
; l'hyperproductivisme est devenu la norme de fonctionnement de
toutes les entreprises, fragilisant l'ensemble des salariés.
Au-delà du cri d'alarme, Marie Pezé décrypte
les situations et montre que le harcèlement moral et le stress
sont loin de constituer des explications suffisantes. Avec ce livre,
elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun, victime potentielle
ou proche de celle-ci (collaborateur, manager, responsable des Ressources
humaines, psychologue, médecin du travail) puisse identifier
le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle, ceux que
l'on appelle aujourd'hui les « Ressources humaines »
sont en danger.
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés
«I’ve been high, I’ve climbed so high
The light, sometimes it washes over me»
I’ve been High (REM).
Je suis un homme des chemins de traverses, difficile à mettre
dans une case et j’ai du mal à y rester. Ado, je n’avais
pas de passions particulières, pas d’orientation favorite.
Le système a choisi pour moi. Ayant croisé par hasard
la route des 1ers PCs, je me suis retrouvé ingénieur
informatique et j’ai commencé a faire du développement
(OS en col blanc) dans la hi-tech. Pas de quoi se plaindre, un monde
dynamique, à la pointe, valorisant, des bons salaires.
Puis mon désir de bougeotte a pris le dessus. Je suis resté
dans le même monde et j’ai tour a tour été
intégrateur (comprendre OS en cravate chez des clients),
avant-vente (comprendre caution technique du vendeur), commercial
(un peu), manager, j’ai monté ma propre petite société
puis j’ai basculé: directeur financier (et aussi directeur
juridique et DRH) de X, une PME française de 60 personnes
dans la hi-tech.
Mon cheminement intellectuel s’est fait en parallèle.
Je suis issu d’une famille typiquement française (racines
paysannes, exode rural puis ascension sociale des baby boomers -
mes parents en l’occurrence), raisonnablement conservatrice,
qui m’ont élevé dans les valeurs du devoir,
de la compétition, du travail, valeurs que j’ai parfaitement
intégrées (mon Surmoi, dirait Sigmund) et que je ne
renie pas systématiquement (la valeur travail reste pour
moi une noble valeur).
J’étais adapté au système, le système
m’était adapté. Au fil des années, des
failles tectoniques sont apparues, le doute en moi s’est immiscé.
Le système auquel j’adhérais pleinement m’est
apparu de plus en plus insensé, inhumain, ubuesque. J’étais
partie prenante intégrale d’un système auquel
je croyais de moins en moins. J’ai commencé à
en parler à quelques amis, puis à quelques collègues
à la salle café, puis sur Facebook. Il est étonnant
de constater le nombre de gens partageant le même sentiment.
Il y a quelques mois, ma société, X, a été
rachetée par une société américaine,
Y. Pas de gros drames, pas d’énormes charrettes, et
j’ai gardé mon poste. J’ai aussi du augmenter
encore mon rythme de travail, être connecté en permanence,
soir (conf-calls avec le décalage horaire de 9 heures) et
week-end, améliorer mon anglais et subir les frustrations
et humiliations, bien souvent involontaires mais bien réelles,
des collègues du siège social pour qui les français
sont des papous avec un os dans le nez (no offense pour les papous)
et qui comptaient bien faire valoir le droit du vainqueur (le racheteur).
«Winner takes it all», dit-on au pays de l’Oncle
Sam (et aussi en Suède avec ABBA).
Mon corps a commencé à émettre des signaux,
doucement, puis de plus en plus fort. Je les ai ignorés,
j’allais au travail chargé comme Marco Pantani dans
la montée de l’Alpe d’Huez (caféine/corticoïdes
pour le speed, codéine pour la douleur, Lexomil®/Stilnox®
pour redescendre).
Puis mon corps a dit stop, plus possible, arrêt immédiat,
moteur cassé, en panne sur la bande d’arrêt d’urgence.
Je suis en arrêt maladie. J’ai de la chance, je suis
sûrement endommagé mais pas détruit comme tant
d’autres…
Je ne sais pas de quoi sera fait mon avenir. Aujourd’hui,
je veux juste témoigner et réfléchir sur ce
système qui fait payer un si lourd tribut aux individus.
Un système où il y a finalement peu de salauds mais
beaucoup de saloperies. Comprendre, analyser et espérer.
L'experte de la souffrance au travail « discriminée
» puis virée
Par Augustin Scalbert | Rue89 | 22/07/2010 | 13H41
Créatrice de la première consultation sur la souffrance
au travail, Marie Pezé est victime de tensions liées
à son handicap.
Avec son livre « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient
frappés », la psychologue Marie Pezé a contribué
à rendre public le problème de la souffrance au travail.
C'est du passé : sa consultation est condamnée depuis
qu'elle a reçu, mardi, une lettre de licenciement après
des années de bras de fer avec la direction de l'hôpital
qui l'employait.
Son histoire est d'une ironie confondante : alors qu'elle reçoit
des salariés en souffrance au Centre d'accueil et de soins
hospitaliers (Cash) de Nanterre (Hauts-de-Seine), Marie Pezé
est licenciée après avoir tenté, en vain, d'obtenir
des aménagements de son poste de travail, qui la faisait
souffrir.
Psychanalyste et docteur en psychologie, Marie Pezé a créé
sa consultation, la première de France, en 1997. Elle est
handicapée à 80%, un handicap physique qu'elle nous
demande de ne pas évoquer. « La première fiche
de la médecine du travail date de 1999 », raconte-t-elle.
« Il y en a eu trois au total. A chaque fois, mon cas s'était
aggravé. »
L'hôpital ne réalise pas les aménagements demandés
Voici par exemple ce que préconise en 2003 un médecin
du travail qui la déclare « apte sur poste aménagé
» :
* « pas de port de charges,
* aide à la gestion des dossiers, courriers et photocopies,
* déplacements limités : aide, vestiaire à
proximité,
* pas de gestes fins et répétés : dictaphone
pour courrier, utilisation d'oreillette téléphonique,
* secrétariat aidant. »
Mais la direction du Cash n'effectue pas les aménagements
demandés par la médecine du travail pour ce poste
à mi-temps. Marie Pezé est souvent en arrêt
maladie. Quand elle exerce -sa consultation accueille 900 patients
par an, dont un tiers travaillent dans le même hôpital
qu'elle-, ses patients la voient répondre au téléphone,
faire des photocopies, porter des dossiers…
Outre ses patients, des magistrats, des médecins du travail
ou des psychologues constatent aussi ses conditions d'exercice :
pour obtenir le certificat de spécialisation en psychopathologie
du travail, dont Marie Pezé est responsable pédagogique,
ils assistent à ses consultations.
Des journalistes et des parlementaires la sollicitent
Des élus, des documentaristes ou des personnalités
diverses, intéressés par les pathologies que la psychologue
a contribué à mettre en lumière, viennent aussi,
avec l'accord des patients.
L'automne dernier, le journaliste Jean-Robert Vialet l'interroge
dans sa très belle série documentaire sur France 2,
« La Mise à mort du travail », qui obtient le
prix Albert-Londres 2010. Les députés UMP auditionnent
Marie Pezé dans une commission parlementaire et l'interrogent
pour leur site Lasouffranceautravail.fr.
Mais au Cash, seuls les médecins ont droit à un secrétariat
et à une imprimante dans leur bureau. Marie Pezé,
malgré son handicap, doit aller au bout du couloir, et porter
ses dossiers elle-même : quoique docteur, elle n'est pas médecin.
Début 2009, une psychologue du travail qui recevait les
employés de l'hôpital (1 500 fonctionnaires, médecins
et contractuels) s'en va. Elle n'est pas remplacée avant
18 mois.
« Depuis son départ, j'ai récupéré
les salariés qu'elle prenait en charge », raconte Marie
Pezé.
Le Cash doit faire des économies
Le 7 avril 2010, elle écrit au directeur de l'hôpital
pour, une fois de plus, lui « faire mesurer la nécessité
de recruter rapidement un psychologue du travail en remplacement
» de la précédente. Deux pages de rappel à
la loi et de détails, dont ceux-ci :
« Les agents du Cash sont, du fait même de la population
prise en charge par l'institution, confrontés à des
situations de violence qu'il ne faut pas banaliser : incendies avec
morts, crimes, tentatives de meurtre, viols, coups et blessures,
injures, insultes, provocations, incivilités… »
Le directeur, nommé un an plus tôt avec mission de
faire des économies, répond le jour-même :
« Madame,
Vous avez oublié parmi les destinataires le premier président
de la Cour des comptes. Cette noble institution pense qu'il y a
aussi des efforts à faire dans les hôpitaux en matière
de gestion. »
Marie Pezé n'est donc pas la seule à souffrir des
restrictions budgétaires.
Le 16 juin 2010, un médecin du travail la déclare
« inapte définitive ». « Inapte à
mon poste, pas à mon travail », dit la psychologue.
« Je faisais le même tableau clinique que mes patients
»
La direction du Cash ne communique pas sur le licenciement de Marie
Pezé. C'est l'avocate de l'hôpital, Me Anne-Françoise
Abecassis, qui s'en charge :
« Mme Pezé a été licenciée en
raison d'une inaptitude physique constatée par le médecin
du travail. Elle ne souhaitait pas être reclassée.
Au contraire, elle a clairement exprimé qu'elle attendait
ce licenciement. Les écrits en témoignent. »
Pour des raisons juridiques, Marie Pezé refuse de commenter
les propos de l'avocate. Simple réponse :
« Je faisais le même tableau clinique que mes patients.
»
A propos des demandes d'aménagement du poste de travail
de Marie Pezé, que l'hôpital était légalement
dans l'obligation d'effectuer, l'avocate botte en touche :
« Je ne connais pas l'historique de ce dossier, j'en ai
été saisie très récemment. Mais elle
a refusé un autre bureau, car elle voulait un environnement
très immédiatement médicalisé. »
Marie Pezé répond qu'elle reçoit des patients
« qui font des poussées d'hypertension et des malaises
».
La direction : « C'est une perte pour l'établissement
»
Ils iront désormais les faire ailleurs, puisque Me Abecassis
confirme que la consultation de Marie Pezé, qui a la particularité
d'être psychologue clinicienne, sera supprimée :
« Mais tout le monde s'accorde à dire que c'est une
perte pour l'établissement. »
L'avocate rappelle que la psychologue « a exprimé
qu'elle est très fatiguée physiquement, psychiquement
» et ajoute, énigmatique, qu'elle n'a pas envie d'en
dire plus que ce que Marie Pezé dit elle-même sur son
état.
La psychologue, renvoyée à un an et demi de la retraite,
perd du même coup tous les emplois afférents : ses
fonctions de responsable pédagogique, d'experte devant les
tribunaux, et d'enseignante à l'université.
Elle s'apprête à déposer plainte contre l'hôpital.
Ses avocats réfléchissent au motif : « Harcèlement
» ? « Discrimination au handicap » ?
Souffrance au travail : appel aux questions à Marie
Pezé
Par Sophie Verney-Caillat | Rue89 | 24/09/2008
Un livre dont on ne sort pas indemne. Vendredi matin, Rue89 va
interviewer, avec vos questions, Marie Pezé, psychologue
dans la première consultation « Souffrance et travail
» en France. Elle vient de publier « Ils ne mouraient
pas mais tous étaient frappés ».
Un documentaire du même nom, sorti en salle en 2006, avait
permis au public de jeter un œil dans cette consultation si
particulière, où se lisent les maux de notre société.
Là, accompagnés d'une professionnelle dotée
d'une écriture précise, à la fois ultra sensible
et médicale, on entre dans le psychisme d'Agathe, aide-soignante
paranoïaque ; de Serge, qui cherche dans son travail à
se « sentir vivant » ; de Solange, secrétaire
martyrisée par un chef qui lui fait coller les timbres à
4 mm du bord ; de Fatima, femme de ménage illettrée
devenue poète…
Au-delà de ces destins personnels, ce livre révèle
à quel point « le travail nous confronte à nous-mêmes
», « pour le meilleur, dans l'espoir d'élargir
et d'enrichir notre savoir, nos compétences, notre contact
au monde », mais « pour le pire quand le travail est
vide de sens, quand il contraint nos corps, quand il verrouille
notre fonctionnement mental ».
Voici brièvement les idées fortes du livre, qui vous
permettront de lui poser des questions :
* Le travail définit l'identité : « Travailler
n'est pas seulement produire, mais se travailler soi-même.
Le sujet qui affronte authentiquement le travail accepte de se faire
habiter tout entier par lui. Chacun des patients présentés
dans ce livre investissait son travail, avec énergie et endurance,
dans une forte résonance symbolique. (…) La mise en
échec au regard des exigences que nous avons de nous-même
fait chavirer l'estime de soi. Alors, on s'accuse d'impuissance,
on est habité par des sentiments de honte et d'indignité.
L'idée du suicide comme seule délivrance peut ainsi
se profiler ».
Et pourtant, travailler engage bien plus que notre intellect.
Pour l'ouvrier qui « danse » sur son échafaudage
comme pour le chirurgien admirant le moiré du tendon qu'il
suture, pour la caissière qui vous reconnaît et donc
vous sourit vraiment, pour la psychanalyste qui perçoit l'angoisse
de son patient avec tout son corps, travailler implique de convoquer
corps organique et corps érotique. »
* L'impossibilité de démissionner aggrave les cas
: les salariés en souffrance sont dans l'impasse. Ils ne
peuvent démissionner, sous peine de perdre tous leurs droits
sociaux. Ainsi, il faut tenir coûte que coûte ; parce
que le salaire tombe à la fin du mois. Seul l'arrêt
maladie est capable d'alerter les médecins et l'entreprise
elle-même sur le fait que quelque chose ne va pas. D'arrêt
maladie en incapacité de travail, les plus en peine finissent
pas être pris en charge par la Sécurité sociale,
alors qu'une possibilité de s'octroyer une pause avant de
craquer aurait pu éviter la chute.
* La peur comme mode de management : une « idéologie
manageriale » s'est propagée dans le monde de l'entreprise,
note Marie Pezé. A force d'objectifs chiffrés, pas
toujours compréhensibles par les salariés, d'injonctions
paradoxales venant d'une hiérarchie autoritaire, les plus
faibles plongent dans le stress, la dépression, et finissent
par craquer.
* La mise en cause de l'organisation du travail : l'auteur cite
l'exemple d'un boucher, dont le métier s'appuie sur des compétences
dans la coupe, l'anatomie animale et le geste de travail. Or ce
boucher employé dans une cuisine industrielle « a subi
une modification de ses conditions de travail, une organisation
rationalisée, taylorisée, chaque tâche est séquencée,
morcelée (…)et le travail se résume à
une simple manutention nécessitant aucune compétence
particulière ».
* La spécificité des femmes : beaucoup des patients
de Marie Pezé sont des patientes, victimes de machisme, voire
considérées comme des objets sexuels par leur hiérarchie.
Pire encore est leur sort si elles sont divorcées avec des
enfants à charge, noyées sous les contingences et
la précarité.
* Les ressources humaines sont en danger, crie Marie Pezé,
en épilogue. « Certes les consultations Souffrance
et Travail se sont multipliées (plus d'une quinzaine aujourd'hui).
Mais sans financement, toujours grâce à des initiatives
locales (…). A qui demander conseil ? Vers qui se tourner
quand l'exécution du geste de travail devient difficile ?
» La question reste largement sans réponse. Certes
la justice entend maintenant le préjudice de harcèlement,
et peut obliger les fautifs à réparer. « Mais
quelle réparation possible pour un emploi perdu. Pour l'atteinte
à la santé mentale et/ou physique ? pour la perte
du sens du travail ? » et « quelle place pour la prévention
? » interroge l'auteur.
Ils ne mouraient pas mais tous étaient frappés par
Marie Pezé - Editions Pearson - 17€.
« Travailler à en mourir » enquête
sur l'entreprise d'aujourd'hui
Par Hubert Artus | Rue89 | 26/10/2009
« Le suicide s'attrape-t-il comme la grippe ? », s'interrogeait
récemment Guillemette Faure, présentant le livre «
Point de bascule » de l'Américain Malcolm Gladwell.
« Travailler à en mourir », paru juste au lendemain
de la découverte d'un 25e suicide à France Telecom
depuis février 2008, est un ouvrage qui fait la jonction
entre Gladwell et « Capitalisme et pulsion de mort »,
de l'économiste Bernard Maris, paru en janvier dernier.
L'ouvrage est en fait né de « Travailler à
en mourir », un documentaire de Paul Moreira (ancien rédacteur
en chef de l'émission « 90 Minutes » sur Canal)
diffusé dans la case « Infrarouge » sur France
2. Un succès d'audience inattendu sur cette tranche horaire
tardive.
Paul Moreira a alors voulu faire « un objet qui dure, un
livre ». Il a rencontré le journaliste et romancier
Hubert Prolongeau, auteur de nombreux documents et témoignages
(on lira le très subtil « Sans domicile fixe »
ou encore « Victoire sur l'excision », prix France Télévisions
2006). Ensemble, ils ont prolongé le travail d'enquête.
« Travailler à en mourir » est un livre de journalistes
: il répond à un phénomène (vague de
suicides) par des histoires et par des exemples. C'est surtout un
livre qui tombe bien : ses approches (« harcèlement
institutionnel », culpabilité, suicide, silence des
chefs de service, deuil des familles) sont assez sobres pour être
extrêmement parlantes en période de crise. (Voir la
vidéo)
Trois catégories de travailleurs
L'ouvrage est bâti en trois parties. « La mort frôlée
», avec un exemple unique. Une banque. La Banque de l'Ain,
une filiale du CIC, à travers le cas de deux conseillers
locaux.
Lorsque le CIC fusionne avec le Crédit mutuel en 1999, on
exige de ces conseillers des objectifs inatteignables. Les types
n'ont plus de vie. Sauvés de justesse du geste fatal, ils
sont néanmoins « inaptes au travail ». Pas un
bien, juste un moins pire.
« La mort choisie » est évidemment la partie
la plus longue. Centrée autour du Technocentre Renault de
Guyancourt, elle retrace les conditions dans lesquelles se sont
suicidés sur leur lieu de travail Antonio B. (octobre 2006),
Hervé T. (janvier 2007) et Raymond D. (février 2007).
L'enquête des deux auteurs y fut compliquée, mais
ils sont parvenus à retracer le fil de trois destins en rencontrant
familles, collègues et supérieurs (les fameux «
N+1, N+2, des sigles qui en disent long sur le tabou de l'enquête
et sur la dématérialisation de l'objet même
du travail et de la production). Où l'on s'aperçoit
que, parfois, les responsables hiérarchiques des prévenus
sont ceux qui parlent le plus vrai.
Une partie où un homme est pointé clairement : “
Cost Killer ”, le patron de Renault Carlos Ghosn, et surtout
son “ contrat 2009 ” (doubler la gamme de modèles,
vendre plus, sans embaucher). Un modèle économique
pour certains. Pour d'autres un modèle de pression psychologique.
Qui peut mener au suicide.
“ La mort imposée ”, enfin, où l'on arrive
sur le terrain de la sidérurgie. Et d'Arcelor-Mittal. Un
pays où le CDI n'est même plus envisageable, et où
on transforme “ le salarié en sous-traitant ”.
L'homme, ici, est nié. Trois parties distinctes. Trois catégories
de travailleurs parmi d'autres. (Voir la vidéo)
Etat des lieux
Alors que, lundi dernier, la veuve d'Antionio B. était devant
le Tribunal de la Sécurité Sociale à Nanterre
pour faire qualifier le suicide de son défunt mari en accident
du travail (délibéré au 14 décembre),
ce livre allie témoignages et mises en perspective de la
déshumanisation du travail à l'heure où la
valeur travail se raréfie et que l'on ne sait plus pour qui
on travaille (voir vidéo).
Il décrypte un système et une mécanique qui
ont mené des hommes à la mort. Qui plonge dans le
monde du silence : l'entreprise, aujourd'hui. Le mérite des
auteurs est d'avoir exhumé, en partant du phénomène
de la mort, ce qui peut s'en verbaliser, s'en socialiser.
La mort (accident ou suicide) sur le lieu de travail est un phénomène
sur lequel on n'a quasi pas de chiffres. Dans le livre, les auteurs
avancent qu'il “n'existe pas d'étude nationale sur
le sujet. La seule que nous possédions est régionale,
elle date de 2003 avec les réponses de 190 médecins
du travail en Basse-Normandie”.
De l'avis de nombreux chercheurs, médecins, etc, le chiffre
réel des suicides au travail est très largement supérieur
à une personne par jour. (Voir la vidéo)
“Travailler à en mourir” est, comme le dit Prolongeau
“l'histoire de gens qui se sont dit ‘Ma vie c'est le
travail’, et pour qui le travail a été la mort”,
un livre d'époque. A relire avec “Capitalisme et pulsion
de mort”.
Travailler à en mourir – Quand le monde de l'entreprise
mène au suicide de Paul Moreira et Hubert Prolongeau (Flammarion,
Coll. EnQuête, 240 pp., 20€)
Mal-être au travail: une mission sénatoriale
rend un rapport préoccupant
De Cécile AZZARO (AFP) – 7 juil. 2010
PARIS — Après des suicides de salariés dans
plusieurs entreprises, la mission d'information sénatoriale
sur le mal-être au travail a rendu mercredi un "diagnostic
préoccupant", accompagné d'une série de
propositions pour améliorer le management, la médecine
du travail et le Code du travail.
"A l'évidence, le mal-être au travail progresse
dans notre pays. Il touche tous les secteurs d'activités,
les employés comme les cadres, sans oublier les chefs d'entreprises",
a souligné le sénateur Gérard Dériot
(UMP), rapporteur de la mission d'information, lors d'une conférence
de presse.
La mission d'information s'est constituée en octobre 2009,
au moment où France Télécom affrontait une
série de suicides de salariés, très médiatisés.
Composée de 19 membres issus de tous les groupes parlementaires,
elle a mené au total 36 auditions (syndicats, patronat, DRH,
psychologues, sociologues, etc) ou tables rondes, a expliqué
son président le sénateur PS Jean-Pierre Godefroy.
Elle s'est déplacée aussi sur le terrain: au technocentre
de Renault à Guyancourt, où trois salariés
se sont donnés la mort entre fin 2006 et début 2007,
et dans un centre d'appels de France Télécom, qui
est, selon M. Godefroy, "devenu pour beaucoup de Français
le symbole du mal-être au travail", après 35 suicides
de salariés en 2008 et 2009.
Se basant sur plusieurs études, la mission a présenté
"un diagnostic préoccupant", rappelant notamment
qu'un salarié sur cinq se plaint de devoir gérer une
charge de travail excessive, et que 30% déclarent être
victimes d'agressions verbales ou souffrir de conflits de valeurs.
Les causes de ce mal-être sont "à rechercher
dans les mutations du monde du travail", a expliqué
M. Deriot, citant "la recherche de la performance à
tout prix", "l'isolement croissant des salariés"
et "la perte de sens du travail", aggravées par
"le stress des transports" dans les grandes agglomérations
et la "double journée" des femmes.
Dans son rapport, la mission d'information préconise de
mieux former les managers à la "gestion d'équipe"
et de "les doter d'un socle minimum de connaissances sur la
relation entre santé et travail", encore "peu étudiée
dans les grandes écoles".
Plus concrètement, elle propose qu'"une part de la
rémunération variable des managers dépendent
d'indicateurs sociaux et de santé au travail", comme
le nombre de suicides, d'accidents du travail, etc.
Une telle démarche est déjà en vigueur dans
certaines entreprises, comme le groupe Danone, a expliqué
M. Godefroy.
France Télécom va aussi mettre en place un tel dispositif:
une partie de la part variable des 1.O00 cadres dirigeants sera
basée sur les résultats d'un "baromètre
social", réalisé auprès des salariés
par un organisme extérieur.
Le Code du travail impose déjà à l'employeur
de protéger la santé physique et mentale du salarié,
mais "en terme très généraux", souligne
la mission, qui propose d'affirmer clairement que "la charge
psychosociale du poste de travail" fait partie des risques
que l'employeur a l'obligation d'évaluer.
Elle suggère aussi de renforcer la médecine du travail,
actuellement trop "peu attractive", et les Comités
hygiène sécurité et conditions de travail (CHSCT),
dont les membres devraient être élus, selon elle, directement
par les salariés afin "d'ouvrir le débat dans
l'entreprise sur la santé et la sécurité au
travail".
Enfin, en matière de réparation des préjudices
causés par la souffrance au travail, la mission propose que
le stress post-traumatique, consécutif à un accident
ou une agression, soit intégré dans le tableau des
maladies professionnelles qui peuvent être indemnisées.
Génération « information – addiction »
& pathologies associées
by Carole Blancot
Parfois je me demande comment font les autres !
Dorment-ils aussi avec leur smartphone a proximité pour
ne pas laisser passer THE information à traiter sans délai,
LE mail auquel répondre immédiatement ? Vérifient-ils
également d’une main fébrile la présence
de leur téléphone dans leur sac ou dans leur poche
si celui-ci n’a pas sonné ou vibré les 15 dernières
minutes ? Ont-ils 3 bouquins inachevés dont la lecture est
sans cesse interrompue ? Leur sacoche contient-elle chaque jour
une dizaine d’articles à lire pour décider si
oui ou non ceux-ci mériteront un traitement particulier ?
Reçoivent-ils comme c’est mon cas 200 mails en moyenne
par jour, 10 DM (directs messages) sur twitter, 15 messages en moyenne
par jour par Viadeo et 8 sur LinkedIn ? Traitent-ils 4 appels téléphoniques
entrants en moyenne ? Entretiennent-ils activement en complément
de leur activité professionnelle 4 réseaux et 3 communautés
qui drainent à elles-seules plusieurs centaines d’inputs
quotidiens ?
Je ne parle même pas de la vingtaine d’outils informatiques
maniés chaque jour pour une tâche différente
et à laquelle on se connecte avec un mot de passe particulier.
(En ce qui me concerne, mon capital ‘where & what’
caractérisant mon identité numérique recelle
pas moins de 150 url pour 15 mots de passe différents) [Et
après on s'étonne que je n'ai pas la télévision
! Mais quand donc voulez-vous que je la regarde. Je la regarderai
sur iPad, voilà tout...]
Quand je lis ce qui suit, j’obtiens les premières
réponses à mes questions… Et puis récemment,
tandis que j’étais réveillée à
5h du matin, j’ai compris que certains, dont l’expertise
et l’activité principale ont trait au Social Media,
ont effectivement pour habitude de poster « Bonjour à
tous » sur Twitter à cette heure si matinale. Il n’y
a pas d’heure pour les relations virtuelles !
Génération d’addictions
Entre les wagons de mails, les tonnes de coups de fils, les monticules
de dossiers, les sollicitations par messages instantanés,
le « trop-plein » n’est pas loin. « Chaque
salarié doit traiter dix à quinze fois plus d’informations
aujourd’hui qu’au début des années 2000,
» estime Jean-Pierre Testa, responsable de l’offre management
des équipes à la Cegos. Dans le même temps,
la sacro-sainte secrétaire qui filtrait, classait, organisait…
– bref, permettait au manager de ne pas se laisser submerger
– est en voie de disparition dans les entreprises. «
Il faut trouver le subtil équilibre entre la nécessité
d’être informé pour assurer une veille technologique
ou le suivi de ses clients et celle de ne pas être noyé
par l’information », prévient Loïc Lebigre,
responsable emploi et formation à l’ADBS, association
des professionnels de l’information.
Source
« Chaque semaine, je fais hospitaliser 2 ou 3 cadres
noyés sous l’information »
Submergés par les mails, joignables à tout moment…
les cadres sont constamment sous pression. « La profusion
d’informations va au-delà de ce que peut supporter
le corps humain », alerte Marie Pezé, docteur en psychologie
et responsable de la consultation « souffrance au travail
» à l’hôpital de Nanterre.
Capital.fr : Pourquoi le trop-plein d’informations
est-il source de stress, voire de souffrances ?
Marie Pezé : Les nouvelles technologies de l’information
ont un impact évident sur notre façon de travailler
: il faut répondre dans l’instant, prendre des décisions
au quart de tour. On ne peut plus s’organiser, ni prioriser
ses tâches pour donner un sens à son travail. La boîte
mail ou les sites de microblogging comme Twitter en sont les meilleures
illustrations. Devenue le tonneau des Danaïdes, elle se remplit
sans fin et à toute vitesse, ce qui finit par user très
vite nos capacités cognitives. Le fonctionnement logique
de notre cerveau change : notre concentration se fractionne, nous
avons tendance à raisonner de plus en plus en mots-clés.
Capital.fr : Pourtant, cette course à la réactivité
semble inéluctable…
Marie Pezé : On demande au manager de gérer et digérer
toujours plus d’informations, d’être joignable
24h sur 24, donc de devenir un athlète de la quantité.
Mais l’homme n’est pas une machine. Ces exigences dépassent
ce que le corps humain peut supporter. La rétine de l’œil,
par exemple, ne devrait pas lire 400 mails par jour, et pourtant
ce seuil est souvent dépassé.
Capital.fr : Comment les managers font-ils face à
cette surcharge d’informations ?
Marie Pezé : Très mal pour certains. Chaque semaine,
je fais hospitaliser deux ou trois cadres en urgence dans un service
psychiatrique pendant huit jours. C’est la solution pour qu’ils
réussissent à déconnecter complètement,
je leur confisque ordinateur et téléphone portable.
C’est très efficace ! Ils sont souvent tétanisés
car ils savent qu’ils laisseront passer des informations importantes
et qu’ils risquent d’être pénalisés
dans leur travail. Mais lorsqu’ils viennent me voir, c’est
que leur surcharge de travail a dépassé la limite
du supportable.
Capital.fr : Quels symptômes doivent nous alerter
?
Marie Pezé : Les pathologies de surcharge de travail se
manifestent de différentes façons : irritabilité,
troubles du sommeil, troubles alimentaires, perte d’acuité
visuelle, problèmes de concentration, oublis (clés
de voiture, numéro de carte bleue ou de sécurité
sociale). Ne plus dire bonjour, au revoir, merci dans ses emails
est tout aussi révélateur. Le manager est tellement
obsédé par la masse d’informations qu’il
doit encore traiter, qu’il en oublie les civilités
de base. Lorsque le corps nous envoie ces signaux, il faut en parler
à son médecin traitant. Sinon le risque de débordement
est réel : agression des collègues, burn-out, voire
suicide.
Source : www.capital.fr/ Propos de Marie Pezé recueillis
par Arnaud Normand (12/05/2010).
Marie Pezé : au chevet du travail
LE MONDE | 15.09.08 Mis à jour le 17.09.09
Son bureau est bourré de dynamite. "J'ai de quoi faire
sauter toutes les entreprises françaises", prévient-elle.
Boutade, évidemment, mais il y a bel et bien de la matière
explosive derrière les portes de son armoire métallique.
Des dizaines de dossiers sur des femmes et des hommes essorés
par le boulot : secrétaires harcelées, ouvrières
soumises à des cadences infernales, cadres rongés
par des pulsions suicidaires... Déballés sur la place
publique, ces récits feraient voler en éclats la réputation
de nombreux groupes.
Parcours
1951
Naissance à Cannes (Alpes-Maritimes).
1973
Commence à travailler à l'hôpital de Nanterre.
1980
Soutenance de sa thèse.
1997
Ouverture de la consultation "souffrance et travail".
2007
Nommée expert près la cour d'appel de Versailles.
2008
Sortie d' "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient
frappés".
Sur le même sujet
Après qu'une nouvelle tentative de suicide d'un salarié
de France Télécom a relancé le débat
sur les conséquences du stress au travail, la direction a
annoncé le gel des mutations forcées de salariés
jusqu'au 31 octobre et l'ouverture de négociations en vue
d'un accord national sur ce sujet.
Témoignages France Télécom : "Des
humiliations quotidiennes"
Zoom Comment Renault a fait face aux suicides au technocentre de
Guyancourt
Edition abonnés Archive : Danièle Linhart : "Certains
ne savent littéralement plus où ils sont"
Mais Marie Pezé ne cherche pas à jouer aux poseurs
de bombe. Elle écoute les victimes de l'horreur économique
et les aide à se remettre debout. Au centre d'accueil et
de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre, elle dirige une consultation,
"souffrance et travail", qu'elle a ouverte en 1997. C'était
une première en France, à l'époque.
Chaque année, Marie Pezé reçoit environ 900
personnes. De ces rencontres, la psychanalyste et docteur en psychologie
a tiré un livre terrible, Ils ne mouraient pas tous mais
tous étaient frappés (Village mondial, 214 p., 17
euros). Son titre est le même que celui du documentaire de
Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau, sorti en salle en 2006. Le
film présente plusieurs entretiens entre salariés
et cliniciens enregistrés dans des consultations spécialisées
- dont celle du CASH de Nanterre.
Dès les premières lignes, Marie Pezé met en
garde le lecteur : "Vous n'en sortirez pas indemne." Elle
a raison. Page après page, elle décrit une "orgie
de violence sociale". Il y a Carole, secrétaire sous
les ordres d'un chef obsessionnel, qui exige que les timbres soient
collés à quatre millimètres du bord de l'enveloppe.
Ou Eliane, délogée de son poste d'assistante après
un congé-maternité, qui se "débat"
pour retrouver sa place. Malgré tous ses efforts, la DRH
refuse de lui accorder la moindre promotion. Sous le choc, Eliane
fait un malaise à la sortie de son entreprise ; le SAMU ne
parviendra pas à la réanimer...
Difficile à croire. Et difficile de s'en remettre. D'ailleurs,
Marie Pezé ne s'en est pas remise. Face à toutes ces
situations d'urgence, son corps a réagi : perte de l'usage
du bras droit, effacement du goût et de l'odorat... Une longue
dégringolade "dans le trou noir de la décompensation".
Pour retrouver la sensibilité de ses doigts, elle a pétri
de la terre. De cet exercice sont, peu à peu, sorties des
représentations de corps torturés par la douleur.
Ceux qui la connaissent bien parlent avec admiration des "visages"
qu'elle a façonnés.
Aujourd'hui, Marie Pezé va beaucoup mieux. Mais elle a toujours
au fond de sa poche un petit boîtier transparent rempli de
comprimés oblongs. Une prise "toutes les trois heures",
soupire-t-elle, avant de faire passer la pilule avec un verre d'eau.
Au départ, rien n'indiquait que cette femme au beau visage,
éclairé par deux yeux bleu myosotis, s'intéresserait,
un jour, aux éclopés du "productivisme".
Sa carrière a démarré fin 1973 au CASH de Nanterre,
dans le service d'un chirurgien de la main. Pendant des années,
elle a accompagné des personnes victimes de lésions.
Puis des patients d'un nouveau type ont débarqué à
partir des années 1990 : des caissières, des employées
de crèche qui se plaignaient de douleurs aux bras, à
la nuque, etc. "Je ne comprenais pas ce qui se passait, il
me manquait des concepts", raconte-t-elle. Elle se plonge dans
les livres de Christophe Dejours, qui occupe alors la chaire de
psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers
(CNAM). "Ce fut une illumination."
Marie Pezé réalise que l'organisation du travail
peut être "pathogène". Au-delà de
quelques hiérarques retors sévissant ici et là,
le fond du problème, selon elle, se situe dans "l'idéologie
managériale" qui se propage dans le monde de l'entreprise.
Les salariés sont de plus en plus seuls et assujettis à
des objectifs qu'ils ne peuvent pas atteindre, souligne-t-elle.
Progressivement, la consultation qu'elle assurait au CASH de Nanterre
se réoriente vers les pathologies du travail. "J'ai
pris la tangente", résume-t-elle. Un peu comme sa grand-mère,
bergère dans un village troglodyte du Piémont italien,
qui décida d'émigrer vers la France, à l'âge
de 20 ans, avec quatre enfants sous le bras. La famille s'installe
dans la région de Cannes. De condition modeste, le père
et la mère de Marie Pezé furent longtemps employés
comme domestiques dans une riche propriété.
Leur fille cadette est montée à Paris pour poursuivre
ses études. En 1980, elle soutient sa thèse de doctorat,
sur l'Approche psychosomatique des lésions en chirurgie de
la main. Un savoir aussi pointu pourrait servir à épater
la galerie, tenir à distance. Marie Pezé témoigne,
au contraire, d'une qualité d'écoute qui frappe ses
interlocuteurs - amis, relations de travail ou patients. "Elle
est posée, calme, toujours disponible, patiente", énumère
une ancienne salariée de l'industrie chimique, suivie à
Nanterre pendant près de deux ans.
Dans sa pratique quotidienne, Marie Pezé a tricoté
un réseau avec toutes sortes de partenaires : inspecteur
du travail, médecin traitant, caisse primaire d'assurance-maladie...
Ce "travail de lien" évite à des salariés
en souffrance d'être ballottés d'un service à
un autre. Pour enrichir sa réflexion sur la prise en charge
des patients, elle s'implique dans un petit groupe informel qui
réunit divers spécialistes : avocat, médecin
du travail, etc. Aujourd'hui, une vingtaine de consultations existent
en France, calquées, peu ou prou, sur le modèle de
la structure fondée à Nanterre. Marie Pezé
a ouvert une voie.
"Ce qu'elle fait est très original mais son discours
sur l'organisation du travail est un peu taillé à
la serpe. Elle se situe dans une dénonciation qui n'aide
pas les acteurs à modifier leurs pratiques", juge Damien
Cru, professeur associé d'ergonomie à l'Institut des
sciences et techniques de l'ingénieur d'Angers (Istia).
La psychanalyste n'hésite pas à prendre position
sur certaines politiques publiques. Rendu en mars, le rapport de
Patrick Légeron, psychiatre, et de Philippe Nasse, vice-président
du Conseil de la concurrence, préconise la construction d'un
"indicateur global" sur le stress professionnel. Une idée
reprise par le gouvernement. "Le chiffrage, la quantification
vont lisser encore la compréhension de la situation",
craint-elle.
Mais l'important n'est sans doute pas là pour les patients
de Marie Pezé. Bon nombre d'entre eux préfèrent
exprimer leur reconnaissance. "Elle m'a rendu à ma féminité,
assure Fatima Elayoubi. Elle a réparé mon âme."
Proche de la soixantaine, une femme, qui ne souhaite pas dévoiler
son identité, confie : "Je lui dois la vie."
Bertrand Bissuel
http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/09/15/marie-peze-au-chevet-du-travail_1095340_3224.html
Suicides au travail : le cri d’alarme d’une psy
Au moins une personne par jour se suicide à
cause de son travail, c’est le diagnostic que porte la psychologue
Marie Pezé. Si rien n’est fait, elle prédit
une augmentation du fléau.
HÉLÈNE BRY 30.03.2010
Marie Pezé est une pionnière. Docteur en psychologie,
psychanalyste et expert judiciaire, elle a fondé en 1997
la première consultation « souffrance et travail »
en France, à l’hôpital Max Fourestier de Nanterre
(Hauts-de- Seine). Treize ans, donc, qu’elle sert de bouée
de sauvetage aux salariés à la dérive, déboussolés
par les humiliations quotidiennes du petit chef, la pression de
la productivité.
L’auteure d’« Ils ne mourraient pas tous mais
tous étaient frappés » (2008, Pearson) lance
un cri d’alarme sur le risque imminent de suicide de nombreux
salariés.
Souffre-t-on davantage au travail aujourd’hui qu’il
y a dix ans ?
MARIE PEZÉ. Incontestablement, oui. Il y a une aggravation
évidente de l’état psychique des salariés.
Il y a treize ans, les gens arrivaient en dépression, ou
souffrant de stress posttraumatique. Aujourd’hui, il y en
a de plus en plus qui atterrissent dans mon bureau en crise psychique
aiguë. Leur discours, c’est « Soit je me tue, soit
je le tue » (sous-entendu « mon patron, mon supérieur
»). Ces cas extrêmes, qui me sont envoyés par
les médecins du travail, sont devenus courants. Ils aboutissent
à deux ou trois hospitalisations psychiatriques par semaine...
Comment gérez-vous cette urgence ?
Difficilement... Avant, quand un salarié allait mal, on
savait qu’il allait mettre quelques mois à s’en
remettre. Aujourd’hui, on est souvent dos au mur en termes
de prise en charge : on sait qu’il faut faire très
vite, sinon ils vont passer à l’acte. Je pense qu’il
y a aujourd’hui en France environ un suicide par jour à
cause du travail.
Mais qu’est-ce qui fait tant souffrir ces salariés
? Y a-t-il un mal typiquement français ?
Ils disent qu’ils travaillent tous à flux tendu, avec
des horaires effrénés. On voit des gens très
abîmés, qui ont l’impression de faire du sale
boulot, notamment dans les hôpitaux où beaucoup évoquent
une augmentation des erreurs médicales. Beaucoup de médecins
libéraux sont très mal aussi. Ils subissent beaucoup
de contraintes, notamment dans le contrôle de leurs actes.
Les lois qui punissent le harcèlement sont de plus
en plus sévères. Est-on en train de venir à
bout de ce fléau ?
Non, pas du tout. Des lois existent et l’existence du harcèlement
managérial est désormais reconnue par la Cour de cassation...
Mais à l’inverse, il existe des stages, des guides
de management interne dans les entreprises qui sont très
élaborés, et très pervers. Evidemment, il n’est
jamais dit clairement : « On va vous apprendre à maltraiter
vos salariés. » Mais on apprend aux chefs à
mettre quelqu’un en invisibilité, à l’effacer
de l’organigramme, à l’enlever du papier à
en-tête. On lui reproche de ne pas être venu à
une réunion, on ne communique plus avec lui que par mail.
Pire : on ne lui donne plus rien à faire... Les gens vivent
une situation de mise au ban qui les détruit. Ils finissent
par tomber gravement malades. Ensuite, pour nous, la prise en charge
est complexe. On commence par les arrêter deux ou trois mois,
puis on réfléchit à la suite, avec les médecins,
les magistrats, les avocats, les kinés...
Concrètement, que conseillez-vous aux personnes
qui vont mal aujourd’hui ?
De se faire aider. Il existe 30 consultations « souffrances
et travail » et une cinquantaine de services hospitaliers
spécialisés*. Et il ne faut pas hésiter à
aller voir le médecin du travail. Les gens ne doivent pas
avoir peur qu’il « parle » : il est soumis au
serment d’Hippocrate, au secret professionnel. Il ne peut
pas prescrire, mais il oriente le salarié vers les bonnes
personnes.
http://www.leparisien.fr/abo-vivremieux/suicides-au-travail-le-cri-d-alarme-d-une-psy-30-03-2010-867838.php
Femmes au travail, la double peine : une tribune de Marie
Pezé
Le 18 décembre 2009
LE FIL IDéES - Souffrance au travail, suite. Cette semaine
étaient rendues deux études, l’une émanant
du cabinet Technologia, l’autre de la commission Copé,
qui s’intéressaient aux salariés de France Télécom.
Leur constat est accablant. Marie Pezé, psychologue, créatrice
de la première consultation sur la souffrance au travail,
que nous avons déjà largement mise à contribution
sur ce thème ici, faisait partie de cette commission. Elle
publie une tribune sur la condition particulière des femmes,
que nous reproduisons ici.
Marie Pezé : “On a commencé à voir
des cas de suicides liés au travail à partir de 2002-2003”
| 28 octobre 2009
Hasard du calendrier, le cabinet Technologia a rendu en début
de semaine les premiers résultats de son enquête menée
auprès des 102 000 salariés de France Télécom
tandis que Jean-François Copé remettait hier le rapport
de la Commission sur la souffrance au travail qu'il avait mis sur
pied en octobre suite aux nombreux suicides à France Télécom.
Conclusion : à France Télécom comme ailleurs,
il y a du boulot pour améliorer les conditions de travail.
« Ressenti général très dégradé,
fragilisation de la santé physique et mentale de certains
salariés, grande défaillance du management, ambiance
de travail tendue, voire violente », explique Technologia.
« Situation du travail très dégradée,
management souvent inadapté et démuni, déshumanisation
du monde du travail, peur du déclassement », répond
en écho le rapport Copé, qui dresse un catalogue de
propositions pour lutter plus efficacement contre la souffrance
au travail. www.lasouffranceautravail.fr
Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, créatrice
de la première consultation spécialisée sur
la souffrance au travail en 1997, a fait partie de cette commission.
A l'occasion de la publication du rapport et pour apporter une nouvelle
contribution au débat, nous publions une tribune qu'elle
nous a envoyée sur un thème qui lui tient particulièrement
à cœur : la situation spécifique des femmes dans
l'organisation du travail en France.
Les femmes dans l’organisation du travail en France :
La double peine
En France, dans l’organisation du travail, l’étalon
de référence demeure le corps masculin avec ses normes
physiques, morphologiques, physiologiques. Les hommes ont, historiquement,
organisé le travail au masculin neutre. Or, des transformations
notables ont été observées ces trente dernières
années, en termes de croissance de l’activité
féminine dans le monde entier. En France aujourd’hui,
80 % des femmes âgées de 25 à 49 ans sont actives.
34 % d’entre elles appartiennent à la catégorie
« cadres et professions intellectuelles supérieures
».
Mais, à niveau de formation égale, hommes et femmes
ne se voient toujours pas affectés aux mêmes postes
de la division sociale du travail :
- inégalités de distribution dans les différents
étages de l’économie nationale,
- dissymétries dans l’accès aux postes de responsabilités,
- importantes disparités de rémunération (le
salaire féminin est inférieur de 27 %).
Certaines tendances dans l’évolution de l’emploi
féminin sont même préoccupantes :
* anciennes, comme la déqualification à l’embauche,
la répétitivité des tâches,
* nouvelles, comme le temps partiel imposé, l’accroissement
du travail en horaires décalés, l’augmentation
des contraintes de rythme, le retour de congés maternité
aléatoire..
Toutes les études soulignent la surdité de l’organisation
du travail à la charge temporelle et mentale des «
impondérables » familiaux qui incombent systématiquement
aux femmes. Les absences qui en découlent, tout comme les
congés maternité, relèvent de « l’absentéisme
féminin ». Les aléas de la prise en charge de
la sphère familiale (maladies des enfants, vacances, activités
extrascolaires, réunions avec les professeurs..) entrent
fréquemment en conflit avec les contraintes d’un emploi.
« Pour les femmes qui occupent des emplois qualifiés,
il est notoire que le fait de prendre le mercredi pour les enfants
se solde souvent par le fait de devoir ramener du travail à
la maison. Quand les « femmes actives » surveillent
les devoirs d’un œil, tout en enfournant la pizza surgelée
de l’autre, tandis qu’elles répondent sur leur
mobile à des appels professionnels, en même temps qu’elles
bouclent un rapport pour le lendemain et démarrent une lessive,
il devient une gageure de décrire leur activité et
les savoir-faire mobilisés, comme de calculer avec certitude
un « temps de travail ». (Molinier, 2000)
L’organisation du travail au masculin neutre a donc peu de
compréhension pour les difficultés spécifiques
que rencontrent les femmes qui veulent conjuguer vie professionnelle
et vie familiale. Bien pire, le chef d’entreprise se charge
de rappeler à une femme qu’il embauche qu’elle
aura des enfants, des règles, une ménopause qui la
rendront moins disponible qu’un homme sur le même poste.
Certes. On peut rappeler aux femmes à juste titre que leur
corps a un ancrage biologique. Faut-il leur en faire grief ? Surtout
quand cet ancrage biologique a des aspects positifs pour les hommes,
au-delà de leur mise au monde ? Dans notre société,
ce sont majoritairement les femmes qui prennent en charge la santé
et l’entretien domestique de leur famille, (rendez-vous chez
le médecin, le dentiste, le pédiatre, devoirs des
enfants, linge, courses, cuisine..). Pour les hommes, la prise en
charge de la santé, de la gestion de la sphère familiale
et du travail domestique, st donc externalisée sur les femmes.
Si les hommes peuvent s’approprier les tâches à
responsabilité qui impliquent une forte bio-disponibilité,
il faut rappeler que la performance masculine n’est souvent
obtenue que grâce au soutien du corps masculin par les femmes.
Secrétaire aux petits soins, panseuse efficace et admirative,
épouse dévouée épargnent le patron,
le chirurgien, le mari quant à la prise en charge du réel.
La capacité de travail des hommes est donc soutenue par le
travail corporel des femmes, travail invisible, qui va de soi et
dont le don doit être fait avec le sourire.
Outre la discrimination salariale à l’embauche, la
discrimination dans les affectations, l’assignation à
la sous-traitance de la sphère privée, les femmes,
athlètes du quotidien, se voient privées de la reconnaissance
de leurs savoir-faire invisibles. Les entreprises pourraient-elles
enfin organiser le travail au masculin/féminin, en cessant
de retourner contre elles ce que le corps des femmes apporte à
la pérennité de la société, ce que le
courage silencieux des femmes épargne aux corps des hommes
qui travaillent ? Une question à poser aux femmes qui travaillent,
une seule : quelle modification de l’organisation du travail
faciliterait votre vie ? »
MARIE PEZE DOCTEUR EN PSYCHOLOGIE LE
HARCELEMENT AU TRAVAIL
LA MALADIE DE VOTRE EMPLOYEUR POUR VOUS TUER
Il n'est plus besoin de présenter le docteur MARIE PEZE
psychologue clinicienne, docteur en psychologie, psychanalyste et
psychosomaticienne. En 1997, elle a créé à
Nanterre la première consultation Souffrance et Travail qu'elle
dirige toujours. En 2007, elle a été nommée
expert près la Cour d'Appel de Versailles lors de la création
d’une section Psychopathologie du travail
Son livre "ils ne mouraient pas tous mais tous étaient
frappés "dont voici un extrait révèle
le mal qui est présent dans les entreprises
« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail
? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez
place sur cette chaise à côté de la mienne.
Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire
impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut
sauver. Il peut tuer aussi. Travail sous contrainte de temps, harcèlement,
emploi précaire, déqualification, chômage sont
le lot quotidien des patients de la consultation Souffrance et Travail
». MARIE PEZÉ
Ces patients, adressés à Marie Pezé par le
médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se
ronge pour la sécurité de ses malades au point de
sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de
se doper au travail pour se sentir « vivant » ; Solange,
assistante de direction depuis 15 ans, qui se voit propulsée
sur un plateau téléphonique après un congé
maladie ; François, juriste d'entreprise, qui fait une tentative
de suicide sur son lieu de travail parce qu'il n'y « arrive
pas ». Et tant d’autres… Ce sont eux les «
héros » de ce journal qui dresse un constat terrible
: les troubles liés au travail s’aggravent et se généralisent
; l’hyperproductivisme est devenu la norme de fonctionnement
de toutes les entreprises, fragilisant l’ensemble des salariés.
Au-delà du cri d’alarme, Marie Pezé décrypte
les situations et montre que le harcèlement moral et le stress
sont loin de constituer des explications suffisantes. Avec ce livre,
elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun, victime potentielle
ou proche de celle-ci (collaborateur, manager, responsable des Ressources
humaines, psychologue, médecin du travail) puisse identifier
le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle, ceux que
l’on appelle aujourd’hui les « Ressources humaines
» sont en danger.
LE HARCELEMENT ,LA MALADIE DE VOTRE EMPLOYEUR.
« Suicide au travail : le cri d’alarme d’une
psy »
Le Parisien
« Au moins une personne par jour se suicide à cause
de son travail, c’est le diagnostic que porte la psychologue
Marie Pezé .
Si rien n’est fait, elle prédit une augmentation du
fléau » titre Le Parisien.
Le quotidien indique que, Docteur en psychologie, psychanalyste
et expert judiciaire, Marie Pezé « a fondé en
1977 la première consultation « souffrance et travail
» en France, à l’hôpital Max Fourestier
de Nanterre (Hauts de Seine) » et qu’elle « pousse
un cri d’alarme sur le risque imminent de suicide de nombreux
salariés ».
Interrogée par Le Parisien, elle précise qu’aujourd’hui
il y a « de plus en plus » de salariés qui «
atterrissent » dans son bureau « en crise psychique
aigue (..)
Ces cas extrêmes qui me sont envoyés par les médecins
du travail, sont devenus courants.
Ils aboutissent à deux ou trois hospitalisations psychiatriques
par semaine ».
Marie Pezé souligne que l’« on voit des gens
très abîmés, qui ont l’impression de faire
du sale boulot, notamment dans les hôpitaux où beaucoup
évoquent une augmentation des erreurs médicales.
Beaucoup de médecins libéraux sont très mal
aussi.
Ils subissent beaucoup de contraintes, notamment dans le contrôle
de leurs actes ».
Le Parisien précise qu’avec « 52 suicides d’enseignants
en 2008-2009, cette profession est l’une des plus touchées
par ce fléau ».
Le quotidien indique également que « Le ministre Luc
Chatel a annoncé qu’il souhaite désormais que
« chaque enseignant dispose d’un bilan de santé
l’année de ses 50 ans » et que « 80 médecins
du travail soient recrutés ».
La psychologue rappelle qu’il existe « 30 consultations
« souffrance et travail » et une cinquantaine des services
hospitaliers spécialisés » et qu’il ne
faut pas « hésiter à aller voir le médecin
du travail » dont elle rappelle qu’il est « soumis
au serment d’Hippocrate, au secret professionnel » et
que par conséquent « les gens ne doivent pas avoir
peur qu’il parle ».
Marie Pezé précise également que le médecin
du travail « ne peut pas prescrire, mail il oriente le salarié
vers les bonnes personnes ».
Oui vous avez bien lu, et je parle des permanents syndicaux ; un
milieu que je connais très bien pour l'avoir été
moi même durant 8 années où j'ai été
présent...Quoi qu'en disent les mauvaises langues, on finit
toujours dans le clan des divorcés car celle là vous
ne la voyez pas arriver;)
Sérieusement, la loi de 2008 sur la représentativité
a été un sérieux coup de pied dans les milieux
où les gens officient en plein temps pour le compte de leurs
organisations syndicales.
Après les dernières élections (prudhommales,
professionnelles ou internes), certains ont perdu leurs mandats
électifs ; dans la continuité de réduction
des postes de permanents syndicaux par établissement...
Mais que faire de ces gens qui ont traité d'égale
à égale avec les Directions...
Comment leur carrière va se dérouler ?
Peut être certains auront la chance de suivre un bilan de
compétences, d'autre une hypothétique VAE...
Je vous préconise un sérieux suivit thérapeutique
en évitant la case médicaments facteurs de dépressions
aggravées.
Mesdames et Messieurs les Secrétaires Généraux,
je vous invite à une sérieuse réflexion sur
le sujet " risques psychosociaux" dans l'intérêt
des Femmes et des Hommes qui vous ont servi...
Il est vrai qu' assez souvent les personnes venant à l'hôpital
ou dans toute annexe médicale ; considèrent le personnel
comme des surhumains. Des gens qui travaillent et donc oublient
d'être humain.
Mais qui se trouve derrière une blouse ?
Un Docteur, une infirmière, une aide soignante...
Ce ne sont que des fonctions, des qualificatifs professionnels
pour résumer.
La vraie réponse est : des femmes et des hommes.
Des gens comme tout le monde, avec leurs rêves, leur vie
et leurs soucies.
Mais face à leur implication dans cette profession si "humaine",
au contact le plus proche de l'autre au moment le plus difficile
de sa vie, comment font ils/elles ?
Que dire du stress psychologique généré par
leurs relations avec les patients malades, la difficulté
de certaines pathologies, le relationnel avec la famille du malade,
la fatigue physique générée par les cycles
de travail et par le travail en lui même.
Que faire de ces deuils à répétitions et que
penser de toutes ses émotions internes et pourtant si contradictoires
?
Est il nécessaire de passer par des états du types
:
-mal-être, anxiété, angoisse, troubles de l'humeur,
tristesse, morosité, mélancolie, absence de projection
dans l'avenir, repli social...
-difficultés d'attention, de concentration, troubles de
la mémoire...
-asthénie, ennui...
-insomnies, hypersomnies
-migraines, troubles musculo squelettique (mains, poignées,coudes,
épaules,cou et dos)...
-troubles digestifs (colite, diarrhée, gastralgie...)
-troubles cardiaques...
-variation de poids...
-conduite addictive...
-prise de médicaments
-absentéisme
-TS
« Le plan antistress de France Télécom
»
Le Parisien
Le Parisien relate le « projet de prévention du stress
remis aujourd’hui à France Télécom, [qui]
comporte 107 propositions ». Le journal note en effet que
« la comptabilité macabre continue chez France Télécom
– déjà 7 suicides depuis janvier et 44 au total
depuis 2008 ».
Le quotidien indique que le rapport du cabinet Technologia est
une « «note d’étape intermédiaire»,
rédigée «à marche forcée»
compte tenu de la gravité de la situation, avant le plan
final de prévention qui sera remis en mai ».
Le Parisien explique qu’« il s’agit dans les
grandes lignes de simplifier l’organisation du groupe, de
donner plus d’autonomie aux manageurs locaux et de «réinventer»
le rôle des «ressources humaines» totalement disqualifiées
aujourd’hui ».
Le journal relève entre autres que « le rapport préconise
la création d’«un réseau de médiateurs».
Sortes de casques bleus, composés pour 30% d’intervenants
extérieurs, ils relèveraient d’une «entité
autonome» et seraient chargés d’écouter
les salariés en difficulté et de jouer un «réel
rôle d’arbitrage» ».
Le Parisien se penche également sur les médecins
du travail, qui« se sont plaints d’avoir été
ignorés lorsqu’ils signalaient des salariés
en détresse. Leur rôle serait renforcé et le
secret médical garanti ».
Le document précise que « cela suppose une remise
en question éthique du management et des RH ».
Recueillant la parole des patients, l'auteure, psychologue et médecin,
dresse un tableau noir des conditions de travail affectant la santé
des employés. L'hyper-productivisme et l'acceptation de situations
intenables font naître des pathologies nouvelles. Constatant
que le fonctionnement de l'entreprise fragilise tous les salariés,
l'auteure interpelle les managers.
Quatrième de couverture
« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail
? Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez
place sur cette chaise à côté de la mienne.
Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire
impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut
sauver. Il peut tuer aussi. Travail sous contrainte de temps, harcèlement,
emploi précaire, déqualification, chômage sont
le lot quotidien des patients de la consultation « Souffrance
et Travail ». Marie Pezé
Ces patients, adressés à Marie Pezé par le
médecin du travail, ce sont Agathe, aide-soignante, qui se
ronge pour la sécurité de ses malades au point de
sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup, qui a besoin de
se doper au travail pour se sentir « vivant » ; Solange,
secrétaire depuis quinze ans, qui se voit propulsée
comme téléopératrice sur un plateau téléphonique
après un congé maladie ; François, juriste
d'entreprise, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de
travail parce qu'il n'y « arrive pas ». Et tant d'autres...
Ce sont eux les « héros » de ce journal qui dresse
un constat terrible : les troubles liés au travail s'aggravent
et se généralisent ; l'hyperproductivisme est devenu
la norme de fonctionnement de toutes les entreprises, fragilisant
l'ensemble des salariés.
Au-delà du cri d'alarme, Marie Pezé décrypte
les situations et montre que le harcèlement moral et le stress
sont loin de constituer des explications suffisantes. Avec ce livre,
elle offre ses outils de diagnostic pour que chacun, victime potentielle
ou proche de celle-ci (collègue, manager, responsable des
Ressources humaines, psychothérapeute, médecin) puisse
identifier le danger et intervenir. Car, nous prévient-elle,
ceux que l'on appelle aujourd'hui les « Ressources humaines
» sont en danger.
Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient
frappés, Journal de la consultation « Souffrance et Travail
» 1997-2008
par : Lahmadi Ghizlaine
La lecture de cet ouvrage ne peut laisser indifférent, elle
nous forme en même temps qu’elle nous transforme. Marie
Pezé, psychologue clinicienne, psychanalyste, psychosomaticienne,
et désignée expert auprès de la Cours d’Appel
de Versailles lors de la création d’une section Psychopathologie
du travail, nous fait partager quelques unes de ses consultations
« Souffrance et Travail » de 1997 à 2008. En
plus d’éveiller notre conscience, de nous ébranler,
toutes ces expériences nous mènent à poser
la question du devenir de notre société dans un système
de plus en plus délétère.
Ce livre reprend le titre d’un film documentaire de Sophie
Bruneau et Marc Antoine Roudil sorti en février 2006 et rappelle
aux amateurs des Fables de la Fontaine, le septième vers
des Animaux malades de la peste. On y voit apparaître Marie
Pezé, qui a créé la première consultation
spécialisée au Centre d’accueil hospitalier
et des soins de Nanterre. On y découvre également
Marie-Christine Soula, médecin inspecteur du travail qui
en a ouvert une deuxième à Garches, et le docteur
Nicolas Sandret qui a poursuivi à Créteil. Nous sommes
alors projetés au cœur des maux qui parlent, de l’impuissance
parfois des praticiens à apporter des solutions exhaustives
à un tel fléau, mais aussi de la force de leur travail.
La lecture peut être plus rude que le documentaire et plus
riche aussi, dans la mesure où nous avons accès à
une mine d’informations importantes en ce qui concerne les
méthodes de travail de Marie Pezé, ses difficultés
et les raisons de ces consultations qui sortent nettement des cadres
cliniques habituels. L’intérêt de cet ouvrage
est d’entendre les maux des patients, de les comprendre, de
les analyser dans un ensemble bien plus complexe que le simple schéma
pervers/victime ou harceleur/harcelé, c’est-à-dire
en les mettant en lien avec une analyse de l’organisation.
Le cas de Solange (en situation d’aliénation sociale)
et de sa directrice Madame T (diplômée de l’Ecole
polytechnique féminine) symbolisant au premier abord et respectivement
le schéma de la victime et du bourreau, se sont pourtant
bien retrouvées toutes les deux dans la même salle
de consultation à exprimer leur souffrance (pas en même
temps bien sûr, d’abord Solange, puis un mois plus tard,
Madame T). Toute les deux effondrées même si pour l’une
la posture consiste à assumer le rôle du dominateur
et l’autre, à accepter de se soumettre. Cet exemple
tout comme les autres, dénoncent les nouvelles formes de
management que les organisations ne peuvent s’empêcher
d’instrumentaliser pour faire face aux défis économiques
toujours plus accrus. « Sous cet angle, je mesure que la construction
du couple « pervers/victime s’avère plus complexe
que dans le courant victimologique. Le récit du « harcelé
» permet la mise à jour de la radicalisation de l’organisation
du travail, celui du « harceleur » renvoie à
des idéologies défensives construites et défendues
collectivement dans un glissement éthique qui semble inexorable
» (p. 24)
Les consultations « Souffrance et Travail » sont devenues
le lieu de l’expression des âmes meurtries par le travail,
lieu où se voient les blessures physiques et psychiques que
la médecine et la psychologie tentent de guérir ou
à défaut d’atténuer. Lieu où les
cicatrices invitent à comprendre, à remonter à
leur propre source. C’est vers ce lieu que nous nous sommes
aventurés en découvrant page après page les
maux de certaines victimes du travail. En somme, ces consultations
vont prendre des allures de politique anti-managériale malgré
elles, dénonçant ces nouvelles organisations qui abîment,
écrasent, brisent, annihilent certains qui ne sont pourtant
pas les plus fragiles.
C’est le cas de Monsieur W, boucher de métier travaillant
à la cuisine de l’hôpital. Son témoignage
excelle dans ce qu’il a de dénonciateur de ce néomanagement.
Monsieur W. a littéralement été anéanti,
tout comme ses collègues Mouzina, et Zaïra harcelées
moralement et sexuellement, sans parler de Delphes violée
deux fois par ses propres collègues. Pourtant, tout allait
bien avant que ne s’opèrent quelques changements…
Au service de réanimation, une fois de plus l’ambiance
s’est altérée à cause des nouvelles méthodes
de gestion des organisations : perte de confiance, ambiance négative,
malveillance entre collègues. Agathe, aide soignante est
alors devenue le bouc émissaire du service. L’émergence
de cette persécution permettait de ressouder l’équipe
et de se protéger de ces nouvelles formes de travail. Agathe
est aujourd’hui brisée au point de devenir paranoïaque
tant elle est rongée par la sécurité des patients
dont elle a la charge. Serge lui, est un cadre condamné à
l’hyperactivité pour se sentir vivre, « se doper
», même au détriment de sa vie personnelle et
de sa santé… Annihilée, Monique chargée
de gestion, a toujours tenté d’être à
la hauteur malgré les cadences infernales. Tout cela pour
finalement ne récolter que les critiques de son supérieur
jusqu’au moment où la mort l’obsède et
se présente à son esprit comme l’unique délivrance.
François, juriste, ne s’en sortait plus dans son travail.
L’humiliation, la honte l’habitaient au point de préférer
dissimuler ses failles, ses incompétences. Ses « tricheries
» ont failli lui coûter la vie ; il tenta de se donner
la mort sur son lieu de travail. « Je voulais qu’ils
mesurent ce qu’ils étaient en train de me faire, que
ça serve d’exemple, qu’on ne le fasse plus à
personne » (p. 177). Il était condamné par ces
évaluations scientifiques du travail, ces cribles auxquels
il devait tous les jours passer au point d’en arriver à
parler de « suicide militant ». Solange et sa directrice
Madame T, étaient également les sacrifiées
de ces nouvelles formes d’organisations encore plus destructrices
pour elles, qui avaient une conscience professionnelle.
Marie Pezé ne nous a livré dans cet ouvrage qu’un
échantillon représentatif d’une souffrance au
travail patente et très souvent en rapport avec les organisations.
D’ailleurs, à force d’approcher tous ces condamnés
du travail, elle-même n’en est pas sortie indemne…
« Je n’ai pas vu venir l’épuisement. Comme
mes patients, « la tête dans le guidon », submergée
de situations d’urgence, sans aide, ni intendance, je n’ai
pas senti ma descente. En quelques semaines, je perds l’usage
de mon bras droit, avec le cortège des troubles neurologiques
qu’accompagne une atteinte de la moelle épinière.
[…] Je suis dans le trou noir de la décompensation
» (p. 85).
La démarche de Marie Pezé amène à souligner
deux grands points. Le premier correspond à cette nécessité
d’un travail d’équipe et à la fois pluridisciplinaire.
La question de la souffrance au travail reste assez complexe et
doit, pour être appréhendée, faire appel à
différentes institutions, corps professionnels, disciplines.
Juristes, avocats, ergonomes, inspecteurs, médecins (médecins
du travail, généralistes, experts), psychologues,
psychiatres, chercheurs sont acteurs dans ce travail en réseau
pour aider au mieux les patients. Pour la majorité d’entre
eux, ils se sont retrouvés seuls et perdus. C’est pourquoi,
il s’agit dès lors pour l’équipe de prise
en charge, de réhabiliter un travail collectif avec une reconnaissance
des compétences de chacun, tout en admettant humblement ses
propres limites, ce que Christophe Dejours nomme le « vivre
ensemble ».
Deuxième point qui peut attirer l’attention des champs
des sciences de l’information et de la communication. Il concerne
le rôle que doit jouer Marie Pezé face à ses
patients et du cadre qu’elle leur offre. Bien sûr, rien
de bien luxueux ! Nous ne sommes pas dans une salle de relaxation.
Pourtant, tout est disposé de manière à créer
un véritable espace de médiation où des nœuds
vont peut-être bien se défaire. Le patient s’exprime
et cet espace lui permet de laisser sa pensée reconstruire
son identité... Un cas très particulier n’a
pas été évoqué auparavant car il n’exprimait
pas une dénonciation directe des nouvelles formes d’organisation.
Il reste pour autant lié au travail et à la vie personnelle
de Fatima, 48 ans, femme de ménage. Marie Pezé va
se trouver à écrire « le livre de Fatima […],
le livre de l’immigrée nettoyant la maison des femmes
qui travaillent, dans un double effacement, celui de ses compétences,
celui de ses origines » (p. 98). Son corps épuisé
finit par lâcher en 1999, elle fait une chute dans les escaliers,
depuis douleurs aiguës qu’aucun examen médical
(radiographie, scanner, scintigraphie, etc.) ne parvient à
démontrer. En 2000, elle est alors adressée en dernier
recours à Marie Pezé qui relève la somatisation
: « la douleur a remplacé la peur ». Fatigue
non pas liée dans le cas de Fatima au surmenage, mais à
l’inactivité ou l’activité monotone. Le
travail de Marie Pezé et de toute son équipe lui permettra
d’être classée comme travailleur handicapé.
« Dans ce travail, la souffrance naît surtout du décalage
entre le recours à l’inventivité, à l’intelligence
du corps […] et l’absence de regard sur le travail »
(p. 97).
Ce lieu était un magnifique espace d’échange
où quelque chose s’est passé et où la
médiation s’est même exprimée par l’écriture
d’un livre. Fatima ne sera pas seule à adresser ses
remerciements à Marie Pezé qui aura également
vécu à travers cette médiation, un grand moment
: « Ne me remerciez pas, Fatima. Grâce à vous,
grâce à votre livre, j’ai pu réhabiliter
le travail domestique de ma mère. Grâce à vous,
j’ai pu rêver du parcours que ma mère, si intelligente
aurait pu faire à l’université » (p. 104).
Le pouvoir d’agir ou la dynamique qui porte l’être
humain
Constater la diminution ou ressentir la perte de son pouvoir d’agir
sur sa situation personnelle de travail génère une
souffrance intime au jour le jour. Car vivre sa vie d’adulte
suppose de déployer son pouvoir d’agir et d’exprimer
sa créativité. Au sens où Winnicott, Canguilhem,
Vygotski, entendent cette notion qui rend rapidement synonymes :
activité, santé, initiative, dépassement de
soi.
Tosquelles (1) écrit : « c’est en faisant des
choses que l’homme se fait lui-même ». Pour ce
psychiatre, le mot « activité » caractérise
l’homme car c’est ainsi qu’il adapte le milieu
à lui-même, qu’il l’affecte, par un processus
d’« humanisation ». L’homme instaure un
rapport avec l’activité propre, individuelle comme
collective, qui tire le monde à lui et qui le maintient en
bonne santé en augmentant son pouvoir d’agir.
Ces mots « pouvoir d’agir » théorisés
et analysés par nombreux chercheurs, psychologues, philosophes…,
découlent d’un champ conceptuel vaste, ils parlent
de la dynamique qui porte l’être humain. Ils se réfèrent
à la pensée de Spinoza, philosophe du XVIIe siècle
:
« Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire
qu'il appartienne à un autre, que l'État est institué
; au contraire, c'est pour libérer l'individu de la crainte,
pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire
conserve aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son
droit naturel d'exister et d'agir. […] La fin de l'État
est donc en réalité la liberté. »
Le « droit naturel d’exister et d’agir »
implique de vivre à la fois le plus longtemps possible et
dans la meilleure santé possible (droit d'exister), et de
satisfaire l’homme en tant qu’être de désir
poussé à l'action (droit d'agir). Et Spinoza de souligner
dans son « Traité politique » la fragilité
de ce droit naturel qui conditionne la liberté individuelle
et doit pourtant être socialement organisé pour ne
pas être illusoire et pour constituer un authentique bonheur.
Transposée dans le milieu professionnel cette pensée
peut s’exprimer ainsi : l’activité à la
fois contenue et permise par une organisation du travail va développer
ou atrophier le pouvoir d’agir selon la latitude réelle
rencontrée par le salarié d’exercer sa créativité
au sein d’une tâche.
Pour Yves Clot (2) deux éléments internes au sujet
qui travaille conditionnent le rayonnement de l’activité
: le sens et l’efficience qui augmentent ou diminuent le pouvoir
d’agir. Une activité pleine d’un sens qui compte
vraiment pour le sujet entraîne un accroissement d’énergie,
mais celle-ci demande à être pérennisée
par l’efficience de l’action menée. La dynamique
du pouvoir d’agir ne se réalise pas en ligne droite
et peut se perdre dans le réel d’une activité
vidée de ses valeurs.
Dans sa rencontre avec des contraintes externes, le pouvoir d’agir
comporte un caractère potentiellement conflictuel dans la
mesure où il se heurte au développement du pouvoir
d’agir d’autrui donc à la question du pouvoir.
(3)
Quand un salarié en situation de souffrance liée
au travail sollicite de l’aide, l’amener à exprimer
et à penser son histoire, par l’écoute et la
réflexion, peut lui permettre de renouer avec le sens personnel
et légitime de son activité. Puis de sortir de l’impasse
psychique qui bloque l’usage de son corps et de sa subjectivité
en comprenant que ce sont le sens et l’efficience de l’activité
qui sont mis à mal dans un conflit de logiques de travail
camouflé sous de bien réelles quoique trompeuses difficultés
interpersonnelles.
Revenir au sens de son travail et à l’économie
des gestes de métier revitalise le pouvoir d’agir du
sujet et le rend à ses « possibilités non réalisées
» dont, selon Vygotski, « l’homme est plein à
chaque minute » (4).
Valérie Tarrou
1) Tosquelles F. (2009 – 1ère éd. 1967). «
Le travail thérapeutique en psychiatrie ». Toulouse
: Erès.
2) Clot Y. (2008). « Travail et pouvoir d’agir ».
Paris : Puf.
3) Davezies P. (2006). Repères pour une clinique médicale
du travail, « 29e Congrès national de Médecine
et Santé au Travail ». Lyon, le 31 mai 2006.
4) Vygotski L. (trad. 2003). « Conscience, inconscient, émotions
». Paris : La Dispute.
dimanche 20 décembre 2009
« Femmes au travail, la double peine »
Reprise d’un article de Télérama du 19 décembre
2009 : une tribune de Marie Pezé.
« Hasard du calendrier, le cabinet Technologia a rendu en
début de semaine les premiers résultats de son enquête
menée auprès des 102 000 salariés de France
Télécom tandis que Jean-François Copé
remettait hier le rapport de la Commission sur la souffrance au
travail qu'il avait mis sur pied en octobre suite aux nombreux suicides
à France Télécom. Conclusion : à France
Télécom comme ailleurs, il y a du boulot pour améliorer
les conditions de travail. « Ressenti général
très dégradé, fragilisation de la santé
physique et mentale de certains salariés, grande défaillance
du management, ambiance de travail tendue, voire violente »,
explique Technologia. « Situation du travail très dégradée,
management souvent inadapté et démuni, déshumanisation
du monde du travail, peur du déclassement », répond
en écho le rapport Copé, qui dresse un catalogue de
propositions pour lutter plus efficacement contre la souffrance
au travail.
Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, créatrice
de la première consultation spécialisée sur
la souffrance au travail en 1997, a fait partie de cette commission.
A l'occasion de la publication du rapport et pour apporter une nouvelle
contribution au débat, nous publions une tribune qu'elle
nous a envoyée sur un thème qui lui tient particulièrement
à cœur : la situation spécifique des femmes dans
l'organisation du travail en France.
Les femmes dans l’organisation du travail en France
: La double peine
En France, dans l’organisation du travail, l’étalon
de référence demeure le corps masculin avec ses normes
physiques, morphologiques, physiologiques. Les hommes ont, historiquement,
organisé le travail au masculin neutre. Or, des transformations
notables ont été observées ces trente dernières
années, en termes de croissance de l’activité
féminine dans le monde entier. En France aujourd’hui,
80 % des femmes âgées de 25 à 49 ans sont actives.
34 % d’entre elles appartiennent à la catégorie
« cadres et professions intellectuelles supérieures
».
Mais, à niveau de formation égale, hommes et femmes
ne se voient toujours pas affectés aux mêmes postes
de la division sociale du travail :
- inégalités de distribution dans les différents
étages de l’économie nationale,
- dissymétries dans l’accès aux postes de responsabilités,
- importantes disparités de rémunération (le
salaire féminin est inférieur de 27 %).
Certaines tendances dans l’évolution de l’emploi
féminin sont même préoccupantes :
- anciennes, comme la déqualification à l’embauche,
la répétitivité des tâches,
- nouvelles, comme le temps partiel imposé, l’accroissement
du travail en horaires décalés, l’augmentation
des contraintes de rythme, le retour de congés maternité
aléatoire.
Toutes les études soulignent la surdité de l’organisation
du travail à la charge temporelle et mentale des «
impondérables » familiaux qui incombent systématiquement
aux femmes. Les absences qui en découlent, tout comme les
congés maternité, relèvent de « l’absentéisme
féminin ». Les aléas de la prise en charge de
la sphère familiale (maladies des enfants, vacances, activités
extrascolaires, réunions avec les professeurs...) entrent
fréquemment en conflit avec les contraintes d’un emploi.
« Pour les femmes qui occupent des emplois qualifiés,
il est notoire que le fait de prendre le mercredi pour les enfants
se solde souvent par le fait de devoir ramener du travail à
la maison. Quand les “femmes actives” surveillent les
devoirs d’un œil, tout en enfournant la pizza surgelée
de l’autre, tandis qu’elles répondent sur leur
mobile à des appels professionnels, en même temps qu’elles
bouclent un rapport pour le lendemain et démarrent une lessive,
il devient une gageure de décrire leur activité et
les savoir-faire mobilisés, comme de calculer avec certitude
un “temps de travail” ». (P. Molinier, 2000)
L’organisation du travail au masculin neutre a donc peu de
compréhension pour les difficultés spécifiques
que rencontrent les femmes qui veulent conjuguer vie professionnelle
et vie familiale. Bien pire, le chef d’entreprise se charge
de rappeler à une femme qu’il embauche qu’elle
aura des enfants, des règles, une ménopause qui la
rendront moins disponible qu’un homme sur le même poste.
Certes. On peut rappeler aux femmes à juste titre que leur
corps a un ancrage biologique. Faut-il leur en faire grief ? Surtout
quand cet ancrage biologique a des aspects positifs pour les hommes,
au-delà de leur mise au monde ? Dans notre société,
ce sont majoritairement les femmes qui prennent en charge la santé
et l’entretien domestique de leur famille, (rendez-vous chez
le médecin, le dentiste, le pédiatre, devoirs des
enfants, linge, courses, cuisine…). Pour les hommes, la prise
en charge de la santé, de la gestion de la sphère
familiale et du travail domestique, sont donc externalisée
sur les femmes.
Si les hommes peuvent s’approprier les tâches à
responsabilité qui impliquent une forte bio-disponibilité,
il faut rappeler que la performance masculine n’est souvent
obtenue que grâce au soutien du corps masculin par les femmes.
Secrétaire aux petits soins, panseuse efficace et admirative,
épouse dévouée épargnent le patron,
le chirurgien, le mari quant à la prise en charge du réel.
La capacité de travail des hommes est donc soutenue par le
travail corporel des femmes, travail invisible, qui va de soi et
dont le don doit être fait avec le sourire.
Outre la discrimination salariale à l’embauche, la
discrimination dans les affectations, l’assignation à
la sous-traitance de la sphère privée, les femmes,
athlètes du quotidien, se voient privées de la reconnaissance
de leurs savoir-faire invisibles. Les entreprises pourraient-elles
enfin organiser le travail au masculin/féminin, en cessant
de retourner contre elles ce que le corps des femmes apporte à
la pérennité de la société, ce que le
courage silencieux des femmes épargne aux corps des hommes
qui travaillent ? Une question à poser aux femmes qui travaillent,
une seule : quelle modification de l’organisation du travail
faciliterait votre vie ? »
Publié par Valérie Tarrou
mercredi 16 décembre 2009
« La tenue vestimentaire est-elle importante au travail
? »
L’actualité sociale des derniers mois a mis au centre
des enjeux politiques de construire une meilleure prévention
des risques psychosociaux au travail, en particulier par un renforcement
des actions de la médecine du travail et des pouvoirs du
CHSCT.
Le groupe socialiste présente ce jour à l’Assemblée
nationale 5 pistes pour « travailler mieux afin de vivre mieux
» :
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/12/15/01011-20091215FILWWW00605-stress-au-travail-le-ps-presente-5-pistes.php
Les députés UMP rapportent aujourd’hui les
conclusions de leurs travaux pour « travailler mieux »
à travers 4 priorités et 30 propositions, et pour
refuser « l’amalgame entre souffrance et travail »
:
http://www.lasouffranceautravail.fr/tl_files/telechargements/Rapportfinal-2.pdf
Par ailleurs, la clinique des souffrances vécues au quotidien
par les salariés rappelle que si il appartient aux politiques
d’établir un cadre légal de travail respectueux
du corps et de la subjectivité des femmes et des hommes,
le praticien doit entendre dans le récit du patient l’ensemble
et le détail des peurs, des souffrances et des difficultés.
Ainsi, quand un sujet en dépression suite à une période
de harcèlement au travail pose la question suivante : «
la tenue vestimentaire est-elle importante au travail ? »,
puis ponctue par un silence la formulation de cette interrogation,
le clinicien ne doit-il pas s’en emparer à la fois
comme une clé proposée pour ouvrir des portes psychiques
et comme une demande exigeant une réponse rapatriant la théorie
dans le champ clinique ?
En ce sens, les concepts de la psychologie du travail permettent
de s’engager en précisant que la présentation
de soi relève des règles sociales. Des règles
qui organisent les relations entre les gens, en vue de relations
compréhensives et pacifiées. Ce sont les usages, la
politesse, la présentation de soi, la convivialité.
Elles sont nécessaires car nous choisissons rarement nos
partenaires de travail.
Les règles sociales peuvent être prescrites par l’entreprise,
ou faire l’objet d’une élaboration par un collectif
de travail. Dans ce second cas, elles tendent à favoriser
la possible construction d’une confiance réciproque,
qui elle non plus n’est pas première dans les relations
de travail. Elaborées et remaniées par un collectif
de travail, quand il existe, les règles de métier,
dont les règles sociales, servent à se mettre d’accord
sur ce qui est considéré comme valide, correct, juste
ou légitime.
Quand les manières de se vêtir sont prescrites - port
d’uniforme, « dress code » - elles agissent sur
le corps et sur l’image du corps car elles exigent de renoncer
à sa part de singularité pour se conformer à
un moule, pour s’intégrer. Ce travail d’adaptation
sociale, tant extérieur qu’intérieur, n’est
pas psychologiquement neutre et peut générer une forme
de souffrance au travail.
Sans prescription, sans que rien ne soit dit, les vêtements
témoignent pourtant de l’intégration ou de l’inadaptation
à une équipe déjà constituée.
Cela implique que ces règles peuvent être excluantes,
quand leur acceptation se révèle trop difficile. L’intériorisation
des règles de métier suppose un cheminement individuel,
qui peut exiger de modifier quelque chose en soi.
Les règles sociales constituent l’une des quatre grandes
familles de règles qui forment le vivre ensemble au travail,
avec les règles techniques (façons de faire), les
règles langagières (façons de dire) et les
règles éthiques (valeurs et normes de référence).
Leur connaissance et leur existence sont pour le sujet au travail
à la fois une ressource et une contrainte.
Cru, D. (1988). « Les règles de métier ».
In Plaisir et souffrance dans le travail, T1. Paris : PSY. T.A.,
29-51.
Molinier, P. (2006). Les Enjeux psychiques du travail. Paris :
Payot.
Publié par Valérie Tarrou
mardi 15 décembre 2009
« Soigner le travail - Itinéraire d’un
médecin du travail »
Le Monde se fait l’écho du livre de Gabriel Fernandez
« Soigner le travail – Itinéraire d’un
médecin du travail » paru aux éditions Erès
en octobre 2009.
http://www.lemonde.fr/talents-fr/article/2009/12/14/soigner-le-travail-de-gabriel-fernandez_1280177_3504.html
Gabriel Fernandez est docteur en médecine et en psychologie,
médecin du travail en activité au sein de l’hôpital
public. Il participe aux enseignements de la chaire de Psychologie
du travail du Cnam, ainsi qu’aux travaux de recherche de l’équipe
Clinique de l’Activité, il y développe plus
particulièrement l’analyse psychologique du mouvement
humain en situation de travail.
Cet ouvrage relate un certain nombre de situations auxquelles le
médecin du travail est confronté. Le premier des cinq
chapitres est consacré au « cœur du métier
» : la consultation elle-même. Le deuxième au
« tiers-temps », cela désigne les activités
en milieu de travail, les visites d'entreprise, les études
de postes de travail, etc. Le troisième concerne «
les CHSCT », comités d'hygiène, de sécurité,
et des conditions de travail, dont les médecins du travail
sont partie prenante. Le quatrième chapitre est consacré
à l'« aptitude au travail ». Le dernier chapitre
est lié aux problèmes « connexes », parmi
lesquels le stress.
Gabriel Fernandez souligne le rôle qu’il considère
comme fondamental de l’instance collectif de travail qu’il
présente comme « le sentiment chez chacun de ses membres
de participer à une œuvre commune qui le transcende
» et qui représente pour lui la meilleure prévention
contre toutes les pathologies.
Valérie Tarrou
vendredi 4 décembre 2009
Marie Pezé : généralistes et médecins
du travail face à la souffrance au travail
Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, est interviewée
par Medecinews dans le cadre de sa consultation Souffrance et Travail
à Nanterre. Des propos développés dans un entretien
filmé consultable dans les archives d'octobre du blog : «
Marie Pezé : témoignage en 3 vidéos ».
http://www.medecinews.com/640/la-souffrance-au-travail-se-banalise-dans-tous-les-secteurs.html
Vous dîtes que sans les arrêts de travail des médecins
généralistes, nous aurions plus de suicides. Malgré
tout, est-ce qu’il n’est pas plus dangereux parfois
de sortir quelqu’un de son univers professionnel ?
80 % de mes patients retrouvent un travail après avoir été
sorti du poste où il subissait une organisation du travail
pathogène. La décision de sortir un salarié
de son poste de travail se prend après mûre réflexion
et après avoir utilisé toute les possibilités
internes à l’entreprise (mutation, reclassement, CIF,
formation..). Faire cesser, faire sortir est une nécessité
clinique qui évite la décompensation grave et irréversible.
Beaucoup de médecins, comme vous le savez, sont en burn-out.
Et , en tant que libéraux, nous n’avons pas de médecine
du travail. Que pouvons-nous faire pour un confrère en épuisement
professionnel ?
Il faut aller consulter directement dans les services de pathologies
professionnelles qui sont au nombre de 50 en France, ou bien dans
les consultations spécialisées dans la Souffrance
au travail ( voir liste des consultations spécialisées
)
J’ai souvent vu dans ma consultation des cadres extrêmement
investis dans leur travail. Mais à quel moment, le surinvestissement
devient une souffrance ?
C’est une question clinique passionnante. Soit la surcharge
de travail et l’hyperactivité aliénante sont
d’origine organisationnelle. Les méthodes managériales
utilisées orchestrent l’assujettissement des corps
et des psychismes par les moyens technologiques qui effacent la
frontière entre vie privée et vie professionnelle.
Proposer au salarié de devenir un héros en atteignant
les objectifs qui feront la gloire et le prestige de son entreprise
vient capturer notre envie de laisser une trace, de contribuer au
développement d’une histoire, d’être reconnu
par nos pairs.
Soit le sujet se shoote au travail comme d’autres à
la drogue pour calmer son vide intérieur ou son angoisse
et s’impose ses rythmes, ses exigences, ses objectifs, sans
parvenir à diminuer une charge de travail qu’il juge
pourtant excessive . Mais quelquefois, ce désir d’exister,
d’être reconnu comme un être unique s’engouffre
dans le travail, rien que le travail. Se détacher du travail
devient impossible. La souffrance surgit lorsque le travail devient
toute la vie.
Les salariés ont souvent l’impression que le médecin
du travail dépend totalement du patron. Du coup, ils ont
une certaine défiance vis à vis de lui. Cependant,
en tant que médecin traitant, que puis-je attendre de lui
?
L’image du médecin du travail est malheureusement
souvent négative alors qu’il est un acteur médical
central dans l’entreprise puisqu’il est le conseiller
du salarié comme du chef d’entreprise. Il est le seul
à pouvoir entrer dans l’entreprise, faire une visite
de poste, mettre inapte temporairement ou définitivement,
faire muter, reclasser, alerter sur une situation de harcèlement
véritable. Il fait appliquer le Code du travail. Les pratiques
de coopération avec lui sont fondamentales et il est soumis
au secret professionnel comme les autres médecins.
Bulletin épidémiologique hebdomadaire du 26-08-08
sur les maladies à caractère professionnel :
http://www.medecinews.com/assets/pdf/suivre/beh_32_2008.pdf
Publié par Valérie Tarrou
mardi 1 décembre 2009
Signaler les « salariés
fragiles »
Le Parisien du 30-11-09 :
« France Télécom : “Le secret médical
est bafoué” »
« A la tête du principal syndicat des médecins
du travail, Bernard Salengro condamne la demande faite par France
Télécom de lui signaler les salariés qui doivent
faire l’objet d’une attention particulière. Une
démarche contraire, explique-t-il, au Code de déontologie
médicale et même au Code pénal. »
http://www.leparisien.fr/economie/france-telecom-le-secret-medical-est-bafoue-30-11-2009-728399.php
Nombreux articles, presse, blogs, TV, relaient l’annonce
des démissions d’une dizaine de médecins du
travail chez France Télécom, sur soixante-dix environ,
qui par ce geste fort expriment leur refus de « passer en
revue l’ensemble des personnes qui devraient faire l’objet
d’une attention redoublée ». Une « demande
» de leur direction qui suppose la trahison du secret médical.
Si le médecin du travail a bien un rôle de conseil
auprès de l’employeur, il lui appartient de traduire
les plaintes individuelles en problèmes collectifs. Bernard
Salengro donne un exemple : « Il peut dire que dans telle
région ou sur tel poste, les salariés souffrent. Mais
il est strictement interdit de nommer les malades, sauf exception
de risques extrêmes comme un suicide. »
Pour le Dr Catherine Morel, médecin du travail qui suivait
les salariés de France Télécom en particulier
à Annecy, sa démission est avant tout motivée
par « une impossibilité d'exercer son métier
de médecin du travail ». En effet, théoriquement
indépendants, les médecins du travail sont salariés
par l’entreprise qui peut exercer des pressions sur leur activité
: ignorer les recommandations d’ajustement de poste, rejeter
les conseils de mutation, refuser les demandes d’adaptation
temporaire d’objectifs de productivité… alors
même que l’employeur est tenu de les suivre.
Le Dr Morel dénonce dans une lettre adressée à
sa direction le manque de moyens auquel elle s’est heurtée
: « Pendant ces deux années, et encore plus depuis
les derniers événements dramatiques, j'ai eu le sentiment
d'être cantonnée au cabinet médical uniquement
dans l'écoute de salariés en souffrance, sans aucun
moyen d'action pour faire évoluer ce constat négatif.
»
« Sans aucun moyen d’action », ainsi exclue de
la lutte contre la souffrance des salariés qui a conduit
à des suicides, le médecin exprime sa propre souffrance
au travail quand elle constate la perte de son pouvoir agir dans
l’intérêt de la santé des salariés
alors que, de part ses fonctions de médecin du travail, elle
devrait disposer du pouvoir de les protéger contre des conditions
de travail nocives pour leur santé physique ou psychique.
Dans cette position difficile, comment le médecin du travail
peut-il développer la confiance des salariés malades
à cause de leur travail ? Hommes et femmes qui ne sont pas
à regarder comme fragiles mais comme des fenêtres ouvertes
sur les dysfonctionnements de l’organisation du travail.
Valérie Tarrou
Le Service de santé au travail est chargé de veiller
à la santé et à la sécurité des
salariés. Le médecin du travail, a un rôle de
conseil auprès de l’employeur, des salariés
et représentants du personnel dans la prévention des
risques et l’amélioration des conditions de travail.
Suivant l'importance de l'entreprises, le service de santé
au travail peut être propre à une seule entreprise
ou commun à plusieurs. Ces services peuvent être assurés
par un ou plusieurs médecins du travail. Ce choix est fait
par l'employeur, sauf opposition des représentants du personnel
préalablement consultés. Les dépenses liées
aux services de santé au travail sont à la charge
des employeurs ; dans le cas de services interentreprises, ces frais
sont répartis proportionnellement au nombre des salariés.
Publié par Valérie Tarrou
Bon bout d'an !
Par Sylviane LAURO le mercredi 30 décembre 2009,
Voilà donc la fin de l'année qui s'annonce et avant
le temps des bonnes résolutions, petite rétrospective
de l'année écoulée. Il s'est passé beaucoup
de choses dans le domaine des RPS cette année : beaucoup
de souffrances innommables bien entendu, mais beaucoup de positif
aussi et de résilience fort heureusement...
L'heure de rendre hommage également à tous ces professionnels
qui oeuvrent, parfois au détriment de leur propre santé,
pour que cela n'arrive plus... Et de terminer l'année avec
cet article qui présente des témoignages de cette
souffrance au coeur de la consultation de Marie PEZE où tout
est dit ou presque....
Histoire de ne pas oublier que demain cela pourrait être
vous...
Bon bout d'an à tous et à l'année prochaine...
Marie Pezé est une femme à l'écoute. C'est
sans doute ce qui la définit le mieux. A l'écoute
des abîmés du productivisme, des estropiés de
« l'évaluation individualisée des performances
», des fracassés du harcèlement, qui défilent
chaque mardi et jeudi au Centre d'accueil et de soins hospitaliers
(Cash) de Nanterre, où elle créa, en 1997, une consultation
spécialisée sur la souffrance au travail. La première
en France. Depuis, le modèle a essaimé, il en existe
vingt-trois. L'année dernière, Marie Pezé a
raconté cette histoire dans un livre qui emprunte son titre
à un vers de La Fontaine : Ils ne mouraient pas tous mais
tous étaient frappés. La psychanalyste y témoigne
de la cruauté des rapports sociaux, de la dissolution des
solidarités traditionnelles dans l'entreprise et de la nocivité
de certaines formes de management. Une orgie de violence sociale
qui laisse nombre de ses patients dans des états de détresse
difficilement imaginables.
« Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail
? interroge-t-elle dès les premières lignes de son
livre. Il faudrait que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez
place sur cette chaise à côté de la mienne.
Il faudrait que vous assistiez à la consultation avec moi.
Que vous écoutiez. Vous pourriez ainsi entendre l'extraordinaire
impact du travail sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut
sauver. Il peut tuer aussi. » Alors, parce que le travail
tue plus souvent qu'à son tour en ce moment, parce qu'il
est plus facile d'être dans le déni, d'aller chercher
des faiblesses dans la fragilité inhérente à
l'humain plutôt que dans l'organisation du travail, parce
que la France se classe au troisième rang mondial de la productivité
horaire mais aussi au troisième rang mondial du nombre de
dépressions liées au travail, on s'est assis sur cette
chaise à côté de la sienne. On a assisté
à ses consultations. On a écouté. On l'a écoutée.
Jeudi 24 septembre
« Marie Pezé, bureau 6. » Il faut traverser
un long couloir éclairé aux néons pour y arriver.
L'endroit est impersonnel. Des murs blanc cassé, une table,
des chaises, une armoire métallique remplie de dossiers qui
nourriraient les tribunaux prud'homaux pendant des générations.
Pas de superflu. Ici, ils sont environ neuf cents à passer
chaque année.
La femme qui entre a une cinquantaine d'années et le visage
miné par l'angoisse et les nuits sans sommeil. De son métier
d'assistante sociale auprès d'adultes handicapés ou
de familles en difficulté, elle parle avec passion : «
C'est comme être maçon. Quand on voit le mur monté,
on est satisfait, même si le travail est dur. » Elle
dit aussi : « Ma vie est un conte de fées, j'ai un
mari super, des enfants magnifiques », et elle ajoute : «
Je me le répète aujourd'hui tous les jours pour ne
pas mourir. » La vie de Sophie a basculé le jour où
elle a accepté d'accompagner à un entretien une collègue
victime de harcèlement sexuel par un supérieur. La
direction n'a pas cru sa collègue, l'a licenciée,
mais a contraint le harceleur à la démission.
Cherchez l'erreur. Sophie, elle, restait là, témoin
gênant d'une affaire gênante. A pousser dehors, donc.
Mais, pour Sophie, le travail ne se réduit pas à un
salaire, c'est aussi un élément structurant. Alors
elle résiste, pare les mauvais coups, les entretiens humiliants,
la dévalorisation de son travail, la fabrication de fausses
preuves pour la prendre en faute. « Qu'ont-ils touché
chez vous en agissant ainsi ? » lui demande Marie Pezé.
« Tout, répond Sophie, en larmes. Je viens de l'étranger.
Je travaille dur. Je veux offrir à mes enfants la vie de
monsieur Tout-le-monde. » A bout de forces et d'épuisement,
traversée par l'idée du suicide, elle finit par accepter
à contrecoeur un arrêt de travail. « De ma vie,
je n'en avais jamais eu aucun. » C'était il y a deux
ans. A l'entendre, c'était hier. Entre-temps, Sophie a été
placée en maladie longue durée, l'inspection du travail
a mené son enquête et l'audience devant les prud'hommes
a été reportée. « Vous êtes en
danger et je veux que ça s'arrête. Je vais demander
au médecin du travail de vous rédiger une inaptitude
à tout poste de travail dans cette entreprise pour danger
grave et immédiat. Promis : quand vous aurez rompu le lien
avec cette entreprise vous irez bien mieux ». Sophie hésite
: « J'ai peur de ne pas retrouver de travail. Peur de ma réaction
quand je recevrai la première lettre de refus d'embauche.
»
La porte à peine refermée, Marie Pezé s'insurge.
« Ici, tout le monde est responsable. L'employeur, qui traficote
des fautes, son avocat, incapable d'entamer une négociation,
le médecin du travail, qui laisse traîner les choses,
la Sécurité sociale, qui l'oublie en longue maladie.
Vous vous rendez compte de ce que coûte à la société
une histoire pareille ! Et c'est tout le temps comme ça.
Il y a une faillite de la pensée, du réseau, des soignants.
Chacun est dans son coin, isolé, compartimenté. Il
est impératif de tisser plus de liens entre les acteurs du
travail. Il n'y a plus que cela qui marche. » Lancée,
Marie Pezé embraye sur la situation des femmes au travail.
Un sujet qu'elle a chevillé au corps. Dans ses consultations,
le nombre de femmes et d'hommes s'équilibre, mais certaines
catégories de femmes - les moins qualifiées et celles
qui vivent seules avec leurs enfants - sont particulièrement
exposées à la souffrance au travail. Leur besoin impératif
de travailler les poussant souvent à accepter plus longtemps
des situations de maltraitance. Plus généralement,
la psychanalyste estime que les femmes sont plus exposées
que les hommes aux nouvelles formes d’organisation du travail.
« Elles sont entrées dans un monde du travail organisé
au masculin neutre. Elles en pâtissent doublement : quand
elles sont peu nombreuses dans leur environnement, elles doivent
faire face à un climat sexiste de plus en plus présent
et à des stratégies viriles défensives. Et,
quand elles montent dans la hiérarchie, elles doivent intérioriser
des pratiques managériales agressives et viriles et neutraliser
les codes de leur féminité. Pour une femme, réussir
dans le monde du travail, c’est coûteux physiquement
et psychiquement. Chez les femmes, la souffrance au travail provoque
des dégâts loin d'être encore tous mesurés,
continue Marie Pezé. Elles présentent un taux de pathologies
gynécologiques (perte de règles, kyste de l'ovaire,
cancer du sein ou du col de l'utérus...) bien au-dessus de
la norme acceptable. »
Lundi 28 septembre
Un salarié de France Télécom se suicide en
Haute-Savoie. Le vingt-quatrième en dix-huit mois. Didier
Lombard, le pdg de France Télécom, annonce la suppression
du plan de mobilité interne.
Mardi 29 septembre
Il est cadre supérieur dans une très grande entreprise.
Il est à un peu plus de quatre ans de la retraite. Tout en
lui (habillement, attitude...) dit le mal-être. Il refuse
de cautionner des pratiques professionnelles qu'il juge contraires
à son éthique et trop éloignées de celles
de son entreprise avant qu'elle ne soit privatisée. Il est
devenu réfractaire au changement. Il pense que les syndicats
ont trahi les salariés pour un bol de soupe. Il est ostracisé.
Il confie d'une voix lasse que « dans la querelle des anciens
et des modernes, les anciens c'était bien aussi ».
Il ne partira pas, parce qu'il a calculé que c'est environ
un quart de sa retraite qui se joue dans les quatre années
à venir. Il conclut en trois mots : « Je vais résister.
»
Jeudi 1er octobre
Le premier entretien avec un patient harcelé est toujours
très long. Il a besoin de temps pour se raconter, pour
remettre une chronologie dans les événements, afin
qu'ils prennent sens. Une catharsis souvent douloureuse. Face à
lui, Marie Pezé est un bloc d'écoute bienveillante
et expérimentée. Elle possède aussi une réserve
inépuisable de Kleenex. « Je ne suis ni pour ni contre
le patient, mais à ses côtés, dans un travail
de perpétuelle décentration, explique-t-elle. Je ne
le regarde pas comme une victime traumatisée. Je ne convoque
pas uniquement son histoire infantile pour expliquer ce qui lui
arrive. J'apporte pour l'écouter tout ce que je sais et tout
ce que je ne sais pas. Sans quoi l'application stricte de mes théories
et de ma pratique deviendrait une maltraitance supplémentaire.
»
Ce matin, elle fait face à Myriam, une jeune et jolie étudiante
d'un naturel réservé qui travaille à temps
partiel, pour payer ses études, dans un magasin appartenant
à une chaîne de chaussures. Tout se passait bien avant
qu'une nouvelle responsable ne soit nommée et qu'elle ne
découvre à la fois l'injustice d'être prise
pour cible sans raison apparente et l'indifférence de ses
collègues à son sort. En très peu de temps,
elle se voit imposer des horaires impossibles, reprocher sa santé
précaire, dénigrée. « Elle est mon pire
cauchemar », dira un jour aux autres vendeuses celle qui lui
en fait désormais vivre un quotidiennement. Si les histoires
de harcèlement finissent mal en général, celle-là
a une morale. En l'absence de médecin du travail (ce qui
est illégal), Marie Pezé contacte la DRH, qui reconnaîtra
les faits et fera muter la responsable du magasin. Myriam
y a gagné des conditions de travail normales, mais reste
minée par l'injustice qui lui a été faite et
« l'hypocrisie » de ses collègues. Son âge
a des valeurs que le temps n'a pas encore émoussées.
Après son départ, Marie Pezé pointe la réaction
du collectif. « Le chacun pour soi, l'absence de solidarité
dans le travail peut tuer tout autant que les pratiques d'une responsable.
»
Vendredi 2 octobre
L'inspection du travail adresse au président-directeur général
de France Télécom, Didier Lombard, un courrier,
que la direction de l'entreprise s'est bien gardée de rendre
public. Et pour cause, dans cette lettre, on lit ceci : «
La démarche d'évaluation des risques psychosociaux
s'accommode mal d'une logique de réorganisation permanente
impactant la vie professionnelle et privée des personnels
de la SA France Télécom et susceptible de porter atteinte
à leur état de santé mentale. Aussi, compte
tenu de la gravité de la situation et afin de prévenir
tout risque de suicide supplémentaire, il semblerait raisonnable
de suspendre les réorganisations, restructurations affectant
les conditions de travail des personnels, en termes de lieu de travail,
métier, fonction, rémunération jusqu'à
la restitution par le cabinet Technologia de ses conclusions.
En conséquence, au vu de la situation dangereuse constatée,
je vous informe qu’en application de l’article L4721-1
du Code du travail j’ai adressé au directeur départemental
du Travail de l’Emploi et de la Formation professionnelle
de Paris un rapport en vu de l’établissement d’une
mise en demeure. Cette mise en demeure a pour objet la suspension
des réorganisations précitées jusqu’à
restitution par le cabinet Technologia de son rapport. Elle vise
également à la mise en place d’une évaluation
des risques psychosociaux intégrant les principes généraux
de prévention et la mise en œuvre d’actions de
prévention, de methodes de travail et de production intégrées
à tous les niveaux de l’entreprise et de l’encadrement
et garantissant la protection de la santé mentale et physique
des travailleurs. (…) »
Et pour ne pas laisser d'ambiguïté sur le sens de sa
démarche, l'inspection du travail conclut : « Pour
finir, j'attire votre attention sur le fait que l'enquête
que je diligente et les procédures en cours dans plusieurs
services d'inspection du travail sont susceptibles de conduire à
la mise en cause de responsabilités tant de personnes physiques
que de la personne morale de France Télécom. Dans
un tel contexte, tout nouveau suicide dont les circonstances permettraient
de penser qu'il est en lien avec les conditions de travail au sein
de la société pèserait lourdement dans l'appréciation
des faits. »
Lundi 5 octobre
La direction de France Télécom annonce qu'elle prolonge
jusqu'au 31 décembre son gel des mobilités forcées
qui devait initialement prendre fin le 31 octobre.
Le numéro deux de France Télécom, Louis-Pierre
Wenes, considéré comme l'artisan des plans de suppression
de postes, est remplacé par Stéphane Richard, ex-directeur
de cabinet de Christine Lagarde.
Parmi les mesures destinées à lutter contre le déficit
de l'assurance-maladie, le gouvernement propose de durcir la
lutte contre les arrêts maladie jugés injustifiés.
Un projet qui ulcère Marie Pezé. « Depuis des
années, les pathologies du travail augmentent en gravité
et l'arrêt maladie est la seule arme du médecin généraliste
pour sortir un salarié au bord du suicide de sa situation
de travail. Combien faudra-t-il de suicides de plus pour que les
pouvoirs publics prennent la mesure de la gravité de la situation
et du niveau explosif que nous avons atteint ? La surdité
et la cécité qui conduiraient à un contrôle
punitif des arrêts maladie mèneraient tout droit à
une augmentation du nombre de suicides. »
Mardi 6 octobre
« J'en étais à espérer avoir un cancer.
» La femme qui prononce ces mots a la cinquantaine, le visage
en cendres et dans la main un mouchoir qu'elle n'en finit plus de
triturer. Depuis une heure, elle raconte avec un mélange
de passion et d'émotion difficilement contenue son travail
quotidien d'éducatrice spécialisée. En l'écoutant,
on se prend à penser que les familles qui ont eu affaire
à elle ont eu beaucoup de chance. En l'écoutant, on
ne peut qu'éprouver un infini respect pour le professionnalisme
et l'humanité dont elle semble avoir fait preuve dans un
travail où chaque jour on se coltine des situations de grande
détresse. Pascale fait partie de ce que Marie Pezé
appelle des « salariés sentinelles ». Ces individus
expérimentés qui maintiennent la cohésion dans
un collectif de travail et perçoivent très en amont
les conséquences parfois insupportables des modifications
apportées à l'organisation du travail. Ces «
salariés sentinelles » sont toujours les premiers à
réagir en cas de problème. Ils encaissent beaucoup
et en payent souvent l'addition.
Depuis des années, Pascale est confrontée à
une baisse des effectifs et des moyens dans son service. Des restrictions
vite insupportables quand on touche à l'humain. « Nous
arrivons de moins en moins à obtenir des aides d'urgence.
On nous demande toujours plus sans prendre le temps de la réflexion.
Notre travail s'est dégradé et mon expérience
me permet de dire qu'il est intolérable de travailler de
cette manière. » Pascale a tout donné pour pallier
les manques et continuer à exercer son métier dans
l'éthique qui était la sienne. Elle s'est épuisée
physiquement et mentalement, refusant longtemps l'idée de
s'arrêter. « Je pensais aux enfants, à ce qu'il
fallait faire. A tout ce qu'il fallait faire. Dans mon métier,
quand on ne vient pas, les choses ne se font pas. » D'où
l'idée du cancer, une maladie suffisamment grave pour s'autoriser
à souffler.
Profondément affectée par le sort d'un enfant qu'elle
suivait, Pascale a fini par rendre les armes. Elle est en arrêt
maladie depuis quelques mois. Toujours fragile, porteuse d'une expérience
et d'une lucidité qui ne sont plus que souffrance. Face à
elle, on est désarmé, respectueux et en colère.
Ce ne sont pas les travailleurs qui sont malades, c'est le travail.
Au cours de l'entretien, Marie Pezé a discrètement
pris une petite boîte dont elle a extrait un comprimé
oblong. On ne sort pas indemne de l'écoute continuelle d'un
tel flot de souffrance. Elle a payé au prix fort : perte
de l'usage du bras droit, effacement du goût et de l'odorat,
dégringolade dans le trou noir de la décompensation...
C'était il y a sept ans. Aujourd'hui, Marie Pezé va
mieux, mais son corps réclame son dû à heure
fixe. Elle ne s'en cache pas, ne s'apitoie pas, en plaisante. «
Je suis bionique. Je prends les mêmes médicaments que
mes patients. C'est un avantage. Je sais ce qu'ils vivent. »
Mercredi 7 octobre
Le Réseau national de vigilance et de prévention
des pathologies professionnelles (RNV3P) révèle que,
pour la première fois, les pathologies psychosociales (anxiété,
stress, dépression, etc.) arrivent au premier rang des maladies
professionnelles pour lesquelles les salariés vont consulter.
Elles représentent plus du quart d'entre elles.
Jeudi 8 octobre
L'Humanité dimanche fait le récit d'une formation
dans laquelle se sont retrouvés, fin septembre, 550 DRH pendant
48 heures dans un Relais & Châteaux parisien. Au terme
de son intervention, Olivier Barberot, directeur des Ressources
humaines de France Télécom, explique qu'il «
faut savoir perdre du temps à écouter les salariés...
» « Euh..., c'est entre guillemets », sourit-il
lorsque son voisin et confrère de Renault lui fait remarquer
que l'expression est peut-être malheureuse. C'est une mode,
le lapsus à France Télécom...
Paris, mairie du IXe arrondissement. Le Réseau des préventeurs
et ergonomes des collectivités territoriales (RESPECT) réunit
son septième congrès sur un thème en prise
directe avec l’actualité : « Les risques psychosociaux
au travail, des risques comme les autres ? » Marie Pezé
répond à la question à sa manière en
plongeant une assemblée muette dans le quotidien de travail
d’une de ses patientes : une ouvrière qui visse vingt-sept
bouchons par minute. « Elle mime le geste devant moi, raconte
Marie Pezé. Elle me dit qu’au bout de vingt minutes,
ses collègues et elle ont toutes des cloques sur les mains.
Elle m’explique que les gants qu’on leur donne sont
trop grands et se prennent dans le bouchon, ce qui ralentit la cadence.
– Comment tenez-vous le rythme ?
– C’est dur. Il y a d’abord que je n’ai
pas le choix, je dois travailler. Il y a que la rage de ce travail,
je la mets dans le geste et ça m’accélère.
Il y a que je fais partie des anciennes et des meilleures et que
je me dois d’aller vite. Et quand je vais plus vite que le
rythme, je me sens libre ! Des fois, je vais tellement vite que
je ne pense plus. Je suis toute entière dans la répétition
du geste. »
« Voilà, elle a tout dit, explique Marie Pezé.
A une certaine intensité, l’activité de travail
entre en concurrence avec la pensée. L’activité
fantasmatique n’est plus seulement inutile, elle devient dangereuse.
Le silence mental se prête mieux au travail monotone. Le geste
sert à ne plus penser la souffrance de ce travail-là.
“Je suis devenu un robot”, dit l’ouvrière,
en mimant encore et encore ce geste de vissage dont son corps n’arrive
plus à se délester. L’hyperactivité comme
défense contre la souffrance venant du travail. Mais l’hyperactivité
aussi comme voie de décharge de la violence que génère
ce type d’organisation du travail. La rage, la haine, la colère,
la frustration sont rapatriés dans l’accélération
du geste. “Et lorsque la haine devient trop forte, me dit-elle,
elles font des crises de nerf dans l’atelier, vont s’allonger
dans le vestiaire sur l’un des brancards prévus à
cet effet, avalent leur demi-barrette de Lexomyl et laissent retomber
la vapeur. Un quart d’heure plus tard, le chef d’atelier
vient les chercher et elles reprennent leur place.” L’organisation
du travail a tout prévu, même la crise de nerfs qui
évacue le trop plein d’excitation. Economie psychique
versus économie de marché. »
Silence absolu dans la salle. Marie Pezé poursuit. «
L’ouvrière dit aussi qu’en allant plus vite que
la cadence demandée, elle dégage une marge de liberté,
une individualité, un triomphe temporaire. L’esclave
de la quantité devient athlète de la quantité.
Des athlètes de la quantité qui s’excitent,
s’usent, disparaissent. Vite remplacées par d’autres.
»
Vendredi 9 octobre
Xavier Darcos, ministre du Travail, somme les entreprises de plus
de mille salariés de conclure des accords sur les risques
psychosociaux d'ici au 1er février 2010. Une avancée
? Pas sûr. « Concrètement, comment les entreprises
vont-elles prendre en charge les risques psychosociaux ? Quels professionnels
vont les conseiller ? » s'interroge Marie Pezé. Surtout,
elle craint que les contraintes macroéconomiques qui pèsent
sur les entreprises soient trop lourdes pour qu'elles modifient
leur organisation du travail, même si elle est pathogène.
Une étude de la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam)
révèle que, de janvier 2008 à juin 2009, vingt-huit
suicides ont été reconnus comme accidents du travail
sur les soixante-douze demandes étudiées. L'étude
témoigne de la diversité des publics : un tiers des
suicides déclarés concerne des personnes très
qualifiées (trois « dirigeants » et vingt et
une « professions intellectuelles supérieures »,
un tiers des professions intermédiaires et des employés
de bureau et le dernier tiers des salariés peu qualifiés
(ouvriers, conducteurs, manœuvres). Tous égaux devant
la souffrance au travail...
Jean-Claude Delgenes, directeur général du cabinet
Technologia, mandaté par France Télécom pour
prévenir les suicides dans l'entreprise déclarera
quelques jours plus tard : « Nous connaissons actuellement
dans notre pays un pic suicidaire élevé lié
au travail. A mes yeux, le chiffre de 500 suicides annuels (sur
les quelques 12 000 suicides dénombrés en France)
est sous-évalué. »
Dans un amphithéâtre du Conservatoire national des
arts et métiers, à Paris, ils sont une quarantaine,
en majorité psychologues ou médecins du travail, à
démarrer une année de psychopathologie du travail,
spécialisation créée en 2008 par Marie Pezé
et le psychanalyste Christophe Dejours. Certains pensent monter
une consultation « souffrance et travail » dans leur
région, beaucoup témoignent de situations de souffrance
dans les secteurs où ils exercent (éducation, police,
pompiers...), tous disent qu'ils sont là « pour rompre
leur isolement dans le travail, chercher du courage, des outils
et des armes ». Avec humour, Marie Pezé attaque : «
Je règle d'abord avec vous les questions administratives,
Christophe Dejours commencera ensuite son cours. C'est ce qu'on
appelle la division sexuelle du travail. » Pointant deux retardataires
qui essaient de se faufiler discrètement, elle fonce vers
eux en lançant à un auditoire amusé : «
Je vais commencer par vous apprendre les règles du harcèlement...
» Les retardataires sont gentiment invités à
s'asseoir.
Lundi 12 octobre
Face à un parterre essentiellement composé de DRH
réunis en formation dans un somptueux quatre-étoiles
parisien, Marie Pezé rappelle les fondamentaux du travail
et pose un constat. « Je suis venu vous redire la place centrale
du travail dans le maintien d’un équilibre physique
et psychique. En contribution de ce que nous apportons à
l'organisation du travail, nous attendons un retour. Pas simplement
un salaire, mais aussi une reconnaissance qui nous permet d'être
rassurés sur notre contribution à l'œuvre collective,
sur la place que nous avons pu nous construire parmi les autres.
Cette reconnaissance se décline autour de deux jugements
: un jugement d'utilité sociale, économique ou technique,
et un jugement de beauté énoncé par nos pairs.
Ces deux jugements sont aujourd’hui profondément compromis
par les modes actuels d’organisation du travail, qui nous
contraignent trop souvent à un travail dégradé.
»
Mardi 13 octobre
Celui qui entre ce matin dans le bureau de Marie Pezé n’a
pas la tête de l’emploi. Il est jeune, grand, bronzé.
Il s'assied, croise des bras qu’il ne décroisera plus
durant tout l'entretien et commence à se raconter. François
se rêvait exploitant agricole, il est devenu, un peu par hasard,
logisticien dans une PME spécialisée dans la réception
et le transport de bois. Visage fermé, il évoque les
tâtonnements de ses débuts professionnels et son goût
pour le travail bien fait. Derrière les mots, on devine une
personnalité carrée dont les principes s’accommodent
mal des petits arrangements avec la loi. Alors, quand des exploitants
lui proposent de truquer la pesée du bois pour percevoir
plus d’argent et le partager avec lui, François refuse.
Ils insistent, lui persiste. Viennent alors l'intimidation, les
menaces. François se tourne vers sa hiérarchie. Vainement.
Faut-il y voir un lien avec son élection comme délégué
du personnel et son insistance à aborder la question des
heures supplémentaires payées au noir, en dessous
du taux horaire et distribuées à la tête du
client ? A l'écouter, poser la question, c'est y répondre.
François commence à mal dormir, à devenir
nerveux. Le pire est devant lui. Son employeur l’accuse de
vol et ne lui laisse le choix qu’entre la démission
ou une plainte en justice. Il refuse. On lui propose un licenciement
pour faute avec mise à pied à titre conservatoire.
Il craque. Dépression réactionnelle, diagnostique
le médecin. La suite se décline comme une accumulation
kafkaïenne d'impasses en tous genres – refus du licenciement
par l'inspection du travail, tentatives de négociation avortées,
mutation sans lendemain, arrêts de travail à répétition...
« Que voulez-vous qu'on fasse? », demande doucement
Marie Pezé.
– Je ne sais pas...
– Vous vous rendez compte à quel point ce conflit
vous affecte ? Il faut rompre ce contrat qui ne vous mène
nulle part. »
François reparti, Marie Pezé soupire : « On
ne dit pas suffisamment que, dans ce pays, on ne peut pas quitter
facilement une entreprise où on vous maltraite. La démission
est impossible sauf à renoncer à ses droits. L’agressivité
aussi, sous peine d’être sanctionné. On interdit
ainsi les deux grandes voies d'écoulement des excitations
traumatiques, ce qui provoque inéluctablement un vécu
d'impasse psychique absolue. »
PSA Peugeot Citroën officialise un accord de prévention
sur les risques psychosociaux signé par cinq syndicats. A
cette occasion, le DRH de PSA, Denis Martin, confie à Libération
qu’une enquête réalisée par un cabinet
extérieur auprès de 3 000 salariés, entre 2007
et 2008, après deux suicides sur le site de Peugeot à
Mulhouse montrait « qu’un salarié sur cinq était
en situation de stress trop élevé et que 50 % de l’absentéisme
était lié à ce stress ».
Mercredi 14 octobre
Une enquête publiée par le Wall Street Journal révèle
que les banques américaines ont provisionné près
de 140 milliards de dollars à verser en 2009 en salaires,
bonus et bénéfices divers à leurs traders.
C’est 10 milliards de plus qu’en 2007, avant la crise.
A Paris, le CAC 40 clôture à son plus haut niveau depuis
un an.
Jeudi 15 octobre
A Lannion, un nouveau salarié de France Télécom
se suicide.
A Nanterre, Sophie est revenue. Son état a empiré.
Marie Pezé demande son hospitalisation immédiate.
Dans la petite pièce sans fenêtre qui sert de salle
de repos aux infirmières du service, elle avale rapidement
un déjeuner entre deux consultations. Au menu : tartes surgelées,
café, et la question du harcèlement. « C'est
notre affaire à tous, pas seulement celle des pouvoirs publics,
explique-t-elle. La question que je pose à tous les gens
harcelés qui viennent ici est la même : "Avant
votre harcèlement, quelqu'un d'autre était-il harcelé
?" "Oui." "Qui ?" "Ma collègue."
"Et qu'avez-vous fait ?" "Rien." La question
majeure est donc celle du consentement. Nous sommes tous les rouages
de cette maltraitance. Il nous suffirait de décider de faire
un pas de côté et de regarder ce à quoi nous
consentons pour modifier du jour au lendemain ce qui se passe dans
ce pays. Les petites collusions, les petites lâchetés,
les petites cécités quotidiennes par peur de perdre
notre travail, c'est là-dessus que nous devons tous travailler.
»
Mardi 20 octobre
France Télécom suspend les restructurations prévues
au sein du groupe jusqu’à la fin de l’année,
date de la fin des négociations sur les conditions de travail.
Pas de consultation aujourd'hui. Marie Pezé passe la journée
avec des DRH et les gendarmes du GIGN, qui veulent comprendre la
psychologie de ceux qui se livrent à de nouvelles formes
de violence sociale contre eux-mêmes ou contre les autres.
Comme un écho à ce qu'elle pronostiquait quelques
jours plus tôt devant un parterre de DRH : « Les séquestrations,
les sabotages de l'outil de travail, nous n'avons pour l'instant
assisté qu'aux prémices de tout cela. Ils sont à
venir, et probablement de manière grave. »
Source : Télérama - Octobre 2009
La Poste victime du syndrome France Telecom
Laura Raim - 03/06/2010 18:45:00
Taux d'absentéisme sans précédent, épuisement
physique ou psychique et très forte augmentation des accidents
du travail...Un courrier du syndicat des médecins de la Poste
dresse un constat alarmant sur la santé des 300.000 postiers
français. L'Expansion.com fait le point.
Que dénonce le syndicat des médecins de la Poste
?
Il signale la rapide détérioration de la santé
au travail des 300.000 salariés du deuxième employeur
public de France. Parmi les clignotants au rouge, figurent des suicides
ou tentatives de suicide. Aucun décompte n'a encore été
réalisé. En avril, le syndicat FO avait indiqué
que 9 salariés avaient mis fin à leur jour, depuis
début 2009, mais tous en dehors du lieu de travail. Autre
signal d'alarme : un taux d'absentéisme pour maladie qui
"atteint des seuils sans précédent". Il
"augmente d'un jour par an à La Poste", confirme
Nadine Capdeboscq, déléguée CFDT. Selon le
rapport, "les agents à la distribution sont confrontés
à des situations d'épuisements physiques et psychiques".
"On reçoit des mails inquiétants de collègues
qui sont au bord de craquer", signale en effet Nicolas Galepides,
administrateur Sud. D'où la très forte augmentation
des accidents du travail et maladies professionnelles dont font
aussi état les médecins du travail. Le rapport constate
par ailleurs une explosion des congés non accordés
et notamment des problèmes pour les obtenir à des
dates les permettant de les partager avec les proches. Enfin, le
syndicat fait état de pressions exercées sur certains
salariés pour qu'ils quittent l'entreprise.
Quelles sont les causes de ce malaise ?
Le premier facteur de stress est la réduction des effectifs.
De fait, la Poste a entrepris depuis quelques années un vaste
plan de restructuration interne afin de se préparer à
l'ouverture du marché européen à la concurrence.
"62 000 emplois ont été supprimés depuis
fin 2002, c'est le plus grand plan social de France, affirme Nicolas
Galepides. Il y a environ 12 000 départs naturels par an,
or seulement une personne sur trois ou quatre doit être remplacée
jusqu'en 2015, ce qui signifie encore 50 000 suppressions de postes
d'ici là. "
Le résultat, c'est une surcharge de travail pour ceux qui
restent. "Les facteurs finissent souvent une heure et demi
après leur fin de service théorique", explique
le syndicaliste de Sud.
Moins de personnel, cela signifie aussi "plus d'attente aux
guichets, donc des usagers en colère qui deviennent plus
agressifs avec les agents, ce qui ajoute encore au stress",
ajoute Marie Pezé, médecin spécialiste de la
souffrance au travail et auteur de l'ouvrage "Ils ne mouraient
pas tous mais tous étaient frappés".
Le deuxième source de mal-être à la Poste est
la réorganisation du travail, qui se calque sur celle des
bureaux, où les différents services (colis, banques,
courrier...) sont désormais segmentés. "La Poste
n'est plus un service public, mais une boutique, résume Marie
Pezé. Comme à France Telecom, c'est le « tous
vendeurs » qui prime". Dans la branche bancaire notamment,
"où la pression commerciale est la plus forte, reconnaît
Nicolas Galepides, chaque vendeur doit vendre cinq produits Evoleo
par jour. Et comme chez France Telecom, ce sont les managers de
proximité qui mettent la pression car ils doivent fournir
du chiffre à la direction". "Pour des personnes
qui ont choisi de travailler pour le service public, cette transformation
peut provoquer un bouleversement identitaire et soulever des questions
éthiques", souligne la psychiatre Stéphanie Palazzi.
Peut-on comparer la Poste à France Telecom ?
Quand le syndicat de médecins écrit qu'il "faut
engager des actions concrètes pour enrayer ce qui pourrait
vite devenir un processus morbide connu aujourd'hui par d'autres
entreprises", difficile de ne pas penser à France Télécom.
De fait, la transformation des méthodes de travail qui a
accompagné la privatisation de l'ancienne entreprise publique,
frappée par une vague de suicides, rappelle celle que subit
actuellement la Poste, bien que cette dernière ne soit pas,
à proprement parler, en cours de privatisation.
Mais en fait, "ce n'est pas la privatisation ou l'ouverture
à la concurrence qui est à l'origine du stress, affirme
Nicolas Galepides. Il n'y a qu'à voir la situation d'un organisme
purement public comme Pôle Emploi, qui a enregistré
4300 agressions depuis le début de l'année !"
En réalité, avec la politique du non remplacement
d'un fonctionnaire sur deux, on retrouve ce stress un peu partout
dans la fonction publique, selon lui.
Pourquoi entend-on plus parler de ces problèmes dans
les grandes entreprises publiques ou anciennement publiques que
dans celles du privé ?
Les salariés de La Poste, Renault, Pôle Emploi, France
Telecom ont-ils vraiment la vie plus dure que ceux de L'Oréal,
Véolia ou Carrefour ? Bien sûr que non. C'est ce qu'avait
fait valoir en avril la direction de la Poste, face aux critiques
formulées par FO. Elle avait rappelé qu'avec ses 300.000
collaborateurs, elle constituait "un échantillon reflet
de la population", et constatait "les mêmes phénomènes
sociaux chez ses collaborateurs que dans la société
française".
La Poste victime du syndrome France Telecom
Laura Raim - 03/06/2010 - L'Expansion.com
En effet, "les organisations du travail sont les même
partout, que ce soit à la Poste, chez France Telecom, Areva
ou à l'hôpital du coin, affirme Marie Pezé.
Partout, les critères sont de plus en plus productivistes.
Alors que la productivité horaire des salariés français
est déjà parmi les plus fortes en 35 heures, on leur
demande toujours plus."
Pourquoi, alors, parler davantage des entreprises publiques
?
Parce que le processus a commencé depuis 30 ou 40 ans dans
le secteur privé, alors qu'il est récent dans le public.
Surtout, cette réorganisation se fait "à marche
forcée, à coups de massue", afin de rattraper
les concurrents.
Enfin, si les doléances des salariés du public sont
plus entendues, c'est "parce qu'il y n'y que là qu'il
existe encore un syndicalisme suffisamment vivant pour pouvoir faire
des revendications", explique Marie Pezé.
La vie au travail : changer la donne. Entretien avec Marie Pezé,
psychanalyste*
Marie Pezé
Parmi les patients qui viennent vous voir, les femmes sont-elles
plus nombreuses et existe-t-il des traits communs à ces femmes
en souffrance ?
Je reçois en consultation autant d'hommes que de femmes.
Mais ces dernières présentent effectivement des caractéristiques
communes liées à ce qu'on appelle en sociologie le
levier de soumission et qui touche essentiellement les femmes peu
qualifiées et les familles monoparentales. Leur situation
personnelle fait qu'elles acceptent plus longtemps des situations
de maltraitance car elles ont besoin de leur travail pour vivre.
D'autre part, en raison de la division sexuelle du travail, les
femmes occupent encore majoritairement des fonctions exécutantes.
En condition de subordination, elles sont de fait à même
de supporter plus fréquemment un management de maltraitance.
Estimez-vous que les femmes sont plus sensibles que les hommes
aux formes actuelles d'organisation du travail ?
Oui, car l'organisation du travail est au masculin neutre. Les
femmes sont entrées plus tard dans le monde du travail et
elles doivent s'adapter à cette organisation masculine. Elles
en pâtissent sur deux versants : quand elles sont seules ou
peu nombreuses dans leur environnement, elles doivent faire face
à un climat sexiste de plus en plus présent et à
des stratégies défensives viriles. Et quand elles
veulent monter dans la hiérarchie, elles doivent intérioriser
des pratiques managériales viriles et agressives, qui sont
plus confortables pour les hommes car en droite ligne de leur identité
de genre. Quand un manager sera exigeant, voire brutal, on dira
qu'il est un bon manager alors que cela aura une connotation négative
pour la femme.
Quels sont les principaux effets pathogènes de l'organisation
du travail ? Comment le vivent vos patientes ?
Les techniques d'évaluation (entretien individuel, 360°,
etc.) cassent les solidarités collectives et aiguisent la
compétition entre salariés. Elles sont porteuses de
forts paradoxes et d'injonctions contradictoires car souvent déconnectées
du travail réel, mais elles sont des armes efficaces pour
tenir le salarié. Les femmes sont prêtes à travailler
beaucoup et vite si elles en ont les moyens. Mais sur le terrain,
la réalité est tout autre, comme cette infirmière
qui n'a plus le temps de bien faire ses pansements au détriment
de ses malades. L'image de soi en sort abîmée. Cette
sensation de faire du "sale boulot" entraîne des
pathologies de surcharges.
La vie au travail : changer la donne. Entretien avec Marie
Pezé, psychanalyste
Marie Pezé
Pour les femmes, quels sont les impacts de la vie privée
sur la vie professionnelle ?
Il s'agit là d'une question centrale. La porosité
entre vie privée et vie professionnelle est totale. Les femmes
n'ont pas le temps de boucler tout ce qu'elles ont à faire
et donc le soir, entre la surveillance des devoirs des enfants et
la préparation du dîner, elles tentent de terminer
leurs dossiers. Cela entraîne une augmentation de la violence
dans la sphère privée (violence sur les enfants, irritabilité...).
Les patientes que je reçois sont dans l'angoisse du lundi
matin et n'arrivent plus à s'occuper de leurs familles.
Il faut évoquer cette charge spécifique aux femmes.
Les femmes doivent en permanence articuler leur travail de production
(emploi) et celui de reproduction (famille). Pour elles, le clivage
foyer/travail est impossible, car elles portent la charge mentale
du foyer alors que les hommes, eux, peuvent cliver.
Quels conseils donner aux femmes qui commencent à perdre
pied dans leur travail ?
Ne pas basculer dans des mécanismes dangereux tels que l'hyperinvestissement
pour faire plaisir à son patron. Augmenter la qualité
et la quantité de son travail est un piège. Il leur
faut être attentives par exemple aux pathologies gynécologiques
et ne pas hésiter à consulter précocement son
médecin du travail avant d'en arriver à une maladie
de surcharge. Il n'y a pas de fatalité, il faut témoigner.
*Marie Pezé dirige la consultation "Souffrance et Travail"
à l'hôpital de Nanterre, elle est l'auteure de "Ils
ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés"
aux éditions Pearson
Propos recueillis par Gaëlle Picut, le 14/10/2008
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés.
Journal de la consultation « Souffrance et travail »,
1997-2008
Marie Pezé
Reprenant ici le titre d’un documentaire de 2006, la psychanalyste
Marie Pezé propose d’entrer dans l’univers de
ses consultations « Souffrance et travail », d’entendre
le récit de ses patients, et de la suivre dans ses réactions
et ses interprétations. La maltraitance, qui devient la règle
avec la généralisation de l’hyperproductivisme
et des systèmes de management, ne se réduit pas à
des oppositions simples entre « harceleurs » et «
harcelés », « pervers » et « victimes
», catégories à partir desquelles il est tentant
de psychologiser la souffrance au travail. L’un après
l’autre, les témoignages dévoilent l’extraordinaire
impact du travail et de son organisation sur les dynamiques collectives
dans les entreprises, et sur le corps et le psychisme des individus.
La méthode d’exposition choisie par l’auteure
offre des outils d’analyse accessibles à tous. Ecrit
dans un souci de prévention, ce livre est une invitation
à ne pas se dérober face à la gravité
des états de détresse, quelquefois présuicidaires,
d’un nombre croissant de salariés, indépendamment
de leur statut. C’est en quelque sorte un manuel pratique
de lutte contre l’injustice.
Noëlle Burgi.
Pearson, Paris, 2008, 214 pages, 17 euros.
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés
Un livre formidable de Marie Pezé, médecin du travail,
qui y décrit les situations de travailleurs venus la consulter.
Clair, précis, et bouleversant.
Vous voulez en savoir plus sur la souffrance au travail ? Il faudrait
que vous entriez dans mon bureau, que vous preniez place sur cette
chaise à côté de la mienne. Il faudrait que
vous assistiez à la consultation avec moi. Que vous écoutiez.
Vous pourriez ainsi entendre l extraordinaire impact du travail
sur le corps et sur le psychisme. Le travail peut sauver. Il peut
tuer aussi. Êtes-vous prêt à entendre tout ce
que les patients ont à dire sur leur travail ? Quoi qu ils
disent ? Je dois vous prévenir, vous n’en sortirez
pas indemnes. Car ici, entre ces murs, sur mon territoire clinique,
les pathologies sont criantes, caricaturales. Travail sous contrainte
de temps, harcèlement, emploi précaire, déqualifi
cation, chômage, sont le lot quotidien des patients de la
consultation Souffrance et Travail.
Marie Pezé, Apostrophe du livre “Ils ne mouraient
pas tous mais tous étaient frappés”, août
2008, Village Mondial éditeur, 17 euros.
Marie Pezé a ouvert la consultation Souffrance et travail
en France à Nanterre en 1997 première d une vingtaine
qui ont vu le jour un peu partout en France. Pendant treize années
elle y a reçu des patients aux profils les plus divers du
cadre sup à la simple secrétaire de l aide soignante
au chef comptable tous ceux que l on appelle les « Ressources
humaines ». Dans ce livre elle leur donne la parole pour rappeler
d abord que le travail n est pas une valeur en voie de perdition.
Qu au contraire s il peut sauver aussi bien que tuer c est parce
qu il occupe une place centrale dans nos vies et dans notre société.
Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient
frappés,
Journal de la consultation « Souffrance et Travail »
1997-2008 Recension
Marie
Pezé, Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient
frappés,
Journal de la consultation « Souffrance et Travail »
1997-2008 Recension
|
|