"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Points de vue (sur les alternatives à la prison)
Michel Foucault
Dits Ecrits III texte n°177

«Points de vue», Photo, nos 24-25, été-automne 1976, p. 94. (Extrait de la conférence donnée le 29 mars 1976 à l'université de Montréal, dans le cadre de la Semaine du prisonnier, sur le sujet des alternatives à la prison.)

Dits Ecrits Tome III texte n°177

“Alternatives à la prison: diffusion ou décroissance du contrôle social ? Une entrevue avec Michel Foucault” Un article publié dans la revue Criminologie, vol. 26, no 1, 1993, pp. 13-34.
Numéro intitulé : “Michel Foucault et la (post)modernité”. Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal.
“Alternatives à la prison: diffusion ou décroissance du contrôle social ? Une entrevue avec Michel Foucault”

"Prisons : la chute des murs ?" conférence à l’Université de Montréal, 1976 (extraits) par Michel Foucault publié dans Vacarme 29 automne 2004
"Prisons : la chute des murs ?" conférence à l’Université de Montréal, 1976 (extraits) par Michel Foucault publié dans Vacarme 29 automne 2004


L'appel à la peur, sans cesse relancé par la littérature policière, par les journaux, par les films maintenant, l'appel à la peur du délinquant ; toute la formidable mythologie apparemment glorifiante, mais en fait apeurante, cette énorme mythologie qu'on a bâtie autour du personnage du délinquant, autour du grand criminel, a rendu en quelque sorte naturelle, a naturalisé la présence de la police au milieu de la population. La police dont il ne faut pas oublier que c'est une invention également récente de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe. Enfin, ce groupe de délinquants ainsi constitué et ainsi professionnalisé, il est utilisable par le pouvoir, il est utilisable à beaucoup de fins, il est utilisable pour des tâches de surveillance. C'est parmi ces délinquants qu'on va recruter les indicateurs, les espions, etc. Il est utilisable aussi pour un tas d'illégalismes profitables à la classe au pouvoir ; les trafics illégaux que la bourgeoisie ne veut pas faire elle-même, eh bien, elle les fera faire tout naturellement par ses délinquants. Donc, vous voyez que, en effet, beaucoup de profits économiques, beaucoup de profits politiques, et surtout la canalisation et le codage serré de la délinquance ont trouvé leur instrument dans la constitution d'une délinquance professionnelle. Il s'agissait donc de recruter des délinquants, il s'agissait d'épingler des gens à la profession et au statut de délinquant ; et quel était le moyen pour recruter les délinquants, pour les maintenir dans la délinquance, et pour continuer à les surveiller indéfiniment dans leur activité de délinquants ? Eh bien cet instrument, c'est bien entendu la prison.

La prison, ç'a été une fabrique de délinquants ; la fabrication de la délinquance par la prison, ce n'est pas un échec de la prison, c'est sa réussite, puisqu'elle était faite pour ça. La prison permet la récidive, elle assure la constitution d'un groupe de délinquants bien professionnalisé et bien fermé sur lui-même. Par le jeu du casier judiciaire, des mesures de surveillance, par la présence des indicateurs dans le milieu des délinquants, par la connaissance détaillée que la prison permet sur ce milieu. Vous voyez que cette institution de la prison permet de garder le contrôle sur les illégalismes ; en excluant par ces effets toute réinsertion sociale, elle assure que les délinquants resteront délinquants et que, d'autre part, ils demeureront, puisqu'ils sont délinquants, sous le contrôle de la police et, si l'on veut, à sa disposition.

La prison, ce n'est donc pas l'instrument que le droit pénal s'est donné pour lutter contre les illégalismes ; la prison, elle a été un instrument pour réaménager le champ des illégalismes, pour redistribuer l'économie des illégalismes, pour produire une certaine forme d'illégalisme professionnel, la délinquance, qui allait, d'une part, peser sur les illégalismes populaires et les réduire, et, d'autre part, servir d'instrument à l'illégalisme de la classe au pouvoir face à l'ouvrier dont la «moralité» était absolument indispensable, dès lors qu'on avait une économie de type industriel.