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Le leader et le groupe
Janvier 2005 => Janvier 2006

Ce texte a été écrit en Janvier 2005. Il a été transmis aux personnes concernées avec l'avertissement suivant :

Avec ce texte je n’ai pas envie d’alimenter la polémique et la violence entre les groupes libertaires, même s’il est probable qu’il ait cet effet vu son contenu. Je ne souhaite pas non plus qu’il soit considéré comme une attaque personnelle, si c’est possible. De mon point de vue, il s’agit d’un problème politique concernant notre autogestion et d’une tentative de réflexion sur nos façons de vivre notre désir de politique.

Je ne souhaite que ce texte ne soit pas diffusé publiquement dans l’état actuel des choses. Il est possible de l’utiliser de façon personnelle, mais je préférerai qu’il soit utilisé pour des débats non publics sur ce thème, si des personnes en ont envie.
Je vous remercie de tenir compte de cette demande.



Un an après la violence a gagné la partie, j'ai du quitté B17 un an plus tard devant le diktat de cette chefferie locale. Il peut donc être public. Le texte intitulé "Insoumission" en est la suite, le rapport de force est plutôt défavorable aux thèses que je défends :

Insoumission Janvier 2006 « L’autogestion au pays des chefferies »


En 2010 le débat rebondit à nouveau publiquement, car le grand leader nous propose de militer pour "un front de gauche" dans le cadre d ela lutte contre le projet d'Aéroport de Notre dame des Landes

Projet d'Aéroport de Notre Dame des Landes Un débat sur la stratégie et la tactique
Projet d'Aéroport de Notre Dame des Landes Un débat sur la stratégie et la tactique



Un débat secoue la planète militante à Nantes au début Janvier 2005. Il concerne la possibilité de réunions sereines à B17 et le droit à l’existence d’un groupe féministe non mixte. Il nous faut admettre aujourd’hui que ces débats ne peuvent pas déboucher sur un changement réel. Les débats sont, de fait, assez stériles. Face à cette situation, que peut-on faire ? Essayer de comprendre pourquoi nous en sommes arrivé/es là ? Essayer de mettre en œuvre des procédures pour sortir de cette situation bloquée ? Essayer de trouver des méthodes pour ne pas reproduire les phénomènes ? Au-delà de la situation locale et des personnes particulières, le but de ce texte est de trouver un début de réponse à ces questions, ou, au minimum, poser la question de la possibilité d’un changement.

Le premier point qui apparaît de façon évidente en étudiant ce blocage, c’est le rôle d’une personne particulière [*]. Cette personne ne peut pas et ne veut pas changer. Ce sujet a engagé sa vie depuis longtemps sur les méthodes que nous connaissons, elle en vit. Pour renoncer à ce mode de vie et à ce désir là d’engagement politique, cette personne devrait opérer une remise en cause, une transformation profonde de ses rapports humains et politiques tellement sont liées sa vie et sa façon de faire de la politique.

Cette personne doit se tenir au courant de tout, activer et entretenir des réseaux en permanence. Ainsi, elle est informée des tendances en vogue et peut proposer du symbolique approprié à ses troupes et sur ses produits de marchandising politique. Cette personne récupère tout ce qu’elle peut pour le recycler et surfer sur l’actualité et l’ambiance.

Il faut des événements pour exister, style : rassemblements militants, mobilisations, Vaag, No Border, village autogéré, … Ainsi, cette personne peut proposer de l’existentiel et de l’activisme occupationnel à la mouvance militante libertoïde de l’hexagone. Cette personne remplit bien son rôle d’organisateur politique, une variante du Gentil Organisateur, ici made in Libertaire, un G. O. nécessaire pour supporter l’impuissance et la tristesse du monde post moderne. Elle propose de l’émotion, des “ good vibrations ” (selon le terme des Hippies des années soixante-dix). C’est bien une sorte de grand prêtre, qui sait manipuler la “ valeur émotion ”, les valeurs supérieures nécessaires aux humains pour donner du sens à leur vie et enchanter un peu ce monde. Il faut mêler les activités festives aux activités sérieuses, les concerts et les débats, donner l’impression qu’il y a de l’intensité dans tout ce mouvement et cette agitation. Il est nécessaire que ces propositions soient énoncées comme collectives et que le mouvement ait la représentation que cela vient de lui-même, ce qui est assez juste, puisque cette personne est à la pointe du mouvement. Du fait de la fusion entre le réseau et cette personne, aucune séparation n’apparaît et ne peut apparaître.

L’idée libertaire a l’immense avantage de donner une bonne image de soi. La valorisation est au rendez-vous et assure des prébendes pour la suite. Cela renouvelle régulièrement les ressources humaines. Bien sûr, il y a des tensions, des reculs, des émergences, des divergences, des arrivées, des départs, parfois nombreux, mais, c’est là l’essentiel, le grand mouvement continue. Les tribus se composent, se décomposent ou recomposent selon les situations. La forme réseau est souple et permet un flou très utile, où, évidemment, la continuité passe précisément par une personne en particulier.

Par exemple, la “ Révolution sociale et libertaire ” est prélevée sur le groupe dissident “ Offensive Libertaire et Sociale ”, qui a quitté No Pasaran. Selon les moments, c’est la répression, le mode de vie, l’apartheid social, le sécuritaire, les sans-papiers/ières, le genre, les OGM, l’anti-fascisme, l’Ivg, l’anti-capitalisme, la gratuité des transports, la décroissance, la précarité, le revenu, le chômage, la société de surveillance, les alternatives, etc., qui sont mis en avant. Le réservoir des malaises de cette société est si grand, que les sujets de mobilisation ne manquent jamais. Il faut être là où ça bouge, comme on le disait dans les années soixante-dix pour certaines formes de révoltes : “ tout ce qui bouge est rouge ! ” Cette personne dépense beaucoup d’énergie pour s’informer et maintenir des liens avec des tas de gens. Cette personne est toujours aux aguets et doit le rester pour garder un petit temps d’avance sur le mouvement qui le suit et qu’ille guide. Le pouvoir pastoral se perpétue sous de nouvelles formes.

Le second point, qui fait que rien ne changera, tient au fonctionnement même du leadership. Cette position, occupée ici par cette personne précise, permet au groupe d’être actif et efficace, tout en assurant la cohésion du collectif par l’emprise des liens affectifs et émotionnels. Ni le haut, ni le bas n’ont envie de s’auto-détruire. La fuite en avant est, en elle-même, un mécanisme de défense de l’identité au niveau personnel des membres du groupe et au niveau institutionnel du groupe.

La grande difficulté de cette situation, c’est que les personnes, qui sont dans le sillage du leader, ne peuvent pas comprendre et admettre ou assumer ce point aveugle, où le désir lie les différentes machines désirantes à l’œuvre. L’image du grand homme ne peut être écornée, parce que ceci renvoie à ces personnes leur situation de soumission / domination. Le processus est inconscient et la rationalisation libertaire affirme consciemment et ouvertement le contraire. De plus, cette personne n’use pas de violence pour maintenir la cohésion de ses tribus. Elle plaisante, elle est indispensable, hyperactive, compétente, sympa, elle connaît plein de gens importants. On peut même dire : “ Mais qu’est-ce qu’on ferait sans elle ? ”. Cette personne sait manier les affects pour que la complicité de l’état groupal continue de fabriquer de la colle collective. Avec cette personne, on se sent utile, elle nous fait connaître des tas de choses et de nombreuses personnes qui nous seraient restés inconnues, si on ne militait pas avec elle. L’accès à la valorisation symbolique est une des clés de notre misère militante. Il faut remarquer que cela fonctionne dans les deux sens : du haut vers le bas et du bas vers le haut, les désirs se rejoignent pour dire qu’il n’y a pas domination, ce qui est vrai, dans un certain sens, puisque c’est l’œuvre du désir … inconscient.

Il me semble que nous rencontrons la notion de croyance telle que la développe la psychanalyse. Nos mythes, nos croyances nous font penser que nous nous complétons les un/es les autres, que nos mots décrivent bien la réalité, que nos actions sont légitimes et utiles. Ce n’est pas un hasard si le débat sur le féminisme rencontre celui du pouvoir mâle. Les phénomènes sont très imbriqués. D’ailleurs, c’est un domaine, où la violence émerge très rapidement. La complicité mâle et la défense du groupe sont des réflexes humains très puissants. Cet aspect tribal active des processus grégaires assez archaïques, puisqu’il s’agit de la notion de danger ou d’agression, qui est tout de suite ressentie et évoquée. C’est ce qui provoque immédiatement cette si belle unité pour défendre la personne dominante. Perdre l’amour de la figure d’autorité fait forcément peur. L’amour se développe dans notre enfance pour les figures d’autorité que sont nos parents. C’est ce qu’explique Gérard Mendel dans son texte “ Les risques psychologiques du changement ” disponible sur le site :

<http://1libertaire.free.fr/Mendel06.html>

Attaquer l’autorité c’est prendre le risque de perdre l’amour. Alors ici, pourquoi casser une si belle machinerie sociale, symbolique et imaginaire, si c’est pour se retrouver seul/le dans la froideur du spectacle et de la marchandise. Il est beaucoup plus simple de garder ses illusions et de réduire au silence les questions gênantes pour continuer à “ vivre chaud ”, même si cela implique d’accepter un peu de soumission. Comme tout cela se structure dans notre inconscient, on peut garder sa bonne conscience facilement au niveau rationnel. Les autres ce sont forcément des méchant/es qui veulent détruire notre totem et porter atteinte à notre intégrité personnelle, et surtout affective. C’est pour cela que la notion d’attaque individuelle est si souvent invoquée, qu’elle soude si bien les groupes et qu’il est presque impossible d’aborder le sujet calmement.

* Comment est né l’idée de ce document et comment s‘est-il construit ?

Au début, il y a eu un énoncé qui a surgit lors d’une plaisanterie, c’était de l’humour dans un climat de tension. Puis, les arguments se sont développés au cours des échanges. Au départ donc, il y eu un petit b, qui était une comparaison avec “ l’objet petit a ” de Lacan. Voici ce qu’une personne a proposé ensuite :

“ Lacan disait quelque chose sur l'objet petit a dans le style :

Le désir du sujet est de devenir le désir d'un autre qui le domine.

Pour le petit b, peu de mots à changer :

Le désir du sujet est de devenir le désir d'un autre qu'il domine... ”

Voilà comment ce concept a fait mouche, et comment le développement s’est orienté en ce sens. Ceci reprend l’analyse de la psychanalyse sur le désir qui œuvre en deçà de la conscience. Le sujet humain ignore les raisons profondes qui le motivent, en général le besoin d’amour et le désir de reconnaissance. C’est pour cela que Lacan parle du sujet de l’inconscient, alors que dans la vie courante, le sujet humain est décrit comme rationnel/le, volontaire et, d’ailleurs, presque tout le temps, ille se vit et se représente comme tel/le.

Tout ce qui est décrit ici est commun à tous les humains, ce n’est pas spécifique aux libertaires, qu’illes soient à Nantes ou ailleurs. Les regroupements militants sont des chaudrons affectifs, derrière les thèses politiques et les divergences théoriques, il y a aussi les émotions et les affects.

Reste la question : comment militer avec des personnes que l’on n’aime pas ou que l’on n’aime plus ?

La déchirure du désamour peut rendre cynique ou aigri/e. Si le ressentiment l’emporte, les dégâts humains sont profonds. De plus, si les personnes arrêtent de militer par dégoût, elles se font critiquer parce qu’elle sont passées dans l’autre camp, ce qui ne fait qu’empirer la situation. Diverger et se séparer sans drame est-ce possible ?

Comment faire si nous ne voulons pas reproduire ce type de fonctionnement tout en sachant que nous avons besoin de règles et d’une instance qui les définisse ?

La loi doit-elle être obligatoirement énoncée et portée par des dominants ? N’est-elle qu’une auto-affirmation ? Existe-t-il des lieux où on peut aborder la question du contenu de la loi ? Faut-il en créer ? Comment la réévaluer et la modifier ?

Quels moyens et quelles méthodes notre autogestion peut-elle mettre en œuvre pour éviter de lier la place nécessaire du tiers, dont toute vie collective a besoin, à des procédures de domination / soumission ?

Philippe Coutant, Nantes le 16 Janvier 2005