Le thème de la souffrance sest imposé avec la lecture
de certains livres ou lécoute démissions de
radio, ceci entrait en résonance avec des discussions qui se
sont déroulées en divers lieux. La forme est restée
celles de notes, parce que lapproche nest pas exhaustive
ni définitive, ce serait plutôt une entrée en matière.
La dynamique se construit par un mouvement théorie / la pratique
et des débats.
La souffrance actuelle ne peut se séparer de la domination. Le
capitalisme est un monde cruel. La réalité de la souffrance
interroge la définition de lhumain. Transmettre et construire
lhumanité implique de prendre cela en charge. Tenter de
diminuer la souffrance humaine en luttant contre loppression et
lexploitation, cest le lot des révolutionnaires.
Légalité est une valeur, une valeur politique et
éthique, cest un désir qui impose de se demander
pourquoi linjustice, la souffrance et linégalité
sont-elles aussi facilement produites et reproduites.
Avec la souffrance on est obligé de se confronter au fait que
la rationalisation de ce monde va lencontre de la rationalité.
Avec ce phénomène on peut comprendre larticulation
entre les différentes sphères qui composent lhumain
: économique, sociologique, politique, culturelle, idéologique,
linguistique et psychologique, etc. Une seule approche est insuffisante,
la souffrance a plusieurs dimensions. Lexemple de la virilité
est particulièrement éclairant, on passe dune vertu
à lidentitaire dans son utilisation par le système.
Toutes ces analyses ou ces compte-rendus confirment que la subjectivité
est mobilisée par la domination, que la société
a changé, que la société disciplinaire a laissé
la place à une société plus libérale où
la soumission ne passe pas seulement par une contrainte ouverte et directe,
que lindividu-e est un élément clé du fonctionnement
du pouvoir. Ceci interroge évidement les thèses qui disent
prendre appui sur lindividu-e comme base de la révolte.
Ceci explique aussi pourquoi la révolte nest pas mécanique
en situation doppression et dexploitation.
A travers ces approches le sentiment dapprocher un peu plus lhumanitude
est très fort, au-delà de la mélancolie il y a
bien cet universel humain que nous cherchons toujours à atteindre.
Ici cest par la voie négative que lon essaie alors
dapprocher la notion dhumanité. Nous affirmons ce
que nous refusons et nous savons un peu mieux ce que nous voulons. La
souffrance est une réalité ancienne et abordée
depuis longtemps dans le mouvement révolutionnaire. Ce qui est
nouveau, ce sont les formes quelle prend : la généralisation
de la souffrance mentale. Nous avons besoin de nouvelles analyses pour
compléter ce que les personnes vivent et peuvent exprimer. En
général le passage à la conscience nécessite
un arrêt, une mise à distance et une parole collective
pour pouvoir assumer cette réalité publiquement. Les écrits
qui suivent némanent pas de personnes qui ne se disent
pas révolutionnaires, mais ils peuvent nous être utiles.
I / La flexibilisation, (une émission sur France Culture
le 6 2 99)
La flexibilisation cest un processus plus large que la flexibilité.
Sa caractéristique principale : lindividualisation des
personnes au travail. Cest la mise sur la même plan des
employeurs et des employé-es. La force, la puissance est inégale,
cest lillusion dun contrat égal entre des puissances
disproportionnées. Ce fait est dénoncé depuis longtemps
les critiques du capitalisme (Bakounine, Marx et les autres).
En Angleterre la flexibilisation sest appuyée sur un discours
ouvertement néolibéral. En France elle sest développée
quelques années plus tard avec un discours de progrès
social, discours véhiculé par la gauche. Cest au
nom de lindividu-e, de son autonomie que la législation
à temps partiel a été adoptée au début
des années 80. Ce sont deux variantes du même processus.
Ceci passe par des modalités pratiques très différentes
: temps partiels, contrat à durée déterminée,
stage, intérim, augmentation de la période probatoire
avant lembauche définitive, etc. Il y a une augmentation
du temps de mise à disponibilité des travailleurs-euses
pour lemployeur : passage de 5 à 6, voire 7 jours de possibilité
de travail dans la semaine, annualisation, augmentation de la plage
horaire de disponibilité dans la journée, lutte contre
labsentéisme, etc. La durée du travail change, elle
est morcelée pour les temps partiels (caissières par exemple),
elle augmente pour les cadres. On ne doit pas non plus oublier la tendance
à transformer les salariè-es en travailleur-euses indépendant-es
à leur compte.
On constate plusieurs processus conjoints dans cette flexibilisation
: latomisation des individu-es entre eux ou elles, limplication
plus grande des personnes. Cette implication demande une intériorisation
plus grande des normes du combat pour la compétitivité,
une adhésion aux valeurs du marché, de lentreprise.
Ceci se traduit dans le travail par une intensification physique et
psychique de travail. Les contraintes physiques augmentent : gestes
répétitifs très rapides, par exemple, avec les
maux qui sen suivent. La chasse aux temps non travaillés
(pauses, mouvements inutiles, temps morts, etc.) est permanente. Laugmentation
de la charge psychique est nette. La pression mentale est de plus en
plus forte sur les personnes au travail. La société de
linformation ce nest pas seulement un mythe moderniste,
elle a des effets pratiques puissants. Ceci passe par une la mobilisation
de la subjectivité de plus en plus grande. Les conséquences
sont connues des médecins du travail : sentiment de tête
vide, lanxiété, irritabilité, troubles du
sommeil, difficulté de concentration, prises de médicaments
pour se calmer ou se stimuler, etc. Le sentiment de ne pas être
à la hauteur, la sensation de ne pas pouvoir vivre sa vie sont
assez communs. Laugmentation du nombre de dépressions peut
être mise en relation avec la flexibilisation. La culpabilisation
est forte surtout sur les personnes qui refusent, renâclent ou
qui parfois osent se battre contre ces injustices. La déstructuration
de la vie sociale due aux horaires flexibles peut entraîner une
sensation de désocialisation. Comment soccuper correctement
de ses enfants avec ces horaires imbéciles ? Comment avoir une
vie de couple si on se croise ? Comment avoir des ami-es quand on a
des horaires qui changent tout le temps, qui ne sont pas en phase avec
une vie sociale « classique » ?
La souffrance est réelle. Ce qui est paradoxal, en apparence,
cest que cest au nom de lautonomie individuelle, de
la prise de responsabilité, du progrès social que cette
flexibilisation se fait. On voit bien la complémentarité
entre la psychologie individuelle et lambiance externe de la société.
Ce point est relevé par les analyses sur le caractère
mouvant de la situation des jeunes qui sont habitués à
vivre « flexibles ». Ce serait cela leur « capital
», contrairement aux générations précédentes
où le niveau de savoir était important. On retrouve tous
les constats mis en évidence par le mouvement des chômeurs,
chômeuses et précaires de 1998.
Je pense que le combat de classe est conjoint de la fin de la massification,
de la mise en oeuvre de la malléabilité des travailleurs-euses,
de limplication, déjà constatée, de plus
en plus forte faite à la sphère subjective : projet, qualité,
responsabilisation, etc. Le capitalisme évolue, la sphère
économique est lié aux autres sphères de nos sociétés.
Il existe un lien entre les domaines idéologiques, culturels,
économiques et politiques même si ce lien nest pas
mécanique, même si on ne peut pas dire que lun des
domaines est plus fondamental que les autres. La domination individualise,
les individu-es vivent et pensent dans le système, plus ou moins
bien il est vrai. La notion de combat de classe est légitime
parce quil me semble que les dominants, eux, le continue et que
cette perspective, débarrassée de son aspect économiste,
est toujours valide pour les personnes dominées.
Je constate une convergence entre diverses analyses : les analyses sur
la fin de la centralité du travail (la revue Temps Critiques
, Méda, Gorz, etc.), les analyses basées sur la biopolitique
(Giorgio Agemben, etc.), les analyses sur le « Général
Intellect » de Paolo Virno, les analyses sur les modifications
des modes de domination (Foucault, Deleuze / Guattari, etc.), les analyses
sur la gestion des populations (Didier Bigo), etc.
Lattention à la souffrance est importante. Cette démarche
participe dune reprise du problème de ce que lhumanité
vit et comment elle le vit pour poser de nouveau des questions de fond.
Cette démarche déplace lapproche habituelle des
problèmes et peut permettre de reposer des questions clés,
où la question : quest-ce quêtre humain ? implique
toujours de parler politique. La précarité interroge la
société, comme le fait davoir ou non des papiers,
davoir ou non un revenu. La question du sens a ici une incidence
pratique.
II / La dépression mal de la fin du siècle, (France
Culture le mercredi matin 3 Février 1999)
Selon Alain Erhenberg; lauteur du livre sur la dépression
: « La fatigue dêtre soi », éditions
du Seuil, Paris, 1998, il note une modification de place de lindividu-e
conjointe à lévolution de la société.
La dépression est ainsi définie comme la sensation du
malheur intime (parfois très profond). Il y a bien un changement
dans le rapport entre lindividu-e et la société.
La base de la névrose cétait la difficulté
avec linterdit, entre le permis et le défendu. Ce qui provoquait
en soi des conflits, une culpabilité puisquon désirait
des interdits. Il sagissait dun rapport à lautorité
et dune société disciplinaire, selon les termes
employés par lauteur. Aujourdhui il sagirait
dun rapport entre le possible et limpossible. On parle beaucoup
dinitiative personnelle, dautonomie. Lindividu-e,
souvent, ne se sent pas à la hauteur. La dépression est
un mal de linsuffisance. La psychiatrie annonce que ce malaise
mental est très répandu actuellement dans le monde. Cest
une difficulté liée à lestime de soi. Les
formes vont de lattirance pour la mort et le suicide à
lincapacité plus ou moins sévère. Le traitement
va chercher à « regonfler » la personne, doù
le succès des stimulants divers et variés, des thérapies
visant le développement personnel.
Les constats en maladie mentale complètent les analyses sociologiques
et politiques : passage de la société disciplinaire à
la société de contrôle, passage de la société
de masse à lindividualisation, atomisation, etc. Certains
psychanalystes notent que les troubles liés au narcissisme se
généralisent, dautres que les névroses sont
en perte de vitesse face aux psychoses.
Cest à mettre en lien avec le culte du corps et de la jeunesse
déjà connu ou la gestion de soi, de sa vie. La beauté,
lesprit sont pensés comme un capital à entretenir,
développer. Les affects sont gérés sous le signe
de lintérêt. Le « soi » doit se vendre
et se mettre en image. Lindividualisme des temps présents
dans cette société marchande et spectaculaire est un bon
relais pour la domination.
III / « Le harcèlement moral, la violence perverse
au quotidien », Marie-France Hirigoyen, Éditions Syros,
Paris, 1998
Ce livre parle essentiellement des situations de travail et familiales,
jai transposé et librement adapté ces analyses à
partir du milieu militant où le harcèlement existe aussi.
Lagresseur, (désolé, mais cest souvent un
homme !) :
- est narcissique (voire pervers dit Mme Hirigoyen, ne serait-ce pas
le fameux « moi je » bien connu ? ),
- se veut référent, témoigne dune volonté
de vérité à toute épreuve,
- affecte un air supérieur et distant, possède une sûreté
désarmante (même si ce nest quune apparence),
a une voix blanche,
- utilise la séduction, le charme,
- met en oeuvre une stratégie pour être au centre de lattention,
- sattaque à lestime de soi des autres pour augmenter
sa valeur à lui ou à elle (il arrive que les filles sy
mettent aussi), cherche à déstabiliser, sape le moral
petit à petit,
- ne procède pas par lattaque ouverte (du moins au début),
parle à mot couvert, mais installe facilement le malaise en vous
mettant dans la confidence, opère par lassemblage de sous-entendus,
si besoin crée une ambiance désastreuse,
- aime la controverse (celle-ci prend souvent la forme dune polémique
où la hargne et la rage de convaincre cherchent en fait la soumission),
- change de point de vue facilement (sans le reconnaître évidemment),
- se présente souvent comme agressé, inverse les rôles
(la confusion règne, ni vu ni connu je tembrouille !),
utilise leffet miroir pour projeter sur sa victime ses propres
défauts,
- culpabilise (méthode bien connue, mais qui marche),
- met la pression (le stress, rien de tel pour être efficace !),
- sappuie sur un précepte très répandu dans
notre société : « lefficacité avant
tout ! » (ceci na-t-il pas à voir avec la raison
instrumentale et linstrumentalisation si fréquemment rencontrée
?),
- sa ligne de conduite : « la fin justifie les moyens ! »
(cest valable pour les cadres du système capitaliste, mais
nest-ce pas le cas aussi pour toutes les élites, y compris
celles du milieu militant et pas seulement les léninistes ? ),
etc.
La victime :
- nest pas une personne spécialement soumise,
- est souvent une forte personnalité (voire une grande gueule
dit Mme Hirigoyen !),
- est à lécoute des autres,
- est dévoué-e, connu-e pour son investissement altruiste,
- ne se met pas systématiquement en avant,
- ne cherche pas forcément à avoir le dernier mot,
- résiste à loccasion, refuse dans ce cas les pressions
doù quelles viennent (du sommet ou de la base),
- prend sur elle (le sacrifice cest normal, la cause cest
sacré ! ),
- se dit que cest de sa faute,
- ny croit pas (oh, cest pas possibbe !),
- doute delle-même sans cesse et se pose souvent des questions
sur ce quil faut faire ou pas (ceci va parfois jusquà
la torture mentale),
- reste dans le silence parfois très longtemps,
- accumule les rancoeurs (je suis dégoûté-e !),
- pense que ça va finir par changer dans le bon sens, donc quil
faut encore attendre, que tout nest pas aussi mauvais que ça
en ce bas monde,
- a une attitude où leffacement et la culpabilisation sont
complémentaires du sacrifice militant,
- ne cherche pas lefficacité à tout prix,
- estime que les personnes quelle rencontre sont intéressantes
pour elles-mêmes,
- pense quêtre bien ensemble ce nest pas négligeable
(ouais, cool !), etc.
Le conseil de Mme Hirigoyen : « Ne faîtes pas le dos rond
! », « Si besoin partez ! »
IV / Souffrances en France, la banalisation de linjustice
sociale, par Christophe Dejours, Éditions du Seuil, Paris, 1998.
La souffrance dans le travail est son point de départ. Ses conclusions
me semblent valides pour dautres domaines. Le lien entre le travail
et le reste de la société est clairement montré.
La liaison entre la virilité et la violence est mise en évidence,
elle est même considérée comme la base de sa critique.
Il parle clairement du cynisme viril, autre nom du machisme. La référence
aux travaux de Wetzer-Lang est explicite. Lauteur fait une différence
entre le genre et lidentité sexuelle, parce quun
homme peut réfléchir sur le genre, refuser le machisme
et garder son didentité sexuelle masculine.
Il cherche à découvrir lorigine du consentement
de cet étrange silence : la peur, puis la honte. Pour faire fonctionner
la machine capitaliste nous commettons des actes que pourtant nous réprouvons.
Il essaie de comprendre comment pour pouvoir vivre la souffrance sans
perdre la raison, on se protège. Dans le cadre mental contemporain
la vie serait un combat, éliminer les « mauvais-es »
serait normal au nom de la compétitivité.
Il ne veut pas convaincre les dirigeants. Il soppose à
la naturalisation du phénomène qui tendrait à faire
croire que le lien entre léconomie actuelle et la nature
humaine cest la dominance, qui, bien sûr, serait intangible
et inattaquable. Il pose la question de la souffrance et de sa normalité.
Deux questions sont essentielles : en premier lieu pourquoi accepte-t-on
de souffrir ? et deuxièmement pourquoi accepte-t-on de faire
souffrir ?
Il constate que lon répugne à faire souffrir, mais
quon le fait quand même. Il essaie de comprendre les ressorts
du consentement dans le cadre de labsurdité du sens de
notre société. La souffrance est vécue comme normale
et non comme une injustice, elle nentraîne pas de réaction
politique. Ce qui domine cest la résignation, elle délie
la souffrance de linjustice, elle empêche le passage à
la sensation de responsabilité. La souffrance reste cantonnée
dans le vécu psychologique alors que linjustice est à
référer à léthique de la collectivité,
au champ social.
Tout ceci est corollaire de la croyance au discours ambiant qui fait
autorité, discours qui légitime le libéralisme,
le marché et la compétition économique. Ce qui
fait problème cest ce quil nomme « la banalisation
du mal » . Cette banalisation est importante puisquelle
constitue en elle-même un mécanisme de défense contre
la conscience malheureuse. Elle permet dannihiler sa responsabilité
propre. Il récuse la notion dimpuissance au profit de la
notion de défense collective contre la souffrance. Le cadre mental
cest bien ce combat de classe qui maintient la domination (enfin
cest ainsi que jai compris son propos). Lespace public
est en cause, parce quindividuellement on peut dire non. On assiste
bien à une transformation qualitative de la société,
la normalité est devenue une normalité souffrante. Cette
normalité souffrante repose sur plusieurs phénomènes
:
1 / Le déni politique et syndical, la souffrance est déniée
dans les analyses des organisations syndicales et politiques.
2 / Ce qui entraîne la honte et linhibition de laction
collective face à la souffrance. Comme il est impossible de la
reconnaître, il existe une grande tolérance à son
égard. le sujet souffrant sisole et devient indifférent
à sa propre souffrance comme à celle des autres.
3 / On comprend alors lémergence de la peur et de la soumission
au niveau individuel. La menace de licenciement induit la peur. Le mécanisme
de défense cest « le déni de la souffrance
des autres et le silence sur la sienne propre » La vie dans la
peur est le résultat de la nouvelle forme de domination : «
cette peur est permanente et génère des conduites dobéissance,
voire de soumission ». Elle casse la réciprocité
entre travailleurs (autre nom de la solidarité, à mon
avis) et produit « une séparation subjective croissante
entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas ».
4 / On passe ensuite de la soumission au mensonge. Ceci sopère
par, en premier lieu, le maniement de la menace pour obtenir lintensification
du travail. Pour fonctionner notre système a besoin du zèle
des participants au travail comme du temps des nazis. La peur est utilisée
comme ressort de lintelligence. « Les difficultés
dans lorganisation de la production existent bel et bien, les
tensions sont certaines, les résultats sont obtenus à
larraché, la souffrance des salariés statutaires,
comme celle des travailleurs en emplois précaires est authentique,
mais le système fonctionne et semble à même de pouvoir
durablement fonctionner sur ce mode. »
En second lieu le consentement des cadres est indispensable, mais leur
perplexité est réelle.
5/ Le mensonge institué est une réalité. Le management
« à la menace » étayé sur la précarisation
de lemploi, favorise le silence, le secret et le chacun pour soi.
Le mensonge est produit à partir des résultats et non
pas à partir de lactivité humaine qui a permis dobtenir
ces résultats. La justification sopère avec les
arguments gestionnaires et commerciaux. Tout le discours est semblable
à une communication externe et ne prend pas en compte la vie
interne réelle. Le problème central cest limage.
Ici on retrouve le poids de la société du spectacle.
Leuphémisation du travail réel et de la souffrance
sappuie sur un phénomène nouveau : la fragmentation
par « centres de résultats », par « direction
dobjectifs ». Cest ce quanalyse Le Goff dans
ses travaux sur lidéologie du management . La notion de
projet est centrale. Chaque personne est requise pour produire et diffuser
le mensonge. La discipline cest soutenir le message de valorisation
dit-il. Ici la discipline est donc mentale plus que physique. Leffacement
des traces est nécessaire. Les « anciens » sont un
danger, il faut les écarter, les priver de responsabilités,
voire les licencier ou les mettre en retraite anticipée. Il est
étonnant de constater comment ces méthodes existent un
peu partout, pour les femmes opprimées, ou battues, par exemple,
la vérité doit rester privée. Dans les mouvements
associatifs ou militants, il ne faut pas parler de certaines choses,
car cela nuirait à la cause et on entretient le silence.
La communication interne est basée sur des pratiques discursives
bien identifiables : « La justification des documents lapidaires,
simplificateurs, voire simplistes, ou tapageurs, repose sur le même
argument, constamment convoqué dans tourtes les organisations
: les gens nont pas le temps de lire ni de se documenter; il faut
donc aller au plus court pour ne pas les surcharger et pour pouvoir
avoir une chance dêtre entendu lu ou simplement repéré.
» .....« Les lecteurs sont considérés, a priori,
comme des ignorants, voire des crétins. Quils le restent
surtout ! Pas de vagues, pas de subtilités, susceptibles déveiller
la curiosité, le questionnement la perplexité. »
On croirait lire une critique de « lagit-prop » .
Combien de fois na-t-on pas entendu quil fallait faire simple,
que les questions posées étaient trop compliquées
?
Pour faire passer ses réformes on utilise limage. «
Le recours à limage sollicite le fonctionnement imaginal
et la capture imaginaire en lieu et place de la réflexion, de
la critique, de lanalyse et, plus généralement,
de lactivité de penser avec laquelle limagination
entre en concurrence. »
La rationalisation est étape importante du processus dacceptation
de la souffrance. Elle permet dexpliquer pourquoi on dépense
autant dargent et dénergie dans la communication.
La communication même si on sait quelle est mensongère
est acceptée, elle transmet un conformisme généralisé.
Ceci rappelle « la montée de linsignifiance »
dont parle Castoriadis. Lefficacité du mensonge est étonnante
dans la mesure où beaucoup de gens savent que cest un mensonge.
Lexplication de ce paradoxe tient au fait quelle permet
la rationalisation de lacceptation du mensonge. Pour faire face
au danger que représente la souffrance et à celui plus
grand encore de perdre sa dignité (en faisant souffrir les autres)
il est fondamental de trouver une parade. Ainsi sexplique ce besoin
de rationaliser le consentement.
Cette analyse est quasi-identique à celle de Jean Léon
Beauvois sur « La servitude libérale ». Celui-ci
explique que pour se soumettre volontairement les humains ont besoin
de deux choses : premièrement la déclaration de liberté,
en second lieu les hautes justifications humaines qui permettent de
rationaliser la soumission (pas les actes en eux-mêmes).
Ici Dejours envisage la rationalisation comme une défense nécessaire
pour supporter la souffrance. La « rationalisation » désigne
ici une attitude psychologique. Dans le cas présent, la rationalisation
est une justification à vocation collective, sociale et politique.
La notion de justification globale est bien notée, elle fonctionne
un peu partout : « En substance, il sagit, par la rationalisation,
de démontrer que le mensonge, même sil est regrettable,
est un mal nécessaire et inévitable. » La rationalité
invoquée dans le monde du travail est celle de la raison économique.
Il remarque aussi « quelle sinsinue, presque toujours,
dans dautres considérations, rattachées à
la rationalité sociale, en vertu de principes fort douteux au
plan moral-pratique. »
Il dénonce la valorisation du mal. Le mal cest la tolérance
au mensonge, le concours à sa production et à sa diffusion.
Le mal cest la tolérance, la non-dénonciation et
la participation à linjustice et à la souffrance
infligée à autrui. On peut se référer facilement
au livre sur le harcèlement cité plus haut, où
ces pratiques sont pointées et décrites par le menu.
« Nous qualifions de « mal » toutes ces conduites
lorsquelles sont :
- érigées en système de direction, de commandement,
dorganisation ou de management, cest à dire lorsquelles
supposent limplication de tous aux titres de victimes, de bourreaux,
de victimes et de bourreaux alternativement ou simultanément
;
- publiques, banalisées, conscientes, délibérées,
admises ou revendiquées, et non pas clandestines, occasionnelles
ou exceptionnelles, voire lorsquelles sont considérées
comme valeureuses. »
Est-ce limitée au monde du travail ? A mon avis, cest quasi-général
en ce monde.
Pour lui lenrôlement des braves gens est une difficulté.
Le rôle des leaders est clair, il ny pas de doute. Souvent
leur psychologie est pathologique, mais pour les intermédiaires
leur collaboration reste problématique. Il existe bel et bien
un « dispositif spécifique pour enrôler et mobiliser
les braves gens dans la stratégie du mensonge, dans les stratégies
de licenciement, dans les stratégies dintensification du
travail et dans le viol du droit du travail sous la houlette des leaders.
»
Comme on ne peut pas prendre plaisir à faire « le sale
boulot », on fait appel au courage pour accomplir ce sale boulot.
La modalité du courage est importante et fondamentale dans tout
ce processus. La mal et le courage sont donc associés dans notre
monde. Le courage est une vertu fortement valorisée ; mais comment
peut-on faire passer pour une vertu de courage une conduite qui consiste
à faire subir une injustice à autrui?
Pour comprendre ce phénomène il se réfère
au livre de Browning sur le 101° bataillon où il est explicitement
noté que lon fait le sale boulot (à ce moment là
lextermination de juifs) parce qu'on ne veut pas passer pour un
lâche. Lexplication est donc là : « le retournement
de la raison éthique ne peut être soutenu publiquement
et emporter ladhésion des tiers que parce quil est
fait au titre du travail, de son efficacité et de sa qualité.
» Si le gendarme du 101° bataillon commettait ce quil
a fait en son nom personnel il aurait été unanimement
condamné. Mais il le commettait au nom du travail, « cela
pouvait passer pour « désintéressé »,
voire pour lintérêt dautrui, de la nation,
du bien public. »
On retrouve ici la thèse de Beauvois sur la servitude libérale,
voici ce quil énonce : « Notre propre analyse avait
lexercice du pouvoir comme objet (et non lefficacité
de la relation de pouvoir), cest à dire le type de fondement
des prescriptions et des évaluations dun agent qui a délégation
de pouvoir, et la mise en avant dune légitimité
de cet exercice pouvait être posé comme générale,
intransitive, comme valeur finale. La puissance, les grandes causes
et les individu-es fournissent bien en effet de telles légitimités
intransitives. Cette référence correspond à ce
que nous appelons la dimension idéologique de lexercice
du pouvoir. »
« Il apparaît ainsi quun maniement de la liberté
des agents soumis par les agents dautorité peut fort bien,
non seulement manquer à les transformer en être autonomes,
mais encore les amener à attribuer de la valeur à leur
comportement dagent soumis. » Pour lui il est important
de développer une « théorie de la dissonance cognitive.
» Il faut évoquer « lidée de la rationalisation
de la conduite [de soumission]. »
De grandes causes qui donnent de la valeur aux individu-es, nest-ce
pas ce que décrit Dejours ? La distorsion de la raison morale
est un autre point de similitude. Beauvois y ajoute la déclaration
de liberté. Dejours insiste à plusieurs reprises sur le
fait quil analyse la souffrance dans le système néolibéral
et non sous le nazisme. On voit bien dans les deux cas que lanalyse
de la soumission cest la tentative de compréhension des
mécanismes du fonctionnement du pouvoir.
Pour expliquer le retournement de la raison éthique Dejours pense
quil faut étudier la rationalité psychoaffective
(nommé aussi rationalité pratique). Lingrédient
principal de la réaction peut être identifié facilement
: « il porte le nom de « virilité » ».
« La virilité se mesure précisément à
laune de la violence que lon est capable de commettre contre
autrui, notamment contre ceux qui sont dominés, à commencer
contre les femme.» ... « Est un homme, est un homme véritablement
viril, celui qui peut sans broncher, infliger la souffrance ou la douleur
à autrui, au nom de lexercice, de la démonstration
ou du rétablissement de la domination du pouvoir sur lautre;
y compris par la force. » ... « Bien entendu, cette virilité
est socialement construite et doit être radicalement distinguée
de la masculinité qui se définirait précisément
par la capacité dun homme à se distancier, à
saffranchir, à subvertir ce qui lui prescrivent les stéréotypes
de la virilité. »
Le recours à la virilité permet de faire passer le mal
pour le bien. « Cest par la médiation de la menace
de castration symbolique que lon parvient à retourner lidéal
de justice en son contraire. » Il remarque que la virilité
relève dune autre dimension que celle de lintérêt
économique, il constate que lanalyse strictement sociologique
ne peut expliquer ce qui se passe. « Exclure la dimension de la
souffrance subjective des analyses philosophiques et politiques nest
pas tenable. »
La souffrance nest pas une conséquence, au contraire elle
est première : « La souffrance est première. Car
au-delà de la souffrance, il y a les défenses. Et les
défenses peuvent être redoutablement dangereuses, en ce
quelles sont capables de générer de la violence
sociale ». Il observe que la virilité est une vertu, mais
pas une vertu morale, elle est liée à lidentité
sexuelle. Le fait de ne pas être viril est une atteinte au fait
dêtre un homme. La lâcheté, la fuite est immédiatement
associée au manque de courage, de virilité. « Léquation
fuite-peur = lâcheté est tellement inscrite dans notre
culture quhommes et femmes, en majorité, associent identité
sexuelle masculine, pouvoir de séduction et capacité de
se servir de la force, de lagressivité, de la violence
ou de la domination. Ces pour ces raisons que ces dernières peuvent
passe pour des valeurs. »
Le « cynisme viril » est intégré dans une
stratégie de défense collective. « La stratégie
collective de défense consiste à opposer à la souffrance
à faire les basses besognes un déni collectif. Non seulement
les hommes ne craignent pas la honte, mais ils la tournent cette dernière
en dérision. » Il note un complément à ce
déni, la mise en scène de la virilité doù
« on sort grandi par ladmiration, voire lestime, voire
par la reconnaissance des pairs, comme un homme - ou une femme ! - qui
en a [du culot, de la détermination, des couilles] ! »
Il existe des pratiques de conjuration qui ressemble à ce qui
se passe dans les salles de gardes en médecine ou des bizutages
des grandes écoles. Ceci explique pourquoi les entreprises sont
souvent assez larges avec certains de leurs cadres en séminaires,
repas daffaire ou voyages, cest dans ce cadre que le cynisme
viril se maintient et sentretient.
Tout cela est englué dans lidéologie défensive
du réalisme économique. « En ces temps de «
guerre économique » on na pas besoin de bras cassés!
Pas détat dâme ! La boucle est bouclée,
lorsque la stratégie collective de défense rejoint le
processus de rationalisation (au sens donné plus haut) pour lalimenter
et sen nourrir. On est alors dans lidéologie défensive,
et la violence se profile à lhorizon. »
La rationalisation du mensonge est indispensable à lefficacité
du mensonge. Ceci permet de tromper le sens moral sans labolir.
Lobéissance aux ordres, dans ce cadre devient une décharge
de responsabilité. Le poids de la légitimité économique
après coup renforce la rationalisation. La société
civile nest pas informée directement de toutes ces pratiques,
des usages banalisés du mal. Si une affaire éclate elle
passe pour exceptionnelle alors que cest la normalité ambiante.
Dejours se penche sur laliénation. Il pense que sa puissance
nest pas due seulement à lintériorisation
mais aussi aux stratégies de défense. La fermeture dans
le domaine psychologique de laccès à la sublimation
favorise lémergence de la compulsivité de la violence.
Son interrogation fondamentale émerge alors : le travail du mal
est-ce le travail du mâle ?
Cest en quelque sorte la conclusion de ses recherches. «
Le ressort de cette activité nest manifestement pas la
perversion, mais la gestion plus rationnelle du rapport entre tâche
et activité, entre organisation prescrite et organisation réelle
du travail. »
Il ny a pas de plaisir à faire mal ici, cest au contraire
le résultat dune exécution technique dun travail,
cest une gestion technique et rationnelle. Il sagit dune
activité désérotisée où la violence
fonctionne comme sublimation. Comme la banalisation du mal a lieu dans
le cadre du travail on la vit comme une « mission » qui
sublime la signification. La virilité est nécessaire pour
lutter contre la peur. La validité du courage est donné
par autrui. Il y a bien une intrication entre la virilité et
la contrainte lié au travail.
Tout ceci fonctionne en prenant appui sur un discours de la maîtrise,
maîtrise de soi, maîtrise du monde, maîtrise de la
nature. Dans le discours féminin cest différent.
Une étude sur le milieu des infirmières montre que le
primat du réel est fondamental. Les défenses collectives
face à la douleur fonctionne comme un encerclement de ce réel.
Chez les hommes cest le déni qui est primordial. «
Compte tenu de la place capitale quoccupe la virilité dans
la distorsion sociale qui fait passe le mal pour le bien, il faut admettre
que, lorsque existe une contrainte ou une injonction à surmonter
la peur, les processus psychiques individuels et collectifs font davantage
appel à la virilité défensive quau courage
moral.» Le contexte de la menace est indissociable de tout cela.
Ce thème on le rencontre un peu partout, pour la suspicion vis
à vis des personnes étrangères et jusque dans les
collectifs militants ou les mouvements de lutte.
Il note une réversibilité entre la position de victime
et celle de bourreau. Cette notion de réversibilité est
à noter. Les juifs sont devenus les bourreaux du peuple palestinien,
cest indéniable. A mon avis, ceci fait question pour nous,
pour la militance : il est exact quune victime peut toujours devenir
bourreau, nous en avons multiples exemples.
Si on suit lauteur, il faut déjà refuser le déni
de la souffrance afin que la rationalisation ne fonctionne plus comme
mécanisme de défense sur le plan collectif, mais est-ce
suffisant ? Attaquer les manifestations de virilité est un moment
possible, reste la volonté de vérité qui lie lautorité
à lorganisationnel. Là cest plus délicat
pour la militance, me semble-t-il.
La virilité est sollicité quand il faut faire face à
la peur. Cette conjoncture est banale dans notre société.
« A chaque fois que lun ou lautre doit infliger de
la souffrance à autrui, cest au nom du courage et de la
virilité. La virilité, cest le mal rattaché
à une vertu - le courage - au nom des nécessités
inhérentes à lactivité de travail. La virilité,
cest la forme banalisée par laquelle on exprime la justification
des moyens par les fins. La virilité est le concept qui permet
dériger le malheur infligé à autrui en valeur,
au nom du travail. » Au nom du travail oui mais ce peut être
au nom dautre chose : la lutte contre les faschos, la lutte contre
les traîtres, etc.
Dejours est partisan de « requalifier la souffrance ». Ses
conclusions me semble valable dans beaucoup de domaines : « Il
ny a pas de banalisation de la violence sans la participation
large à un travail rigoureux sur le mensonge, sa constatation,
sa diffusion, sa transmission et surtout sa rationalisation. »
Pour lui il est nécessaire : de débanaliser le mal et
attaquer la virilité comme mensonge, de déconstruire la
violence organisationnelle, de parler de la souffrance, darrêter
de faire léloge de la peur et de prôner la fuite,
de reprendre létude de la philosophie et de léthique
sous langle de la critique de la virilité.
Il faut agir et penser contre la gloire qui est conjointe de la virilité.
Pour cela il est important : dêtre attentif à la
souffrance et de développer la perception à la souffrance
chez soi et chez autrui, de promouvoir le courage comme le fait de sopposer
à la souffrance et non pas de linfliger, dêtre
prudent-e dans les rapports humains, de valoriser lobstination
et la pudeur qui dhabitude sont considérées comme
des valeurs féminines et de fait plutôt dévalorisées,
de ne pas dénier la souffrance quand elle tente de sexprimer.
Il estime quil est temps de sopposer au recours à
la violence, de refuser la rationalisation de la virilité comme
mode de domination. Il existe une complémentarité entre
les décisions du sommet, des chefs et les comportements de la
base qui se soumet aux ordres et pour qui il est important davoir
bien agi et dêtre ainsi reconnu socialement. Il se prononce
contre la banalisation du mal, contre la dédramatisation du mal.
En conséquence il serait donc normal de dramatiser la souffrance
pour quelle puisse être prise en compte. Ceci renvoie également
aux différentes façons de vivre la souffrance suivant
sa culture dorigine, son éducation ou le niveau admis par
une société donnée située dans lespace
et le temps. Son propos se situe dans le monde du travail. Il faut peut-être
nuancer le propos car dans la société actuelle on constate
une évolution dans lacceptation du seuil de souffrance.
Souvent ce seuil est sabaisse dans la santé, en particulier,
avec lattitude consumériste et la fin du mythe du progrès
(parce que la souffrance na plus de sens pour un avenir meilleur).
Dejours juge la mobilisation de la violence et les mobilisations violentes
comme néfastes. La peur est un moteur important. Il voudrait
que lon étudie le ou les comportements collectifs liés
à la violence. La question fondamentale reste lacceptation
de la violence virile, la soumission librement acceptée. Ceci
pose le problème de la rationalité qui justifie encore
et toujours cette violence. Contre le mépris des personnes et
le cynisme, il met en évidence le poids des modèles qui
font de la violence virile une banalité de notre monde. Il pense
quil faut parler de la psychopathologie de la souffrance comme
de celle du plaisir dans le sens commun.
Il utilise les travaux dAnnah Arendt sur le cas Eichmann pour
savoir comment un être humain dapparence et de comportement
normal dans son cercle restreint peut accepter de conduire une politique
dextermination comme celle de la Soah. Il pose la question des
études théoriques et pratiques sur la souffrance et son
acceptation tant du point de vue des personnes qui la subissent que
de celui des personnes qui la mettent en oeuvre.
Avec létude de la banalisation du mal on peut voir que
laction est une triade : action, activité et passion. Cela
cest la base de « la vie de lesprit». Pour lui
cest un problème éthique, que nous devons essayer
de résoudre en nous éveillant à ce quil appelle
la vie de lesprit. Ici cette notion me fait penser à nécessité
de la pensée critique, à lautonomie de la pensée
et de laction développée par certaines personnes
(Castoriadis entre autres). Cette approche implique de penser par soi-même
et de réhabiliter la politique. Ceci évoque aussi le au
problème du rapport entre les mots et les actes que nous avons
déjà rencontré dans notre militance, au problème
éthique posé par le rapport entre les moyens et les fins.
On peut aussi voir cette vie de lesprit comme la nécessité
dune vie intérieure (raison et émotions). Vie intérieure
qui ne serait pas celle de la spiritualité religieuse, mais qui
sopposerait à la transparence de lindividu-e basée
sur lintérêt et le spectacle, transparence qui na
pas besoin dun panoptique physique et matériel, mais qui
fonctionne sur ladhésion mentale aux valeurs, aux images
identificatoires si nombreuses sur nos murs et nos écrans, au
sens commun du système. Du point de vue libertaire la vie de
lesprit se rapprocherait de la notion de sujet, au sens où
celui-ci essaie en situation de comprendre et de transformer ce monde
inique et absurde par la participation à un ou des projets collectifs
de solidarité et de lutte.
Le livre de Dejours est à mettre en rapport, à mon avis,
avec celui de Beauvois sur « La servitude libérale ».
Celui-ci insiste sur la déclaration de liberté et sur
la rationalisation. Celle-ci permet de donner de la valeur à
notre être et de justifier notre soumission. Cette rationalisation
soppose à la rationalité, puisquelle justifie
un processus en partie irrationnel et inconscient. La complémentarité
entre la sphère personnelle et les sphères idéologiques
et culturelles est patente. Le personnel est politique, au sens où
la domination a ses relais en nous mêmes, dans notre subjectivité
: la virilité. On peut se référer aux travaux de
Foucault sur la micro-physique du pouvoir et la biopolitique ou à
la notion de double articulation du symbolique développée
par Edouardo Colombo en 1984. Noublions pas Freud pour qui le
« tenir pour vrai » est dépendant dun investissement
affectif, existentiel.
Philippe Coutant Nantes Fin 99
Une note de lecture de Miguel Cheuca dans le numéro 9 de Janvier
2001 de la revue Les Temps Maudits sur le livre "Femmes au travail,
violences vécues" de Eve Sémat aux éditions
La Découverte et Syros complète bien cette approche. Cette
note conseille également le livre "L'entreprise barbare"
de Albert Durieux et Stéphène Jourdain également
aux éditions Syros.
La CNT dite " Vignoles " La CNT Vignoles
Une note de lecture sur le livre de Christophe Dejours
SOUFFRANCE EN FRANCE LA BANALISATION DE L’INJUSTICE
SOCIALE