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SOMMAIRE
1.Biographie de l’auteur
2.Postulats
3.Hypothèses
4.Démonstration
5.Résumé de l’ouvrage
6.Principales conclusions
7.Actualité de la question
8.Bibliographie complémentaire
1.BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR
Professeur de psychologie au Conservatoire National des Arts et
Métiers (CNAM), psychanalyste et psychiatre, Directeur du
Laboratoire de psychologie du travail (PARIS), Christophe DEJOURS
est l’un des principaux spécialistes de la psychopathologie
et de la psychodynamique du travail.
Il a écrit entre autre :
"Travail, usure mentale" Centurion/Bayard éditions
"Psychopathologie du travai"l avec Claude Veil et Alain
Wisner Entreprise moderne d’édition
"La France malade du travail" avec Jacques De Bandt et
Claude Dubar Bayard édition
"Le facteur humain" PUF
"Travailler" Bayard éditions
2 . POSTULATS
Les Français souffrent et ne le disent pas.
Nous acceptons sans protester des contraintes de travail toujours
plus dures tout en étant conscients de la mise en danger
de notre intégrité mentale et physique.
La peur puis la honte, pour faire fonctionner la machine néolibérale,
nous font commettre des actes que nous réprouvons. Mais elles
nous permettent d’endurer la souffrance (subie et infligée)
sans perdre la raison et ainsi de nous protéger.
La question centrale du livre est " pour reprendre l’expression
d’Alain Morice (1996), celle des ‘ressorts subjectifs
de la domination’ :
Pourquoi les uns consentent-ils à subir la souffrance, cependant
que d’autres consentent à infliger cette souffrance
aux premiers ? "
1.HYPOTHESES
Le mal, la barbarie peuvent être produits en l’absence
de contribution d’ l’intelligence et de la délibération.
La plupart des " braves gens " disposent d’un sens
moral, d’un faculté de penser et d’une certaine
intelligence. Ils réprouvent le mal et la barbarie. Ils opposent
une résistance face au mal qu’ils doivent infliger
à autrui.
Le néolibéralisme génère injustice et
souffrance. Le nouveau système repose sur l’utilisation
méthodique de la menace et sur une stratégie fficace
de distorsion communicationnelle.
Le processus de banalisation du mal par le travail n’est pas
nouveau. Ce qui l’est, c’est l’aspect raisonnable
et justifié, réaliste et rationnel qu’on lui
accorde aujourd’hui. De plus, qu’il soit accepté
par une majorité de citoyens, qu’il soit décrit
comme modèle à suivre au nom du bien, u juste et du
vrai.
Le travail peut être le médiateur irremplaçable
de l’accomplissement de soi. A contrario, il peut aussi être
à l’origine de processus redoutables d’aliénation.
Ce peut être aussi un moyen de connaissance de la solidarité
et de la démocratie.
L’élément décisif de chaque action est
la peur qui est un vécu subjectif et une souffrance psychologique.
Elle implique la mise en place de stratégies défensives
contre la souffrance.
La violence et l’injustice commencent toujours à engendrer
un sentiment de peur.
2.DEMONSTRATION
" Nous serions donc aujourd’hui, si l’on en croit
la rumeur, dans une conjoncture sociale et économique présentant
de nombreux points communs avec une situation de guerre. A la différence
près qu’il ne s’agit pas d’un conflit armé
entre nations, mais d’une guerre conomique. "
L’analyse développée reconnaît avant toute
chose que les partisans que la guerre saine l’ont emporté
depuis une quinzaine d’années, et que dans la bataille,
il y a des vaincus et des vainqueurs.
Et s’il y a des vainqueurs et que la guerre se poursuit, c’est
que la machine de guerre mise en place fonctionne.
Cette guerre trouverait son origine non seulement dans la nature
du système économique, dans le marché ou dans
la " mondialisation ", mais surtout dans les conduites
humaines.
Pour comprendre comment nous en sommes rendus à tolérer
et à produire le sort réservé aux chômeurs
et aux nombreux pauvres dans une société qui pourtant
ne cesse de s’enrichir, nous prendrons connaissance de la
souffrance au travail. Certaines stratégies de défense
particulièrement préoccupantes seront analysées.
Dans la souffrance, comme dans les défenses, et au-delà
dans le consentement à subir ou à infliger la souffrance,
se sont des règles de onduite construites par des hommes
et des femmes qui régissent ces processus.
Tout au long de son livre, Chistophe DEJOURS s’efforcera de
nous faire comprendre et d’analyser, exemples vécus
à l’appui ainsi que ifférentes thèses,
les différentes phases de la souffrance au travail et de
la banalisation du mal.
Cet essai a essentiellement une visée théorique. L’orientation
de la réflexion est théorique, parce qu’il n’y
a pas, selon Christophe DEJOURS, de réponse politique à
la notion de " guerre économique " sans apport
conceptuel nouveau.
3.4.RESUME DE L’OUVRAGE
AVANT-PROPOS
Nous serions dans une conjoncture économique et sociale identique
en de nombreux points à une situation de guerre " économique
". Son enjeu serait la survie de la nation et la sauvegarde
de la liberté.
Dans le monde du travail, on use de méthodes cruelles afin
d’exclure les plus faibles et d’exiger des autres des
performances toujours supérieures en matière de productivité,
de disponibilité, de discipline et de don de soi.
Développement de la compétitivité et sacrifices
individuels et collectifs ne peuvent être évités.
Les effectifs sont dégraissés. De petites et moyennes
entreprises sont détruites chaque semaine. Mais les grandes
ne sont pas à l’abri. La concurrence est destructrice.
L’analyse développée dans ce livre démontrera
que la machine de guerre mise en place fonctionne et que cette guerre
proviendrait de la logique interne du système économique
mondial, le marché. Ce point ne sera pas vu afin de concentrer
l’effort d’analyse sur les différentes conduites
humaines.
Les ressorts subjectifs du consentement jouent un très grand
rôle.
Les " stratégies de défense " sont astucieuses.
La prise de conscience de la souffrance au travail et l’analyse
des stratégies de défense nous permettront de comprendre
le sort réservé aux chômeurs et aux nouveaux
pauvres dans notre société qui ne cesse de s’enrichir.
I – Comment tolérer l’intolérable
?
Le processus de désocialisation progressif touchant les chômeurs
ne peut laisser indifférent. Chacun peut être concerné
à un moment donné, provoquant un sentiment de peur
face aux risques d’exclusion.
La dissociation entre malheur et injustice permet de rejeter cette
souffrance. La défense de l’individu est de se persuader
qu’il n’est pour rien dans le malheur de l’autre.
Aucune solution à court terme face au malheur social généré
par le libéralisme économique n’est envisageable
car nous sommes, pour la plupart, partie prenante.
Les formes de banalisation du mal dans les systèmes totalitaires
sont de construction humaine. Le remaniement est toujours possible.
En 1980 , les 4 % de chômeurs dans la population active ne
pouvaient être dépassés sans provoquer une crise
or la tolérance peut être de 13 % et plus. La transformation
de la société démontre une évolution
des réactions sociales à la souffrance, au malheur
et à l’injustice, plutôt qu’une action
tendue vers le bonheur. Cette démobilisation est le résultat
du retournement politique dû au Mitterrandisme.
Dans l’univers du travail, cette période s’est
caractérisée par la remise en cause du travail et
des acquis sociaux. Les nouvelles méthodes de gestion et
de direction entraînent licenciements et souffrance.
Une question se pose quant à l’action politique qui
est feutrée par la familiarisation de la société
civile avec le malheur et une préparation psychologique à
le supporter.
II – Le travail entre souffrance et plaisir
La réciprocité du rapport entre souffrance et emploi
et rapport entre souffrance et travail ne doit pas être négligée.
Là s’en trouve toute la banalisation du mal d’où
la dynamique des rapports entre travail, souffrance et plaisir doit
se révéler.
La souffrance est différente selon le lieu où l’on
travaille, le degré de mécanisation et de robotisation
qui ont permis la disparition de certaines tâches. Mais ceux
qui effectuent des tâches dangereuses pour la santé,
ceux qui travaillent dans de mauvais conditions, impuissants devant
les infractions au Code du travail n’ont pas disparu. Il y
a aussi ceux qui souffrent, qui appréhendent et angoissent
face aux risques liés aux contacts permanents avec les radiations
ionisantes, les virus, etc. Un autre groupe englobe ceux qui souffrent
de crainte de ne pas être à la hauteur, incertains
face aux contraintes de l’entreprise.
Cette souffrance n’intéresse pas les médias
qui la considère comme exceptionnelle, sans valeur réelle
alors qu’il en est tout autre.
1.La crainte de l’incompétence
Le réel du travail a été mis en évidence
par les sciences du travail depuis les années 70. Pour atteindre
les objectifs fixés, il ne faut pas respecter dans leur intégrité
toutes les procédures qui nous mènerait vers la grève
du zèle. L’efficacité vient du zèle,
de ces ajouts des opérateurs à l’organisation
prescrite. Nous sommes face à la " mobilisation des
ressorts affectifs et cognitifs de l’intelligence ".
Dans certaines situations de travail " impliquant des risques
pour la sécurité des personnes et la sûreté
des installations ", il est difficile de cerner l’incompétence
ou l’anomalie du système technique, d’où
le développement de la souffrance face à la crainte
d’être incompétent là où la responsabilité
est engagée.
2.La contrainte à mal travailler
Contrairement à ce qui précède, la compétence
est hors de cause. Les contraintes sociales du travail empêchent
le travailleur d’effectuer ses tâches par divers biais
tels que mauvais climat social, rétention d’informations,
lourdeurs du système. Cette contrainte à mal travailler
se retrouve aussi bien dans l’industrie que dans les services
ou dans les administrations et n’est pas rare.
3.Sans espoir de reconnaissance
La reconnaissance apparaît comme décisive dans la dynamique
de la mobilisation subjective de l’intelligence et de la personnalité
dans le ravail.
Le rôle majeur de la " psychodynamique de la reconnaissance
" joue dans le destin de la souffrance au travail et la possibilité
de transformer cette souffrance en plaisir. Cette reconnaissance
vient compléter le registre de la construction de l’identité
du sujet, identité qui constitue l’armature de la santé
mentale.
4.Souffrance et défense
La reconnaissance est rarement accordée à sa juste
valeur. Lors des premières recherches, dans les années
50 , celles-ci visaient plus les effets nuisibles du travail sur
la santé mentale, sans qu’il ne soit possible d’en
décrire la pathologie mentale du travail comparable à
la pathologie des affections somatiques professionnelles. Grâce
aux défenses manifestées par le sujet, la souffrance
est contrôlée et n’est pas suivie par une maladie
mentale.
Il existe des " stratégies collectives de défense
" marquées par les contraintes réelles du travail.
La normalité est interprétée comme le résultat
d’un compromis entre la souffrance et la lutte contre la souffrance
dans le travail. Il n’y a donc pas absence de souffrance mais
la normalité apparaît comme le résultat d’une
lutte contre la déstabilisation psychique provoquée
par les contraintes de travail.
Ces stratégies peuvent contribuer à rendre acceptable
ce qui ne peut l’être. Mais il peut y avoir un effet
pervers qui désensibilise contre ce qui fait souffrir. Ce
qui fait qu’une souffrance infligée occasionne aussi
une souffrance à celui qui l’inflige car elle n’est
plus seulement psychique mais éthique. Et contre cette souffrance,
seule la construction de défenses lui permettra de sauvegarder
son équilibre psychique.
III – La souffrance déniée
La source principale d’injustice et de souffrance est le chômage.
Par conséquent, le lieu de ces drames est le travail tant
pour ceux qui en son exclus que ceux qui y demeurent. Les organisations
syndicales affaiblies par le manque d’intérêt
face à la montée du malheur social sont en première
ligne.
1.Le déni des organisations politiques et syndicales
La faiblesse syndicale et la désyndicalisation rapide ne
sont pas seulement des causes mais un effet de la tolérance
à l’injustice et au malheur d’autrui.
Les mouvements sociaux de 1968 ont fait ressortir massivement le
thème de la souffrance dans le rapport au travail. Malgré
les différentes evendications du monde des ouvriers et des
employés, les organisations syndicales ont presque systématiquement
écarté le thème de l’aliénation
des discussions. Le mouvement gauchiste ne s’est emparé
de ces revendications qu’à des fins de rassemblement
en faveur d’objectifs politiques sans considérer cette
souffrance au travail. D’ailleurs, les diverses organisations
politiques n’ont pris en compte que la souffrance physique
et les revendications sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles. Tout ce qui concernait la santé mentale
et la souffrance psychique au travail a été rejeté.
Dans les années 70, tout ce qui touchait au psychisme et
aux métiers tel que psychiatre et psychologue était
tabou et considéré comme ratiques individualisantes
nuisant à l’action collective. L’analyse de la
souffrance psychique relevait de la subjectivité.
Ce fut une erreur historique avec des incidences redoutables non
seulement dans le développement des recherches dans le domaine
de la ouffrance psychique mais aussi dans les recherches en psychologie
du travail, psychosociologie, psychopathologie générale
et psychanalyse alors qu’elles ont fait leur chemin dans de
vastes secteurs de la société.
Dans les années 80 émerge la notion nouvelle de "
ressources humaines ".Là ou les syndicats refusent de
s’intégrer, le patronat et les cadres introduisent
de nouvelles pratiques concernant la subjectivité et le sens
du travail. Ces organisations syndicales sont responsables de la
tolérance à la souffrance subjective. La France est
le pays comptant le plus faible taux de syndiqués de toute
l’Europe. Cette faiblesse était latente avant la crise
de l’emploi et le tournant socialiste en faveur du libéralisme
économique.
2. 3.Honte et inhibition de l’action collective
Le refus délibéré de mobilisation collective
face à la souffrance occasionnée par le travail a
provoqué une absence de réaction collective face au
chômage. L’erreur d’analyse des organisations
syndicales a laisse le champ libre aux innovations managériales
et économiques. Ce qui a ermis aux générateurs
de malheur social, souffrance et injustice de forger de nouvelles
utopies sociales telle que la promesse de bonheur demeurant dans
l’avenir des entreprises. Ainsi sont nées de nouvelles
méthodes de recrutement, de nouvelles formes de gestion.
Le thème de l’organisation supplante le thème
du travail dans les pratiques discursives du néolibéralisme.
Les thèses néolibérales sont qu’il n’y
a plus de travail, qu’il ne pose plus de problème scientifique,
qu’il n’est plus un moyen d’identification. Ces
thèses sont contestables.
Le travail ne devient pas une denrée rare. Il n’est
pas entièrement intelligible, formalisable et automatisable.
Il est le seul médiateur de l’accomplissement de soi.
Bien que médiateur de l’émancipation, il demeure,
pour ceux qui ont un emploi, générateur de souffrances.
Ceux qui ouffrent de son intensification, de l’augmentation
de la charge de travail ont beaucoup de difficultés à
réagir collectivement.
Face au chômage et à l’injustice liée
à l’exclusion, les travailleurs tentant de lutter par
des grèves se heurtent à la culpabilité par
" les autres " qui prônent la menace pour la pérennité
des entreprises et la honte spontanée de protester alors
qu’eux ont du travail.
De plus en plus de tentatives de suicides ou suicides réussis
sur les lieu de travail témoignent du peu de place laissé
à l’écoute de la ouffrance au travail.
Les enquêtes restent irrésolues sous l’influence
de la pression qui amène vers la banalisation d’actes
désespérés. Ainsi nous entrons dans la phase
de la honte de rendre publique la souffrance engendrée par
les nouvelles techniques de gestion du personnel. La perception
de la souffrance d’autrui déclenche un processus affectif
et la stabilisation mnésique de la perception nécessaire
à l’exercice du jugement dépend de la réaction
défensive du sujet face à son émotion. De fait,
l’intolérance affective à sa propre émotion
réactionnelle le conduit à s’isoler de la souffrance
de l’autre par une attitude d’indifférence.
4.Emergence de la peur et soumission
Dans la troisième étape du processus s’effectue
un nouveau clivage entre ceux qui travaillent et les victimes du
chômage et de l’injustice.
La charge de travail n’et pas seulement augmentée par
les licenciements mais par un changement dans l’organisation.
La production devient la préoccupation principale.
L’examen des candidatures des futurs embauchés tend
à mieux cerner leur motivation. Le turn-over devient anormalement
élevé.
L’apparition de la peur est un phénomène alarmant.
Celle-ci est à l’origine de la faiblesse ou de l’absence
de mouvement collectif de lutte contre une condition qui n’aurait
été tolérée il y a quinze ou vingt ans
en France.
La précarité de l’emploi touche n’importe
quel travailleur. La précarisation a pour effet d’intensifier
le travail et d’augmenter la souffrance subjective. Elle neutralise
la mobilisation collective et provoque une stratégie défensive
du silence. Face à la menace de licenciement se crée
’individualisme.
Cette peur coupe radicalement ceux qui subissent la domination dans
le travail de ceux qui en sont loin (les exclus, les chômeurs).
Nous assistons à la séparation subjective croissant
entre ceux qui travaillent et les autres.
5.De la soumission au mensonge
Bien qu’ils souffrent eux aussi des nouvelles formes de management,
les cadres semblent se référer sans réticence
apparente à la description gestionnaire lorsqu’ils
s’adressent à un tiers. Sans leur optimisme et leur
motivation, le système connaîtrait probablement des
crises. Il est quand même difficile de ne pas se poser de
questions quant à leur apathie face au dégraissage
des effectifs alors qu’ils tiennent difficilement leurs objectifs
par manque chronique d’effectifs.
L’interprétation repose sur un diptyque :
Du fait de leur propre expérience de la peur, ils obtiennent
une intensification du travail des opérateurs en usant la
menace au licenciement.
De plus, il y a une concurrence telle entre travailleurs à
la recherche d’emploi et salariés que la réserve
de main-d’œuvre paraît inépuisable et qu’une
mise sous tension supplémentaire est réalisée.
Le zèle est alors un ingrédient nécessaire
pour ceux qui travaillent.
Le système ne peut se nourrir uniquement du consentement
et de la résignation, voire de la soumission.
Le bilan général d’activité laisse ressortir
que, quelque soit son poste, chacun dépend d’une information
dont la véridicité ne peut être vérifiée.
Ceci relève de la " stratégie de la distorsion
communicationnelle ".
IV – Le mensonge institué
L’expérience du réel dans le travail se traduit
par la confrontation à l’échec, qu’il
soit d’un ordre matériel, humain ou social. Excepté
pour les ergonomes et certains anthropologues du travail, le réel
fait l’objet d’un déni généralisé.
1 . La stratégie de la distorsion communicationnelle
Ce terme de " distorsion communicationnelle " est emprunté
à Habermas et sa " Théorie de l’agir communicationnel
".
Gérer rationnellement l’ajustement de l’organisation
du travail passe par la construction du compromis. Un " espace
de discussion " est indispensable. Travailler est non seulement
accomplir des activités de production mais aussi " vivre
ensemble ".
Une opinion est l’association de références
techno-scientifiques à des éléments relatif
au monde social et au monde subjectif. C’est dans l’espace
de discussion que sont exposées, critiquées, acceptées
ces opinions. On y fait face à de nombreuses difficultés
pénalisant la communication. Le mensonge constitue une des
formes de troubles. Le déni du réel du travail est
généralement associé au déni de la souffrance
dans le rapport au travail.
" Le travail, c’est l’activité coordonnée
des hommes et des femmes pour faire face à ce qui ne pourrait
être obtenu par l’exécution stricte des prescriptions
".
La méconnaissance, par l’encadrement, des difficultés
rencontrées dans l’exercice du travail rend le déni
résistant à l’épreuve de vérité
de l’expérience.
2. Le mensonge proprement dit
Le mensonge permet de décrire la production à partir
des résultats et non des activités dont ils sont issus.
Cette hypocrisie trouve sa justification dans des arguments commerciaux
e gestionnaires qui dépendent de l’image de marque,
des indicateurs de qualité, son fonctionnement interne et
son " état de santé " social et technique.
3. De la publicité à la communication interne
Le travail et son organisation vise essentiellement l’extérieur
mais des objectifs internes font peu à peu surface en fragmentant
les divers services en " centres de résultats ",
" centres de profits " ou en " directions par objectifs
", dont les relations du type commercial s’installent.
La valorisation que cela implique n’est pas le reflet de la
réalité. Pour défendre le message de la valorisation,
l’absence de critique, la solidarité face aux difficultés
et à la concurrence sont primordiaux.
La discussion et la délibération sur le réel
du travail et sur la souffrance sont étouffées par
le mensonge au sein même de l’entreprise.
4. L’effacement des traces
Outre le fait de taire les échecs, de faire pression sur
les salariés pour que certaines omissions volontaires ou
falsifications soient effectuées, il semble important d’effacer
la mémoire du passé en écartant les anciens
des zones critiques de l’organisation, en les privant de responsabilités
et au pire en les licenciant.
En effet, les entreprises redoutent les procès en justice
qui pourraient déboucher sur des débats publics. En
effaçant les preuves, ces affaires se terminent en non-lieu.
Ainsi le silence est maintenu, le mensonge stabilisé.
1.Les médias de la communication interne
Des spécialistes de la communication sont invités
à produire des documents simplifiés, à l’usage
des salariés qui ont peu de temps pour lire ou se documenter,
et de plus, sont incompétents dans les domaines spécifiques
où l’on tente de faire passer le message de la valorisation.
Ces pécialistes étant eux aussi incompétents
techniquement jouent un rôle de lecteurs-tests.
Ainsi les pratiques discursives sont-elles progressivement uniformisées
par le bas.
Un " changement de structure " est toujours difficile
à faire passer. On utilise des références aux
travaux de recherche dont l’usage passe souvent par des déformations
ou de véritables falsifications pour qu’elles paraissent
en accord avec la culture d’entreprise.
La qualité de mise en page et l’image (très
parlante) ont une très grande importance.
Des budgets dont les montants sont exorbitants sont consacrés
à ces médias.
2.La rationalisation
Ces documents sont lus pour trois raisons :
c’est une source d’information sur les résultats,
les succès des autres dans l’entreprise pour une période
donnée c’est un véritable baromètre des
valeurs. Ce n’est pas la vérité des choses mais
du mensonge dont on est informé ils permettent, notamment
aux cadres, de jauger le comportement qu’ils doivent adopter
en réunion
En fait, ils indiquent les grandes lignes du " conformisme
" par rapport à l’évolution de l’esprit
interne à l’entreprise.
La distorsion communicationnelle implique une action volontaire
et une puissante coopération entre tous les acteurs. Ce qui
pousse les cadres à adhérer à cette pratique
discursive de la distorsion communicationnelle est une souffrance
" éthique ", la peur de perdre sa propre dignité,
trahir son idéal et ses valeurs.
La rationalisation permet de démontrer que le mensonge est
un mal nécessaire et inévitable. En y participant,
on permet le passage d’une étape historique douloureuse
à une étape de soulagement.
V – L’acceptation du " sale boulot "
1.Les explications conventionnelles
a.l’explication par référence à
la rationalité stratégique
La participation consciente du sujet à des actes injustes
relèverait d’un calcul bien que celui-ci n’éviterait
pas les décisions de " dégraissage ".
Les cadres sont conditionnés par la certitude de la réussite
de leurs prévisions optimistes.
Les ouvriers menacés de licenciements individuels parfois
associés à la menace de dépôt de bilan
se surpassent pour franchir cette étape. De ces nouvelles
performances, ils pensent arriver à de nouvelles embauches.
Ce qui n’et pas le cas mais au contraire la justification
d’un ouveau dégraissage.
Cette explication par référence au calcul stratégique
est insuffisant. Qu’en est-il du sens moral, important obstacle
à la flexibilité des conduites humaines ?
b.l’explication par référence à
la criminologie et à la psychopathologie
A l’inverse des premiers, les " collaborateurs "
et les " leaders " des actions injustes seraient essentiellement
des pervers et des paranoïaques.
Les pervers fonctionnent selon deux registres antagoniques, l’un
moral, l’autre l’ignorant.
Les paranoïaques ont une rigidité morale maximale. On
les retrouve souvent en position de leaders de l’injustice
commise au nom du bien. Seuls les prémisses sont erronées.
Pervers et paranoïaques ne sont pas tant des " collaborateurs
" que des leaders de l’injustice infligée à
autrui mais ils conçoivent le système.
La collaboration zélée est le fait d’une majorité
de sujets qui ne présentent pas de troubles majeurs du sens
moral.
L’analyse et l’interprétation de la " banalité
du mal " sont importantes au niveau du système contemporain
de la société néolibérale où
se trouve l’entreprise car elle concerne la majorité
des collaborateurs zélés d’un système
fonctionnant par l’organisation réglée, concertée
et délibérée du mensonge et de l’injustice.
1.L’explication proposée : la valorisation
du mal
a.Le mal dans les pratiques ordinaires de travail
Le mal est la tolérance au mensonge, sa non-dénonciation
et, au-delà, le concours à sa production et sa diffusion.
Il en est de même face à ’injustice et à
la souffrance infligée à autrui.
Toutes ces souffrances et injustices sont connues mais tendent à
devenir norme d’un système d’administration des
affaires humaines dans le monde du travail.
b.enrôler les braves gens
L’enrôlement de gens " dotés d’un
sens moral ", qui plus est en masse, relève au moins
de deux conditions :
il s’agit de leaders du mensonge, ceux-ci étant souvent
positionnés en tant que pervers ou paranoïaques,
il faut un dispositif spécifique dans cette stratégie
du mensonge et tout ce qui en découle. Le " sale boulot
" n’est pas un plaisir et c’est le courage de ces
leaders auquel on fait appel. Ce courage qui est une vertu dont
on a du mal à donner la signification réelle.
Le retournement de la raison éthique ne peut être soutenu
publiquement et emporter l’adhésion des tiers que parce
qu’il est fait au titre du travail, de son efficacité
et de sa qualité.
1.Le ressort de la virilité
Il y a donc, ici, une sorte d’alchimie sociale grâce
à laquelle le vice est transmuté en vertu.
Le principal ingrédient de cette réaction alchimique
porte le nom de " virilité ". Celle-ci doit être
distinguée de la masculinité.
Le leader du travail du mal est avant tout pervers parce qu’il
a recours à la virilité en utilisant la " menace
de castration " comme levier de la banalisation du mal. Cette
banalisation relève de la normalité même si
cette normalité a pour caractéristique d’être
funeste et sinistre.
La virilité est une défense contre la souffrance.
Elle est considérée comme un caractère sexuel,
celui qui confère à l’identité sexuelle
mâle la capacité d’expression de la puissance,
soit contre les rivaux sexuels, soit contre ceux qui pourraient
porter atteinte au sujet lui-même ou à ses proches
à qui il doit protection et sécurité.
VI – La rationalisation du mal
1.La stratégie collective de défense du "
cynisme viril "
La motivation principale est de ne pas perdre sa virilité.
Les " braves gens ne sont pas tous très fiers de leur
conduite. Au contraire, le fait de concourir à effectuer
des actes qu’on réprouve peut mener jusqu’à
la souffrance morale.
Le processus décrit relève des stratégies collectives
de défense où l’on oppose à la souffrance
d’avoir à accomplir ces actes un déni collectif
accompagné de provocation.
La virilité fait donc l’objet " d’épreuves
à répétition ", jouant un rôle majeur
dans le zèle des travailleurs du " sale boulot ".
On arrose cela au cours de repas fort coûteux où l’on
cultive le mépris à l’égard des victimes,
où l’on réaffirme la nécessité
" d’indispensables sacrifices à consentir pour
sauver le pays du naufrage économique.
Nous sommes ici à proximité de la transformation de
la " stratégie collective de défense du cynisme
viril " en " idéologie défensive du réalisme
économique ".
2.L’idéologie défensive du réalisme
économique
Cette idéologie consiste à faire passer le cynisme
pour de la force de caractère, de la détermination,
un haut degré du sens de responsabilités collectives,
du sens du service rendu, voire du sens civique et d’intérêt
national.
Ces qualités sont associées à l’idée
d’appartenance à une élite, impliquée
dans l’exercice et la mise en œuvre d’une "
Realpolitik ".
Pour parfaire l’idéologie défensive, se dessine
peu à peu la référence à la sélection
qui, si elle est sérieuse, rigoureuse, voire scientifique
rend le " sale boulot " propre et légitime, travail
de nettoyage débarrassant l’entreprise de ses parasites.
La radicalisation de cette stratégie collective de défense
débouche sur la culture du mépris à l’égard
de ceux qui sont exclus.
3.Le comportement des victimes au service de la rationalisation
Ceux qui subissent ces rapports de domination, ainsi que le mépris,
l’injustice et la peur, adoptent parfois des comportements
de soumission, voire de servilité qui " justifient,
à leur tour, le mépris des leaders et des collaborateurs
".
De plus, l’emploi est précarisé par les nombreux
licenciements. On n’embauche plus. On fait appel à
des entreprises sous-traitantes qui emploient toute sorte de personnel
tels qu’intérimaires, travailleurs qui ne sont pas
en règle, en bonne santé. Ces travailleurs sont voués
à la précarité constante, à la sous-rémunération,
à la flexibilité hallucinante de l’emploi, les
obligeant à changer d’entreprise, habitant dans des
baraquements à proximité des chantiers. Ils ont recours
à l’alcool et surtout aux drogues pour calmer le désespoir
et le malheur. La prostitution devient inévitable.
Ils évoquent la méfiance, le dégoût,
voire la condamnation morale du personnel statutaire chargé
de la surveillance et du contrôle. Ils limentent le discours
élitiste, raciste et méprisant des leaders et des
collaborateurs.
L’injustice et la réalité sociale qu’elle
engendre confirme l’idéologie défensive du réalisme
économique. L’efficience de la stratégie de
la distorsion communicationnelle est suspendue à la rationalisation.
Le processus est organisé et piloté par les dirigeants
dont le collaborateur n’est que le subordonné obéissant.
L’obéissance est considérée comme une
décharge de responsabilité et non un engagement.
4.La science et l’économie dans la rationalisation
L’injustice dont les braves gens sont devenus l’instrument
est inévitable dans la " mondialisation " de l’économie.
La machine néolibérale est lancée. Le néolibéralisme
serait fondé sur le réalisme de la rationalité
instrumentaliste alors que le socialisme l’est sur le mensonge
conomique. La " vérité " est dans l’enthousiasme
avec lequel chacun participe à la lutte concurrentielle.
La violence serait de nature économique. La gestion serait
l’application de la science.
Ce n’est pas la rationalité économique qui est
cause du travail du mal, mais l’enrôlement progressif
de cette majorité qui recrute l’argument économiciste
comme moyen de rationalisation et de justification de la soumission
et de la collaboration au sale boulot.
5." Sale boulot ", banalité du mal et
effacement des traces
De jeunes diplômés sont embauchés pour faire
le " sale boulot ". La mémoire du passé
par les anciens est donc effacée. Leurs tâches apparaissent
comme une banalité. Ce dispositif permet d’éviter
la discussion sur les pratiques managériales dans l’espace
public. Et l’effacement des traces mettent en échec
les plaintes en justice et les instructions judiciaires. Ainsi,
chaque fois qu’une affaire émerge, elle passe pour
exceptionnelle.
VII – Ambiguïtés des stratégies
de défense
1.L’aliénation
Le travail peut générer le malheur, l’aliénation
et la maladie mentale, mais il peut aussi être médiateur
de l’accomplissement de soi, de la sublimation et de la santé.
Les dégâts affectifs et cognitifs engendrés
par le travail répétitif sous contrainte de temps,
favorise l’émergence de l’angoisse et de la violence.
L’émergence de conduites injustes généralisées,
hors des contextes organisationnels de la chaîne fordienne,
amène la question du mal sous une forme nouvelle.
L’analyse de l’injustice infligée à autrui,
comme forme banalisée de management, suggère de revenir
sur l’interprétation de l’expérience nazi.
Le régime nazi, comme tous régimes totalitaires, fait
passer le mal pour le bien. Le cas " Eichmann " décrit
par " Hannah Arendt " est assez éloquent.
Le ressort du " travail d’extermination " n’est
pas la perversion mais la gestion la plus rationnelle du rapport
entre tâche et activité, entre organisation prescrite
et organisation réelle du travail.
" La violence, l’injustice, la souffrance infligées
à autrui ne peut être rangées du côté
du bien que si elles sont infligées dans le cadre d’une
contrainte de travail ou d’une ‘mission’ qui en
sublimerait la signification ".
La virilité, contrairement au courage sans virilité,
est dépendante du regard des autres. Le discours viril est
un discours de maîtrise, appuyé sur la connaissance,
la démonstration, le raisonnement logique.
Le discours féminin, au contraire, n’accorderait pas
à la science et la connaissance, le statut que leur confère
le discours viril.
Dans l’idéologie défensive du cynisme viril,
la rationalisation par l’économique est une forme de
maîtrise symbolique typique des hommes.
2.Virilité versus travail
" L ‘origine du mal ne semble pas se situer dans la violence
elle-même, mais en amont dans les stratégies collectives
de défense mobilisées pour lutter contre la peur dans
un contexte de rapports sociaux, de domination où il n’est
pas possible de déclarer forfait.
3.Retour sur les stratégies collectives de défense
Les stratégies individuelles de défense ont peu d’incidences
sur la violence sociale contrairement aux stratégies collectives
de défense.
Dans certaines corporations, les travailleurs doivent affronter
des risques. Pour vaincre la peur, ils utilisent collectivement
différentes stratégies qui ont plutôt tendance
à aggraver qu’à limiter ces risques.
Celui qui n’y participe pas est considéré comme
méprisable et peut être sujet à différentes
violences physique et morale.
4.Réversibilité des positions de bourreau
et de victime
Dans ces collectifs de travail, les participants ont tantôt
la position de " victime soumise à l’épreuve,
tantôt celle de celui qui impose l’épreuve et
la violence à autrui ".
5.Retour sur le mal
Le problème centrale du mal est la mobilisation en masse
du " peuple le plus civilisé " dans l’accomplissement
du mal.
L’élucidation du processus rendant possible cette mobilisation
de masse dans le travail de la violence rationalisée est
capitale. Il s’agit de la banalisation du mal.
Ce processus de mobilisation de masse dans la collaboration à
l’injustice et à la souffrance infligées à
autrui n’est pas différent de la mobilisation du peuple
allemand dans le nazisme.
VIII – La banalisation du mal
1.Banalité et banalisation du mal
La banalité du mal renvoie ici à la personnalité
même d’Eichmann, être terne. Il occupe une position
intermédiaire entre leader passionné ou paranoïaque
et l’esclave aliéné qui fait de lui un être
terriblement " banal " mais par pour autant une exemplaire
de " l’homme moyen ".
Le problème soulevé est celui du consentement de la
participation, de la collaboration de millions de personnes, au
système. Ce problème change quand on passe de l’analyse
de la conduite criminelle, de la banalité du mal, de son
caractère absolument non exceptionnel à l’étude
des personnalités car celles-ci sont très variées.
Avant le problème de la banalité du mal, on doit poser
celui de la banalisation du mal qui est un processus grâce
auquel un comportement xceptionnel peut être érigé
en norme de conduite, voire en valeur. Le point commun de toutes
ces personnes est le travail.
A partir de la psychodynamique du rapport au travail, on peut, peut-être,
comprendre comment la " banalisation " du mal a été
possible.
2.Le cas Eichmann
Sa personnalité est déconcertante par sa banalité
même, son " absence d’imagination ", son manque
de pensée. Il à tendance à mentir aux autres
comme à lui-même pour embellir sa situation, se rendre
" important ".
Il est obéissant, discipliné, rigoureux dans l’exercice
de ses fonctions et la qualité de son travail. Il a tendance
à se rassurer. Il cède facilement à des mouvements
de déception, suivis de découragement et d’apathie.
Il fait preuve d’entêtement et d’obstination sous
forme de zèle dans les missions dont il a la charge. Il dépend
des directives, de l’encadrement, de la protection conférée
par les papiers signés. Il n’a pas d’esprit critique.
3.L’analyse des conduites d’Eichmann du point
de vue psychopathologique
Il y a " rétrécissement de la conscience intersubjective
".
Dans cette organisation psychique, il y a une frontière nette
entre le monde proximal et le monde distal.
Eichmann est un normopathe. Normopathie qu’Hannah Arendt désigne
par l’expression " banalité du mal ".
4.L’analyse des conduites d’Eichmann du point
de vue de la psychodynamique du travail
Le comportement normopathique peut être le fait d’une
" stratégie individuelle de défense " pour
s’adapter à la souffrance qu’implique la peur,
en réponse à un risque de précarisation, risque
venu de l’extérieur.
La division sociale du travail favorise incontestablement le rétrécissement
concentrique de la conscience, la responsabilité et l’implication
morale. On ne maîtrise pas ce que font les autres, on en dépend.
5.La stratégie défensive individuelle des
" œillères volontaires "
Cette stratégie est fréquemment et facilement utilisée.
Ce comportement découle de la " stratégie individuelle
de défense " à distinguer radicalement des "
stratégies collectives de défense ".
Le " choix " de la stratégie se fait en fonction
de la distance entre le sujet et le théâtre où
s’exercent directement violence, injustice et mal contre autrui.
6.Limites des stratégies défensives et crise
psychopathologique
Il n’y a pas de lien de causalité entre souffrance
et défense collective, pas d’automatisme ni de mécanique.
Il s’agit d’une construction toujours frappée
d’un certain degré de fragilité, de précarité.
Chaque nouvelle vague déstabilise cette défense collective.
En dernier ressort, il ne reste que la défense individuelle
des œillères.
On assiste à un effondrement brutal des défenses qui
mène vers la dépression, l’alcoolisation, le
suicide où à des actes de violence, de casse, de vengeance
ou de sabotage.
Les directions d’entreprise cachent ces décompensations
qui n’arrivent que très rarement à l’espace
public.
7.Banalisation du mal : l’articulation des étages
du dispositif
Le secteur clivé se caractérise par la suspension
de la faculté de penser. La précarisation ne concerne
pas que l’emploi mais toute la condition sociale et existentielle.
Le clivage, pour tenir, a besoin d’un discours tout fait,
appris, repris, trouvé pour chaque sujet, individuellement
certes mais dans un discours fabriqué et produit de l’extérieur,
proposé enfin de l’extérieur.
La banalité du mal repose sur un dispositif à trois
étages :
Le premier étage concerne les leaders de la doctrine néolibérale
et de l’organisation concrète du travail du mal sur
le théâtre des opérations.
Le deuxième étage concerne les collaborateurs directs
aux structures mentales diverses.
Le troisième étage concerne la masse de ceux qui recours
aux stratégies de défense individuelles contre la
peur.
Il faut aussi distinguer deux catégories de ceux qui n’adhèrent
pas au système sur le processus lui-même, à
savoir, ceux qui ignorent la réalité à laquelle
ils n’ont pas accès et ceux qui s’opposent au
système.
Ces derniers sont confrontés à l’inefficacité
de leurs protestations en raison de la cohérence qui soude
le reste de la population à la banalisation du mal.
L’objectif de la lutte contre l’injustice et le mal
ne pourrait être atteint qu’en substituant une lutte
intermédiaire contre le processus même de la banalisation.
IX – Requalifier la souffrance
1.La virilité contre le courage
L’apprentissage du courage impliquerait l’apprentissage
de la soumission volontaire et la complicité avec ceux qui
exercent la violence.
" Est courageux, l’homme qui est capable lorsque les
circonstances l’exigent, de se conduire en bourreau . "
Au niveau des stratégies collectives de défense, la
virilité est provoquée quand la peur est au centre
du rapport vécu aux contraintes de ravail. Sans ce lien où
l’on retrouve parfois la violence au travail, la référence
à la virilité n’aurait plus aucune utilité.
La banalité du mal est le résultat d’un vaste
processus de banalisation où virilité défensive
et stratégie de distorsion communicationnelle doivent coexister.
Sans le mensonge, il ne pourrait y avoir de banalisation de la violence.
2.Dé-banaliser le mal
La virilité est en soi un mensonge.
Pour lutter contre le processus de banalisation du mal, il faut
avoir pour objectifs de :
Procéder à la déconstruction de la distorsion
communicationnelle dans les entreprises et les organisations
Travailler directement sur la déconstruction scientifique
de la virilité comme mensonge
" S’aventurer dans ce qu’il faudra bien appeler
" l’éloge de la peur " pour lutter contre
le cynisme, de façon à rediscuter la rationalité
pathique et son incidence sur la mobilisation et la démobilisation
dans l’action politique "
Travailler sur ce que serait le courage débarrassé
de la virilité, en se référant à l’analyse
du courage au féminin et des formes spécifiques de
construction du courage chez les femmes.
6 – PRINCIPALES CONCLUSIONS
Au fur et à mesure de la lecture et de la compréhension
des différents chapitres, j’ai pris conscience que
nous sommes tous plus où moins ces " Français
qui souffrent et ne le disent pas ".
Je défie qui que ce soit de ne pas découvrir son appartenance
présente ou passée à une des représentations
qui nous conduisent toutes à un moment donné à
ce sentiment de peur puis de honte, que nous soyons victime ou bourreau.
La souffrance nous oblige à concevoir l’avenir armés
d’une stratégie de défense individuelle ou collective
selon le camp dans lequel nous sommes capables de nous introduire,
selon notre état d’esprit, notre fragilité au
moment donnée, selon notre degré d’acceptation
du "salle boulot ", notre positionnement moral face à
la distorsion communicationnelle, le mensonge.
Mais ces différentes stratégies de défense
ont des limites.
1. ACTUALITE DE LA QUESTION
Question centrale du livre :
" Pourquoi les uns consentent-ils à subir la souffrance,
cependant que d’autres consentent à infliger cette
souffrance aux premiers ? "
C’est une question politique cruciale, centrale pour la période
actuelle, mais elle n’en est pas l’apanage.
Elle se pose pour toutes les périodes du système économique
libéral passé, présent et à venir.
2.
3.BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
Surveiller et punir, Naissance de la prison, Michel FOUCAULT Gallimard
Fiches de lectures de la Chaire D.S.O.
Les différences culturelles dans le management, Daniel BOLLINGER
Geert HOSTEDE Les Editions d’Organisation, 1987
" Organisations déconcertées : La gestion stratégique
de la connaissance ", Philippe BAUMART Masson , 1996
" La crise de la culture ", Hannah Arendt
" La condition de l’homme moderne ", Hannah Arendt
Réussir le résumé de texte, Françoise
GIQUEL, Les éditions d’Organisation Université
Mémoires et thèses, L’Art et les Méthodes
de Jean-Claude Rouveyran, Maisonneuve et larose
Rédiger, présenter, composer, L’Art du rapport
et du mémoire, De Boeck Universite – Guy JUCQUOIS
Catherine LE GAC, Auditeur CNAM I172063, DPCE Cycle A, FICHE DE LECTURE,
Christophe DEJOURS, " SOUFFRANCE EN FRANCE LA BANALISATION DE
L’INJUSTICE SOCIALE "
La souffrance au travail ?
"Notes sur la souffrance" article repris et retravaillé
fin 1999 afin qu'il soit publié dans la revue Les Temps maudits
de la CNT Vignoles en Mai 2000. Ce texte a été imprimé
avec un "mastic" qui le rendait presque illisible. Le voici
dans sa version intégrale "La
souffrance"
Une note de lecture de Miguel Chueca dans le numéro 9 de Janvier
2001 de la revue Les Temps Maudits sur le livre "Femmes au
travail, violences vécues" de Eve Sémat aux
éditions La Découverte et Syros complète bien
cette approche. Cette note conseille également le livre
"L'entreprise barbare" de Albert Durieux et Stéphène
Jourdain également aux éditions Syros.
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