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Origine : http://perso.orange.fr/chabrieres/articles/dagerman.html
Stig DagermanLe Suédois Stig Dagerman a mené un dur
combat contre lui-même pour se délivrer de ses obsessions.
Biographie d'un "vaincu de la vie" courageux.
Dans une courte nouvelle d'inspiration autobiographique, Stig Dagerman
rêvait d'un lieu où les hommes pouvaient "vivre
à la fois une vie hors nature et mourir de mort naturelle".
Une existence accomplie, engagée, créatrice, libératrice,
en sorte. Il y avait tant de choses à faire pour ce jeune
écrivain anarchiste, ce "politicien de l'impossible",
comme il se définissait lui-même. Davantage idéaliste
qu'activiste, Dagerman voulait mettre un peu de justice et d'équilibre
dans ce bas monde, lui qui rendait l'Etat responsable de la névrose
du peuple et qui attribuait à l'écrivain "le
rôle modeste du ver de terre dans l'humus culturel."
Cette vie extraordinaire, au sens où il l'entendait, porteuse
de lumière et d'espoir, cet enfant prodige des lettres suédoises
ne l'a guère connue de son vivant. La mort naturelle, non
plus, du reste, puisque Dagerman se suicida dans son garage, au
volant de sa voiture, asphyxié par les gaz d'échappement,
à l'âge de trente et un ans.
Pareil à ces jeunes fous qui ont brûlé rapidement
leur vie (Kleist, Rimbaud, Sa-Carneiro...) sa production littéraire
fut d'une incroyable fécondité. A 22 ans, il écrit
son premier roman, Le Serpent. Suivront trois autres (L'Ile des
condamnés, L'Enfant brûlé et Ennuis de noce),
un recueil de nouvelles, des pièces de théâtre1,
des scénarios de films, des poèmes satiriques, des
reportages, et une kyrielle d'articles, de critiques, le tout entre
1945 et 1949.
Puis une longue période de silence, -la peur de décevoir,
la faillite de ses convictions, muées en une détresse
inhibitive- jusqu'à sa mort en 1954.
On a souvent rangé Dagerman parmi les écrivains maudits.
A tort : il jouissait d'une grande popularité, son éditeur
lui assurait de généreuses avances sur recettes, son
oeuvre était même lue à la radio. A l'image
de Camus ou de Sartre en France, Dagerman était la conscience
de toute une génération. Porte-parole des idées
existentialistes, il incarnait cette jeunesse de l'après-guerre,
arrogante, lucide, révoltée parce que rejetée
du grand théâtre où s'était faite l'histoire,
en quête d'un vaste idéal de fraternité. Malgré
son incurable timidité (il prit des cours de danse pour la
vaincre), Dagerman était la représentation de l'homme
nouveau : il aimait les belles voitures, adorait le cinéma
(particulièrement Fritz Lang), les voyages en bateau, ainsi
que le football, le jeu à la roulette... Difficile ne pas
voir dans ces symboles d'évasion, une recherche de la transcendance,
de l'intensité dramatique que le travail artistique ou l'idéalisme
révolutionnaire (à ses débuts) lui procurait.
Déjà, adolescent, il aimait respirer l'air des grands
départs, à la gare centrale de Stockholm, en rêvant
qu'il avait, dans la poche, un billet pour la Chine.
En 1949, dans une lettre qu'il envoie au directeur du théâtre
d'Hambourg, Dagerman se présente ainsi : "Le thème
central de mon oeuvre est l'angoisse de l'homme moderne face à
une conception du monde qui s'écroule (...) et je crois qu'une
des possibilités de salut consiste à ne pas se laisser
vaincre par son angoisse, ni à fuir devant soi-même,
mais à affronter le danger les yeux ouverts." Regarder
le chaos en face, quitte à se brûler la rétine...
La jeunesse suédoise voyait en ce jeune écrivain-journaliste,
à la plume fiévreuse et insolente, un quêteur
de vérité -les possibles conditions et en même
temps les limites de ce que devait être un engagement politique
et éthique. Pourtant cet homme, au faîte de la gloire,
est un être pur, fébrile et exalté à
la fois, sans grande assurance, rongé par une vie que la
psychanalyse chérit : une mère qui l'abandonne à
la naissance, une enfance paysanne à la ferme des grands-parents,
un grand-père -qu'il respectait tant- assassiné par
un illuminé, une adolescence grise (il dormait dans la cuisine)
entouré de son père et de sa belle-mère à
laquelle il ne parlait pas; un ami, emporté par une avalanche,
un mariage à l'âge de 20 ans avec la fille d'un anarchiste
allemand qui a lutté contre Franco, un remariage à
27 avec l'actrice Anita Björk...
Sa propre existence était une source inépuisable
d'images et de symboles pour son inspiration. Et c'est avec une
précision violente et poétique que ses livres rendront
compte de ce désordre intérieur.
Le thème de l'angoisse -auquel répondent et s'alimentent
ceux de la peur, de la solitude, de la culpabilité, de la
mort-, Dagerman en a fait son moteur exclusif pour nourrir sa fibre
créatrice.
La rencontre de Kafka en 1945 (comme celle de Faulkner ou Hermann
Hesse) sera déterminante. Il y découvre certes son
double, mais également le trouble, face à ses convictions.
L'engagement politique est-il vraiment la réponse au problème
de l'existence? Y a-t-il du reste une réponse? Pour Dagerman,
la littérature est alors un refuge -le silence face au monde-
où la quête rédemptrice est possible: "Puisque
je doute toujours de moi-même, de l'originalité de
mon talent, de la légitimité de mes opinions, je suis
constamment obligé de chercher une confirmation ailleurs..."
Cette recherche de la vérité - supporter l'idée
que cette vie est vide" -, corroborée par cette incapacité
à concilier sa conscience sociale à celle d'écrivain,
prendra la forme d'un duel sans merci que l'écrivain mènera
jusqu'à sa mort. seulement nous avions une lumière
pour nous y cacher, écrit-il dans une lettre en 1954.
Rendons hommage à Georges Ueberschlag. Sa biographie de
Dagerman -la première qui paraît en France2- est d'une
parfaite honnêteté. Elle s'attache, chronologiquement,
à expliquer l'évolution de cette personnalité
si complexe, illustrée par l'écho poétique
que son oeuvre renvoie (à ce sujet, on regrettera, malgré
tout, les traductions de Philippe Bouquet et de C.G. Bjurström...).
Une belle invite à relire ce "vaincu de la vie"
pour qui et pour toujours "notre besoin de consolation est
impossible à rassasier".
1 A l'occasion des Boréales de Normandie, les Presses universitaires
de Caen viennent de publier L'Ombre de Mart (1948). Dagerman y développe
le thème de la culpabilité à travers la relation
mère-fils (142 pages, 65 FF).
2 Seules des études sur Dagerman ont été publiées
en France. La référence reste le dossier réalisé
par Plein Chant en 1986 (numéro 31-32) aujourd'hui épuisé.
Stig Dagerman ou l'innocence préservée Georges Ueberschlag
éditions L'Elan (9, rue Stephenson 44 000 Nantes) 304 pages,
147 FF
Philippe Savary Le Matricule des Anges
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier
Notre besoin de consolation est impossible
à rassasier
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