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Jacques Rancière et la théâtrocratie ou Les limites de l’égalité improvisée  
P. Hallward
Textes Figures du marxisme

Origine : http://www.marxau21.fr/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=47&Itemid=74

Jacques Rancière ne tient pas secret l'axiome fondamental qui est le sien : tout le monde pense. C'est la simplicité même, pourrait-on croire ; pourtant, en pensant, on s’arrache précisément à la simplicité. Le "penser" tel que le définit Jacques Rancière est une activité dissociatrice et anti-identitaire. Penser passe par l’intervalle indéterminé entre ce que l'on est et ce que l'on crée ou dit ; penser, c'est plonger dans l’écart entre les gens et les rôles qu’ils jouent, les fonctions qu’ils remplissent ou les places qu’ils occupent. Nous ne sommes pas très loin, d'une certaine manière, de la logique de l’être pour-soi selon Sartre, cet ‘être qui est ce qu’il n’est pas, et qui n’est pas ce qu’il est.’ [1] A l'encontre de tous les philosophes, sociologues et technocrates convaincus que seuls pensent ceux qui ont le temps et l’autorisation de penser, Rancière soutient que la capacité d’échapper à soi-même et à sa place appartient à tous. C’était déjà la leçon principale de l’égalité des intelligences, affirmée par Rancière comme point de départ axiomatique: ‘Le propre de l’égalité, en effet, est moins d’unifier que de déclassifier, de défaire la naturalité supposée des ordres pour la remplacer par les figures polémiques de la division.’ [2]

Parmi les moyens divers qu'emploie Rancière pour développer cette conception de l’égalité, aucun n’est plus révélateur que l’exemple et l’analogie du théâtre. Tout ‘sujet politique est une espèce d’instance théâtrale provisoire et locale.’ [3] Toute pensée s'interprète comme une improvisation. Toute pensée se dote d’une scène. Toute pensée, avant de se concevoir ou de s'enchaîner, se joue.

La thématique de la scène est de fait omniprésente chez Rancière. Les Révoltes logiques y font appel pour leur inspiration inaugurale ― la révolte n’étant ‘ni l’irruption d’une sauvagerie populaire irréductible aux disciplines du pouvoir, ni l’expression d’une nécessité et d’une légitimité historiques’, mais plutôt ‘une scène de parole et de raisons’. [4] Plus tard, dans La Mésentente, Rancière dit de la politique qu’il y est question ‘d’interpréter au sens théâtral du mot l’écart entre un lieu où le demos existe et un lieu où il n’existe pas [...]. La politique consiste à interpréter ce rapport, c’est-a-dire d’abord à en constituer la dramaturgie, à inventer l’argument au double sens, logique et dramatique, du terme, qui met en rapport ce qui est sans rapport.’ [5] Plutôt qu’un principe d’ordre ou de distribution, Rancière a toujours conçu l’égalité comme une pure ‘supposition qui doit être vérifiée continuellement ― une vérification ou une mise-en-acte [enactement] qui ouvre diverses scènes d’égalité, des scènes qui se construisent en traversant les barrières et en connectant des formes et des niveaux de discours et d’expérience.’ [6]

Quand il s'agit de politique, c'est de scène et de spectacle qu'il est question, de manifestation déroutante, plutôt que de conflit, de lutte, de décision, d'organisation, etc. Je cite une dernière définition, tirée d’un entretien récent où Rancière se distingue des positions avancées par Toni Negri et Michael Hardt.

En politique, on crée toujours une scène [...], la politique a toujours plus ou moins la forme d’une constitution d’un théâtre. Cela veut dire que la politique a toujours besoin de constituer des petits mondes sur lesquels se forment [...] des sujets ou des formes de subjectivation, qui vont mettre en scène un conflit, mettre en scène un litige, mettre en scène une opposition entre des mondes. [...] Pour moi la politique est la constitution d’une sphère théâtrale et artificielle. Au fond, ce que veulent [Negri et Hardt] est une scène de réalité. [7]

* * * * *

Dans ce qui suit j'explorerai les différentes voies selon lesquelles l’exemple littéral et métaphorique du théâtre peut nous aider à comprendre comment Rancière conçoit l’égalité et l’être-ensemble politique, avant d’identifier, dans ma conclusion, les difficultés qu'une telle conception peut présenter.

I

Le point de départ, ici comme ailleurs chez Rancière, c’est bien évidemment la subversion de Platon. Grand philosophe de la distribution unitaire des fonctions et des rôles, penseur du principe ‘une seule chose à la fois', Platon bannit l’imitation ou le dédoublement mimétique. Défini par la fonction qu’il remplit, l’artisan de Platon est exclu du domaine du ‘je jeu, le mensonge, l’apparence’ dont jouissent exclusivement les notables. [8] Comme Rancière l’a souvent noté, ‘l’exclusion de la scène publique du demos et l’exclusion de la forme théâtrale sont strictement liés dans la République de Platon [...]. Il a exclu à la fois l’idée que les artisans puissent être ailleurs que dans leur “propre” lieu de travail, et la possibilité que des poètes et des acteurs puissent jouer des rôles autre que leur “propre” identité.’ [9]

Manipulation de l’artifice, le théâtre met en scène l’image et l’apparence plutôt que la froide et virile vérité ; l’émotion facile s’imite plus aisément que la raison délibératrice. [10] La ‘théâtrocratie’ décadente que critique Platon dans le troisième livre des Lois est le régime de l’ignorance anarchique qui s’installe à travers la ‘confusion universelle des formes.’ ‘En créant de telles oeuvres,’ nous explique le porte-parole athénien de Platon, les mauvais musiciens ‘ont incité le plus grand nombre à ne pas respecter les lois de la musique et à avoir l'audace de se croire capable d'en juger. De là, le public du théâtre, de silencieux qu'il était est devenu bavard, comme s'il s'y entendait sur ce qui est beau et ce qui ne l'est pas dans les arts et, dans celui-ci, une théâtrocratie [théâtrokratia] malfaisante a pris la place du jugement des meilleurs.’ [11] L’Athénien anticipe la conséquence probable de cette nouvelle liberté populaire : on refuse l’autorité des magistrats, on méprise l’autorité paternelle, puis ensuite ‘on cherche à échapper aux lois’ avant d'en être finalement réduit ‘à mener une vie affreuse.’ [12]

La condition de cette catastrophe est la duplicité menaçante de la mimésis en tant que telle. ‘Avant de se fonder sur le contenu immoral des fables,’ nous rappelle Rancière, ‘la proscription platonicienne des poètes se fonde sur l’impossibilité de faire deux choses en même temps [...]. Du point de vue platonicien, la scène du théâtre, qui est à la fois l’espace d’une activité publique et le lieu d’exhibition des “fantasmes”, brouille le partage des identités, des activités et des espaces.’ [13] Le poète ou le comédien, en refusant de parler par sa voix propre, en s’écartant de lui-même, en imitant les actions d’un autre, confond l’ordre unitaire des fonctions et des places. Par ce moyen il introduit, dit Platon, ‘un mauvais gouvernement dans l'âme de chaque individu, en flattant ce qu'il y a en elle de déraisonnable, ce qui est incapable de distinguer le plus grand du plus petit, qui au contraire regarde les mêmes objets tantôt comme grands, tantôt comme petits, qui ne produit que des fantômes et se trouve à une distance infinie du vrai.’ [14] Ainsi le comédien nous renvoie-t-il à cette ‘indétermination des identités’, cette ‘délégitimation des positions de parole [et cette] dérégulation des partages de l’espace et du temps’ qui caractérisent le coeur même de la démocracie selon Rancière. [15] Le théâtre est le lieu où cette infernale indifférence pour les lieux et les places vient exercer son charme particulier. [16] A cette invitation au désordre, Platon opposera la chorégraphie d’une communauté de l’unité et de la discipline ; cette logique reviendra souvent, sous des formes diverses, chez les grands rêveurs de la pureté politique, de Jean-Jacques Rousseau à NGgugi wa Thiongo. [17]

Il convient de noter au passage la proximité de Rancière et de Philippe Lacoue-Labarthe sur ce point. Ce dernier inscrit le problème de la mimésis au coeur de la philosophie politique toute entière. Pour l’un autant que pour l’autre, la politique ne se déduit pas d'un mode de vie ni d’une propriété humaine positive, mais d’une impropriété primordiale. [18] La politique ne se fonde pas, justement. ‘Le sujet de la mimésis’, nous explique Lacoue-Labarthe, ‘n’est rien par lui-même, strictement “sans qualités”, et apte pour cette raison à “jouer tous les rôles”: il n’a aucun être propre.’ [19] Toute ‘imitation est dépropriation’, dissolution d’une identité ‘propre’ ou mythique. [20] Si Platon se montre particulièrement hostile au théâtre, c’est parce que s'y déroule la duplicité d’une présentation indirecte. ‘Ceux qui parlent sur scène n’ont rien à voir avec les personnages qu’ils incarnent, ni avec les situations où ils font semblant d’être. Tout simplement, ils ne s’expriment pas en leur nom propre ni de leur propre chef.’ [21] Ils ne s’identifient pas avec ce qu’ils disent. Ce sera, pour Rancière, la qualité de tout homme politique en tant que tel.

II

Dans l'une de ses contributions aux Révoltes logiques, Rancière montre comment, dans son enthousiasme pour ‘un théâtre du peuple’, Michelet s’aligne sur Platon. ‘Ce sont les moeurs du théâtre qui ont fait les lois de la démocratie. La démocratie a pour essence la théâtrocratie.’ Mais Michelet renverse l’argumentation platonicienne. ‘La théâtrocratie, chez Platon, était le bruit de la masse qui s’applaudissait en applaudissant ses acteurs. Chez Michelet, elle est la communauté des pensées fondée sur l’essence même du théâtre populaire.’ Un tel théâtre du peuple serait un ‘théâtre-miroir où le peuple regarde ses propres actions,’ une ‘représentation sans séparation où le citoyen combattant écrit et joue lui-même sa victoire qui est celle de la communauté.’ [22]

Or Rancière s’aligne lui-aussi sur Platon, pourrait-on dire, mais au lieu de renverser son interprétation, il la maintient plus ou moins intacte, bien que réévaluée. Ce qui se pose comme menace pour l’un se révèle comme émancipation pour l’autre. La théâtrocratie ranciérienne est également l’expression directe et anarchique du peuple, mais il est chez lui question d'un peuple qui s’exprime avec un maximum de séparation, à une distance maximale de l’identification communautaire.

Plus précisément, il me semble que la conception qu’a Rancière de l’égalité se laisse décrire comme ‘théâtrocratique’ à, pour le moins, sept égards.

1. Elle est ‘spectaculaire’. Comme chacun sait, toute vérification égalitaire fait partie d’une reconfiguration du perceptible, d’une ré-partition du sensible et spécialement du visible. L’égalité est ici affaire d’ anonymat perceptible (une qualification qui, à elle seule, suffit à distinguer la conception ranciérienne de la politique de celle d’Alain Badiou, fondée sur la seule ‘inconsistance’ indiscernable de la multiplicité générique). ‘Le travail essentiel de la politique est la configuration de son espace propre. C’est de rendre visible le monde de ses sujets et de ses opérations.’ [23] S’opposant à toutes les conceptions misérabilistes de la politique ― qui, à l'instar de celle de Hannah Arendt, présupposent que la misère des pauvres est due à leur invisibilité ― Rancière déclare : ‘tout mon travail sur l’émancipation ouvrière m’a montré que la première des revendications ouvrières et populaires était justement une revendication de visibilité, une volonté d’entrer dans la sphère de l’apparence, l’affirmation d’une capacité à l’apparence.’ [24] Quand les foules se réunissent dans l’oeuvre de Rancière, ce n’est pas comme chez Sartre pour monter à l’assaut de la Bastille mais pour jouer ou interpréter la pièce dans laquelle elles mettent en scène leur propre dissociation.

De même, l’action policière ou anti-politique par excellence n’est pas l’interpellation althusserienne qui impose la reconnaissance subjective (la subjection reconnaissante), mais bien plutôt la prohibition du spectacle. Le flic ne vous appelle pas, il vous rappelle qu’il n’y a rien a voir, il vous dit de vous en aller. Tandis que l’action politique transforme la rue en scène, l’action policière cherche à nous rendre à l’évidence : une rue, c’est fait pour rouler. ‘Il n’a rien à voir sur une chaussée, rien à faire qu’à y circuler.’ [25]

2. Elle est artificielle. Comme tout spectacle, une séquence politique affiche la mascarade de son artifice, son absence de fondation ‘naturelle’. L’acteur politique est celui qui joue le rôle de ceux qui n’ont pas de rôle, qui porte le costume de ceux qui n’ont pas de costume. De manière générale, Rancière nous suggère que ‘c’est dans les moments où le monde réel vacille dans l’apparence, plus que dans la lente accumulation des expériences quotidiennes, que se forme la possibilité d’un jugement sur ce monde.’ [26] C’est en référence à de tels moments que la critique ranciérienne du théoricisme ― qu’il associe à la tradition marxiste, de Kautsky à Althusser ― acquiert son intensité maximale. L’autorité théorique ou scientifique enseignait que ‘les masses vivent dans l’illusion', que ‘les producteurs sont incapables de penser leur production’ et leur domination. [27] Les théâtrocrates égalitaires renversent ce double enseignement : c’est parce qu’il sait exactement ce qu’il fait que le peuple est également le maître de l’illusion et de l’apparence.

3. Elle met en scène la multiplicité désordonnée. La performance politique n’est jamais monologique, pour la simple raison qu’il n’y a pas de ‘voix du peuple. Il y a des voix éclatées, polémiques, divisant à chaque fois l’identité qu’elles mettent en scène.’ [28] De la même manière, il n’y a pas une seule logique du Capital, un savoir émancipateur unique, mais une ‘pluralité de conceptualités’, ‘des stratégies discursives différentes répondant à des problèmes différents’. [29]

4. Elle est déroutante ou pertubatrice. Etant l'occasion d’un déplacement généralisé, le théâtre résiste par sa nature même à la grande ambition policière, à l’enfermement des individus dans leur place propre, à l’enracinement du peuple ‘dans sa place et son temps.’ [30]

D’où l’importance exemplaire des ces ‘théâtres du coeur’ dans le Paris du milieu du XIXème siècle, auxquels Rancière consacre un article important de ses Révoltes logiques. [31] Le danger pour l’ordre établi y est double. D’une part, les fantasmes de la représentation et les interruptions improvisées du public donnent forme à la ‘rêverie des minorités mutantes’. D'autre part, l’indétermination du ‘partage de la salle’ la transforme matériellement en lieu de collisions et de collusions menaçantes. Annonçant les grands spectacles politiques de février et juin 1848, ces théâtres surpeuplés démontraient nuit après nuit que seule une ‘ligne indécise sépare le public bourgeois assis du peuple debout des “petites places”. La distribution spatiale de ces “petites places” qui ne sont pas des “vraies” places, tout comme le temps perdu et l’humeur collective acquise dans la queue nécessaire pour les obtenir, rendent indécise la relation entre les mots et les choses, la fiction et la réalité qui commande elle-même le bon rapport entre la scène et la salle, entre la salle et l’extérieur’. [32]

Les censeurs de Napoléon III ne tarderont pas, par ailleurs, à trouver une défense contre cette indétermination troublante ― une défense dont les principes n'ont jamais cessé, depuis, d'informer tout projet de counter-insurgency culturel. Il convient d’abord que le public ne bouge plus, que chaque spectateur soit assigné à sa place, comme autant de propriétaires provisoires disposant chacun d'un ‘espace réservé’. Ensuite, il est possible de purifier ce lieu d’art de son public prolétaire, en s'assurant que les ouvriers soient occupés par leur travail et, une fois installés hors de la ville, par le temps de leur trajet quotidien. Alors seulement, dans l’espace ainsi évacué, il devient possible de concevoir la création d'un nouveau théâtre pour le peuple ― ce peuple qui, désormais tenu à l'écart des arts ‘bourgeois’ et de la corruption métropolitaine, peut s’y trouver représentés à la fois comme spontanément pittoresque et spontanément réceptif à l’édification culturelle. [33] C'est ainsi qu'on parvient à éliminer la spontanéité théâtrale proprement dite. Tout lieu de spectacle se trouve réduit au ‘simple lieu d’exécution d’un texte ou d’une musique, un lieu donc où il ne se passe rien, où le chanteur ou l’acteur soit réduit à la fonction d’exécutant et le public à la fonction de consommateur.’ [34] Avec l’invention du phonographe, puis de la télévision, ce processus de domestication culturelle connaîtra un long avenir. [35]

5. Ses représentations sont contingentes. Tout spectacle égalitaire doit inventer son propre espace. Toute scène politique est un bricolage sur le territoire policier. ‘La politique n’a pas ainsi de lieu propre ni de sujets naturels [...]. La manifestation politique est ainsi toujours ponctuelle et ses sujets toujours précaires.’ [36] C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne peut comprendre le dissensus politique en termes d’antagonismes ou de groupe d’intérêt, et encore moins avec les moyens du modèle communicationnel. ‘Ce modèle présuppose les partenaires déjà constitués comme tels [...], or le propre du dissensus politique, c’est que les partenaires ne sont pas constitués non plus que l’objet et la scène même de la discussion.’ [37]

6. Elle a tendance à s’improviser. Ne s’étant constitué en art autonome qu’à la faveur de ses successives ‘impurifications — montages de textes et montages de praticables, rings de boxe, pistes de cirque, chorégraphies symbolistes ou biomécaniques’, [38] etc. ― le théâtre n’est jamais plus ‘théâtral’ que lorsqu’il subordonne la mise en scène à l’improvisation, la chorégraphie au jeu libre. Si la statue de la Junon Ludovisi que décrit Schiller dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme et qui fascine tellement Rancière ‘manifeste ce caractère de la divinité qui est aussi [...] celui de la pleine humanité’, c’est parce qu’elle ‘ne travaille pas, elle joue. Elle ne cède ni ne résiste. Elle est libre des liens du commandement comme de l’obéissance.’ [39] Elle se laisse aller, sans jamais perdre son charme inaccessible, tout comme le charme qu’exerce le comédien ou la comédienne naît du caractère irréel, insaisissable et éphémère de son jeu en tant que tel.

7. Elle demeure liminale. Ce rapport entre l’acteur et son rôle est l’un des exemples clé d’une configuration logique particulière qu’on retrouve un peu partout dans l’oeuvre de Rancière. Cette loqigue nous explique comment un certain élément X est ce qui rend indiscernable la différence entre ce ‘même’ X et non-X. L’art dans le domaine esthétique, par exemple, est ce qui brouille la distinction entre l’art et le non-art. La parole ouvrière est ce qui dément la frontière entre l’ouvrier et le non-ouvrier. L’enseignant véritable est celui qui rend incertaine la distance entre maître et disciple.

La comédie politique se déroule de même, dans l’espace situé entre deux extrêmes. Il y aurait d’un côté les acteurs eux-mêmes, tels qu’ils sont ‘réellement.’ Comme nous l’avons vu, le rêve d’un ‘art sans représentation’, d’un théâtre où les acteurs joueraient eux-mêmes des spectacles qui seraient l’expression ou le prolongement directs de leur vie ouvrière, s’inspire de la tentatives de certains, vers la fin du XIXe siècle, pour développer un théâtre du peuple conçu comme représentation du familier, du naturel, du sincère. [40] Une inspiration comparable soustend le refus ‘métapolitique’, que Rancière associe essentiellement à Marx, de tout écart mimétique entre la réalité et l’apparence, de toute distance ‘idéologique’ entre ce que les gens sont et ce qu’ils font. [41] Et il y aurait, de l’autre côté, les rôles à jouer, soustraits à la contamination des personnalités et des contextes. C’est ainsi que Michelet, par exemple, conçoit son propre théâtre du peuple héroïque. ‘Qu’est que le théâtre?’, demande-t-il : ‘l’abdication de la personne actuelle, intéressée, pour prendre un rôle meilleur’. [42] Il en était déjà de même avec la pédagogie ‘archipolitique’ de Platon, et il en sera question à chaque ‘retour à la pureté politique’, de Tocqueville jusqu’à Ferry et Renaut. [43]

Ce n’est pas un hasard si, tout récemment, quand Rancière s’intéresse à la mobilisation des intermittents du spectacle, c’est pour poser une question bien connue de tous, pertinente pour n’importe quel groupe d’intérêt: comment soutenir un tel mouvement ‘sans recréer ce qu'il s'agit de contester, à savoir une distinction entre “les artistes” (ce qui n'indique qu'un statut social) et les autres (techniciens, profs, sympathisants, etc.)?’ [44]

Une conception théâtrocratique de l’égalité exige, en bref, que les acteurs demeurent autres qu’eux-mêmes, sans pour autant tomber dans l’altérité absolue.

Il leur faut adopter l’artifice d’un rôle non-naturel, sans s’identifier à ce rôle. Leur position est à mi-chemin de la sincérité de Rousseau et de la maîtrise technique de Diderot. La politique s’évanouit quand cette distance entre acteur et rôle, entre l’individu et la parole, s’effondre dans une identité immédiate et définitive.

III

Aussi puissante soit-elle, et ce à plus d’un titre, cette orientation théâtrocratique soulève quelques questions assez évidentes, lesquelles ont souvent été posées, d’une manière ou d’une autre, à Rancière.

Il faut d’abord noter son caractère intermittent. Rancière tout le premier, l’avoue : les séquences politiques sont rares et provisoires. Rien ne subsiste de la scène, une fois démontée. Une séquence en majeure partie improvisée est difficile à soutenir. Il y a là une limite qu’accepte Rancière, tout comme Badiou et le dernier Sartre. La position de Rancière sur ce point peut être comparée à celle des auteurs américains du célèbre Poor People’s Movements: Why They Succeed, How They Fail (1977): Frances Fox Piven and Richard Cloward. [45] Comme Rancière, Piven et Cloward mettent en avant la pertubation directe voire anarchique de l’ordre établi, plutôt que le développement de l’organisation et de la participation syndicale ou parlementaire. ‘Placides, les pauvres ne reçoivent jamais rien ; turbulents, ils reçoivent de temps en temps quelque chose.’ [46] Mais à la différence de Rancière, Piven et Cloward posent également la question des acquis politiques, de la temporalité de l’acquisition incrémentale, voire de la continuité stratégique. Rancière, au contraire, ne nous indique en rien les critères stratégiques qui pourraient justifier son hypothèse que toute politique d’émancipation doive en passer par un moment de désindividuation et de dissociation.

Notons, ensuite, le statut incertain de ses conséquences contemporaines. Sans doute est-ce là la question la plus évidente : dans quelle mesure une politique qui se veut ‘spectaculaire’ dépend-elle du primat du spectateur, de ce qui se laisse voir d’une mobilisation ou d’une lutte? Fait-elle preuve d’un réel pouvoir de transformation dans une société qui se conçoit depuis longtemps comme société du spectacle? L’ordre policier contemporain, notre état libéral-républicain, est-il réellement mis en cause par de semblables défis politiques?

Pour le dire autrement: Rancière est-il parvenu à opposer une réelle contradiction aux arguments contemporains de ce ‘parapolitique’ qu’il associe d’abord à Aristote ? En matière de politique comme d’esthétique, Aristote est celui qui a réussi à développer des moyens pour contenir et maîtriser la menace identifiée par Platon. A la menace mimétique, Aristote répond par ce qui deviendra le ‘régime représentatif de l’art’: la maîtrise de l’imitation dans une hiérarchie de techniques, de genres et de convenances. [47] A la menace démocratique, Aristote répond par l’incorporation du peuple, la dissolution de la part des sans-part dans une nouvelle distribution ordonnée de parts et de fonctions, à travers la médiation contrôlée des institutions et des compétences: ainsi un peuple plein de déférence se retrouve absenté du sein de la démocratie elle-même, comme dans ces sociétés agraires où la dispersion géographique du peuple assure la délégation des pouvoirs aux autorités appropriées, voire un gouvernement des notables. [48]

Dans les deux cas, c’est Platon qui perçoit le danger et Aristote qui le corrige. Rancière, quant à lui, revient grosso modo sur le diagnostic platonicien, réévalué ; l’ancien danger devient l’opportunité nouvelle. Mais Rancière déploie-t-il une théorie de la pertubation adéquate aux procédures de la contre-perturbation actuelle ? Considérons sur ce point la distance qui sépare l’analyse de Rancière de celles, sans doute plus traditionnelles, d’un Naomi Klein ou d’un Noam Chomsky. Tout comme Rancière, Chomsky interroge souvent la démocratie contemporaine à partir de la tristement célèbre analyse de Crozier, Huntingdon et Watanuki, La Crise de la démocratie (1975). [49] Mais Chomsky passe aussitôt à l’examen des nouveaux moyens policiers, depuis mis en place à l’échelle globale: privatisation généralisée, libéralisation acharnée, consolidation des médias et des instances financières, consumérisme déchaîné, endettement systématique, politique de la peur et de la sécurité, etc. [50] Rancière, par contre, adopte le lexique de la mobilité et le la liminalité au moment même où l’émergence de nouvelles formes de production ‘post-tayloriste’ affaiblissent considérablement sa prise critique. Il n’est pas certain que l’insistance de Rancière sur l’interstice et l’intervalle puissant répondre aux relations d’exploitation et de domination telles qu’elles se déploient dans les conditions actuelles. [51]

On voit mal, en effet, comment la déqualification du pouvoir policier que promeut Rancière pourrait s’opérer, sans ces autres moments, tout aussi nécessaires au déroulement d’une séquence politique, que sont l’engagement, l’organisation, la simplification stratégique, la décision, la polarisation, la lutte, la mobilisation des intérêts, etc. Certes, la conception théâtrocratique de la politique ne se réduit pas au simple ‘jeu libre’ d’une improvisation sans but ni contexte. Difficile, néanmoins, de poser la question de sa direction depuis la philosophie de Rancière, laquelle n’accorde qu’une place minime aux enjeux de savoir et de savoir-faire. Pourtant, comme le savent musiciens et comédiens, l’improvisation réclame des compétences considérables. Lorsqu’il aborde les poèmes de Mallarmé, Rancière se penche moins sur l’écriture du poète que sur les thèmes renvoyant au monde de son époque. Vu la maîtrise qui est la sienne en matière d’écriture, ainsi que l’importance que revêtent à ses yeux ces artisans du style que sont Flaubert et Mallarmé, il est étonnant que Rancière s’occupe si peu des questions de technique proprement dites.

Si à ses yeux la question de la technique importe peu, la question de son acquisition le trouble encore moins. Le modèle méthodologique de sa conception de la pédagogie, adapté de Jacotot, semble être celui de l’apprentissage d’une langue maternelle. [52] Pour celui qui s’engage dans l’émancipation intellectuelle, le savoir est à prendre plutôt qu’à apprendre. Confronté à la question du savoir et de la compétence, Rancière répond depuis longtemps par un mélange d’indifférence et d’impatience. Contre Platon, contre Arendt, il nous dit que ‘l’apparence du démos vient briser le partage entre les capables et les incapables,’ [53] un point c’est tout. Les militants politiques doivent-ils être au courants des mécanismes contemporains de l’exploitation et de l’obfuscation? Rancière répond : on sait tout ça depuis toujours. Ce qui importe, nous dit-il, n’est pas la connaissance à transmettre mais la posture d’autorité que présuppose toute valorisation de la connaissance. [54] Il me semble que le prix politique de cette indifférence au savoir est trop élevé. Les ouvriers de 1860 et de 1920 auxquels Rancière fait référence dans les Révoltes logiques avaient bien anticipé l’effet de dé-qualification et de déresponsabilisation du travail que les nouvelles technologies et les nouvelles organisations du travail menaçaient de produire. Il est curieux qu’il se soucie si peu du prolongement contemporain de ces effets.

Mais la question du savoir ne peut avoir beaucoup de poids dans une configuration philosophique qui en fin de compte repose ― et sur ce point, encore une fois, Rancière n’est pas loin de Badiou et de Lacoue-Labarthe ― sur l’affirmation d’une inexistence. Tout comme le sujet mimétique de Lacoue-Labarthe, l’acteur politique met en scène l’équivalence du rien et du tout, de personne et de tout le monde. Tout dépend de cette fameuse ‘part de ceux qui n’ont pas de part’, ceux qui littéralement ne comptent pour rien, la ‘masse indistincte des hommes sans qualité’, cette ‘masse des hommes sans propriétés [qui] s’identifie à la communauté’ entière. Car comme nous l’explique Rancière, ‘ce qui est sans part ― les pauvres antiques, le tiers état ou le prolétariat moderne ― ne peut en effet avoir d’autre part que le rien ou le tout.’ [55] Or Rancière est suffisamment sceptique quant à la conception marxiste classique du prolétariat pour savoir qu’il y a une différence importante entre rien et ‘très peu’, entre aucune part et une part minimale, ou marginale. Il tend pourtant à réduire cette différence pour maintenir le statut exceptionnel des scènes politiques qui surgissent brièvement au sein de la complexité sociale.

Du coup, la conception de la politique que Rancière nous offre risque d’être aussi pauvre en conséquences qu’elle est riche en pouvoir de séduction. A quoi nous invite-t-il, en définitive, sinon à jouer à la politique? L’idée de l’égalité qu’il nous propose, si axiomatique soit-elle, ne reste-elle pas, tout comme le jeu chez Schiller, cantonnée dans ‘le royaume insubstantiel de l’imagination’? [56]

Or, et mieux que quiconque, Rancière sait que le théâtre n’est jamais plus théâtral qu’au moment où il invente de nouvelles manière de brouiller (sans effacer) les frontières qui le séparent du non-théâtral. Mais il se peut néanmoins que ce travail d’indistinction créatrice, dans la politique comme dans l’art, ne puisse perdurer que s’il se trouve illuminé, voire dirigé, par un engagement quant à lui sans équivoque, combatif, organisé. L’archarnement et la cohérence du travail de recherche mené depuis trente-cinq ans par Rancière lui-même me semblent en être une preuve suffisante.

Notes

[1] Jean-Paul Sartre, L’Etre et le néant (Paris: Gallimard, 1943), 108.

[2] Le Maître ignorant, 229; Aux Bords du politique (Paris: Gallimard, ‘Folio’, 1998), 68 ; cf. ‘Literature, Politics, Aesthetics: Approaches to Democratic Disagreement’, interview with Solange Guénoun and James H. Kavanagh, SubStance 92 (2000), 6.

[3] ‘Entretien avec Jacques Rancière’, Dissonance 1 (2004), http://www.messmedia.net/dissonance/index.htm ; je remercie Yves Citton d’avoir attiré mon attention sur cette référence. Pierre Campion signale l’importance de la thématique théâtrale dans son compte rendu du Partage du sensible, paru dans Acta Fabula: Revue en ligne des parutions en théorie littéraire, septembre 2000 : http://www.fabula.org/revue/cr/17.php

[4] Les Scènes du peuple, 10.

[5] La Mésentente, 126-127.

[6] Rancière, ‘The Thinking of Dissensus: Politics and Aesthetics’ (Goldsmiths College, 17 septembre 2003), http://homepages.gold.ac.uk/psrpsg/ranciere.doc

[7] ‘Entretien avec Jacques Rancière’, Dissonance 1 (2004), http://www.messmedia.net/dissonance/index.htm

[8] Le Philosophe et ses pauvres, 36; cf. 84.

[9] Rancière, ‘The Thinking of Dissensus,’ http://homepages.gold.ac.uk/psrpsg/ranciere.doc.; cf. Malaise dans l’esthétique, 40.

[10] Platon, La République, notamment 392d-398b et 595a-608b.

[11] Platon, Les Lois, 700c.

[12] Platon, Les Lois 701b-c.

[13] Partage du sensible, 14; cf 67-68.

[14] Platon, La République, 605b-c.

[15] Partage du sensible, 15.

[16] Platon, La République, 604e.

[17] Cf. ‘The Language of African Theatre’, in Ngugi wa Thiongo, Decolonising the Mind: The Politics of Language in African Literature (London: Heinemann, 1986).

[18] ‘En revenant sur la définition aristotélicienne de l'animal politique, mon objet était de mettre en cause la fondation anthropologique de la politique : la fondation de la politique dans l'essence d'un mode de vie, l'idée du bios politikos, qu'on a vu refleurir ces derniers temps à travers des références plus modernes (Léo Strauss et Hanna Arendt, pour l'essentiel).’ (‘Biopolitique ou politique?’ Entretien recueilli par Eric Alliez. Multitudes 1 [mars 2000], http://multitudes.samizdat.net/article.php3?id_article=210).
=> Peuple ou multitudes ? Jacques Rancière Entretien avec Eric Alliez

[19] Philippe Lacoue-Labarthe, L'Imitation des modernes: typographies II (Paris: Galilée, 1986), 276.

[20] Lacoue-Labarthe, L’Imitation des modernes, 100; cf. 234.

[21] Lacoue-Labarthe, ‘Stagings of Mimesis: Interview with Peter Hallward’, Angelaki 8:2 (2003), 59.

[22] Les Scènes du peuple, 174-5.

[23] Rancière, “Eleven Theses on Politics” [December 1996] : http://www.zrc-sazu.si/www/fi/aktual96/ranciere.htm.

[24] ‘Politics and Aesthetics,’ Angelaki 8:2 (2003), 202.

[25] ‘Dix Thèses sur la politique’, Aux Bords du politique, 242.

[26] La Nuit des prolétaires (Hachette, coll. ‘Plurielle’), 31.

[27] La Leçon d’Althusser, 144, 96, 121.

[28] Les Scènes du peuple, 11.

[29] La Leçon d’Althusser, 154.

[30] Les Scènes du peuple, 8; cf. Les Mots de l’histoire, */65, */73.

[31] ‘Le Bon Temps ou la barrière des plaisirs’, Révoltes logiques no. 7, 1978. Voir également ‘Le Théâtre du peuple’ (1985). Les deux textes sont repris dans Les Scènes du peuple.

[32] Les Scènes du peuple, 12; cf. 213-214.

[33] Les Scènes du peuple, 236-239.

[34] Les Scènes du peuple, 214.

[35] Les Scènes du peuple, 243. Par ailleurs, le même processus est précisément en cause dans ce que Georges Balandier, pour sa part, appelait le développement ‘théâtrocratique’ de notre ‘médiatisation généralisée’, et de ‘l'anesthésie cathodique’ qui l’accompagne (Georges Balandier, Le Pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1980).

[36] ‘Dix Thèses sur la politique’, Aux Bords du politique, 245.

[37] ‘Dix Thèses sur la politique’, Aux Bords du politique, 224.

[38] ‘Esthétique, inesthétique, anti-Esthétique,’ in Charles Ramond, ed., Alain Badiou: Penser le Multiple (Paris: L’Harmattan, 2002), 494.

[39] Malaise dans l’esthétique, 132; cf. Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, lettre no. 15.

[40] Les Scènes du peuple, 169, 181-185.

[41] La Mésentente, 123-125.

[42] Michelet, L’Etudiant (Paris, 1963), 170, cité dans Les Scènes du peuple, 175.

[43] Le champ esthétique se structure selon une polarité comparable dans la pensée de Rancière (Malaise dans l’esthétique, 31-32, 162; cf. ‘The Aesthetic Revolution And Its Outcomes: Emplotments of Autonomy and Heteronomy’, New Left Review 14 (March 2002), 148).

[44] ‘Redessiner la carte des identités’, Libération 12 juillet 2003.

[45] Frances Fox Piven and Richard A. Cloward, Poor People’s Movements Why They Succeed, How They Fail (New York: Pantheon, 1977).

[46] Piven and Cloward, Regulating the Poor: The Functions of Public Welfare (New York: Vintage Books, 1971), 338.

[47] Partage du sensible, 23, 68-69; cf. Malaise dans l’esthétique, 16.

[48] La Mésentente, 108-111; cf. Aristote, Politique, 1318b.

[49] Michel Crozier, Samuel P. Huntington and Joji Watanuki, The Crisis of Democracy (NY: New York University Press, 1975), http://www.trilateral.org/projwork/tfrsums/tfr08.htm. L’exemple de Huntington a été évoqué par Rancière dans une conférence à l’Institut Français de Londres, ‘Does Democracy Mean Anything’, le 11 mai 2005.

[50] Voir par exemple Chomsky, ‘Deterring Democracy in Italy: A Key Case of Thought Control’, Just Response (2002), http://www.justresponse.net/deterring_democracy.html.

[51] Depuis un certain temps, dans le milieu anglophone, les mêmes questions sont régulièrement posées aux auteurs de la théorie dite ‘postcoloniale’, dont l’enthousiasme pour le liminal, la contingence, l’hybridité, etc., rappellent à certains égards le projet de Rancière.

[52] Le Maître ignorant, 14. La polémique que Rancière mène contre Bourdieu ne l’encourage pas à s’interroger sur les conditions d’accès à un champ (artistique, pédagogique...) donné.

[53] ‘Politics and Aesthetics,’ Angelaki 8:2. (2003), 202.

[54] Voir par exemple ‘Le compromis culturel historique’, Les Scènes du peuple, 275, 279-280.

[55] La Mésentente, 27-28.

[56] Schiller, Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, lettre no. 26; cf. Malaise dans l’esthétique, 132-133.