Le Monde Libertaire en ligne 2002 1273 (21-27 mars 2002)
http://www.cybertaria.net/ml/article.php3?id_article=731
Une affiche, placardée à grands frais dans de nombreux lieux
publics, dit à peu près ceci (je cite de mémoire,
je n'ai pu retrouver le texte exact) : « En sortant de prison, la
première personne que rencontre un pédophile n'est pas toujours
le médecin. Agissons pour rendre obligatoire le suivi médical
des pédophiles. » Sur fond de petite fille avec nounours...
Cette affiche est scandaleuse par sa brutalité tendancieuse et
par l'ignorance des problèmes de fond que montrent les auteurs.
Entendons-nous bien, je ne défends en aucune façon la pédophilie,
en témoignent les propos que j'ai pu soutenir à Bleuzy en
septembre 2001:
(« Le couple, institution
et/ou lieu de désir »).
Mais il me semble nécessaire de se poser quelques questions, si
l'on veut éviter aussi bien une fascination morbide pour un tel
sujet que des lynchages d'une autre époque...
Et d'abord, ce terme de « pédophilie » fait florès
depuis quelques années : c'est, à l'origine, avant sa médiatisation
et sa reprise juridique, un terme psychiatrique qui a permis, et permet
encore, de classer certaines déviances connues de tout temps. On
parlait de la même façon, il y a encore trente ans, de l'homosexualité
considérée alors comme une déviance de la sexualité
« normale », afin de la classer dans la nosographie psychiatrique
; et c'est sous l'influence de lobbies qu'elle a disparu du DSM3 (questionnaire
visant à faire un diagnostic médical pour proposer un traitement).
Rappelons qu'il y eut aussi, en URSS, des « schizo-déviants
», considérés comme fous car hors dogme...
Or sous cette appellation (du grec : qui aime l'enfant), on range des
faits radicalement différents en faisant un amalgame glauque et
redoutable... Certes, il est des pervers, des psychopathes -- bien individualisés
dans le registre psychiatrique -- dont la visée, au travers d'un
acte « sexuel », parfois redoublé par un inceste, reste
quasi toujours la destruction de l'autre, de son être, de ce qu'il
est en tant que « je ». Peuvent en témoigner les victimes
qui, tout au long de leur vie, en subiront les conséquences : parmi
celles-ci, amputation psychique de la vie sexuelle et amoureuse, abolition
du corps, impossibilité de penser dans certains champs psychiques,
enkystements intrapsychiques, etc., bien connus de ceux qui accueillent
ces « grands traumatisés ». Mais on appelle aussi pédophiles
-- souvent, scandale médiatique oblige -- des amours chastes ou
sublimées, socialisées, qui ne visent pas en tant que telle
la destruction de l'autre. Bien des pédagogues, des éducateurs,
des enseignants, des prêtres, etc., ont des tendances pédophiles
dans leur fond inconscient -- mais leurs pratiques restent dans les limites
morales fixées, hic et nunc, par une société donnée,
et, bien souvent, ils vivent ces tendances dans une grande souffrance.
N'oublions pas non plus les parties de touche-pipi entre enfants ou ados
qui ont pu être stigmatisées ici ou là comme actes
pédophiles.
C'est l'art et la manipulation des premiers -- les pervers -- de faire
l'amalgame des deux extrêmes afin de brouiller les choses et de
se disculper. Quand ils n'en appellent pas à Freud qui a parlé
des enfants en tant que pervers polymorphes... dans un contexte théorique
très précis : en aucun cas, « pervers » au sens
que j'ai rappelé. Tous les intermédiaires sont possibles
entre les meurtres de l'Yonne ou les viols de nourrissons, le voyeur de
cassettes et le jeu du docteur entre un ado et un autre plus jeune. Il
me semble impossible d'utiliser le même mot pour des choses aussi
différentes. Faut-il alors restreindre le sens du mot à
la perversion vraie, et en laisser alors l'usage aux juges et aux psychiatres
? S'il n'était déjà du domaine public, je serais
tenté de le croire...
Par ailleurs, pourquoi évoquer la prison comme si cela allait de
soi, tout en faisant appel à la médecine ? Il est exact
que certaines personnes reproduiront le geste qui les a fait condamner
le jour même de leur sortie, ce qui montre l'inanité de cette
solution pour protéger la société. Qu'il y ait sanction,
dans la mesure où un être, un enfant, a pu être détruit,
bien sûr -- et que la société mette en acte des moyens
pour empêcher des récidives, certes -- mais la prison change-t-elle
le fond des choses ? Être traité de « pointeur »
et en subir les conséquences dans les cellules, être exposé
à la vindicte d'un quartier, d'un pays, cela s'apparente-t-il à
la justice ou au lynchage ? Est-ce que cela a valeur de réparation
pour la victime ? Autant le jugement lui-même, sa mise en scène,
ses énoncés peuvent être l'amorce d'un douloureux
et difficile travail de reconstruction chez la victime -- et peut-être
aussi chez l'accusé, à moins qu'il ne soit pervers et que
tout ce procès n'accroisse sa jouissance --, autant la peine de
prison telle qu'elle se pratique actuellement semble peu pertinente et
inefficace. Il faut inventer d'autres façons de faire.
S'en remettre au médecin, comme le suggère l'affiche, c'est
au moins se voiler la face. Et, en cas de récidive, hautement probable
chez certains, qui accusera-t-on ? Or il ne faut pas se leurrer, un travail
thérapeutique peut permettre à certains de se mettre en
question et de changer réellement, mais cela ne ferait, chez d'autres,
que servir la perversion elle-même : chacun se donnera bonne conscience,
la peine sera réduite pour bonne conduite, la naïveté
des médecins fera jouir le pervers qui attendra patiemment sa sortie...
pour recommencer le soir-même. Même si sa première
visite est pour son médecin !
Que peut en effet la médecine dans ces cas de perversion vraie,
qui se rencontrent aussi chez les femmes ? On a pu proposer des castrations
chimiques ou chirurgicales, réclamées par certains pédophiles
eux-mêmes soumis à d'irréfragables poussées
dont ils ont très peur, mais il s'agirait là d'une politique
du pire. Alors, si la médecine (mais s'agit-il de « malades
» ? La sécurité sociale les prendrait-elle en charge
?), qui ne peut guère proposer que des psychothérapies analytiques
adaptées, peut d'une certaine façon « normaliser »
des personnes qui souffrent et demandent à changer, elle ne peut
quasiment rien faire pour les perversions, pas plus que la prison. Alors,
ne conviendrait-il pas de chercher d'autres solutions devant un problème
qui pour l'instant dépasse notre compréhension ? Si tout
ce qui concerne le corps, et plus encore la sexualité, a une dimension
politique, que pourrait proposer une éthique anarchiste devant
un tel problème ?
Philippe Garnier
Le lien d'origine
http://www.cybertaria.net/ml/article.php3?id_article=731
Le Monde Libertaire en ligne
http://www.cybertaria.net/ml/
|