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Réponse à l’INITIATIVE POUR LA TENUE DES ETATS – GENERAUX DU MOUVEMENT LIBERTAIRE
Etude sur : LES ANARCHISTES ET L’ORGANISATION.
MATEOS GEORGES –


MATEOS GEORGES – Réponse à l’INITIATIVE POUR LA TENUE DES ETATS – GENERAUX DU MOUVEMENT LIBERTAIRE.



Etude sur : LES ANARCHISTES ET L’ORGANISATION.
SOMMAIRE

Partie I : a - événements avant la 1ère guerre mondiale ;

b - analyse de J. Grave.

Partie II : a - événements entre les 2 guerres ;

b - analyses de R. Rocker ; de Archinov. Critique de Malatesta.

Partie III : a - événements de 1945 à 68 ;

b - analyse de M. Fayolle.

Partie IIII : a - événements de 1968 à 1980 ;

b - analyse de M. Joyeux.

Partie IV : analyse, événements contemporains, commentaires et illustration.

Sources : MAITRON, J : « Le Mouvement anarchiste en France ».

TI : p 111 à 121 ; 440 à 481.

Cf. p 116, les anars français et congrès internationaux : b, c, d ; p 118, d ; 119, a ; 120, b, c ;

Conclusion, p 121, d ; 122, a ; 123, a ;


I

I a - Résumé des événements : séparation des anarchistes du mouvement socialiste engagé dans la lutte électorale pour la conquête du pouvoir politique, en 1880, cf. Congrès du Havre et « programme minimum » ; scission confirmée en mai 1881 au congrès régional du centre à Paris tenu par les socialistes d’Etat. Les anars s’en retirent et tiennent un congrès parallèle, syndicaliste révolutionnaire (200 personnes), lequel privilégie « la propagande par le fait », se portant ainsi sur le terrain de l’illégalité.

Date de naissance du « parti » autonome anarchiste français : 22 mai 1881, Paris. Et le congrès international de Londres en juillet 1881 pour la reconstitution de l’A.I.T. confirme la propagande par le fait comme moyen d’action, ce qui conduit à l’autonomie absolue des groupes ! Du coup, par la suite, les anars français déclareront les congrès internationaux néfastes en ce qu’ils tracent une ligne de conduite unique et aliènent la liberté des fédérations nationales. L’application des principes d’autonomie et de libre initiative conduit à l’avortement du congrès de 1889, lors de l’exposition universelle de Paris, personne n’ayant prévu quoi que ce soit ! Donc, pas de bureau présidant les débats, pas de résolution, pas de votes, rien !

En 93, tout lien a disparu entre les groupes au plan national ; seules subsistent encore les fédés régionales de l’Est, Midi et Paris.

Conclusion : de 1882 à 94, en France, il n’y a ni parti anarchiste national, ni fédération régionale, restent quelques groupes locaux sans lien entre eux.

1892 – 1894 : clandestins ? Influence : 100000 ? Adhérents = 2500 + sympathisants = 10000 puis adh = 1000 + sympa = 5000.

Nota : p 137 , influence dans revues littéraire, artistique et sociale, ex. « Les entretiens politiques et littéraires ». « En dehors ». La presse , l’écrit, en l’absence de fédération joue un rôle capital d’agent de liaison et de coordination. Malgré les attentats de 1892, Maxi de tirage pour la presse libertaire = 1906 p 140.

1894 – 1914 : p 440, b ; 441, 442, a,b ; cf. Brochure Grave, Jean : “Organisation, initiative, cohésion », 1900.

(À voir fédéralisme de Rocker, R , synthésiste ou plate-formiste.)

Pelloutier, F (p 109) pour centralisation dans « Compte-rendu du 4ème Congrès des Bourses du Travail de 1895 » , Nîmes 1896. Cf. annexes p 112-113.

Conclusion : p 446, avec de pareils éléments on ne fait pas d’organisation anar. Cf. p 447, 448, bis en 1911 (FCA – Lecoin).

° * Mais revenir à 1881 (p 79), jusqu’en 1895 : maladie infantile de l’anarchisme, hostilité même au groupe !


Ib - Grave, J : Organisation, initiative, cohésion, 1902.
Rapport pour le congrès antiparlementaire international de Paris, 1900, interdit par le cabinet Millerand-Waldeck-Rousseau.

En Introduction, pose la question : « ainsi, parce que jusqu’ici on a essayé d’enrôler, de discipliner et de mener les individus en des systèmes hiérarchiques et centralisés que l’on décorait du nom d’organisation, nous avons vu parmi les anarchistes des camarades affirmer que, ne voulant plus d’autorité, ils ne voulaient plus d’organisation. »

Allusion aux individualistes, mais pas seulement :

« D’autres plus rationnels comprennent que dans la plupart des cas il est profitable d’associer ses efforts aux efforts d’autres camarades,... à condition de s’entendre au préalable avec ses coassociés pour bien déterminer l’action commune aussi bien que l’action de chacun pour une bonne coordination des efforts associés. Seulement, disent-ils, ce n’est pas de l’organisation, c’est de l’entente libre. » Reste encore que :

« D’autres camarades ont voulu réagir contre cet individualisme outré, tenter de réunir les efforts, se faisant les défenseurs de l’organisation, venant à chaque occasion propice présenter des systèmes de fédération qui n’avaient qu’un tort : d’être calqués sur les systèmes centralisateurs et autoritaires n’assurant la coordination des efforts qu’au détriment de l’esprit d’initiative. »

Quel est le vrai problème, selon Grave ?

On se plaint « que les anarchistes manquent de cohésion, qu’ils tiraillent un peu au hasard sans lien d’aucune sorte, perdant ainsi une partie de leur force faute de solidité pour donner plus de suite à leur action. »

Même si cela est vrai, cela n’est pas un si grand mal. « C’est la méthode des partis autoritaires de décréter l’entente en créant des organisations et des groupements qui avaient pour but d’assurer cette union et cette unité de but… Les anarchistes combattant cette façon de procéder, il était tout naturel qu’ils commençassent à lutter chacun de leur côté, l’entente et l’union ne pouvant découler que de la communauté de but et d’action.

Et il est faux de dire qu’il n’y a pas de relation entre les groupes ou les individus, mais il conviendrait plutôt de dire qu’ils manquent de coordination, de continuité et de généralisation. C’est à cela qu’il faut travailler.

Il est faux de pleurer sur la disparition du mouvement anarchiste, car l’on se rend peu compte combien les idées progressent lentement et l’on s’attend à des résultats immédiats de la propagande ou à des effets instantanés après communication d’un programme, alors que : « s’ils regardaient autour d’eux ces camarades verraient le travail de désorganisation, lent mais sûr de l’état social. Ils verraient l’idée sourdre de toutes parts : en science, en art, en littérature, dans toutes les branches de l’activité humaine. Ajoutons l’acceptation par beaucoup de la légitimité de nos revendications, et la reconnaissance de la besogne de démolition faite à propos de l’affaire Dreyfus.

Il ne faut pas croire pour autant que les événements prennent forcément la direction que nous croyons pouvoir leur imprimer, ce qui n’enlève en rien la nécessité de se faire une idée nette de ce qu’on veut et d’agir dans ce sens. S’ils s’étaient centralisés ou fédéralisés au début de leur propagande les anarchistes auraient perdu en initiative et en autonomie ce qu’ils auraient pu gagner en unité. » Sous la réserve que l’esprit d’initiative appartenait à un trop petit nombre d’individualités. L’initiative sera-t-elle suscitée parce qu’on aura chargé un groupe de l’organiser ? Si les anarchistes n’ont pas cru bon de s’unir et de créer entre eux un lien de solides relations, c’est qu’ils n’en ont pas senti le besoin ou qu’ils ont manqué de la conviction nécessaire pour le faire. Exemples à l’appui de ceci le bureau de correspondance créé au congrès de Londres en 1881, ou plus tard en Italie. Echec du au fait de vouloir commencer par le sommet au lieu de partir de la base, à la confusion entre cohésion et unification. [Cohésion = ensemble des forces de liaison qui maintiennent associés les éléments d’un même corps. Union = solidarité entre membres d’un groupe. ]

Donc des groupes eux-mêmes doit sortir la fédération anarchiste.

Or qu’est-ce que l’anarchisme ? « Un courant d’idées qui a quelques lignes générales nettement définies quant au but et dont par contre les façons d’en concevoir la réalisation sont multiples », ce qui entraîne la divergence, c’est-à-dire le double refus de l’unification et de s’associer à la même oeuvre.

Comment faire un organe officiel chargé de représenter et d’exprimer les idées du « parti » alors que les anarchistes ne sont et ne peuvent être d’accord sur toutes les questions ? Par exemple : nous sommes tous d’accord qu’il faut lutter contre la propriété, oui mais par quels moyens ? Nous sommes tous d’accord qu’il faut lutter contre le patronat, mais seuls quelques-uns uns choisissent les syndicats comme moyens ; Nous voulons tous l’affranchissement le plus complet de l’individu, sa liberté d’action la plus absolue, mais comment, dans quelles conditions s’opérera cette émancipation ?

En conclusion, « nous n’avons nullement la prétention de représenter toute l’anarchie, ceux qui pensent que nous faisons de la bonne besogne nous aident, ceux qui n’en sont pas satisfaits ne nous aident pas, cela va de soi. Chacun porte ses efforts vers ce qui répond à sa propre façon de voir, c’est conforme à l’idée que nous nous faisons de l’initiative... Une unité de vue est irréalisable; ensuite elle serait funeste parce que ce serait l’immobilité.

C’est parce que nous ne sommes pas d’accord sur certaines idées que nous les discutons et, qu’en les discutant, nous en découvrons d’autres que nous ne soupçonnions pas. Il faut une grande divergence d’idées, de vues, d’aptitudes, pour organiser un état social harmonique.

La véritable initiative anarchiste est donc d’avoir une ligne de conduite nette et définie et de ne pas s’en laisser dévoyer, mais aussi de laisser aux idées la chance de se développer, « tandis que ce serait un moyen sûr d’en étouffer en essayant de canaliser le mouvement. » « Nous avons aboli, pour nous, la délégation aux parlements ; une bonne fois pour toutes, mettons-nous dans l’idée que si, en certains cas bien spécifiés, un mandataire peut nous remplacer avantageusement, il n’en est pas de même s’il s’agit de questions générales. »

Ce qui manque aux anarchistes, c’est bien le sentiment de l’utilité des relations directes entre eux et c’est ce que nous devons leur faire comprendre, le meilleur moyen étant de prêcher d’exemple, à savoir que ceux qui ont compris cette utilité s’associent entre eux pour former le premier noyau auquel viendront s’ajouter ceux qui en comprendraient l’utilité par la suite.

Mais quelles limites à cela ?

Danger du groupe central au point de vue de la police [ allusion claire aux persécutions dues aux attentats des années 1892 – 94] et au point de vue de la centralisation des échanges de correspondance et des adresses. Si les organisations centrales ont leur utilité dans les partis autoritaires, lesquels ayant un programme unique, discuté ou accepté point par point, duquel il n’y a pas à s’écarter jusqu’à ce que les individualités sentant que leur initiative est tuée croient se libérer en changeant les dirigeants, nous autres qui avons commencé à nous débarrasser des individualités directrices ne tombons pas dans de semblables travers.

« Unissons-nous, solidarisons-nous, coordonnons nos efforts, mais en les formes nouvelles qu’exige notre nouvelle conception des relations interindividuelles. »

Pour réveiller l’esprit d’initiative ce qu’il faudrait c’est donner aux groupes une direction, c'est-à-dire trouver des motifs de groupement assez puissants pour qu’ils se maintiennent par l’action et ne disparaissent pas faute de savoir quoi faire.

D’où la question : de quelle façon détruire ce que nous ne voulons plus ? Et réaliser ce que nous voulons ?

Les limites de cela tiennent au fait de se restreindre à l’activité de propagande générale ou bien à l’impatience qui fait s’attaquer aux choses immédiatement réalisables et désirer obtenir des résultats immédiats.

« Et comme il existe peu de points de notre idéal qui soient réalisables immédiatement dans l’état social actuel, les chances d’agir et de se grouper se trouvent d’autant plus réduites. »

Limites aussi de notre solidarité face aux répressions de toute sorte, solidarité pour encourager les révoltes, du fait de notre manque de moyens, mais ce pourrait être la tache spécifique d’un groupe.

Il reste toutefois beaucoup à faire en commun :

- Idée de la grève générale à faire pénétrer partout aux moyens de conférences, brochures, manifestes ;

- actions contre la guerre et anti-militariste, y compris en aidant à trouver du travail les insoumis et déserteurs ;

- actions dans les campagnes ;

- journée de travail de 8 heures, idée à réaliser avec des travailleurs car ayant des chances de les grouper ;

- éducation des enfants dont l’Etat a gardé le monopole et auquel nous pourrions enlever l’éducation des nôtres ;

- Association d’individus organisant entre eux une entente économique pour se procurer les facilités de la vie en abolissant entre eux toute valeur d’échange.

Pourquoi réclamer de l’initiative alors que c’est ce qui existe le moins parmi nous, ajoutez le désir de transformer l’état social d’un bloc « et voilà pourquoi nous n’avons jusqu’à présent fait que discuter et rien essayé encore pour préparer cette transformation. »

D’où la nécessité, quand nous croyons à la réalisation de quelque chose, de faire appel à ceux qui le sentent ; d’où la nécessité pour se procurer des ressources pécuniaires de s’astreindre à la cotisation régulière.

Qu’est-ce que la propagande ? Une lutte contre l’état social actuel ! Et « lorsqu’on dit que l’émancipation des travailleurs ne sera l’œuvre que des travailleurs eux-mêmes, il ne faut pas sous-entendre l’œuvre d’une entité qui surgira d’on ne sait où, mais bien la besogne de chaque travailleur qui se mettra à l’œuvre lui-même, associant son action à celle d’autres travailleurs... L’œuvre des collectivités n’est que la somme des efforts des unités qui les composent, lesquelles sont impuissantes si ceux qui les composent ne savent pas agir eux-mêmes et y consacrer les efforts nécessaires à la réussite. »

Urgence donc d’établir le plus de relations spontanées, directes entre groupes et individus, mais également pour nous préparer à la vie de la société future. Du jour où nous serons habitués, nous aurons « une organisation nouvelle prête à se substituer à celle que nous aurons renversée. »

° * °

II Voyons maintenant quelques années plus tard, suite au double effondrement de la 1ère guerre mondiale et du tsarisme en Russie, les analyses que vont apporter Rocker en Allemagne et Archinov – Makhno en Russie. Plus particulièrement, en France, quels sont les effets des bouleversements majeurs dont nous venons de parler sur le petit monde anarchiste.

II a - Résumé des événements d’entre les 2 guerres mondiales :

1913 : enfin, sous impulsion des fédés régionales et journaux ? FCAR avec points d’accord, Manifeste de S. Faure, fondation d’unions régionales (1530 adhérents.)

1ère Guerre Mondiale : division entre « anars de gouvernement » et « résistants à l’Union Sacrée ». Bataille entre Grave et Faure, Mauricius avec CQFD (20000 ex) et intervention de Malatesta dans Freedom.

Répression par Clémenceau, en 17, échec du pacifisme. Rupture entre proches de la Commune de Paris et 1ère Internationale et jeunes ou individualistes sur l’attitude face à la guerre.

T II Le mouvement anarchiste en France – J. M. Division persistante jusqu’à la Guerre d’Espagne (sans oublier la défaite de Russie) entre SIA et Comité A S pour Défense et Libération du peuple espagnol. (J Grave).

Erreur historique de CNT supprimant (10-36) le Comité Central des Milices Antifascistes ?

U.A. + CNT F.A.F + CGTSR critiquant la position pro gouvernementale

– Prudhommeaux & Voline

« Le Libertaire » « L’Espagne nouvelle »

donc inversion / guerre de 14 cf. p 35 a.

Regroupement : changement en 38 – 39 avec le Comité de Liaison contre la Guerre et l’Union Sacrée. Or en

1920 : UA sur base fédéraliste et autonomie du groupe. Cf. p 81, toujours l’autonomie absolue de l’individu ! Lecoin : « organisons – nous ! » Bastien en 1925.

1927 – 28 : suite à défaite en Russie – Voline contre Makhno & Archinov + Plate-forme –partisans organisation structurée) voir Skirda, A « Autonomie individuelle et Force collective »

– Intervention de Malatesta* (p 83) voir « Articles politiques » 10-18 p 104 - et Synthèse de S. Faure dans « le Manifeste ».

3 courants : majorité – minorité – scissionnistes.

Majorité : responsabilité individuelle et collective ; l’organisation devient responsable de l’activité politique et sociale des adhérents, les adhérents étant responsables de l’activité économique et sociale de l’organisation ? UACR avec statuts, cartes d’adhésion et cotisations obligatoires. Unité tactique et idéologique, sans révision des conceptions traditionnelles anarchistes ; organisation centralisée, adhésion par groupe ou fédération régionale qui perçoivent les cotisations ; Commission Administrative (2 membres par Fédé) qui nomme un Bureau de 2 secrétaires + 1 trésorier non rééligibles, dirige l’Union entre les Congrès ; Décisions prises à la majorité dont la remise en cause peut se faire 3 mois avant le congrès.

Minorité : pas d’accord sur l’organisation« violant » les grands principes anars, mais restent pour défendre leur position.

Scission : Faure , la Synthèse ? A.F.A.

1930 : p 86, phase de régression, statuts annulés, autonomie du groupe.

2 tendances : - synthésites (Lecoin) et – unionistes (Faucier, Bastien)

Majorité : pour « le Manifeste » de S. Faure ? fin de la période plate-formiste.

Est-ce à dire qu’enfin l’équilibre est trouvé dans « la grande Famille » ?

Que non ! (p 87) 3 scissions – 1931 : Fédé du Languedoc, réintégrée en 33.

Puis à cause fascisme, 1934 : Congrès de l’unité, Paris ; satisfaction pour plus d’autonomie, retour de S. Faure au « Libertaire » et abandon des méthodes révolutionnaires et du communisme obligatoire, d’où cartes adhérents facultatives, etc. ? scission de FCL pour une homogénéité tactique et organisationnelle, sera réintégrée en 36 comme tendance à l’intérieur de U. A. Et du coup, toujours en 36, Toulouse, scission des individualistes de la FAF (500) reprochant à U.A. (2000 plate-formistes) : - centralisme, - concessions à la gauche politique et syndicale, - actes / guerre d’Espagne, la FAF étant contre la participation gouvernementale de FAI – CNT et la primauté donnée à l’anti-fascisme et la militarisation, mais bien pour la révolution sociale cf. « Terre libre » (37) Voline & Prudhommeaux.

Situation dure jusqu’à 40 ; temps des « petites familles », avec E. Armand et les individualistes stricts dans « En Dehors » ; anciens de l’Union sacrée in « Temps Nouveaux », puis « Plus Loin » du Dr Pierrot et son groupe de recherches.

II b - Rocker, R :(Anarchisme et Organisation), 1919 : en Introduction note différents points de vue sur la question relevant des circonstances spécifiques à l’Allemagne.

- a) une partie refuse toute organisation à ligne directrice par principe de fidélité aux idées ;

- b) une autre partie reconnaît nécessité de petits groupes en refusant la liaison entre eux, risque de limitation (ou pire de mise en tutelle) de la liberté individuelle.

Conclusion : conceptions erronées dues à totale incompréhension de la question et méconnaissance de ce qu’est l’anarchisme, avant tout théorie sociale. La société est la forme première de toute organisation humaine, même si les formes de la vie en commun ne sont pas resté identiques à travers l’histoire ; et délier l’homme de ses innombrables rapports au monde c’est tourner en rond dans le cercle magique des représentations abstraites.

Tous les grands fondateurs (Proudhon, Bakounine, Kropotkine) ont souligné la base sociale de la doctrine et s’ils ont combattu l’Etat c’est bien en tant que destructeur de toute organisation naturelle et ennemi de tous rapports directs entre les hommes, en tant qu’instrument de coercition aux mains de minorités privilégiées de la société.

C’est pourquoi l’anarchisme est l’éternel adversaire de tous les monopoles (économiques, politiques et sociaux) dont l’Etat est le protecteur, mais n’a jamais été l’ennemi de toute organisation, au contraire l’anarchie étant définie comme état social dans lequel les désirs et les besoins individuels des hommes naissent de leurs sentiments sociaux, des libres accords entre égaux (et non des lois contraignantes) fixant la base morale et matérielle de leur organisation. Il s’agit donc d’une idée de ré-organisation sociale de l’humanité (ou de retour à la forme naturelle) qui est formulée par ces fondateurs, un « ordre sans fonctionnaires, unité professionnelle et intellectuelle » d’après Proudhon. Pour eux la justice sociale trouve son expression la plus achevée dans le désir permanent de liberté personnelle et d’égalité économique ressenti par l’homme. S’appuyer sur Stirner pour nier ce profond apparentement social, et même socialiste, de la doctrine c’est oublier que l’œuvre du philosophe n’eût pas la moindre influence sur la naissance et le développement du mouvement anarchiste proprement dit. D’ailleurs rappelons que le terme anarchistes ne s’est imposé qu’après la dénomination de « socialistes révolutionnaires ou socialistes anti-autoritaires » (par opposition aux socialistes d’Etat.) En revanche, ce qui est combattu c’est bien la forme d’organisation centraliste copiée sur celle de l’Eglise et de l’Etat ; forme à laquelle on oppose la solution rassemblant les forces, sans coercition, du fédéralisme. Et c’est pourquoi Proudhon encouragea par tous les moyens les coopératives en milieu ouvrier ; et son projet de Banque du Peuple n’est-il pas une entreprise organisationnelle de grand style ? Sans parler de ses innombrables exposés sur la nature et le but des structures organisationnelles. C’est pourquoi ces disciples (en majorité dans les pays latins) furent parmi les premiers qui créèrent la 1ère Internationale, en partisans convaincus de l’organisation. Et que sont les tentatives ininterrompues de Bakounine, sinon de rassembler les éléments révolutionnaires et libertaires pour les pousser à l’action, donnant toutefois le primat aux fédérations économiques en opposition à tous les partis politiques. D’ailleurs dans sa lettre d’adieu à la Fédération jurassienne (1873), testament à ses amis et compagnons de lutte, ne dit-il pas : « le temps n’est plus aux idées, mais aux faits et aux actes. L’essentiel aujourd’hui, c’est l’organisation des forces du prolétariat. Mais cette organisation doit être l’œuvre du prolétariat lui-même. » Il déclarera aussi, sous l’impression toute récente de la Commune de Paris : « quelle que soit mon hostilité à ce qu’on appelle en France la discipline, je reconnais cependant qu’une certaine discipline, non pas automatique mais librement consentie, est et sera toujours nécessaire, là où des hommes librement réunis entreprendront un travail commun ou voudront mettre en train une action commune. Une telle discipline n’est autre chose que l’accord volontaire et issu d’une mûre réflexion de tous les efforts individuels pour la poursuite d’un but commun. »

Ce sont les circonstances qui modifièrent ce fédéralisme dans le mouvement ouvrier, à savoir la défaite de la Commune et la guerre franco-allemande et la répression politique réactionnaire qui s’ensuivit surtout dans les pays latins força l’anarchisme à se limiter à l’organisation secrète, seul moyen pour ne pas disparaître.

Ce fait nouveau se prolongeant ne fut pas sans influer sur la psychologie du mouvement qui en perdit la mémoire des origines, et qui dans son isolement forcé ne vit pas que seul le large contact avec les masses populaires pouvait rendre son efficacité féconde, en maintenir la vigueur et en assurer la continuité.

En effet, les transformations sociales présupposent toujours la propagande la plus large dans les masses dont l’idée du changement doit s’emparer d’elles avant qu’elles ne puissent être mises en mouvement. Or une organisation clandestine ne sera jamais capable de préparer efficacement ou même d’initier cette transformation sociale, comme cela s’est produit pour les organisations secrètes des anciens révolutionnaires russes. De plus, la lutte incessante contre les organes de surveillance de l’Etat conduit les conspirateurs à de permanentes mesures de prudence donc à une très grande dépense d’énergie et, à la longue, à une méfiance carrément maladive qui obligent le mouvement à placer l’efficacité destructrice au premier plan de ses activités.

Ainsi, le sens d’une plus grande activité organisatrice parmi les masses destinée à y faire pénétrer les idées nouvelles, afin d’être à son tour enrichi par leur vie pratique, se perd peu à peu complètement.

Par contre les anarchistes de cette période en vinrent à attribuer une signification exagérée aux actes révolutionnaires isolés, beaucoup allèrent jusqu’à voir dans ce qu’ils appelaient « la propagande par le fait » l’activité essentielle du mouvement. Or de tels actes n’ont en eux-mêmes rien de commun avec l’anarchisme.

Bien qu’il n’ait jamais été très fort, le mouvement eut partout à combattre d’immenses difficultés, puisqu’il dut subir non seulement toutes les persécutions gouvernementales mais encore les attaques les plus haineuses et les plus démesurées des chefs sociaux-démocrates (cf. Liebknecht & Reinsdorf.) Cette situation change à partir des années 1890 suite à l’abrogation des lois répressives et au congrès d’Erfurt où les sociaux – démocrates excluent leur propre opposition de gauche (die jungen), dont une partie se regroupe un moment autour de G. Landauer et se déclare ensuite pour l’anarchisme.

Mais le regroupement dans une seule organisation des différents groupes anarchistes ne fut pas possible car il manquait à la majorité de ses partisans la maturité intellectuelle pour tester toutes les idées nouvelles qui produisaient un trouble dans les esprits.

Les dissensions internes firent trembler pendant des années le jeune mouvement car 99% des anarchistes allemands de l’époque n’avaient pas la moindre idée des mouvements anarchistes précurseurs et de leurs aspirations et lorsque, en 1891, parut le roman célèbre de J.H. Mackay, les Anarchistes, des débats interminables s’ensuivirent sur la question : anarchisme individuel ou anarchisme communiste ?

Une nouvelle édition de l’Unique et la Propriété de Stirner fut pour beaucoup une véritable révélation, une sorte de vérité première qui ne pouvait plus être dépassée. Il semble que la tragédie de tous les grands esprits, ou peut-être de l’esprit en général, c’est que les cerveaux les plus vides et les bavards les plus superficiels se sentent appelés à se prendre pour leurs apôtres. Ce fut, en large part, le cas pour Stirner et Nietzsche et cela ne les a pas servi. C’est ainsi que des petits messieurs combattirent par principe toute activité organisée et regardèrent avec un souverain mépris le « grand troupeau ». D’autres ouvrages eurent une influence, tels Le socialisme libertaire contre l’esclavagisme étatique marxiste de B. Friedländer ou l’œuvre d’E. Dühring. La rédaction du Socialiste, qui avait trouvé en Gustav Landauer un brillant représentant, se donna un mal fou pour clarifier et rassembler le mouvement ; mais ce n’était pas un mince travail et, de plus, il fut rendu plus difficile par les incessantes persécutions et tracasseries policières que subit le mouvement consécutivement aux attentats de Ravachol, Vaillant, Henri et d’autres en Espagne. (17 rédacteurs du Socialiste furent inculpés et plusieurs durent fuir à l’étranger avant d’être condamnés.) La reparution du journal après 7 mois d’interruption, à Berlin, se fit avec une nouvelle façon d’écrire, laquelle ne correspondait pas aux besoins des travailleurs anarchistes qui n’étaient en grande partie pas assez éduqués pour suivre le déroulement des pensées des intellectuels. Une partie des ouvriers anarchistes sentait instinctivement que la position que le Socialiste avait prise s’éloignait de plus en plus de la classe ouvrière car une fraction significative de ses collaborateurs s’était perdue dans des discours totalement étrangers à la réalité de la vie et de ses luttes quotidiennes. On sentait comment le contact intense avec le mouvement ouvrier échouait généralement et on ressentait un malaise qui ne pouvait que porter préjudice à l’évolution ultérieure du mouvement.

Mais une clarification eut lieu dans les rangs des anarchistes allemands, particulièrement et fortement influencés par les événements qui ont touché le mouvement à l’étranger à cette époque. En France le jeune mouvement syndicaliste-révolutionnaire se développa avec une rapidité surprenante. L’idée d’un mouvement de masse révolutionnaire s’était fortement développée après avoir été au plus bas pendant si longtemps pendant les « lois d’exception ». La grande idée de la grève générale commença à gagner les masses dans les pays latins et sous l’influence directe des violentes luttes ouvrières qui firent trembler dans les premières années du siècle l’Espagne, l’Italie, la France, la Suisse francophone, les Pays-bas, la Hongrie et d’autres pays.

Le mouvement anarchiste entra lui aussi dans une nouvelle phase de son évolution qui le rapprocha de ses précurseurs les plus anciens. Mais, au moment même où l’on se plaçait sur le terrain du mouvement de masse révolutionnaire, la question de l’organisation revint au premier plan. Lorsqu’en 1904 la conférence de Mannheim de l’A.F.D. (Fédération Anarchiste d’Allemagne) eut défini puis adopté certaines directives allant en ce sens, les décisions, comme on pouvait s’y attendre, suscitèrent de nombreuses protestations à l’intérieur du mouvement anarchiste d’Allemagne où naturellement le vieux précepte de « l’autonomie inconditionnelle de l’individu souverain » ne jouait pas un rôle négligeable. Les mêmes phénomènes se passèrent presque partout sous une forme plus ou moins semblable. Christian Cornellisen a décrit de manière perspicace cette situation dans son étude intéressante « Sur l’évolution de l’anarchisme » : « Dans différents pays modernes l’anarchisme s’est pratiquement frayé la voie au sein des associations ouvrières en tant qu’opposition à la social-démocratie centralisée et disciplinée. Et cette opposition, comme c’est d’ailleurs le cas pour tous les mouvements d’opposition, est tombée très facilement dans l’extrême inverse. À côté de l’influence des éléments artistiques et littéraires, cela a beaucoup prêté un certain soutien à l’individualisme en tant qu’enseignement et a même, ici et là, introduit la désorganisation dans le mouvement. Particulièrement au début des années 90, à l’époque où la soi-disant action individuelle conduisit en France à différents attentats à la bombe, de même qu’en Italie, Allemagne, Pays-Bas, Bohême, etc. , La critique individualiste a attaqué tout d’abord la forme d’organisation puis l’organisation en tant que telle. L’esprit individualiste de la désorganisation s’exprima dès le départ dans les syndicats quand vint à l’ordre du jour la question de savoir si toute règle syndicale, tout bureau n’amenait pas en lui le germe d’une nouvelle domination. Peu satisfaits de critiquer les malentendus de l’organisation et d’utiliser tous les moyens pour empêcher que les membres des bureaux prennent trop de pouvoir entre leurs mains, eux qui n’étaient en principe que les mandataires des membres, les individualistes commencèrent à combattre l’organisation elle-même, rêvant toujours à de nouveaux tyrans là même où il s’agissait du règlement d’affaires syndicales les plus élémentaires.

Là aussi, des phrases comme « la tyrannie de la majorité sur la minorité » et « la soumission de la liberté individuelle » furent utilisées de manière répétitive. Pourtant la critique individualiste négligea aussi le danger pour l’organisation ouvrière de l’absence de toute réglementation ; l’autorité personnelle et même la dictature d’individus puissants peuvent s’y effectuer justement beaucoup plus facilement que dans les vieux syndicats que l’on avait attaqués. Ce n’est que quelques années plus tard que l’on discutera dans les différents pays des problèmes suivants : dans le groupe révolutionnaire n’est-ce pas une atteinte grave à la liberté de l’individu que de se mettre d’accord pour prendre une décision en utilisant la procédure du vote ? Est-il permis d’amener les membres de ces groupes à régler régulièrement leurs cotisations à la caisse du groupe ? A-t-on le droit d’élire un président dans les groupes qui regarde qui demande la parole ou un secrétaire et plus particulièrement un caissier est-il responsable devant la totalité des membres ? On ne croira pas que cela ait été exagéré, il s’agit là de phénomènes qui eurent bien lieu à l’échelle internationale ». J’ai cité longuement Cornelissen parce qu’il a mis le doigt, par ses descriptions, sur le point sensible et parce qu’il a vécu lui-même ces choses de la même manière que moi. D’ailleurs l’esprit de cette époque n’a pas disparu tout à fait du mouvement anarchiste d’Allemagne et hante encore la tête des gens qui se laissent griser par des phrases creuses et auxquelles il n’a pas été donné d’entrer dans l’essence des concepts...

Mais dès que le mouvement anarchiste se plaça au niveau des actions de masse, comme ses grands devanciers de l’Internationale, la question de l’organisation revint au premier plan, ce qui conduisit à la convocation du Congrès anarchiste international d’Amsterdam et à la création de l’Internationale anarchiste (1907). A cette occasion, Errico Malatesta prit parti : « Gardons-nous de la conception erronée que l’absence d’organisation soit une garantie de liberté. Les faits les plus crus nous montrent le contraire... On parle beaucoup d’autorité et d’autoritarisme. Tout d’abord, mettons les choses au clair une fois pour toutes ( ?) sur ce que cela signifie. Il ne fait pas de doute que nous sommes tous du plus profond de notre cœur, et que nous le serons toujours, contre l’autorité représentée par l’Etat qui ne poursuit comme objectif que celui de maintenir l’esclavage économique pour le profit de la société. Mais pas un anarchiste ne refusera de respecter une autorité purement morale qui ne doit son origine qu’à l’expérience, l’intelligence et le talent. C’est une grosse erreur d’accuser les fédéralistes, partisans de l’organisation, d’autoritarisme et c’est aussi une grosse erreur de croire que les adversaires de l’organisation, les individualistes, seraient condamnés volontairement à l’isolement total. Je pense que le débat entre individualistes et fédéralistes tourne simplement autour de mots vides de sens qui ne peuvent pas tenir devant les faits. En Italie, il arrive souvent que les individualistes soient plus organisés que de nombreux partisans de l’organisation qui en affirment la nécessité mais qui ne la mettent jamais en pratique. On trouve aussi bien à l’intérieur de ces groupes qui parlent bruyamment de la liberté de l’individu beaucoup plus de véritable autoritarisme que dans les groupes que l’on décrit habituellement comme autoritaires parce qu’ils ont un bureau et prennent des décisions. Assez de mots creux, tournons-nous vers l’action ! Les mots divisent, l’action unit. Il est temps que nous rassemblions organisationnellement nos forces pour pouvoir avoir une influence réelle sur les événements sociaux ».

Le 2ème congrès de l’Internationale anarchiste qui devait siéger à Londres en 1914 en fut empêché par le déclenchement de la guerre mondiale.

L’enjeu de l’Organisation en 1919. La première partie d’une catastrophe gigantesque est désormais derrière nous ; ce que la seconde nous réserve n’est pas encore prévu et on ne peut l’entrevoir que sous les jours les plus sombres. Le mouvement anarchiste de tous les pays a été plongé durement dans la douleur de la guerre et on comprend que les camarades des différents pays devaient faire les plus grands efforts pour rassembler les forces éparpillées et recommencer à agir.

On comprend aujourd’hui partout que le mouvement anarchiste a besoin d’une base organisée s’il doit être présent dans les grandes luttes qui s’annoncent, s’il veut durer et pour que les socialistes d’Etat de l’une ou l’autre tendance ne soient pas les héritiers hilares de notre activité et de notre sacrifice. La Russie nous a donné sur ce point un exemple mémorable. Le mouvement anarchiste, malgré l’énorme influence dont il disposait parmi le peuple et malgré le sacrifice énorme que ses membres ont fait à la cause de la révolution, a été victime de ses propres dissensions internes et de son manque d’organisation. Il a aidé le bolchevisme à obtenir le pouvoir qu’aujourd’hui même nos camarades connaissent dans toute son amertume. Et ce sera partout la même chose aussi longtemps que nous ne réussirons pas à nous unir sur des directives déterminées et à rassembler nos forces organisationnellement. [Après un bilan positif sur les activités en France, Italie, Espagne, Portugal et Afrique du Sud, Rocker en revient à l’Allemagne.]

Enfin l’anarchisme a, depuis la révolution, des bases solides grâce à l’évolution puissante du mouvement anarcho-syndicaliste qui rassemble tous les éléments d’un mouvement ouvrier anarchiste. A mon avis, ceci est le phénomène le plus significatif de l’anarchisme en Allemagne et qui n’est pas assez bien évalué par une partie des camarades allemands qui, par principe, se trouvent sur le terrain de l’organisation et du mouvement ouvrier. Celui qui s’applique à estimer toute la portée de cette évolution doit aussi comprendre que justement les camarades qui ne sont plus des novices dans ce mouvement doivent prendre un intérêt tout particulier à donner leurs meilleures forces pour renforcer ce mouvement, car un lent éclatement de celui-ci comme on peut l’observer aujourd’hui dans la majorité des organisations de gauche serait au même moment l’écroulement du mouvement anarchiste qui ne s’en remettrait pas de sitôt.

Que l’on ne se méprenne pas ! Si nous avons tant insisté sur l’organisation ce n’est pas pour affirmer qu’il s’agirait là de la médicamentation valable pour tous les maux. Nous savons fort bien que c’est en premier lieu l’esprit qui anime et inspire un mouvement. Si cet esprit n’est pas présent, aucune organisation n’y aide. On ne peut faire vivre les morts en les organisant. Ce que nous affirmons c’est que là où l’esprit existe réellement et là où les forces nécessaires sont présentes, un rassemblement organisationnel des forces sur une base fédéraliste est le meilleur moyen pour atteindre les plus grands résultats. A l’intérieur de l’organisation il y a un espace pour cette force. Justement cette activité collective étroite des individus pour une cause commune est un moyen puissant pour hausser la puissance sociale et la conscience de la solidarité parmi les membres pris un à un. Il est donc alors absolument faux d’affirmer que dans l’organisation le sentiment de la personnalité et de l’individualité devraient se consumer. Plus un homme est lié étroitement à d’autres êtres humains, plus il ressent profondément ses joies et ses douleurs et plus sa personnalité sensitive est riche et plus son individualité est grande. Oui, on peut dire tranquillement que la personnalité sensible de l’homme est le produit direct de sa sensibilité sociale. Aussi, pour ces raisons, l’anarchisme n’est-il pas l’adversaire de l’organisation mais son partisan le plus chaud, étant admis qu’il s’agit de l’organisation naturelle du bas vers le haut qui s’exprime par l’activité commune et fédérative des forces et qui naît des relations sociales des êtres humains.

Et c’est pour la même raison qu’il combat toute compartimentation de cette activité commune qui soit imposée d’en haut parce qu’elle détruit les relations humaines entre les hommes, base de toute véritable organisation, et qu’elle fait alors de l’individu une part automatique d’une grande machine mise en marche par certains principes et travaillant à certains intérêts particuliers. Et justement à notre époque accoucheuse d’orages cette nécessité est devenue plus urgente que jamais. Les contradictions sociales se révèlent de plus en plus aiguës dans tous les pays. Et d’énormes masses dans la classe ouvrière aujourd’hui encore s’illusionnent sur la capacité du prolétariat à conquérir la puissance étatique afin de régler le problème social. D’ailleurs le terrible écroulement à l’Est pourrait guérir la majeure partie d’entre elles de cette croyance. Il est insensé de penser que le socialisme d’Etat a perdu sa puissance secrète sur les masses, c’est le contraire. Et c’est pour cela que, plus que jamais, il est nécessaire d’opposer l’idéal de liberté à l’esprit de l’esclavage général, aux tyrans, à tous les serviteurs du pouvoir et de la propriété, quels que soient les masques derrière lesquels ils se cachent. Le sort de notre avenir prochain se trouve dans la balance de l’histoire.

Aussi faut-il rassembler en une large alliance toutes les forces afin d’ouvrir les portes d’un avenir libre.

II – b : - 1926 Russie Plate-forme organisationnelle du diélo trouda (Makno, Archinov°).

Le contexte, in Skirda, A « Autonomie individuelle et Force collective » p 161. Le texte lui-même, p 253 à 282.

Malatesta : « Anarchie et organisation » 1927 – 28 – Source « Articles politiques » Ed 10-18, p 104 – Réponse à projet de l’Union générale des Anarchistes du groupe d’anarchistes russes à l’étranger. Examen selon 2 critères : - projet en harmonie avec les principes anars ; - si sa réalisation servirait vraiment la cause de l’anarchisme . Les mobiles des promoteurs de la plate-forme sont excellents : anars n’ont pas sur les événements de politique sociale une influence proportionnée à valeur théorique et pratique de leur doctrine, non plus qu’à leur nombre ( ?) courage et esprit de sacrifice ; cet insuccès relatif venant principalement du manque d’une organisation vaste, sérieuse, effective.

Mais qu’est-ce que l’organisation ?

La pratique de la coopération et de la solidarité ; la condition nécessaire, naturelle, de la vie sociale ; un fait inéluctable s’imposant à tous, y compris dans la société humaine où les gens se groupent pour un but commun à atteindre.

L’homme ne peut devenir lui-même, ni combler ses besoins matériels et moraux s’il était isolé ; donc tous ceux qui ne s’organisent pas librement subissent l’organisation établie par d’autres dans un certain but : l’oppression de masses par une minorité de privilégiés, laquelle a pour conséquence l’incapacité des individus à s’accorder (pour leurs intérêts, sentiments, défense).

D’où la solution de l’Anarchie : un principe fondamental d’organisation libre, créée et maintenue par libre volonté des associés, sans qu’aucun individu n’ait le droit d’imposer aux autres sa volonté. Polémiques : il y a des anarchistes (les individualistes) réfractaires à toute organisation, mais les discussions portent en fait sur le mode d’organisation plutôt que sur le principe. Notre problème : notre mouvement devançant le temps, il est en butte à l’incompréhension, l’indifférence voire l’hostilité du plus grand nombre. L’organisation plus constante serait un facteur de force et de succès, un moyen puissant de faire valoir nos idées. Mais où donc exercer la force de cette organisation ? Sur les travailleurs pour leur prise de conscience et leur émancipation, d’où l’utilité du mouvement syndical en tant que facteur coopératif avec d’autres forces de progrès en vue de réaliser la révolution sociale pour supprimer les classes, pour l’égalité et la solidarité entre tous, la paix et la liberté.

On voit donc l’utilité et l’importance d’hommes d’idées qui luttent pour leur idéal, regroupés dans ou hors les syndicats, sinon le mouvement ouvrier, fondé sur ses intérêts matériels immédiats, va s’enliser dans un esprit conservateur...

Ainsi la constitution et le fonctionnement anarchiste doivent être en harmonie avec le but poursuivi, c’est-à-dire :

- ne pas être imprégné de l’esprit autoritaire ;

- concilier la libre action des individus avec la nécessité et le plaisir de la coopération ;

- développer la conscience et capacité d’initiative de leurs membres ;

- éduquer le milieu où l’on agit, pour préparer moralement et matériellement l’avenir désiré


Question 1 : Ces exigences posées, le projet de la plate-forme y répond-il ?

Non ! Car il confirme le préjugé des camarades par rapport à l’organe centralisateur étouffant l’initiative (voir propositions des statuts.)

Non ! Car c’est une idée irréalisable de réunir tous les anars en une seule collectivité. Pourquoi ? Les milieux et conditions de lutte diffèrent trop pour ne pas entraîner des modalités d’action nombreuses ; tenir compte des différences de tempérament et des incompatibilités personnelles.

L’Union générale serait un obstacle, la cause de luttes intestines au lieu d’un moyen pour coordonner et totaliser les efforts de tous. Par exemple : l’association publique faite pour l’agitation et la propagande au milieu des masses, la société secrète contrainte à cacher à ses ennemis ses buts, moyens et agents, les éducationistes persuadés que l’exemple de quelques-uns uns transformera les autres, les révolutionnaires persuadés, eux, que seule la violence peut abattre un état de choses établi qui se soutient par la violence, ceux des militants utiles qui ne s’aiment et ne s’estiment pas,... Comment tous les garder ensemble ? Dans quelle organisation ? De la même manière ? Avec les mêmes personnes ?

Même les auteurs du projet (de plate-forme) déclarent inepte l’idée de créer une organisation réunissant tous les représentants des diverses tendances anarchistes. Mais faut-il pour autant excommunier tous ceux qui refusent le programme ?

La vérité anarchiste ne peut devenir le monopole d’un individu ou d’un comité, elle n’est pas dépendante de décisions de majorités réelles ou fictives. D’où le droit de libre critique à chacun, le libre choix de ses compagnons.

Question 2 : le mode d’organisation proposé est-il conforme aux principes et méthodes anars. Peut-il aider au triomphe de l’anarchie ?

Pour réaliser le communisme (ou collectivisme) anarchiste, nécessité d’employer des moyens opportuns pour atteindre le but, or l’organisation proposée est de type autoritaire, d’où des résultats prévisibles contraires au but poursuivi. Pourquoi ? Voir la composition de l’Union générale :

- autant d’organisations partielles dont les secrétariats à direction idéologique construisent l’œuvre politique et technique ;

- Comité exécutif applique les décisions de l’Union, mais aussi dirige l’idéologie et organise les groupes en conformité avec l’idéologie et la ligne de tactique générale de l’Union.

Ce qui est proposé est un gouvernement et une église, impuissants puisque sans moyens de coercition.

Mais encore, l’organe exécutif de l’UA adopte le principe de la responsabilité collective, c'est-à-dire : - Union responsable (devant qui ?) de l’activité révolutionnaire et politique de chacun ; - chacun étant responsable (devant qui ?) de cette même activité.

Ceci est la négation absolue de toute indépendance individuelle, de toute liberté d’action et d’initiative.

D’une part, l’Union : comment sera-t-elle responsable d’un acte si elle n’est pas en capacité de l’empêcher ? D’autre part, l’individu : comment accepter la responsabilité des actes de la collectivité avant de savoir ce qu’elle va faire, et même alors comment l’empêcher de faire ce qu’il désapprouve ?

L’Union : comment déterminer sa volonté ? Faut-il que ses membres soit toujours tous du même avis sur tout, et d’abord sur le choix des personnes ayant la charge d’exécuter et de diriger ? Donc, dans la meilleure hypothèse, les décisions sont prises à une majorité de majorité, ou même à la minorité si les opinions en présence se divisent en plus de 2.

Remarque : dans les conditions actuelles (fascisme et troubles sociaux des années 20, tracasseries policières) les congrès anarchistes ne sont pas représentatifs, donc le contrôle sur l’exécutif se ferait rarement à temps et de manière efficace.

Rappel des principes anars fondamentaux : nous n’admettons ni le gouvernement de la majorité, ou démocratie, ni le gouvernement du petit nombre, pouvant se réduire à un seul, aristocratie, oligarchie, parti, autocratie, monarchie, dictature du chef, du duce, du führer... sachant que les 2 formes conduisent toujours à la domination pratique de la minorité.

Dans la vie en commun où l’on ne prend pas de décision politique le petit nombre s’adapte à la volonté de l’ensemble : cette adaptation d’une partie par rapport à l’autre est réciproque, volontaire pour ne pas paralyser la vie sociale. Ainsi, l’idéal est difficile à réaliser mais plus un groupe humain pratique l’accord libre et spontané entre majorité et minorité, imposé seulement par la nature des choses, plus il est voisin de l’anarchie.

Conclusion : si les anarchistes veulent que tout se fasse par le libre accord entre tous, comment peuvent-ils alors adopter le principe majoritaire dans leurs associations essentiellement libres et volontaires ? Comment se soumettront-ils aux décisions à venir d’une majorité ?

Suivent des contre-propositions (p 118 à 122) :

Organisation anarchiste : autonomie, responsabilité des individus et des groupes ; accord seulement pour ceux qui croient utile de s’unir et alors devoir moral de tenir ses engagements ; adaptation des formes pratiques sur les bases indiquées, plus aptes à insuffler la vie à l’organisation dans tous ses niveaux : groupe, fédé de groupes, fédé de fédé.

Congrès : même s’il n’est pas un corps représentatif, ne fait pas la loi mais est fonctionnel : - maintien et extension des rapports personnels ; - résumé, incitation à l’étude de programmes sur les voies et moyens d’action ; informer de la situation des diverses régions et de l’action la plus urgente en chaque région ; formuler les diverses opinions en présence pour en faire des statistiques ; décisions non obligatoires sauf pour ceux qui les acceptent. Organes administratifs nommés en congrès, sans pouvoir de direction, ne prenant d’initiatives que pour le compte de ceux qui l’acceptent, n’ont pas l’autorité pour imposer leurs propres vues en les présentant comme officielles de l’organisation, publient les résolutions du congrès, les positions et propositions communiquées par les groupes et individus , facilitent les relations entre groupes et la coopération entre ceux qui ont approuvé les diverses initiatives.

En réalité, une organisation dure aussi longtemps que les raisons de s’unir sont plus fortes que les raisons de dissolution. C’est dire que la durée de l’organisation est la conséquence de l’affinité spirituelle et l’attente pratique de ses membres et des possibilités d’adaptation de sa constitution aux changements de circonstances,... sinon qu’elle meure !

Les camarades russes vont juger cette organisation peu efficace car ils sont obsédés par le succès des bolcheviques qui réunissent les gens en armée disciplinée sous la direction idéologique et pratique des chefs. Si nous les imitions, notre force matérielle deviendrait assurément plus grande mais pour quels résultats ?

Il adviendrait de l’anarchisme ce qu’il est advenu du socialisme et du communisme en Russie.

° * °

Ajoutons à ce dernier argument de Malatesta que la guerre civile d’Espagne illustra tragiquement ses vues notamment en ce qui concerne les effets du communisme (stalinien) sur l’insurrection populaire . Toutefois si l’on tourne son regard vers les actes des anarchistes espagnols – lesquels sont plutôt aux prises avec le problème de l’auto organisation des masses ouvrières- on pourra y retrouver les carences habituelles du mouvement ainsi que d’autres, dues aux circonstances, bien analysées, à notre humble avis, par Camillo Berneri (voir « Œuvres choisies », préface et introduction.)

% *

III

III a - Résumé des événements en France de 1945 à 1968.

Après 2ème Guerre Mondiale, 1944, Charte approuvée par les Assises du Mouvement et le Congrès de la FAF en 45. Nouvelle structuration : Commission Administrative Fédérale, rappelle existence des 2 organisations UA & FAF, rappelle que si le Congrès définissait la ligne générale en théorie, – rien pour réaliser l’unité de vues indispensable ; - rien si l’attitude publique (individu, groupe, région) contraire à cette ligne générale.

Résultat = pas d’unité organique ? Comité de Coordination (dont ordre du jour est reporté à 12-45) fait compromis : cartes, timbres, « groupes et fédérations régionales, OK si interventions publiques sont dans le cadre des conceptions de l’organisation, nationale ou internationale, définies en Congrès. »

2-46 : FAF « fin aux errements passés en matière d’organisation libertaire. »

Dès 50 : noyautage par OPB, Fontenis secrétaire général en 46, 48, puis en 50 ; prend le contrôle de Paris pour imposer sa ligne ; 52, Bordeaux, vote par mandats, contraire à toute la tradition anar ? scission et exclusions.

53 : manifeste du communisme libertaire (dictature par pouvoir ouvrier ; synthèse anarchiste-léniniste au-delà plate-forme Archinov) et création FCL, puis en 54, tentative de fonder Internationale C. L. avec italiens et allemands.

56 : participation aux législatives, prise de contact avec A. Marty (auteur de répression stalinienne en Espagne) exclu du P.C.F. ? fin du Libertaire et du FCL.

Parallèlement, en 52, l’Entente entre individualistes, exclus de FA & FCL ? reconstitution FA, jugée trop franc-maçonne et proche des socialos.

11-56 : fondation AOA, expression française du Mouvement International, considérant les communistes libertaires comme égarés, le mal à combattre étant l’Autorité sous toutes ses formes.

La FA, dont l’organe est “le Monde Libertaire », est une nouvelle organisation qui prend ses précautions, ex : dans ses « Principes de Base » ; déclaration de l’adhérent (Etat- Capital- Dictature- Raison- Droits individu- Libre Coopération entre les hommes.) Cotisation annuelle minimale ; gestion du journal par : Comité de Lecture & Comité d’Administration ; propriété légale et morale du Mouvement et ses Œuvres à Association E.D.P.R. dont membres sont cooptés (p 95).

Phase d’Emiettement – 3 courants : FCL – FA – AOA individualistes + petites revues animées par Personnages, tels Lecoin, Louvet, Dorlet, Armand. Ajouter le Centre de Sociologie Libertaire de G. Leval, qui en 63 changera en « Cahiers de l’Humanisme Libertaire » et pense que « ce n’est pas sur le terrain du travail que peut se manifester la liberté ».

Issu du FCL, contre lui, création des G.A.A.R. en 55, prône unité idéologique et tactique dans revue « Noir & Rouge » (maxi 3500 ex), rallie la FA en 61 en tant que tendance UGAC. Ceux qui restent à Noir et Rouge publient plate-forme organisationnelle, sont contre le parti type FCL et contre le rassemblement familial et sentimental type FA ; pour le travail conscient et ordonné de minorités agissantes, détonateur libérant l’énergie des masses.

Tentative de regroupement avorté de U.F.A. de groupes autonomes en 71, à Nîmes et Paris ; avait repris en 68 la parution du Libertaire.

M.C.L. résurgence FCL de Fontenis, prône le pouvoir des Conseils et l’Autogestion généralisée ; tentative de fusion avec ORA ? création OCL.

ORA, en 67, ex tendance de FA de Fayolle Maurice, (cf. « Réflexions sur l’anarchisme »*), analysant la cause de la régression de l’anarchisme par inaptitude à s’organiser ; 2 conditions :

- l’actualiser en fonction des données politiques, économiques et sociales, qu’il faut étudier,

- créer l’organisation en acceptant le risque de centralisation et les sacrifices qu’elle implique.

En 70, se sépare de FA (Paris 5 + SE 5 + Centre 2). Publie « l’Insurgé », brochure sur « l’Organisation fédéraliste libertaire », en 69, avait repris la thèse des plate-formistes russes d’Archinov.

Conclusion : (p 104) toujours 2 grandes tendances ?

Condition 1ère : - doter le mouvement de - structure, - idéologie, - tactique, communs et obligatoires à tous p 105.

Résoudre les questions : incompatibilité entre doctrine et organisation ou incompatibilité entre anars et organisation ?

Constat : anar-communistes = majorité quantitative, ouvriers militants politiques ou syndicaux. Points en commun : (Hamon, A en 1895) Révolte, Passion de la Liberté, culte de l’Individu ? difficulté par rapport à la discipline de groupe, désagrégation, mésentente due à rivalité de personnes, désaccords en tout genre.

III b - Fin des années 60, France. Fayolle, Maurice – « Réflexions sur l’anarchisme ».

Voir aussi Organisation Révolutionnaire Anarchiste – « Contrat organisationnel » - in « Autonomie individuelle et force collective », p 351.

Propos sur l’organisation (années 60): p 13 ; s’il y a toujours eu problème organisationnel c’est qu’il existe 2 concepts de l’anarchisme. Le premier qui voit la société libertaire comme un devenir possible à long terme, le second comme réalisation immédiate. A l’évidence seul le 2° concept nécessite de structurer le mouvement, avec pour objectif de transformer la société, en se mettant d’accord préalablement sur les moyens et la propagande à utiliser.

D’où les affirmations suivantes :

-se rassemblent dans l’organisation ceux qui en acceptent les principes ;

-se rassemblent dans l’organisation ceux qui sont décidés à œuvrer pour une transformation des structures sociales actuelles dans le sens des finalités libertaires.

Restent à préciser ces principes d’organisation anarchiste.

L’action en commun demande la reconnaissance de la valeur d’efficacité, et partant d’admettre les moyens adéquats pour l’obtenir, à savoir que l’expression du groupe ne pourra être qu’une expression moyenne de l’ensemble acceptée au prix d’une discipline librement consentie. Toutefois l’instauration d’une société d’hommes libres –fin pour laquelle luttent les anarchistes- ne saurait être poursuivie avec des moyens qui en serait la négation ( ?). D’où la nécessité de la liberté d’expression à tous niveaux et dans toute circonstance.

Si la société autoritaire s’imagine sous la forme d’une pyramide, la société libertaire (et par suite l’organisation) peut se voir comme un cercle constitué par un centre et une périphérie ; le centre est représenté par le congrès, la périphérie par les adhérents ou délégués. C’est le congrès qui est souverain, qui prend les décisions et nomme un organe exécutif chargé de réaliser le programme voté à la majorité. Cependant la majorité n’est pas considérée comme infaillible et la minorité doit faire valoir ses arguments. C’est-à-dire que la minorité ne peut en aucun cas être tenue d’appliquer obligatoirement les décisions majoritaires, mais, en revanche, elle s’interdit de faire obstacle à ces décisions...

[Copie « Contrat organisationnel » de l’Organisation Révolutionnaire Anarchiste. ]

* ° *

IIII a - Résumé des événements : La fin des années 70 et début des années 80 est marquée par des regroupements entre des parties de l’O.R.A et de l’O.C.L. , une scission interne à la FA qui voit les individualistes s’en aller et se regrouper autour du Libertaire, le Monde Libertaire organe de la FA devenir hebdomadaire.

C’est dire que le problème de l’organisation n’est pas caduc, loin s’en faut.

C’est dire encore que continuent à se poser les questions que J. Maitron évoque dans son ouvrage historique : L’esprit anar est-il toujours vivant ou ne jouit-il que de son ancien prestige ? N’y a-t-il pas confusion entre esprit libertaire et esprit de révolte ?

IIII b - Qu’en pense M. Joyeux (en 79) in « La Rue » n° 27 ?

L’épigraphe donne la tonalité du texte : c’est une citation de Bastien, en 1925, « ils ont peur de voir mutiler leur moi dans une organisation. C’est pourquoi ils la rejettent de façon catégorique ou détournée en chicanant sur chaque minuscule détail. Tout leur répugne à l’association régulière. »

Entrée en matière : longue, part des besoins qu’ont les hommes des « paradis », sans toutefois y croire ! D’où la remise à plus tard, à un avenir lointain, de la réalisation de ces aspirations latentes… L’anarchie, en tant que doctrine philosophique, ayant une résonance commune avec d’autres constructions philosophiques, humanistes ou religieuses. A preuve, lors de guerres ou révolutions, le phénomène commun à quelques mystiques ou spiritualistes ou anarchistes de prêcher pour la paix, dans une attitude édifiante. Le peuple, incrédule, doutant sur la capacité des hommes à s’organiser autrement que par l’autorité, la plupart étant réticente, voire effrayée, devant la présentation d’une société sans autorité, sans hiérarchie, sans classe dirigeante.

Quelles sont les causes de cette situation ?

Les causes globales : tenant à la nature de l’homme, qui par son instinct de survie (son besoin de sécurité) recule devant tout bouleversement profond et définitif ; cela tenant aussi à sa dépendance par rapport à son milieu, y compris le milieu qu’il a modifié et duquel il est imprégné, notamment dans les domaines économique, politique, intellectuel. L’évasion hors de ce milieu équivaut à un déracinement, à une ouverture sur le mystère et le vide qu’il redoute.

« C’est pourtant cet homme moyen qu’il faut convaincre de la possibilité d’une société anarchiste ! D’une part par une approche sérieuse des réalités économiques et de leurs incidences sur le comportement humain, d’autre part par une organisation conséquente. »

Les causes particulières : tenant à la nature de certains anarchistes. La Bourgeoisie, mortellement effrayée par l’Anarchie - théorie voulant détruire les piliers de la propriété et de l’autorité sur lesquels cette même bourgeoisie s’est édifiée- tend un piège aux anarchistes : celui du paroxysme pour le rejeter ainsi dans les métaphysiques de consolation ou les rêveries humanitaires.

Avec quels effets? Effets délétères par une bourgeoisie intellectuelle et snobinarde, entretenue par le système, qui dévoya l’idéal anarchiste en le poussant vers les sentiments nobles où tout contenu sérieux se noie dans une métaphysique vaseuse (ex : Revue blanche, Ryner, Rostand).

Effets dans la vie sociale par exaltation de la violence gratuite, spectaculaire et exhibitionniste, effrayant la population (ex : Ravachol, Bonnot).

Les résultats prévisibles furent d’agrandir le fossé entre le peuple et les anarchistes, en donnant une image de révoltés à la bombe malgré le travail considérable fait par les anarcho-syndicalistes, et également de démolir le contenu réel de la philosophie politique libertaire.

Car si la lutte révolutionnaire ne peut faire l’économie de la lutte armée contre l’appareil de coercition de l’Etat, le peuple voudra savoir où il va et ce qu’il risque. D’où alors la nécessité, pour la crédibilité du projet de civilisation libertaire prenant l’homme en compte, pour répandre ces propositions au grand public, de créer l’organisation adéquate : sans autorité grâce au fédéralisme, mais avec des limites à l’individualisme.

Exemples positifs : anarcho-syndicalistes en Espagne, S. Faure, Mauricius, Bastien, Lecoin.

Exemples négatifs : individualistes (Pioche, Libertad) et communistes coupables « d’Union sacrée » (Grave, Pierrot). Les mêmes semant la désorganisation entre les 2 guerres, ballottés entre la plate-forme et la synthèse, et de même à la Libération.

Pourquoi, à la fin, une organisation solide et efficace ?

Pour réaliser ce qui est inaliénable : bannir les inégalités suscitées par l’autorité ! Les moyens étant affaire de circonstance et ne dépendant pas d’une question de forme, mais bien de la possibilité, ou non, de l’organisation à établir des relations normales entre elle et les militants (voir ex de l’O.R.A.). Car il est impossible de transformer ces rapports avec des hommes pour qui le premier adversaire à combattre est leur organisation et non l’adversaire de classe, avec des hommes incapables d’assumer la liberté qu’ils revendiquent donnant ainsi raison à tous ceux qui jugent impossible de s’organiser dans la liberté.

C’est la maladie infantile de l’anarchisme du fait de comportements tuant toute coordination dans l’œuf, (éternel retour du même), attitude suicidaire de ceux qui ne croient pas à la transformation possible de la société. Cela implique de définir la nature du lien unissant les anarchistes entre eux. Aujourd’hui règne la confusion dans la jeunesse libertaire (ex : Cohn Bendit) à cause du marxisme libertaire (Marcuse synthétisant Marx, Proudhon et Freud), marxisme revu et corrigé par Rosa Luxembourg, Pannekoek et autres, jeunesse retrouvant « comme par hasard » les comportements des individualistes de la maladie infantile de l’anarchisme : hostilité de principe à l’organisation, propositions incongrues où la turbulence remplace la rigueur de pensée, vulnérabilité aux modes de l’extérieur et au suivisme de trouvailles incessantes ; ceci ayant pour résultante une moyenne de présence dans les groupes de 2 ans environ.

Ceci faisant écho à la faiblesse des militants aguerris, confondant les principes intangibles de l’Anarchie avec les structures conjoncturelles de l’organisation – imposée par l’environnement et l’adversaire- et les rapports entre organisation et militants.

Que doit faire l’organisation ?

Elle doit discuter, décider et surtout appliquer ! Etablir des propositions claires et nettes susceptibles d’être comprises par les travailleurs ( ?) au moyen d’un ajustement entre le particulier et le collectif, chacun ayant sa place, son rôle à jouer, ses droits et ses limites. Les accords sur des points précis seront conclus et respectés par tous, les modalités d’application relevant des groupes. L’effort collectif subordonne, pour un temps et un projet, les préférences individuelles à la cohésion et même une société anarchiste devra, pour vivre, se débarrasser des paroxysmes de rêverie, violence et désordre.

Donc changer les statuts : non ! Mais changer la mentalité des adhérents envers l’organisation : oui ! Le vrai problème étant celui de la cohérence qui, une fois trouvée, induira la cohésion, ce qui donnera de l’importance aux questions du recrutement et aux droits et devoirs des adhérents. Cela pour aider, ici et maintenant, à la désagrégation de la société en jouant sur ses contradictions, en usant de l’homme actuel. Seulement après se posera la nécessité de l’organisation de la société sans classes car les destructeurs de la « cité des esclaves » ne sauront pas forcément par quoi la remplacer ; ce sera alors le rôle de l’organisation des anarchistes de répondre en faisant des propositions emportant l’adhésion.

Ou sinon on parlera des anarchistes comme des stoïciens et épicuriens qui inventèrent une philosophie non pas pour transformer le monde mais pour s’aider à le supporter…

IIII c : Et aujourd’hui ?

J’emprunte à Philippe Coutant une espèce d’état des lieux qu’il trace dans un article pour la revue « Les Temps maudits », n° 12, où il traite plus précisément de l’autorité dans les groupes militants, ce qui dans mon esprit pourrait être une cause supplémentaire de la difficulté à s’organiser des libertaires.

Sa définition de l’autorité: -a : compétence due au savoir-faire, à l’expérience, au savoir, -b : donner des ordres, commander. Les deux supposant un maître et une position asymétrique.

Ceci reflétant deux manières d’être : - qui transmet, qui aide à apprendre ; qui suppose une position hiérarchique donnant le droit de se faire obéir.

La différence entre les deux sens est que : l’autorité de compétence peut être justifiée si le maître n’abuse pas de son pouvoir et de son savoir, alors que le pouvoir du chef est, en soi, abus d’autorité. Et c’est entre le verbe pouvoir (capacité d’agir et de réfléchir) et exercer une contrainte sur l’autre que réside le problème des groupes militants.

- 1 : la chefferie en rapport avec l’idée libertaire : associer un cadre de révolte, d’émancipation, d’auto gestion, d’autodétermination avec les chefferies militantes donne un constat surprenant lequel, en réaction suscite déni, refus d’en parler.

S’il est normal de penser que, pour être efficace, il est nécessaire d’exercer une autorité ne serait – ce que pour décider, coordonner, en se donnant la justification que cela contribue au développement des luttes et à l’expansion de l’influence libertaire, encore faut-il en voir les conséquences néfastes :

-dispersion, chapelles, concurrence, violence entre personnes et entre groupes ;

-départ de certains dégoûtés du grand écart entre paroles et pratique, idées et actes.

On peut l’observer dans le non respect des uns par : l’imposition des tâches, l’obligation de la présence, la de mande de rendre des comptes, la condamnation morale du refus de la majorité, la dévalorisation si trop cela et si pas assez ceci. D’où, en conséquence, énergie perdue, temps gâché dans les débats stériles, sentiments d’impuissance.

Ce grand écart détruit dans l’œuf la confiance possible dans l’idée libertaire, laquelle s’autodétruit en prolongeant une praxis non conforme à son énoncé, gage d’incohérence, donnant ainsi des armes à ses ennemis. Les militants se placent ainsi dans un « doble bind »: condamnation de la domination capitaliste, et en même temps résignation à la présence de l’autorité en notre sein. Comme nous ne pouvons nous condamner nous-même, ni désavouer nos camarades et nos organisations, il nous est impossible de sortir de ces contradictions sans dommage.

- 2 : Or les groupes sont des institutions, certes pas celles de la société ordinaire, mais pas plus que les autres nous ne pouvons nous passer ni d’institutions, ni de lois, sachant que nos institutions sont l’imaginaire d’une certaine socialité. C'est-à-dire que dans nos groupes, syndicats, comités de lutte, collectifs, assemblées générales, conseils, il y a bien une hiérarchie interne et des débats sur le bon et le mauvais, le juste et l’injuste, etc. Ceci présupposant des référents pour juger, condamner, accepter des idées, valider des actes, cela pouvant se retourner contre certaines personnes contre lesquelles il est prononcé anathèmes, sanctions à forte charge symbolique ou morale, provoquant chez eux des malaises… Par exemple un critère important est la radicalité, clé de la puissance sur les autres (tant entre nous qu’ailleurs), permettant de condamner des personnes ou des groupes comme trop mous, décalés par rapport à l’orthodoxie du moment ou du mouvement, occasion facile de s’élever au-dessus d’eux en les rabaissant.

- 3 : L’interrogation sur les fins et les moyens. Elle découle de la critique du socialisme autoritaire (stalinien) dont les moyens ont été indissociables des fins.

Ex : nos structures permanentes ne semblent fonctionner que pour elles-mêmes ; l’identification des responsables à ces institutions ajoute à la difficulté, car si certains leur posent des questions sur l’organisation c’est tout de suite vécu comme une attaque personnelle, une mise en cause des personnes, un doute sur leur engagement ou leur sincérité.

Cette question prend d’autant plus de relief que notre vécu est lié fortement à notre action politique d’une part et, d’autre part, que nos affects et émotions sont partie prenante dans notre vie militante. A titre de bénéfice secondaire, l’engagement libertaire permet d’avoir une bonne image de nous-mêmes (très bon pour le narcissisme primaire), de trouver du sens à notre vie, ceci ayant pour effet de structurer notre espace mental et notre temps. La militance atténue l’angoisse chez ceux qui ressentent le monde comme absurde et destructeur.

Dans notre monde néo-libéral, en guise de préliminaire, on déclare que la personne est libre d’autant plus qu’on veut la contraindre, et dans le monde militant ?

Pas de difficulté par rapport à la déclaration puisque la liberté et notre règle officielle, mais on doit fournir en plus de grands idéaux pour permettre à l’individu de rationaliser sa soumission, c'est-à-dire de se donner des raisons de justifier ses engagements. Une fois obtenu ce premier engagement on peut alors forcer la demande, laquelle liée aux affects fait que l’individu n’ose plus dire non et revenir en arrière.

Le genre et le machisme se portent encore bien, l’anti-sexisme voisine avec la méfiance envers le féminisme, le plus fort ayant souvent raison. On observe en cela : qui parle en réunion ? Qui centralise les débats ? Qui prend les notes ? Qui a de l’influence ? Qui se charge des tâches nobles et qui est chargé des tâches triviales ?

Ceci est accepté ou toléré car la chaleur des relations, amicales voire même fusionnelles, aide à lutter contre la tristesse, l’impuissance et l’apparence spectaculaire du monde de la marchandise. Nous essayons d’enchanter le monde par nos récits, lesquels ont pour véritable fonction de souder le groupe. Nous pouvons nous rendre compte alors que nos croyances sont le corollaire de nos illusions, nécessaires pour supporter notre vie, la condition humaine, qui sont finitude et incomplétude…

Toutefois, notre histoire des luttes nous a légué des méthodes, des procédures encore valides et légitimes. Il nous faut donc comprendre notre fonctionnement, avec l’aide des Sciences Humaines et Sociales, pour améliorer notre manière de vivre la politique, notre manière de mettre en œuvre l’idée libertaire. Nous devons fonder nous-mêmes nos propres idéaux, puis examiner de temps à autre comment nous les vivons, cela sans trop d’illusions en essayant d’améliorer ce qui dépend de nous.

Ce serait donner de la valeur à l’éthique libertaire qui, en ce sens, est à la fois une vie politique, une politique de la vie, une politique pour la vie…


Le lien de la dernière partie LE PROBLEME DE L'ORGANISATION POUR LES ANARCHISTES. Des pistes pour son dépassement