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On mesure la récurrence de ce problème de l'organisation
qui – répétitivement à travers le temps
et l’espace (celui du moins d’une part de l’Europe)
– semble à chaque fois venir des positions individualistes.
(Mais sont à l’œuvre aussi d’autres facteurs
parmi lesquels nous citerons : le goût du secret, de la clandestinité,
le problème de l’autorité - opposé philosophique
de la liberté- le problème de la crédibilité
d’une utopie par nature à perte de vue, sans oublier
les phénomènes de l’inconscient, difficiles à
cerner, mais toujours présents dans toute interrelation humaine.)
Toutefois quand la solution de la scission est trouvée, en
désespoir de cause, on peut constater que les groupes d’idéologie
cohérente, par ex les communistes, s’étiolent
et disparaissent, ou pire, perdent leurs propres principes et leur
fameuse unité idéologique. On remarque que, tout de
même, des événements extérieurs très
importants comme guerre, émeutes, révolution, pèsent
sur le désir des compagnons de s’unir, désir qu’ils
réalisent souvent mais in extremis (c’est le cas de le
dire).
Les considérations qui précèdent ne sont pas
absentes d’une certaine manière de la rencontre internationale
de Barcelone, à l’automne 1993 dont le thème général
est : « l’anarchisme devant la crise des idéologies.
» Le thème particulier qui nous intéresse s’intitule
: « individu, communauté, société. »
En Introduction, S. Ribeiro parle de conjuguer les divers aspects
du thème, ainsi Colombo va parler de la construction de l’individu
et de l’imaginaire social, utilisant une grille psychanalytique
; Errandonea se servira de la sociologie de la domination pour les
besoins de sa cause et Garcia Calvo se penchera sur le comment s’organisent
les réalités de l’individu à partir de
considérations du langage. Le thème est approché
successivement, de la sorte, par une structure subjective, puis sociétale,
enfin linguistique. On rappelle que d’après Castoriadis
l’objectif de l’autonomie pour l’individu est double
: psychanalytique et historico-politique.
Colombo relève alors que les luttes anti-Etat produit les effets
escomptés sur nous à coup de revers successifs, à
travers la théorie qui les escamote, de l’idéologie
qui les ignore, du comportement prétendu neutre, personnel
ou intime. Selon Bakounine : « tout individu doit faire des
efforts inouïs pour se libérer de la folie collective
(l’Etat et la Religion) et n’y arrive jamais complètement.
» Selon Castoriadis, il n’y a pas d’individu humain,
il y a une psyché de départ qui est socialisée
et cette socialisation est le résultat final où il n’y
a quasiment rien d’individuel au sens réel du terme ;
plus la société est hétéronome, moins
il y a d’individualité, la vraie individuation commençant
quand les sociétés débutent un mouvement vers
l’autonomie pour créer des individus individués
jusqu’à une société individuelle.
Errandonea, lui, voit que, pour l’individu isolé, la
contre partie de la domination est la participation qui en constitue
sa limite, le degré en lequel la domination cesse d’être
est exactement le seuil de la participation maximale généralisée,
quand celle-ci se substitue avec succès à la domination
; ce qui implique à terme une société égalitaire.
Garcia avance que la civilisation industrielle aspire à ce
que l’individu des masses soit conforme, c'est-à-dire
que l’institution soit en moi-même ; ou encore, qu’en
tant que personne je ne peux être moins qu’un sujet de
l’Etat et un élément unitaire du tout.
Colombo : un sociologue USA a écrit un bouquin sur «
la fin des idéologies », c’est faux mais par contre
il est vrai que la force expansive des contre-idéologies (ou
utopies) s’est épuisé et a laissé le champ
libre à l’idéologie dominante, d’où
la passivité générale des individus face au règne
de la pensée unique. Pour combattre cette passivité
il faudrait revendiquer un droit inaliénable pour l’individu,
celui du blasphème (injure contre Dieu, le sacré, la
majesté). Pour l’être soumis, Majesté est
l’attribut de la réalité, or l’élément
occulte de la réalité, déplacé et condensé
sous la forme de la religion, est le sacré (ou transcendance,
ou au-delà), sentiment profond de l’homme devant le misterium
tremundum. Le sacré, essence de la religion et élément
de base du pouvoir politique, caché dans l’Etat, présent
dans les institutions de Domination. Le sacré au centre de
la relation en permanente interaction de l’individu et de la
société. En conséquence de ce sacré les
sociétés sont hétéronomes, en ce sens
que la loi, les normes, etc. ont été dites organisées
de l’au-delà par les ancêtres, héros, dieux,
dans un temps primordial où la Loi fut dictée une fois
pour toutes. Or l’homme de ce temps obéissait bien à
une minorité dominante représentant le sacré
sur cette terre… Ceci signifie donc une dépossession
originaire de la capacité instituante symbolique de l’homme,
un détournement du mot pouvoir (certes pouvoir politique avec
l’Etat, mais aussi capacité de faire, notamment déterminer
les formes institutionnelles de nos relations en société.)
Les sociétés s’organisent en fonction d’une
série d’attributions dont le langage, 1ère institution,
1ère codification par laquelle nous réglons notre mutuelle
interaction, et qui fut créée par les hommes eux-mêmes.
Cette dépossession des capacités humaines est l’essence
du religieux, lequel fait partie de la domination politique. Le devoir
est inclus dans la notion de pouvoir, l’aspect central de la
domination politique est -à cause de l’hétéronomie
du social, le pouvoir semblant venir de ‘l’extérieur-
le devoir d’obédience.
Mais la société n’est pas non plus ce qui s’oppose
à l’individu, même si celui la sent comme résistance
à son désir. Bakounine distingue 3 moments essentiels
dans la liberté de l’homme :
1- le fait positif énorme de la création de la société
par homo habilis, d’où l’absurdité de croire
que l’homme était libre avant d’être en société
; id de croire que chacun doit renoncer à une part de sa liberté
pour former un contrat social avec les autres, ce qui amène
nécessairement à la domination. Seule l’autonomie
de l’individu en société permet l’apparition
de la liberté, sauf que c’est bien la société
qui a permis l’apparition du pouvoir. Ce sont les constructions
de l’homme en société qui ont fait que la liberté
prend une valeur positive.
2- Le moment précédent est nécessaire mais pas
suffisant, car la société évolue (dans le temps
et l’espace) et pour provoquer cette évolution l’individu
entre en rébellion ; le désir inné en l’homme
rencontre une limite dans le pouvoir que l’autre s’attribue
pour construire son désir avec d’autres que lui. D’où
ce moment de négation de ce qui existe, faisant surgir ce qui
n’exista jamais mais qui peut être !
3- Le plus difficile alors est de se rebeller contre l’institution
que le moi a internalisée. C’est alors que la relation
avec l’autre lui fait sentir à quel point il est aliéné
quand il répond à la société qu’il
se représente tout naturellement comme externe. L’autonomie
de l’homme naît justement de ce processus d’auto
construction du social.
Conséquences : la Liberté comme désir illimité
(celui du tyran ou du nourrisson) est absurdité.
La liberté s’étend à l’infini avec
celle des autres, cela exigeant des obligations sociales, éléments
de base de la norme sociale sachant qu’il n’existe pas
de société sans institution, sans norme, sans langage.
Nous sentons aujourd’hui norme et règle sociale comme
choses imposées car précisément nous vivons dans
une société hiérarchique où nous n’avons
en rien décidé et participé. Si nous voulons
créer une utopie pour le XXI e siècle comprenons alors
qu’Anarchie n’est pas absence radicale de normes (c'est-à-dire
chaos) mais bien l’institutionnalisation de la société,
la mise en marche d’institutions anarchistes dans lesquelles
les individus pourraient vivre, créer l’égalité,
la justice et ainsi leur propre liberté…
Pour Errandonea, la crise des idéologies ne concerne pas l’anarchie,
mais plutôt le socialisme réel, la social-démocratie,
le libéralisme, le marxisme-léninisme, toutes victimes
de la post-modernité. Nous avons expérimenté
notre propre crise à partir de la fin de la guerre civile d’Espagne
où nous avons perdu notre audience et notre confiance. Depuis
que l’humanité s’est mise d’accord sur l’objectif
final de l’homme libre, une série de solutions ont été
instrumentées à travers le rôle de l’Etat.
Notre réponse fut d’accuser l’Etat comme principal
instrument de la Domination en alternative du sans Etat.
Ce dernier s’est enclavé peu ou prou entre des espaces
: le social, le public, le politique, le gouvernemental. Au XIX e
siècle, au temps du capitalisme sauvage l’Etat fut, dans
le camp socialiste, vu comme le bras armé et l’administrateur
de la classe dominante, c’était la Police et l’Armée
de la Bourgeoisie.
La réponse de l’Anarchie fut sa théorie : - lutte
pour faire germer du sein du peuple des organisations en démocratie
directe ; - ces organisations, non temporaires, assumeraient le pouvoir
détenu par l’Etat, le dissoudraient et seraient les forces
vives de la nouvelle société. Cela identifie l’Etat
avec la société exploitée.
Depuis, l’évolution du capitalisme, irréversible,
fait que le problème central n’est plus la plus-value
mais comment la croissance de la demande peut accompagner la vitesse
d’augmentation de la productivité ; ou encore, comment
faire croître le marché de la consommation pour qu’il
absorbe l’offre de produits.
Ceci a amené conjointement le développement du secteur
public, l’Etat en parallèle se complexifiant. Cependant
ce développement institutionnel de l’Etat a sa propre
dynamique (comme toute institution sociohistorique) finissant par
échapper au dessein initial.
-a : l’Etat se fit patron-compétiteur s’appropriant
une grande part de la force de travail, introduisant d’autres
règles dans ses relations de production que celles du capitalisme
privé ; jusqu’à être temporisateur du pouvoir
des transnationales.
-b : Il dota la classe politique d’une relative autonomie pour
accomplir le marché électoral, la démagogie,
le clientélisme.
-c : Il amplifia le phénomène bureaucratique avec sa
croissance quantitative.
-d : Il apparaît comme contre-poids défensif des intérêts
nationaux face à l’internationalisme du capital, surtout
pour les petits pays comme la Suisse ou l’Uruguay de Battle.
-e : Il rendit hétérogène et pluraliste la domination
capitaliste.
Ainsi le secteur public s’accrut comme dépassement de
l’Etat. Par opposition se développèrent les autonomies,
dont la Commune et l’Université sont les précurseurs.
En nouvelles phases technologiques, la préoccupation du néocapital
est de réduire l’Etat : c’est la grande proposition
mondiale de privatiser équivalant à un régrès
au capitalisme sauvage.
Etymologiquement, Anarchie est négation de tout système
de gouvernement. Cependant le secteur public est très cher
aux anarchistes dans la mesure où il protège et institutionnalise
l’espace social dans lequel sont inclus le communautaire, le
socialisé, le libre. Ceci nous donne l’opportunité
de revendiquer l’auto gouvernement des divers organismes déjà
autonomisés du service public, en nous opposant radicalement
aux privatisations…
Garcia Calvo : Qu’est-ce que la personne individuelle ? C’est
Toi, naturellement pas en tant que tu n’est pas toi, mais en
tant que je te reconnais. De même, Je, pas comme cette affichette
portant mon nom à laquelle je ne m’identifie pas dans
l’absolu. Personne individuelle = ultime fondement et bastion
du règne de l’argent, représentant de mort. Personne
adorée par les représentants de l’Argent, comme
cette banque en France dont le slogan était : pour nous votre
intérêt est capital. Dans l’idéal démocratique
qui nous domine, la forme ultime de domination est fondée sur
l’individu, faisant comme si chacun sait ce qu’il fait,
ce qu’il vote, ce qu’il achète. Or, par ailleurs,
on sait que la vérité est celle du Christ-Roi sur la
croix (ils ne savent pas ce qu’ils font), mais c’est pourtant
ainsi que se constituent les majorités démocratiques
dont le caractère réactionnaire, dont la soumission
est par-là garantie. Démocratie dont le symbole tient
au mode de transport inutile par excellence : l’automobile individuelle.
On ne peut prétendre, oser parler d’anarchie en continuant
à respecter la personne individuelle, ce qui serait de même
respecter l’argent. Même dans l’organisation syndicale
on se voit obliger in fine d’aduler le travailleur. Et quel
con est le travailleur ? Le travailleur, comme le chômeur, est
l’exemple de cet individu ; par suite, nous nous voyons obligés
de respecter la famille et ses intérêts familiaux, de
la même façon dont les gens respectent l’argent.
Rien de cela n’est compatible avec la voix de l’Anarchie
qui est négation vivante.
L’attaque de ce bastion ultime qu’est la personne individuelle
est difficile, car son Je aimerait être présent dans
la révolution, aimerait que le monde changé à
l’envers fut le sien, qu’il soit en lui. Cela ne peut
être, l’individu personnel n’entre pas au paradis
même quand ce sont de braves gens. Partout il y a de braves
gens, y compris dans la société du bien-être,
braves gens généreux, ingénieux, même pour
supporter les impositions sans se briser. Quand on parle de braves
gens, on feint (l’intérêt de cette locution c’est
que ce n’est plus l’individu quelconque) de laisser parler
à travers eux le peuple, le commun, à travers l’un
et contre l’un, même contre l’ennemi fondamental
qui relève du même. Mais l’un, en tant que personne,
est constitué pour servir, est identique au pouvoir, un collaborateur
indispensable au pouvoir, à la fin comme le disait Shakespeare
: « si ce n’est qu’on nous impose cette loi mauvaise,
tout homme est mauvais et son mal en lui est le Roi. » C’est
bien cela l’institution pour la personne individuelle, ce roi
est son mal, sa famille, ses intérêts privés,
ce roi de suprématie est le servant et le collaborateur du
pouvoir, c’est avec lui que se forment les masses d’individus.
Pourtant ne pas se laisser tromper par ces spéculations qui
opposent l’individu à la masse, celle-ci étant
composée d’individus et de rien d’autre. L’un,
en tant qu’il est être réel, c’est l’idée
de soi-même, figée sur la carte d’identité,
avec sa figure et ses empreintes digitales, au service de cette idée
de moi-même. Idée qui développe un type d’égoïsme
a sensuel, égoïsme qui ne peut pas chercher plus qu’idéaux,
êtres abstraits, c'est-à-dire l’Argent, le Mariage,
la Gloire éternelle. On comprend qu’Epicure tenta d’y
opposer un égoïsme sensuel, une résurrection des
sens. Connaître l’un, en tant qu’untel, est tuer
ce qu’il y a de bon en lui, de peuple en lui. Contre cette méconnaissance
de moi-même surgit Freud, procédant à la dissolution
de l’âme, découvrant le mensonge de cet individu
personnel. De même, la grammaire enseigne ce qu’il y a
de commun, de raison commune quand l’un, le moi, parle selon
un langage et une raison qui n’appartiennent à personne
et que personne ne commande.
Le non-respect de l’individu-Roi entraînerait -il en conséquence
le non-respect de sa vie privée ? C’est maintien de la
tyrannie du Roi (d’Espagne) quand toute sa vie privée,
ses gestes, ses pas, se font politiques. Alors supprimer l’être
personnel, l’idéal, l’individuel, c’est la
découverte du commun, il n’y a d’autre découverte
du commun que cette négation. L’un, le moi, ne fait pas
la révolution, cette découverte passe par la négation
de moi-même. Le peuple, vu qu’il n’existe pas, ne
peut mourir et c’est pourquoi il n’y a jamais urgence
pour la Révolution. Cela ne veut pas dire que chacun puisse
se perdre dans des impasses que la critique énoncerait comme
pièges de l’ennemi, impasse comme celle de conserver
des pesanteurs comme l’âme… Dans son actualisation
réflexive sur par exemple le concept d’utopie que charrie
l’idée de Révolution violente, c'est-à-dire
du changement radical de tout et tout de suite, on peut connaître
ce qu’en pensent certains compagnons réunis à
Barcelone en automne 93.
Le titre approprié au fil rouge (et noir) de notre étude
était : « l’Anarchie, une utopie pour le XXI
e siècle. »
Introduction : par G. Jacas qui rappelle l’idée de
l’imagination au pouvoir. Mais les idéaux utopistes
sont vite délaissés pour des thèmes plus possibilistes,
à cause de la tyrannie de la Raison contre espace imaginaire
où se meut l’Utopie, souvent apanage de la jeunesse.
Créativité donc, ou projection vers le futur comme
embellissement contre la désespérance. Fonction critique,
également, dans la prospective.
Luce Fabbri : au temps des guerres du 20ème siècle
(d’Espagne et mondiale) l’utopie est devenue un élément
de l’histoire. Ses références sont des couples
antithétiques : pouvoir – anti-pouvoir ; centre –
périphérie ; vertical-horizontal. Les pratiques des
utopies politiques autoritaires se distinguent de celles de libertaires
:
1- en l’usure de leur moyen, le pouvoir s’appuyant sur
le mensonge, qui se change en fin. Les expériences libertaires
de 36 en Espagne montrent de grandes possibilités, leur versant
négatif étant une mystique du paradis social après
quoi il n’y aurait plus rien à faire.
2- En le fait que si le centre autoritaire crée et maintient
de l’ordre, il peut exister un contrordre créé
d’en bas par association, ordre organique.
La société libertaire est société de
normes émergeant de la collaboration spontanée de
ceux qui vivent la langue, en changement perpétuel et sans
nécessité de centre, pourtant ordre par rapport au
chaos primitif en tant que classification des choses et des idées.
Cependant, le capitalisme est un fait historique, c'est-à-dire
l’ascension d’une classe sociale à l’intérieur
d’une nation qui s’est enrichie pour prendre le pouvoir
et le garder. Ses formes actuelles sont les multinationales agissant
sur le monde. Il est aussi un fait que dans ce monde – malgré
le gigantisme des moyens de Production- la faim augmente en même
temps que se détruisent des excédents pour optimiser
la rentabilité.
Dans ces conditions, la solidarité, l’entraide, est
la réponse spontanée, élément d’un
futur socialisme libre. Mais les théoriciens du 19ème
siècle de ce socialisme ne pouvaient imaginer la situation
actuelle, d’où l’idée de Révolution
sera très différente de la leur après Hiroshima
et l’Informatisation-Communication des pays riches. Ceci oblige
la Révolution à être sur d’autres terrains
et employer d’autres armes. Par exemple, si elle est capable
d’assurer la continuité de la vie quotidienne en période
de bouleversement. Si elle détourne les moyens de communication
en les faisant moyens d’articulation de petites unités
productives, entre elles, avec de grandes entreprises ; en les utilisant
pour une assistance médicale généralisée
ou pour une éducation à distance. Si elle emploie
ses mêmes moyens, ceux de la télé interactive,
pour augmenter le rayon d’action de l’individu qui pourra
commander sa nourriture, faire ses achats, contrôler ses comptes
bancaires, ou être consulté sur les décisions
à prendre ensemble.
Ceci ne pouvant se produire qu’après rupture de tous
les monopoles dans un processus généralisé
d’Autogestion culturelle. Dans cet ordre d’idée,
il est vital de préserver aujourd’hui les autonomies
existantes, comme celle des universités, de la minorité
de décideurs qui contrôle l’ensemble de la vie
sociale. Chaque acte antiautoritaire diminue partiellement le pouvoir
économique et politique : on pourrait donc favoriser la naissance
de réseau capillaire.
Aujourd’hui, le Capitalisme n’a plus besoin de masses
de travailleurs et son évolution entraîne des catastrophes
écologiques, des luttes pour un croûton, des phénomènes
de xénophobie et de fondamentalisme religieux, etc. Si nous
gardons foi en la Solidarité, et n’oublions pas notre
expérience de la Liberté, alors la sereine espérance
sera là pour affronter les défis du siècle
prochain…
C. Ferrer : ce thème de l’utopie provoque chez les
anarchistes une migraine chronique. Comment procéder pour
que de plus en plus de personnes partagent et défendent l’idéal
acrate ? Sauf si, par magie, nous pouvions élever le taux
de fertilité des anarchistes et que nos descendants en mutant
transmettent la peste noire à nos ennemis. Encore que ceci
suppose qu’être rejeton de libertaire soit une expérience
hautement recommandable, alors que supporter un père bakouniniste
soit une tare improbable.
Mary Shelley, avec le Dr Frankenstein, nous a formellement déconseillé
le laboratoire social avec lequel, à coup d’ingrédients
comme telle conduite, telle valeur, tel mode organisationnel, on
pourrait fabriquer le parfait petit anar.
De même, quand nous employons notre rhétorique persuasive
: « chère voisine, nous autres anars prétendons
à un monde sans prisons, sans Dieu, sans Capitalisme, sans
police, sans frontières, sans Etat et nous vous demandons
pour cela votre collaboration complètement désintéressée.
»
Conclusion : on comprend que presque toute la population considère
l’anarchie comme idéal impossible.
Tragédie politique acrate : laquelle n’a sa chance
que dans les conjonctures de crise politique, économique,
et d’intense mal-être culturel. Alors une grande partie
de la population réclame la transformation de sa mort quotidienne
(travail et résignation) en jeu et fête. Le 19ème
siècle nous a légué 3 philos de vie : - un
idéal de conscience réflexive où l’espace
public délibératif ferait l’amélioration
sociale. – un idéal romantique, basé sur les
valeurs de l’émotion, de l’art, de la culture,
voire du ciel protecteur. Son alternative est la philo de la volonté,
c'est-à-dire de fomenter en chacun la vitalité émotionnelle
pour qu’il puisse fonder sa singularité dans une communauté
égalitaire, se mutinant contre le type de vie bourgeois avec
ses promesses de bonheur toujours inaccomplies, au moyen du travail,
de l’épargne et de la famille.
Quel est donc l’origine de l’être acrate dans
nos vies personnelles ?
La réponse à cette énigme serait le porte-voix
efficace pour diffuser nos idées.
Force et faiblesse de l’anarchisme : l’irréductibilité
à cette vie bourgeoise, l’impossibilité de s’intégrer
à la vie conformiste, d’où notre intransigeance
politique et vitale. Nos théories et pratiques sont irrécupérables
par les institutions, ce qui est garantie de notre espoir social
mais en même temps condition malheureuse de notre mouvement
politique. Paradoxe du pendule de l’anarchisme oscillant entre
moment irrationnel et moment réflexif, paradoxe de ses essais
ardus et avortés souvent d’organisation et sa survie
fragmentaire.
Problème politique libertaire : nous avons raison trop tôt
et les personnes sensées du commun sont comme paralysées
devant cet excès de vérité, car elles y répondent
selon un mécanisme de défense par le déni de
leur propre servitude.
Dilemme politique anarchiste : différend des partis politiques
qui ne recherchent qu’une majorité clientéliste,
alors qu’il est altérité de la hiérarchie.
D’où cette règle de stratégie pour le
petit nombre de militants de la sensibilité et de la mentalité
libertaires : ne pas les enseigner par la pédagogie mais
par la contagion.
Objectif de l’anarchisme : mettre en évidence les ombres,
les secrets de la domination cachés dans les institutions.
Nous accepter comme une minorité influente sur un cercle
de sympathisants. Problème difficile : sur quelle substance
sociale décharger la critique, sur quelles valeurs, avec
quel langage ?
Accepter nos contradictions. Alors que le 20ème s se termine
sur une sourde crise spirituelle, peut-être qu’une part
de la population se lassera de la vie banale, résignée,
crédule ; alors anarchisme = antipode spirituel de la société.
Force politique de l’Idée libertaire : c’est
l’effort de détruire le principe de réalité,
vertige quand il devient rage aveugle. mieux vaut injecter de fortes
doses d’esprit ludique et transmettre joie, plaisir, bonne
humeur, aide désintéressée, éclats de
rire brisant tout moralisme. Ce style de vie se distingue de la
morale sordide de camp de concentration urbain de notre époque.
Quand nous sentons chez l’autre que la cause de sa souffrance
est injuste et tragique, nous devrions établir le contact,
instaurant ainsi une communauté instantanée. C’est
une manière de répandre le rêve anar sur le
territoire, car le rêve est une liberté étrange
qui pourtant nous habite tous. Anar = créateur de rêves
dessinant un horizon prometteur.
Donc minimum de l’action militante = conter la nocturne fantaisie
d’un autre monde.
Maximum de cette action : que ce conte soit rêvé collectivement
grâce à notre imagination politique, grâce à
notre pouvoir d’évoquer des rêves chaque nuit
plus beaux dans l’imagination politique collective…
I. Escudero : dans utopie et 21ème s, il y a contradiction
dans les termes car utopie équivalent d’uchronie, l’espace
imaginé n’étant qu’altération du
temps. Utopie et futur entraîne l’observation de l’endormissement
de nos utopies sentimentales où, au sens poétique,
est vraie la phrase : « je me souviens que je mourrai à
Paris un soir de pluie. »
Qu’est-ce alors que la Réalité qu’on nous
vend ? L’état des choses qui, avant, est choses de
l’Etat dont la moelle est l’Argent, au moins dans les
pays développés. La valeur d’usage a évolué
en valeur d’échange qui s’est changée
en valeur de crédit. Soit l’argent c’est du temps,
idéal monothéiste qui n’admet d’autre
représentant que son Idée. Pour Freud, l’argent
c’est de la merde. Pour notre sauvetage, l’Argent spiritualisé
est incorporé dans la signature personnelle dans la forme
des cartes de crédit. L’Argent majuscule bat des ailes
dans les hautes sphères de l’économie et de
la politique, soit du Capital et de l’Etat. Argent idéal,
tel le roi Midas, touche l’esprit des hommes et le convertit
en argent, en valeur.
Or, la société du bien-être se situe entre misère
pour certains et insatisfaction permanente grâce au super
néant publicitaire et la cathédrale d’inutilités
qu’est l’hypermarché.
Crédibilité Image : ici et maintenant l’entrée
dans le pouvoir se fait à travers l’image des mass
media, c’est la création du personnage pour les masses
par des experts en marketing. Cela génère en continu
de nouveaux fantasmes, sans arrêt remplacés par d’autres,
se dévaluant avec la même vitesse que se télévise
l’Histoire. Une autre valeur de crédit, symbolique,
passe par la Foi audiovisuelle, ou « croire ce qu’on
voit. »
Propositions politiques : n’importe quel monde nouveau implique
la dissolution de l’ici et maintenant, c'est-à-dire
défaire l’étant, comme Pénélope
défaisant la nuit son travail de tapisserie du jour. Que
faire alors de l’énergie du subconscient nocturne ?
User des matériaux du rêve retissés par le fil
rationnel et redits dans le langage populaire en s’inspirant
des traditions orales. Cela donnerait un « moi lyrique »,
populaire, anarchiste, de tous et de personne, parlant avec intelligence
et vérité, à la place du « moi étatique,
personnel, patriarcal, etc. Le rêveur vigilant est quelque
chose de mieux que le rêvé. La raison des rêves
est de nous libérer et de nous enlever la peur, celle, par
exemple, de se rebeller, latente chez les gens par delà leurs
intérêts particuliers et leurs sécurité
personnelle.
Quoi d’autre ? S’attaquer au temps dans sa facette de
Crédulité (en l’Histoire, au Futur, au Progrès),
en résistance et labeur sans fin, sans horaire ni salaire.
Défaire la tapisserie sans croire au lendemain (surtout quand
il chante) vaincra le temps par sa propre substance, selon le dicton
: à chaque jour suffit sa peine.
Défiance envers les Paradis à vendre (contre la fascination
des jeunes africains et latino-américaines devant la Consommation
et le <progrès technologique.)
Défiance envers Science et Médecine, pouvoir sur notre
corps (féminin) capturé et exploré dans ses
moindres recoins. Défiance envers les Gouvernements et les
ministères de la Culture : l’investissement le plus
rentable se fait aujourd’hui dans la culture.
Plainte, face à face avec le tyran, contre l’insupportable
de chaque jour qu’il convient de parler, de dire que ceci
n’est pas une vie ! Protester contre les inutilités
qu’on nous vend. Plainte contre le coûteux amour intéressé
que la Publicité porte aux femmes. Plainte contre le Marché
qui nous vend le modèle de l’Idéal féminin,
inatteignable, mais remplissant 2 fonctions : convertir la femme
en Argent pur, créer la frustration féminine continue
et en conséquence sa culpabilité de ne pouvoir atteindre
l’idéal.
Quant à l’utopie de l’Imaginaire, il est évident
qu’il est involontaire de construire un monde nouveau plus
juste, plus fraternel, plus merveilleux, ce labeur faisant partie
du puits sans fond des désirs.
Il ne faut que rester éveillés (comme Héraklite),
pas seulement en état de veille, mais aussi en état
de rêve. Que dans cet éveil tombe ce qui tombe, y compris
le rêve lui-même !..
* % *
Revenons maintenant à J. Maitron : « l’avenir
dira si l’anarchisme, idéologie parmi d’autres
qui sut parfois mieux que d’autres traduire cet esprit de
révolte, fut de nos jours la plus apte à le comprendre
et l’expliquer. »
Question d’une brûlante actualité à l’aube
de ce 3ème millénaire !
Question à trancher si l’on veut qu’une théorie
sociale du 19ème siècle puisse encore avoir quelques
chances d’éclairer le devenir de l’humanité
au 21ème siècle.
Et voila qu’enfin, comme à d’autres moments critiques
de sa déjà longue histoire, des individus, des groupes,
des sympathisants du mouvement libertaire appellent à l’unité
par delà leurs appartenances.
Il était temps ! Il ne s’agit pas seulement d’occuper
un vide dans le champ socio-politique, vide laissé par le
reflux des organisations politiques et syndicales de gauche, voire
de l’extrême – gauche. Il ne s’agit pas
seulement de se mobiliser, avec l’énergie du désespoir,
contre un capitalisme
triomphant à l’échelle du globe. Mais faut-il,
à tout prix, trouver une forme d’union entre nous si
nous voulons être simplement d’abord perçus,
puis crédibles devant cette part de la population qui n’attend
qu’un détonateur pour se mettre en marche vers un autre
futur.
Voilà très (trop) succinctement posés les enjeux
majeurs.
Nous sommes donc contraints, pour nous et pour les autres, de montrer
que nous sommes enfin capables de guérir une fois pour toutes
de la maladie infantile de l’anarchisme, laquelle a été
l’inaptitude totale à s’organiser pour promouvoir
son idéal de liberté.
C’est pourquoi nous pensons que la contribution locale des
personnes pourrait s’envisager ainsi :
-Un travail d’étude de cette compilation historique
qui reprend les grandes phases du mouvement, et ceci pour que les
jeunes militants, éventuellement, reprennent contact avec
leurs racines ; les militants aguerris se rafraîchissant la
mémoire, chose toujours utile pour faire le point. Il serait
bon, ne serait-ce que pour ne pas reproduire les errements du passé,
de faire une investigation serrée des causes (rationnelles
ou pas, apparentes ou pas) qui ont mené le mouvement anarchiste
dans son impasse actuelle.
- Un débat, au niveau local en premier, pour se mettre d’accord
sur une forme d’union en dehors des organisations existantes,
mais susceptible à la fois de respecter l’autonomie
de chacun et de valoriser l’efficacité de l’action
en commun.
Selon le résultat, et seulement alors, nous pourrions penser
à passer au niveau supérieur qui pourrait consister
à proposer des regroupements plus larges, par exemple régionaux,
ou mieux…
C’est dire que nous pensons à une véritable
régénération du mouvement libertaire, au sens
où il devrait recommencer sa structuration sur une base locale,
comme à ses débuts, en prenant bien garde de ne pas
se couper de son environnement social.
Ceci ne préjugeant en rien que ce débat soit répercuté
à un niveau national par l’entremise d’Internet,
si notre sentiment de nécessité était partagé
par d’autres groupes…
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