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Violences sexuées, violences sexistes


Lu sur No Pasaran : "Environ 300 à 400 femmes meurent chaque année de violences conjugales, alors que tout le monde calque des images dhommes violents mythifiés sur les auteurs de ces crimes. Ils seraient des fous, des monstres, des malades, des alcooliques, appartenant aux classes populaires Pourtant, considérer ces phénomènes comme des anomalies venant de nulle part ne peut quinvisibiliser la violence socialement construite et acceptée des hommes sur les femmes. Lobjet de ce texte va donc être de tenter de dégager que sont ces violences et de les restituer dans leur contexte sexué (ou plutôt genré).

La violence des hommes sur les femmes a des précédents historiques très forts. Exemple représentatif durant la guerre dEspagne pour ne pas remonter trop loin : La milice rouge émet des bons dune valeur dun peseta. Chaque bon donne droit à un viol. La veuve dun haut fonctionnaire a été trouvée chez elle. Près de son lit, on a trouvé 64 de ces bons (1). Cet horrible exemple du viol en tant quarme de guerre atteste dun lourd héritage de la violence globalisée des hommes sur les femmes, et cela sans même parler du viol comme arme ethnique (comme il a pu être utilisé en ex-Yougoslavie) (2).

En situation dextrême pauvreté, dans les pays du tiers monde, les femmes sont confrontées à toutes les violences : violence symbolique dune identité considérée comme inférieure, violence psychologique de la dépendance dans des structures familiales où elles nont que très rarement accès à une véritable autonomie, violences physiques de la surexploitation de leur corps dans le travail comme dans la reproduction (3). Lexcision est dailleurs révélatrice des violences qui peuvent être infligées.
Mais cet article na pas pour but de parler de la violence des hommes sur les femmes ailleurs et en dautres temps, mais bien de sancrer dans le ici et maintenant, à savoir la société occidentale daujourdhui. Car la violence physique y est globalement condamnée (même si, comme on pourra le voir, tout nest pas aussi simple) et non pas valorisée comme pivot de léducation ou moyen de se faire justice, comme cela a pu être le cas dans dautres contextes (4).

Ainsi donc, il ne faut surtout pas considérer les analyses présentées ici comme applicables à toutes les cultures et tous les contextes. De plus, il faut aussi considérer que malgré les nombreuses sources féministes utilisées, la parole présentée ici reste une parole dhomme, donc à considérer comme telle. Le masculin présenté comme neutre et universel est lun des pivots de la domination masculine.
Les analyses qui vont suivre vont sagencer selon cinq temps. Tout dabord, une mythologie de la violence des hommes sur les femmes sera étudiée. Ensuite, à partir détudes concrètes effectuées par des centres pour hommes violents, une définition de la violence sexiste sera proposée. Car ceci est nécessaire pour pouvoir mieux cerner qui sont les auteurs des violences sexistes et éliminer les mythes à ce sujet. Cest seulement alors que lon pourra sinterroger sur le fonctionnement de cette violence des hommes sur les femmes, puis sur ses origines dans la construction des identités genrées.

Les mythes de la violence
Avant dexaminer plus en détail la mythologie qui tourne autour de la violence, il convient de préciser que cette section (ainsi que beaucoup danalyses de cet article, dailleurs) est directement inspirée des travaux de Daniel Welzer-Lang (5). Donc pour regrouper en quelques phrases les mythes que lon peut entendre chaque jour sur la violence :
La violence est naturelle, dailleurs les hommes sont plus forts que les femmes ; le viol est une pulsion sexuelle irrépressible, on ne peut donc pas y faire grand chose.
Les hommes violents sont des fous, des alcooliques, qui perdent leur contrôle, et les violeurs sont des malades, des monstres
Les femmes battues sont des femmes qui le cherchent ou le provoquent, consciemment ou inconsciemment, et les femmes violées sont belles et provocantes.
Il ne faut pas qualifier tout et nimporte quoi de violence, il y a violence et violence ; si cest une fois cest pas si grave, cest si cest tous les jours que cest grave.

Tous ces mythes sont dans lensemble très présents, et même si on a parfois pu sinterroger à leur sujet, nous avons toutes et tous au moins entendu un énoncé de chacun dentre eux. Maintenant ce bref exposé mythologique terminé, il convient de tenter de cerner la violence en elle-même, sous ses différents aspects et formes.

Quest ce que la violence ?
Daniel Welzer-Lang, Gérard Petit, Josiane Nahon et Bruno Sérail sont à lorigine de la création du RIME (6). Daniel Welzer-Lang est aussi auteur de plusieurs ouvrages sur la violence et les hommes, et a fait sa thèse sur le viol. Il a donc pu constituer une classification des violences à partir de témoignages des nombreux hommes du centre daccueil pour hommes violents, dobservations de couples au travers de leur vie quotidienne, et même des dossiers dinstruction de cours dassises sur le viol pendant cinq ans dans plusieurs départements du sud de la France (7). Voici donc une classification de différentes formes prises par la violence selon ces divers témoignages.
Les violences physiques peuvent être considérées comme lensemble des atteintes physiques au corps de lautre : taper, frapper, empoigner, coups de pieds, de poing, frapper avec un outil, un ustensile ou un objet quelconque, tirer les cheveux, brûler, lancer de leau ou de lhuile bouillante, de lacide, pincer, cracher, jeter quelquun par la fenêtre, séquestrer, faire des gestes violents pour faire peur, fesser, électrocuter, déchirer les vêtements, tenir la tête sous leau, mordre, étouffer, casser le bras, les côtes, le nez, étrangler, tirer avec un pistolet, un fusil, poignarder, tuer Seules les personnes ayant tué se sont retrouvées devant un tribunal, les autres, jamais.

Les violences psychologiques regroupent celles portant (ou essayant de porter) atteinte à lintégrité psychique ou mentale de lautre : son estime de soi, sa confiance en soi, son identité personnelle A savoir : insulter, énoncer des remarques vexantes ou des critiques non fondées, critiquer de fa« on permanente les pensées ou actes de lautre, se présenter comme celui [celle] qui détient toujours la vérité , qui sait tout, inférioriser lautre, lui dicter son comportement, ses lectures, ses ami-e-s, refuser dexprimer ses émotions et obliger lautre à exprimer ses angoisses, ses peurs, ses tristesses, essayer de faire passer lautre pour folle [fou], menacer dêtre violent, intimider, menacer de représailles, de viol (par les copains), de mort, utiliser le chantage, faire pression en utilisant laffection ou les enfants, la destruction permanente, la dénégation de lautre, créer un enfer relationnel, le chantage au suicide en culpabilisant lautre, menacer de partir ou de renvoyer sa femme au pays (pour les immigré-e-s), forcer lautre à des actions vécues comme dégradantes (manger des cigarettes, lécher le plancher), contrôler sans cesse lautre, sarranger pour que lautre vous prenne en pitié et cède, se moquer sans cesse, nier le travail domestique effectué par sa compagne, insulter et dévaloriser le genre féminin ( toutes des salopes ou des putains )

Les violences verbales relèvent plus du ton, du débit de parole et des cris que du contenu des paroles elles-mêmes. On peut y trouver : cris qui stressent toute la famille, ton brusque et autoritaire pour demander un service, injonction pour que lautre obéisse tout de suite, faire pression sans cesse en montrant son impatience, interrompre lautre constamment en lui reprochant de parler, ou faire grief de ses silences en lobligeant à parler, changer le sujet de conversation fréquemment, vouloir diriger la conversation sur ses seuls centres dintérêts, ne pas écouter lautre, ne pas lui répondre

Les violences dites sexuelles ou sexuées posent un problème de définition, car parler de violences sexuelles revient à prendre parti pour le violeur. Car sil est clair que le viol fait partie de la sexualité du violeur, il ne fait pas du tout partie de la sexualité de la femme violée, et donc parler de violences sexuelles et non sexuées biaise déjà le problème. On peut cependant y mettre tous les rapports qualifiés par lhomme de sexuels, provoqués par contrainte ou par menace : forcer lautre à se prostituer, violer lautre en public ou en privé, la battre sur ses organes génitaux, lui brûler les organes génitaux (8), essayer avec sa partenaire et contre son avis, de copier des scènes pornographiques, quitte à la battre ensuite parce que cest une salope , exprimer des violences sexistes sur le corps et la sexualité des femmes

Les violences contre les animaux ou les objets ne signifient pas mettre sur le même plan animaux et objets, mais simplement parler de violences sur des choses, des individus ou des animaux à qui lautre porte une valeur affective.
Les violences contre les enfants peuvent aussi être définies comme tout acte visant à porter atteinte à lintégrité physique et psychique de lautre. Il existe une domination spécifique à légard des enfants, qui considère que les coups et lautoritarisme soient partie intégrante dune éducation normale. Ce genre de considérations amènent à ne pas toujours appréhender ce genre de traitements comme de la violence. Pourtant, il ny a aucune raison logique, pour qualifier un acte de violent, de faire une différence en fonction de qui le subit ou qui lexerce. On peut y trouver : les claques, fessées et électrocutions, les brimades alimentaires, les viols ou attouchements indésirés, les insultes

Les violences économiques sont assez peu couramment abordées, mais il sagit bien sûr tout dabord des salaires des femmes généralement inférieurs de 30 à 50 % à ceux des hommes. Il y a aussi de nombreux couples où soit lhomme vérifie le carnet de chèque de la femme, soit la femme na pas de carnet de chèque ou de carte de retrait. Mais la violence économique provient aussi de lutilisation des ressources au sein du couple. Niort est par exemple un ville dassurance où les femmes gagnent donc en moyenne plus que les hommes. Et même si les hommes ramènent moins dargent que les femmes à la maison, celui des femmes est considéré comme second : il sert à acheter la résidence secondaire, à mettre de largent de côté

Il y a aussi dautres formes de violences : les violences contre autrui dans la rue (afin de montrer sa supériorité), le contrôle temporel, empêcher lautre de suivre ses études
Après une telle énumération de violences, certes difficile à entendre, on ne peut pas affirmer que la violence ne concerne pas tous les hommes, et non pas quelques salauds et femmes maltraitées. En faisant attention à ce qui se passe autour de nous, on peut vite se rendre compte quelle nous est relativement proche. Il convient donc bien évidemment de sinterroger alors sur le mythe de lhomme violent tel quil est habituellement stigmatisé.

Qui est véritablement concerné par la violence ?
On a vu que le mythe veut que lhomme violent soit un monstre, un malade, un alcoolique, un homme sous lemprise de la colère qui perd son contrôle, quil appartient aux classes populaires Ceci tend à dire quil y a un type dhomme violent (et donc aussi à dire que ceux qui ne sont pas de ce type ne sont pas violent). On sait aujourdhui que le phénomène de la violence nest pas uniquement limité aux classes populaires, mais quil a à voir avec tous les milieux. Car si la majeure partie des femmes qui viennent aux refuges pour femmes battues sont en effet le plus souvent issues de ce milieu, ce sont aussi des femmes qui ne disposent pas de réseaux de soutien ou de ressources autonomes. Mais elles ne représentent pas pour autant lensemble des femmes violentées. Et plus spécifiquement, les hommes violents du centre daccueil de Lyon navaient pas le moins du monde lair de psychopathes, mais plutôt gentils, affables

Il existe aussi un problème de définition quant au fait de considérer quelque chose comme violent. Frapper ou rouer de coups sa femme ne serait-ce quune seule fois, cest être violent. Doù les anecdotes racontées par Daniel Welzer-Lang à propos des hommes accueillis au centre pour hommes violents : Ah bon, si « a pour vous cest être violent, alors oui on peut dire que je suis violent, dailleurs cest ce quelle ma dit avant de partir . Au départ, personne ne se considère comme violent, ni ne se sent concerné par la violence. Un homme violent, cest nimporte qui sauf soi.

En ce qui concerne les femmes battues, tous les spécialistes saccordent à dire quil y a environ 1% dhommes battus par rapport au nombre de femmes battues. Et il nest pas toujours facile de savoir car beaucoup de femmes témoignant préfèrent dire on se bat plutôt que cest lui qui me cogne . De plus, étant donné les stéréotypes que lon colle généralement sur létiquette dhomme violent, il arrive aussi quune femme ne veuille pas parler des violences quelle subit pour ne pas faire apparaître son compagnon comme lun de ces archétypes de brute alcoolique. Car il est tout à fait possible dêtre violentée, de détester cela, et de continuer à aimer lhomme en question. Ce sont justement les stéréotypes qui existent qui empêchent de prendre conscience de la violence des hommes sur les femmes comme dun phénomène social dampleur. Car personne nest vraiment considéré comme violent (sauf dans les cas les plus extrêmes comme lorsquil y a meurtre), ce qui permet à tout le monde reléguer la notion de violence sur autrui. Au final, seules les formes les plus extrêmes de violence sont donc reconnues ainsi, alors que la violence est très souvent présente même si généralement sous des formes moins extrêmes que le meurtre. Comme le dit Marie-Elizabeth Handman (9), la violence psychologique ou symbolique parfois sy ajoute [à la violence physique], parfois la remplace, mais nul ny échappe ni comme acteur ni comme victime .

Pour continuer à propos des femmes violées, elles sont recensées par les statistiques comme ayant de 2 à 85 ans, ce qui semble casser quelque peu le mythe de la femme violée belle et provocante . Dailleurs, le discours qui considère le viol comme pulsion sexuelle irrépressible apparaît rapidement comme une reconstruction a posteriori quand les dossiers des cours dassises sont étudiés et les violeurs interrogés en prison une fois le procès fini. Après avoir été jugés, les violeurs désignent souvent leur acte comme une rigolade entre hommes, comme un bon plan qui a mal tourné . Comme le dit très justement Daniel Welzer-Lang, dès quils ne sont plus dans une situation où ils doivent justifier ce quils ont fait, ils remettent le viol à la juste place dans les valeurs masculines, cest-à-dire comme un mauvais moment quils font passer à une personne pour prendre du plaisir .

De la même manière, les hommes violents sont persuadés dagir sous lemprise de la colère. Le contrôle de soi qui lâche et mène à la violence. Pourtant, il y a aussi des situations où les hommes violents pourraient se mettre en colère et craquer , alors quils nen font généralement rien. Quand un flic met un PV, ou que le patron fait une remarque, rien ne se passe la plupart du temps Il y a simplement des circonstances où lon sait inconsciemment que la violence est permise et autorisée socialement.

En ce qui concerne les violences domestiques, le scénario est généralement : un homme et une femme vivent ensemble, et lhomme la frappe une première fois. Elle est alors bouleversée, mais pense quil sagit dun accident. Le tout accompagné dexcuses et dassurance que lhomme non plus ne sait pas ce quil lui est arrivé. Il y a donc pardon, mais en même temps lintégration inconsciente du fait que la perte de contrôle de lhomme peut arriver de nouveau, et donc que cela peut recommencer. Car la violence sert à obtenir ce que lon veut, à faire céder lautre, et beaucoup dhommes considèrent toute contrariété ou frustration de leurs désirs de tout ordre comme une atteinte intolérable à leur personne. Il ne sagit pas de faire partir lautre, mais en quelque sorte de la dresser, de la rendre docile. Et quand les conditions sont à nouveau réunies, cest alors que la violence peut revenir, et son intensité augmenter, car la tolérance physique et psychologique va croissante elle aussi Un cycle peut alors se mettre en place, et la spirale montante dune violence de plus en plus fréquente et intense se crée.

On peut alors légitimement se demander comment fonctionne et se pérennise aujourdhui un tel phénomène, à savoir la violence socialement présente bien que peu reconnue, et comment il est possible quon en ait si peu conscience.
Invisibilisation et pérennisation de la violence

Les violences des hommes sur les femmes se sont fondées historiquement de manière très complexe. Pour ne pas se lancer dans un débat certes très intéressant, mais beaucoup trop vaste, je me contenterai de ne pas remonter plus loin que le code civil napoléonien. Celui-ci fait rentrer la mère à labri de lautorité maritale. Mais plus que de la priver de ses droits, le code civil la place sous la tutelle du mari. Ce statut de mineur (au même titre quun enfant), la livre corps et biens à larbitrage de lépoux (10). Si la violence pouvait être autrefois considérée comme lexpression du droit le plus strict et de lhonneur des hommes (11), ce nest plus le cas aujourdhui. Officiellement, la violence nest que très rarement considérée comme allant de soi, et le corps des femmes nappartient plus légalement aux hommes. Donc si les rapports de violence des hommes envers les femmes subsistent aujourdhui, cela signifie quils ont été intégrés et invisibilisés.

Le mythe de lhomme violent et de la femme responsable y sont pour beaucoup. Tant que lhomme violent ne correspond pas à celui du mythe, il ny a pas vraiment violence, ce nest pas bien grave De la même manière, si les femmes se sentent responsables de la violence quelles subissent, il ny a pas matière à dénoncer ce qui se passe puisque cest la faute des femmes. On peut ainsi arriver à entendre ce genre de témoignage : Quand je fais quelque chose « a lénerve Jai dû lénerver, jaurais dû me taire . Des femmes ont donc aussi intégré le mythe du cest la faute des femmes aussi . Et cest pire encore avec le mythe du il y a violence et violence, on ne peut pas tout taxer de violence sinon cest nimporte quoi . Car si la femme est convaincue que son agresseur ne la pas fait exprès, il ne peut y avoir absolument aucune remise en cause de ce qui se passe. Doù les OK, il ma foutu une claque, mais cest parti tout seul, il ne la pas fait exprès, on ne peut pas dire que ce soit vraiment de la violence . Il est clair quil faut que les dominées naient quune conscience imparfaite des pratiques des dominants pour que ceux-ci puissent continuer à exercer leurs privilèges. Dailleurs, les constructions sociales du masculin et du féminin amènent aussi les hommes et les femmes à mettre un sens différent derrière la notion de violence (comme derrière dautres notions aussi, comme le propre et le rangé, ou même le je taime ).

Les stéréotypes sont au fondement même du fait que les violences soient possibles sans remise en question individuelle et surtout sociale. Le mythe sur les hommes violents et les hommes violeurs isole complètement ces hommes, et les empêche den parler. De plus, cela leur permet aussi de ne jamais se considérer comme tel. Car personne ne correspond jamais totalement à un stéréotype, ou alors nen a pas conscience. Il y a alors une totale déresponsabilisation des hommes par rapport à ce phénomène. Car il est clair que faire du viol (ou de la femme battue) un événement monstrueux, une anomalie ou une atrocité extrême , cest empêcher toute analyse sociale et senfoncer dans limpuissance dy apporter une réponse adéquate. Car on ne peut alors chercher les contraintes individuelles et sociales qui produisent quelque chose considéré à tort comme le dysfonctionnement dun individu, un dérèglement social.

Comme le remarque très justement Véronique Nahoum-Grappe à propos des viols en ex-Yougoslavie (12) : la performance du stéréotype, cest le négationnisme . En effet, car le stéréotype du « a a toujours été comme « a amène à une futilisation du problème et une invisibilisation de son existence véritable. La meilleure fa« on de nier le présent, cest de le renvoyer à léternité des répétitions fatales (12).
Pourtant, on peut alors légitimement se demander comment tous ces schémas de domination, ces stéréotypes et cette violence intrinsèque au découpage genré de lhumanité peut prendre forme dans la vie des individus. Peut-on être porté à croire que cette répartition des rôles entre dominant et dominée, entre violeur et violée, entre violent et violentée est naturelle et immuable, ou bien doit-on tenter de comprendre doù elle provient et comment elle sinscrit petit à petit en chacun et chacune au cours du conditionnement social que lon subit au travers des âges ?

Une violence masculine construite socialement
Il est habituel de recourir à la nature pour légitimer des rapports de domination. On entend habituellement que les hommes sont plus forts que les femmes, ce qui prédispose bien sûr à considérer comme possible des violences de la part des hommes sur les femmes. Pourtant, sil ny a plus de pressions religieuses qui empêchent les femmes de manger avec les hommes, il existe à la place dautres formes de coercition. Le si tu manges à ta faim, tu ne trouveras pas de mari est une déclinaison plutôt courante de nombreux lieux communs véhiculés pour les petites filles depuis leur plus jeune âge. Ces pressions modèlent le corps des femmes, et ce depuis si longtemps quil est difficile de savoir ce quil en est véritablement. Des travaux américains montrent aussi que les mères nourrissent plus les petits gar« ons ( il en aura plus besoin ). De la même manière, dautres travaux ont aussi montré que les mères sont portées à allaiter moins longtemps leur petites filles, en raison de la légère jouissance provoquée par la tétée, jouissance beaucoup mieux acceptée si elle provient dun petit gar« on que dune petite fille. Les normes hétérosexistes jouent là encore un rôle assez conséquent. Bref tout ceci pour préciser quil nexiste pas de preuve que, par nature, les hommes soient plus forts que les femmes.

Dans le cas du viol, en dehors de pseudo explications naturalistes, on peut sapercevoir que la violence est avant tout un rapport de domination. Il ne sagit pas de traiter le comportement violent en tant que tel, mais plutôt de comprendre quels sont les rapports sociaux qui permettent dimposer et de légitimer lutilisation de la violence. Tout ceci sexplicite dailleurs dans un rôle de soumission, de lhomme comme de la femme à des rôles de domination/oppression.

Les normes de la masculinité imposent que, pour être un vrai mec, dans la société daujourdhui, il faut exercer une domination sur autrui. Ce besoin est encore plus fort si un homme a la sensation dêtre faible, ou sil se retrouve en situation déchec. Afin de se conformer aux modèles conventionnels de la virilité, il est alors encore plus nécessaire de se poser en tant que dominateur insensible. Selon John Whiting (13) : Il semble que les gar« ons qui doutent de leur masculinité aient davantage besoin de donner deux-mêmes une image stéréotypée de mâle, comme pour éviter dêtre à nouveau happés par lunivers chaud et rassurant des femmes . Les individus mal dans leur peau font habituellement montre dun grand nombre de pulsions caractéristiques de la virilité agressive hétérosexuelle, présentée en modèle aux gar« ons (14). Car telles sont bien les normes mises en valeur implicitement par léducation donnée aux gar« ons : grandir dans lambiance agressive dune famille dominée par un homme ; donner des coups ; en recevoir ; subir les pressions du clan des hommes ; reporter sa peine et sa souffrance sur autrui ; sidentifier à des héros fantasmatiques hyper-virils ; apprendre à séparer ses sentiments des souffrances que lon occasionne Léducation masculine et ses corollaires (lexacerbation de la guerre, de la dureté), tend à insensibiliser les hommes et à les faire relativiser, pour eux-mêmes et pour les autres, toutes les formes de violence. Pour continuer à citer Daniel Welzer-Lang : pour devenir un homme -un vrai homme-, il fallait endurer beaucoup de violences et de souffrances. Lapprentissage de la violence, les gar« ons le font dabord dans leur propre corps . Car pour sintégrer dans le clan des hommes, il faut être capable dexclure tous ceux qui ne sy intègrent pas. Cest par lapprentissage entre hommes, des savoir-faire, savoir aimer, savoir dominer masculins que la domination des femmes est structurée (15).

Et les médias sont aussi pour beaucoup dans cette formation des normes masculines à légard de la violence. De nos jours, en moyenne, un gar« on américain âgé de dix-huit ans a assisté à 26000 meurtres à la télévision, la plupart des meurtriers étant des hommes affirme Myriam Miedzain (16). Suzanne Képès affirme quant à elle qu il est urgent que les médias éliminent les images stéréotypées de la hiérarchie patriarcale, où les femmes sont présentées comme des objets sans défense à la disposition des pulsions sexuelles masculines (17). Encore récemment cette publicité pour la crème fraîche Babette qui montre une femme en tablier (sans la tête, donc sans doute représentative de toutes les femmes) sur laquelle se trouve écrit le texte : Je la lie, je la fouette, et parfois elle passe à la casserole . Faut-il préciser que le comique de cette publicité repose sur lambiguoeté de la phrase qui peut être comprise comme celle dun homme parlant dun femme ou celle dune femme parlant de la crème fraîche ? Si le rapport entre hommes et femmes est le même que celui entre les femmes et la crème fraîche, on reste interdit devant une telle réification des femmes, ravalées au simple rang dobjet manipulable.

Cest notamment ainsi que beaucoup dhommes peuvent penser quen matière de sexe, il faut forcer la main aux femmes, et quensuite seulement elles y prennent du plaisir. Les images romanesques classiques, où, dans sa fougue, le héros force quelque peu les résistances physiques de la belle, qui lui succombe finalement, sont plus que nombreuses et en général très bien ancrées dans les mentalités. On dit même parfois que cela met du piment . Faut-il donc croire que violer une femme, acte crapuleux, est radicalement différent de la conquérir ?
Etymologiquement, le verbe séduire du latin seducere, provient de la séparation (se) emmener à part , et de la conduite (dux, ducis, le chef) (18). Ne dit-on dailleurs pas plus facilement dune femme quelle est séduisante (passivité explicite), et dune homme quil est séducteur (rôle actif). Quil est rare dentendre parler de séductrice et de séduisant jeune homme, ou du moins pas avec les mêmes connotations que celles quont leur pendant masculin ou féminin. La séductrice reste encore pour certain-e-s le démon tant pourchassé par léglise
Il convient aussi de prendre en compte le fait quune éducation différente selon les sexes a pu amener à concevoir certains rapports de manières différentes. Ainsi sur le fait de céder ou darriver à obtenir quelque chose, on a habitué un grand nombre de femmes à avoir des rapports sexuels quand lhomme le demande. Il est nécessaire de réapprendre à avoir des rapports de désirs multiples et de sinterroger sur le sens que lon met derrière les plaisirs que lon peut prendre ensemble.

En guise de conclusion
On a pu voir que larticulation principale du problème de la violence, problème qui nous concerne tous et toutes, réside dans ce quil sous-tend, à savoir lexercice quotidien et permanent de la domination masculine, plus que dans la stigmatisation de quelques cas extrêmes de violences particulièrement abouties. La question est donc de ne pas se focaliser sur l arbre qui cache la forêt , au risque de croire la violence comme un dysfonctionnement de la société alors quen réalité, elle en fait partie intégrante en tant que valeur inculquée à tous les hommes. Cest aussi là lutilité des violences et plus spécifiquement du viol, que de permettre aux hommes de montrer leur pouvoir et den tirer des privilèges.
Pourtant, la violence exercée à lencontre des femmes nest bien sûr pas la voie vers leur bonheur, ni même vers celui des hommes. Car même si les hommes tirent dimportants privilèges de la violence exercée sur les femmes, cela ne fait pas leur bonheur. Limposition de normes tant dominatrices que dominées, sur les hommes et sur les femmes, les enferme dans des carcans sociaux où la liberté et lindividualité de chacun et chacune ne peut pas sépanouir.

Pourtant voir les hommes comme des ennemis des femmes ne peut en rien permettre de se diriger vers un meilleur futur. Car voir le monde comme un affrontement manichéen animé par des schémas simplistes napporte rien. Savoir quen tant quhomme un lourd conditionnement prédispose à la violence ne signifie pas tant que l ennemi est en nous et quil ny a rien a faire, mais bien plutôt que nous navons rien à attendre que de nous ! ! ! La violence sur les femmes existe aussi parce quinvisibilisée, et lun des premiers moyen de lui résister est de la rendre visible, de la pointer du doigt afin de montrer la place quelle détient dans la société daujourdhui. Une prise de conscience est nécessaire pour toutes et tous, et la volonté de changer les choses est indispensable, que ce soit au travers de structures de discussions et déchanges (mixtes et non-mixtes), ou de luttes antisexistes réelles, dans le quotidien aussi bien que de manière organisée. Il ne tient quà tous et toutes de briser et de dénoncer ce consensus et de décider de vivre autrement en refusant de se laisser enfermer dans les carcans sociaux.

Pirouli


Berliner Nachtausgabe, 4 novembre 1936, cité in Arthur Koestler, Hiéroglyphes, 4ème partie : Lécriture invisible ; 1936-1940, in uvres autobiographiques, Paris, Robert Laffont, 1994, p. 633

Guerre et différence des sexes : Les viols systématiques (ex-Yougoslavie, 1991-1995), Véronique Nahoum-Grappe, in De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1999

Le corps assujetti, Thérèse Locoh et Jean-Marie Sztalryd, in La place des femmes, les enjeux de lidentité et de légalité au regard des sciences sociales, Paris, La Découverte, 1995, p. 278

Lenfer et le paradis, violence et tyrannie douce en Grèce contemporaine, Marie-Elisabeth Handman, in De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1999, p. 132, 134

Lutilité du viol chez les hommes, Daniel Welzer-Lang, in Violence et masculinité, no copyright, Publications , 1998
RIME : Recherches et Interventions MasculinEs. A linitiative dun centre daccueil pour hommes violents (aussi animé par Isidro Fernandez) qui fonctionnera de novembre 1987 à décembre 1996, et fermera faute de subventions.
Ces dossiers contiennent quasiment tout : lhistoire du violeur, de la victime, les témoignages de la concierge, du boucher, les photos des lieux, du violeur, de la victime
Il est extrêmement fréquent dans les services durgence de voir des femmes avec des brûlures aux organes génitaux.

Lenfer et le paradis, violence et tyrannie douce en Grèce contemporaine, Marie-Elisabeth Handman, in De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1999, p. 122

Fragiles et puissantes, les femmes dans la société du XIXème siècle, Cécile Dauphin, in De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1999, p. 101

Proximités pensables et inégalités flagrantes, Paris, XVIIIème siècle, Arlette Farge, in De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1999, p. 91

Guerre et différence des sexes : Les viols systématiques (ex-Yougoslavie, 1991-1995), Véronique Nahoum-Grappe, in De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1999, p. 189

Sorcery, sin and the superego : a cross-cultural study of some mechanisms of social control, John Whiting, S. Ford Clellan, 1959
Devenir un homme, tuer lenfant en soi, David Jackson, in Violence et masculinité, no copyright, Publications , 1998

Les transgressions sociales des définitions de la masculinité, Daniel Welzer-Lang, in La place des femmes, les enjeux de lidentité et de légalité au regard des sciences sociales, Paris, La Découverte, 1995, p. 447
Boys will be boys, Myriam Miedzain, Virago Press, 1992

Violences sexuelles et prostitution dans la société patriarcale, Suzanne Képès, in La place des femmes, les enjeux de lidentité et de légalité au regard des sciences sociales, Paris, La Découverte, 1995, p. 315

Fragiles et puissantes, les femmes dans la société du XIXème siècle, Cécile Dauphin, in De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1999, p. 105"

Transmis par libertad, le Jeudi 12 Decembre 2002, 22:35 dans la rubrique "Le quotidien"


Le lien d'origine : http://joueb.com/hommefemme/news/36.shtml