I/ La xénophobie aujourd'hui :
a / la xénophobie institutionnelle :
* en Europe : la fermeture des frontières et l'espace Schengen
:
Le premier point à remarquer c'est la xénophobie institutionnelle
n'est pas une donnée spécifique à la France, c'est
un choix européen qui s'est structuré de longue date.
C'est le groupe de Trévi, qui regroupait les ministres de l'Intérieur
en 86 après les attentats, qui a mis au point les accords de
Schengen puis de Dublin. La construction de l'Europe est corollaire
de la notion de fermeture des frontières, l'un ne va pas sans
l'autre. Le grand marché impliquait la mise en place d'un nouveau
mur, la libre circulation interne impliquait le blocage externe. Ce
mur n'est pas physique, il est essentiellement informatique et policier.
L'instauration des visas, le contrôle au départ dans les
pays d'origine, la transformation du personnel des compagnies de voyage
en auxiliaires de police, la création de zones internationales
était liée au refoulement et à la fin du droit
d'asile. La notion "d'espace Schengen" commence juste à
se réaliser dans la pratique, c'est également une mise
en commun européenne de la surveillance des étrangers
en particulier avec le fichier SIS. Pour comprendre les effets de cette
politique vous pouvez vous reporter au livre de Chris de Stoop "Vite
rangez le linge ! Ils arrivent !" aux éditions Solin Actes
Sud.
* La France et ses lois :
I / La xénophobie au pouvoir
=> lévolution des lois jusquà la loi Debré
est clair (cf le tableau et larticle de Réflexes ou brochure)
=> compléter le tableau déjà fait (cartes de
dix ans, rétention et expulsion, hébergement et fichier,
restriction à lentrée = empreintes et poursuites,
répression du travail illégal, etc...)
Le second volet de la xénophobie institutionnelle c'est la spécificité
de la France. Le rythme des changements législatifs est presque
régulier : 86, 89, 93, 97. Tous les trois ou quatre ans la société
française éprouve le besoin de durcir ses lois qui gèrent
le statut de l'entrée et du séjour des étrangers.
La première remarque c'est la gauche et la droite sont dans le
même bateau. Ensuite il faut signaler qu'en 93 outre la loi Pasqua
trois autres textes ont eu une importance qualitative fondamentale,
il s'agit du changement du code de Nationalité, du nouveau code
pénal accompagné du changement de code de procédure
pénal et du décret sur les droits sociaux. En ce qui concerne
la Nationalité le droit du sol était remis en cause au
profit du droit du sang et la manifestation de volonté instaurée.
Le Saf (Syndicat des Avocats de France) parlait des nouveaux textes
judiciaires comme des textes où l'étranger était
la personne la plus fragile au niveau pénal et en situation de
grande faiblesse en ce qui concernait ses droits. Le texte sur les droits
sociaux a instauré la préférence nationale en liant
les droits sociaux à la régularité du séjour,
l'interconnexion entre les fichiers de la préfecture et ceux
de la Sécurité Sociale et des Assédic était
légalisée par le "gentil" Balladur.
En ce qui concerne l'évolution de lois en dix ans elle est très
claire, il faut dissuader les nouvelles entrées par tous les
moyens possibles et diminuer le plus grandement possible le nombre de
personnes étrangères vivant en France. Tout ce dispositif
réglementaire s'appuie sur une suspicion généralisée
dont Vichy-Pirate est un des éléments les plus significatifs.
L'augmentation du nombre des expulsions justifie à lui seul la
nécessité des mesures "anti-terroristes". Pour
plus de précisions vous pouvez vous reporter aux articles "La
xénophobie au pouvoir !" et " la loi et l'étranger-e"
contenus dans la brochure "Xénophobie et antiracisme".
La dernière loi en date la loi Debré continue bien cette
évolution, le fichier des empreintes existera bel et bien, la
confiscation des passeports aussi, les demandeurs d'asile auront donc
un statut qui ressemblera à la liberté surveillée.
La possibilité de mise en rétention sera facilitée,
le plein droit qui donnait droit à une carte de résident
de dix ans est devenu "plein droit temporaire" avec carte
d'un an sans droit au travail. La possibilité de retirer les
cartes de dix ans est légalisée même si on ne pourra
pas le faire pour "trouble à l'ordre public", mais
on pourra y procéder en cas de polygamie, de travail clandestin,
de chômage, d'absence de domicile. Le certificat d'hébergement
avec constitution de fichier sera effectif. Le délai pour obtenir
une carte de séjour par mariage est porté à deux
ans ainsi que la durée pour obtenir la nationalité par
mariage est également porté à deux ans, etc...
Même si le Conseil Constitutionnel a atténué les
dispositions les plus dures de ce texte, il reste néanmoins que
cette loi est ouvertement xénophobe.
La notion de "xénophobie au pouvoir" semble incontestable,
l'idée de purification ethnique choque encore beaucoup, c'est
assez difficile à admettre pour la bonne conscience française
toute pétrie du mythe des droits de l'homme, mais comment qualifier
la volonté de diminuer le nombre de personnes étrangères
ou dorigine étrangère vivant en France. Le débat
reste donc ouvert !
b / Les pratiques administratives et la préférence nationale
en acte, le racisme ordinaire et la xénophobie sociétale
:
Il ne nous semble pas nécessaire de détailler très
amplement ce point il suffit dobserver un peu ce qui se passe
ou dinterroger les personnes concernées pour se rendre
compte de lampleur du phénomène. Laccueil
dans les administrations est clair, les abus de pouvoir sont permanents,
les tracasseries administratives sont une donnée quotidienne,
la loi a transformé le personnel administratif en auxiliaires
de police. Le développement du chômage parmi les immigrés
est devenu massif, leurs enfants sont en grande majorité exclus
du travail. Les meurtres racistes camouflés en faits divers,
le traitement particulier par la justice des délits commis par
les jeunes, tout cela est devenu banal.
Ces attitudes sont confortées par le statut inégal des
étrangers (droit de vote, suspicion généralisée,
refus de la reconnaissance des différences par le modèle
républicain assimilateur, etc...). Ici on peut facilement noter
une interaction entre la loi et le racisme ordinaire. De plus on peut
remarquer une façon plus subtile de renforcer cela issue directement
du relativisme culturel actuel, il y a un mythe implicite à l'oeuvre
: il serait nécessaire de défendre la civilisation contre
les barbares à cultures différentes, ceux-ci du fait de
cette différence culturelle seraient incapables daccéder
aux bienfaits de la démocratie et à la grandeur des droits
de lhomme. La façon dont les médias traitent ce
qui concerne les étrangers est souvent marqué par le sensationnel
et une tendance à les montrer comme si différents que
souvent cela conforte la notion de seuil de tolérance et légalité
soi-disant évidente immigration = problème .
Combien de fois avons-nous entendu la blague nous navons
pas les mêmes valeurs ! . La fracture ethnique remplace
avantageusement la fracture sociale.
II / L'impossibilité de s'opposer à la montée
xénophobe et la bonne conscience antiraciste.
Ce qui pose problème dans cette situation cest cette difficulté
à sopposer à la dérive inexorable de notre
société : cette lente évolution où la xénophobie
est devenue normale et acceptée. Pour essayer de
comprendre ce phénomène au pays qui est si fier davoir
proclamé La déclaration des droits de lHomme
il faut tenter de comprendre comment sest articulé
la circulation de la légitimité dans le triangle Le Pen,
Etat, opinion, comment cette valse à trois temps a pu si bien
fonctionner.
II/ La difficulté à combattre Le Pen
=> il déplace les limites du débat démocratique
et les bornes de linterdit : cf les coups médiatiques qui
vont à chaque fois plus loin,
=> § sa stratégie a été dutiliser
en les retournant les thèses de la gauche
§ l'utilisation de la réthorique pour arriver à la
banalisation, appui sur les évidences : la différence,
le racisme anti-français , les métaphores
sur le sexe ou la santé la guerre ou autres, etc....,
§ la lutte sémantique est une lutte politique
§ utilisation des thèses de Gramsci (tenir la culture et
les postes dans l'appareil d'Etat) et des méthodes du P.C.F.
(une avant-garde et des courroies de transmission),
§ le recours contre la mondialisation = le front nationalitaire
contre la mondialisation (cf de Pasqua au P.C.F. en passant par
Chevènement il y a bien une contamination)
=> indignation vertueuse et la société et les institutions
salignent, le poids de la parole des politiques au pouvoir, les
énonciations désastreuses et lhistoire de la légitimité
politique
=> la domination y trouve son compte = déplacement sur la
victime expiatoire, de la fracture sociale à la fracture ethnique
!
=> le discrédit politique profite chaque jour un peu plus
à Le Pen (exemple de la justice : position de Chirac, appel des
juges européen sur la corruption, position du CSM et rien ne
bouge, le "tous pourris" s'installe pratiquement et dans les
têtes),
=> le modèle de la mosaïque du multiculturalisme contre
celui de l'échange interculturel,
* question : la notion de sacré vaut-elle en politique ? (question
de la vérité et de lengagement)
a/ Le rôle de Le Pen :
Lextrême-droite a joué un rôle particulier
dans cette évolution. Les avancées de lopinion et
de la loi dans la xénophobie sont liées aux coups médiatiques
du dirigeant de du FN. Il procède a peu près toujours
de la même manière. Il teste ses affirmations scandaleuses
dans les cercles restreint du Front ou des proches. Ensuite il essaie
sur un public plus large et suivant la réaction il réitère
son scandale de façon plus large, au besoin il se répète
pour que personne néchappe à ses dérapages
. A chaque fois on constate des réactions indignées
et souvent une volonté affirmée de le condamner, y compris
en justice, mais rien ne se passe et quelque temps après, ses
thèses, une fois qu'elles sont banalisées, elles sont
appliquées au niveau institutionnel. Il ny a aucune raison
à ce quil sarrête. Bien sûr il naffirme
pas ouvertement quil est raciste ou quil est fasciste, il
utilise la rhétorique et les contre-pieds, lévidence
et les blagues ou les calembours, mais personne nest dupe, on
comprend bien de quoi il sagit. La liste est longue du
détail à "linfériorité
des races".
La question qui se pose à ce propos cest bien lincapacité
de la société à lempêcher ou à
le condamner réellement. Les réactions se font sur le
mode de lindignation vertueuse, de la morale, d'une condamnation
comme sil sagissait dun méchant et de quelqu'un
de "pas beau", un vilain bonhomme, un diable en quelque sorte.
Pourtant à chaque fois il réussit à déplacer
les limites de linterdit, les bornes de lacceptable démocratique.
Cest lui qui a la maîtrise du curseur et le reste de la
société qui saligne. Le débat est centré
sur le FN et par le FN. Celui-ci sait très bien utiliser les
possibilités de la démocratie pour arriver à ses
fins, il est maintenant courant que ce soit les antifascistes et les
antiracistes qui soient accusés dêtre des fascistes
ou des racistes. Le thème du racisme anti-français est
bien connu, celui du droit à lexpression pour les fascistes
devient lui aussi récurrent.
(en nombre de voix le FN vient de faire autant que le RPR aux dernières
élections => l'hypocrisie de la société française
)
On peut alors se demander légitimement si oui ou non il y a du
sacré en politique, la question peut paraître étrange
dun point de vue libertaire, mais se poser cette question cest
réfléchir à ce qui est admissible ou pas dans une
société donnée, aux interdits et aux tabous. La
démocratie occidentale, et en particulier en France, est issue
dun long combat pour légalité et plus précisément
du combat contre le fascisme lors de la seconde guerre mondiale. Limpact
de la Shoah a disqualifié les fascistes et le racisme. Tout le
personnel politique se réclame de cette tradition. On aurait
pu considérer que ceci entraînerait une vigilance particulière
aux thèmes de lexclusion xénophobe, on constate
que non. Cest particulièrement dramatique pour la pensée
de gauche qui sest toujours réclamée des idéaux
de justice et dégalité. Cest en ce sens que
la notion de sacré est pertinente, Le Pen a réussi à
casser les tabous démocratiques et cela ne choque quasiment personne,
aucun dirigeant ou dirigeante politique ne semble prendre au sérieux
cette défense des valeurs fondamentales. Du moins les affirmations
de parole sont nombreuses, mais Le Pen continue ses méfaits et
nest jamais condamné pour ses propos racistes. On peut
alors se demander pourquoi les démocrates semblent incapables
de défendre ces valeurs.
b / Les démocrates et la gauche :
Le premier constat à faire ce sont les énonciations politiques
désastreuses qui légitiment la dérive de la société
et des institutions. Quentendons-nous par énonciations
désastreuses, il sagit de tous les énoncés
prononcés par les responsables politiques depuis de nombreuses
années, on peut en citer quelques uns :
* On ne peut accueillir toute la misère du monde
de Michel Rocard qui est en tête du hit ;
* les bonnes questions et les mauvaises réponses
de Fabius ;
* le seuil de tolérance de Mitterrand ;
* les odeurs de Chirac ;
* les charters de Cresson.
Toutes ces énonciations sont désastreuses parce quelles
sont dites par des personnes en situation de pouvoir et quelles
légitiment la banalisation des thèses de lextrême
droite. Si lopinion les reprend cest valide puisque cest
accepté et valorisé par la hiérarchie politique.
Pour la gauche cest lintériorisation de la contrainte
économique et la gestion du système qui permet de comprendre
pourquoi cette dérive fascisante nest pas condamnée.
En effet la gauche a choisi lacceptation du libéralisme
et lEurope de Schengen dans le contexte de la mondialisation.
Cest au nom dune éthique de la responsabilité
que lon conseille de nous soumettre au diktat de la gestion du
capitalisme, lennui cest que la lutte antifasciste et anti-raciste
ne peut se contenter de bonnes paroles et quelle a besoin dêtre
réactualisée, revitalisée et quelle se fonde
toujours sur des idéaux, sur une éthique de la conviction
qui rentre souvent en contradiction avec la gestion.
On entend souvent parler de droits de lhomme et de lhumanitaire,
mais ceci ne touche pas à lessentiel et est compatible
avec lexclusion et lexpulsion. Les droits de lhomme
sont devenus une idéologie qui est un vernis pour le libéralisme,
lhumanitaire est un moyen davoir bonne conscience et de
donner lillusion par le spectacle quon fait quelque chose
contre les malheurs du monde. Cest une bonne affaire politique
puisque cela conforte limpuissance et focalise lattention
sur les corps au lieu dencourager laction contre les rapports
de force impérialistes.
IV / La gauche
=> le choix de la gestion, et lEurope, lhorizon du libéralisme
comme obligation
=> le besoin de se dire antiraciste, liaison avec lhistoire
politique de lEurope du XVII° à 1945 = modernité
et progressisme !
=> lhorizon national et républicain et lincapacité
de reconnaître que la société a des composantes
multiples comme la vie
Cette incapacité à réagir aux thèses de
lextrême droite nous incite à examiner le fonctionnement
actuel de la domination, cest à dire en quoi peut-on remarquer
une similitude entre les nouvelles modalités du racisme et la
façon contemporaine de la domination de fonctionner. Le FN reste
un parti à part et il ne sagit pas de le confondre avec
la droite classique. Ce qui peut être relevé comme commun
cest lutilisation de la notion de différence. Si
on admet que cest la gestion différentielle des populations
ou "apartheid social" ou encore l'inclusion différentielle
qui est loeuvre, on peut comprendre pourquoi si peu de
démocrates combattent le racisme différentialiste.
Cest en effet la base même de la gestion de la domination
quil faudrait attaquer ce que ne peuvent pas faire les prétendants
ou prétendantes aux postes de pouvoir quils soient de gauche
ou de droite.
Ce que nous nommons inclusion différentielle cest le statut
différent réservé à chaque catégorie
de population, cest à dire que pour nous il nest
pas intéressant de parler dexclusion, mais quil est
facile de constater que tout le monde a sa place dans le système
à condition de rester à sa place, il ny a que des
inclus et des incluses mais avec une place spécifique pour chacune
et chacune. La crise de la centralité du travail accentue le
phénomène. Ce débat rejoint celui sur lintégration
mené dans les années quatre-vingts par les beurs. Lintégration
est déjà faîte en particulier par lintériorisation
des valeurs dominantes de notre société : le spectacle
et la marchandise. Ce qui pose problème cest la place qui
nous est attribué, la panne de lascenseur sociale a des
conséquences que tout le monde connaît : précarité,
généralisation du RMI, mal-vie, le sentiment dinutilité
et de vide, etc.... Cest pour cela que la question des
quartiers prend autant de relief, elle est insoluble dans le
contexte de la domination actuelle et nous sommes bien confrontés
dans ce cadre à ce quil faut appeler lapartheid social.
c / Les anti-racistes et ce qui reste de l'extrême gauche :
VI/ Les antiracistes
=> les lobbies et lhorizon légal
=> lincapacité (et le refus ?) à condamner le
différentialisme ou fondamentalisme culturel laisse le champ
libre à la domination
=> linstrumentalisation et la reproduction du pouvoir (lenlisement
des gauchistes)
=> le militantisme comme réponse à la crise existentielle
= la bonne conscience de soi une donnée fondamentale !
=> continuer à tout prix, tout se justifie à posteriori
cest pour la cause ! et il y a toujours de bonnes
raisons à faire ce quon fait => rôle de lurgence
et du nombre
Les associations et les groupes qui luttent sur ce terrain sont généralement
nommées anti-racistes . Certaines nacceptent
pas cette notion et préfèrent le mot solidarité
pour définir leur action. Quoiquil en soit ce concept danti-racisme
est ce qui est connu dans le débat public et sert donc de terme
générique. Ce qui les caractérisent actuellement
cest le partage des tâches, chacune lutte sur un terrain
spécifique sans marcher sur les pieds des autres. De plus leur
base militante nest pas très forte et elles fonctionnent
avec des subventions para-étatiques pour leur financement. Autre
point notable cest leur forte présence sur la scène
médiatique alors que sur le terrain elles sont peu présentes.
L'évolution générale est bien celle qui va vers
un antiracisme de spectacle et la tendance des assos à devenir
des lobbies. Cest en fait l'échec de la compassion, mais
comme il faut continuer à tout prix, nous avons toujours beaucoup
de déclarations mais peu d'action. Cest ce qui sest
passé à St Bernard où les Sans-Papiers et les Sans-Papières
ont du imposer leur autonomie aux associations. Ce constat ne veut pas
dire que les militants et les militantes de ces associations ne soient
pas dévoué-e-s, sincères et honnêtes, mais
le fonctionnement social actuel est tel quils ou elles ne peuvent
que sinclure dans le spectacle sur le plan public et politique
et en pratique dans une militance défensive très limitée.
De plus comme leurs référents sont toujours basés
sur la critique du racisme biologique ils sont obligés dêtre
dans le recours incantatoire aux droits de lhomme.
Pour les organisations politiques qui sont investies sur ce terrain
la caractéristique majeure cest linstrumentalisation,
où la vision de la politique est marquée par un souci
dintervention fonction de lactualité. La raison instrumentale
a tellement marqué la culture occidentale quelle est devenue
une partie de linconscient collectif. Le souci dêtre
efficace et le besoin dêtre présent là où
il se passe quelque chose implique cette intrumentalisation. Cest
accentué par la vision globale de la critique révolutionnaire
qui cherche la rupture davec le système capitaliste. Pour
pouvoir montrer sa radicalité on place la barre très haut
au nom de lanticapitalisme et on fait comme si on luttait pour
la prise du pouvoir, le mot révolution a un statut quasi mythique.
Pour rendre compatible les luttes avec la lutte révolutionnaire,
on parle de composante immigrée du prolétariat mondial
ou de continuation de la lutte anti-impérialiste, puisque les
sans-papiers sont le résultat des migrations internationales,
elles-mêmes le fruit des rapport de forces impérialistes.
Le résultat cest que les luttes en question nexistent
que par rapport à un objectif qui les transcende et quelles
ne peuvent pas exister pour elles-mêmes, doù limportance
du thème de la révolution trahie qui permet dexpliquer
pourquoi on aboutit jamais et quil faille changer de terrain de
lutte régulièrement. Nous sommes bien face aux avatars
de ce qui est décrit comme le phallologocentrisme où encore
et toujours "la fin justifie les moyens". La puissance de
la raison instrumentale est alors au service de la reproduction du pouvoir
dans les sphères militantes.
Encore une fois il ne s'agit pas de mettre en doute la sincérité
et l'honnêteté des personnes qui militent ainsi, mais de
questionner les modèles mis en oeuvre par les organisations et
qui produisent l'effet inverse du but recherché. C'est bien la
question du sujet qui est au centre du débat.
Le résultat évident de tous ces constats cest quen
France aujourdhui on peut se dire antiraciste et être pour
lexpulsion des étrangers sans que cela soit choquant.
III / Le débat de fond est-il possible ?
III/ Le différentialisme, le fondamentalisme culturel,
les habits neufs du fascisme et du racisme
=> lacquis du relativisme culturel
=> son utilisation par la nouvelle droite
* la frontière doit être étanche,
* la xénophobie serait universelle
* les conséquences : le seuil de tolérance, la naturalisation
de lidéologie dexclusion, etc....
* il n'y a pas d'exclusion mais de l'inclusion différentielle,
"chacun a sa place mais à sa place", gestion technique
et domination mentale (outils informatiques de contrôle social
- y compris la vidéosurveillance - et le système de communication
/ information)
* le relativisme culturel comme nouveau discours de la domination :
Pour essayer d'avancer de donner un peu de puissance à nos luttes
il me semble nécessaire d'essayer de comprendre pourquoi et comment
le FN a pu si bien marquer le sens commun de notre époque. Dans
ce cadre il faut noter le rôle de la Nouvelle Droite qui donne
un contenu culturel au racisme et qui en liant culture et territoire
a retourné la notion de différence et l'a mis au service
de la domination. Après la seconde guerre mondiale beaucoup de
travaux des sciences humaines ont contribué en ethnologie et
en anthropologie à monter qu'aucune culture n'était supérieure
à une autre, que l'important c'était la maîtrise
des symboles. C'est ce qui est nommé par la notion de relativisme
culturel. Dans les années soixante et soixante-dix le combat
a été violent, c'était la base de l'accès
aux indépendances dans le tiers monde et de la lutte pour le
droit à la différence pour les minorités de toutes
sorte en occident. La nouvelle droite a eu l'intelligence de se servir
de ces résultats théoriques pour donner au fascisme et
au racisme un contenu culturel. Le racisme biologique a été
disqualifié par la Shoah, les sciences ont montré que
la notion de race n'était pas valide. Pour les néofascistes
il était important de trouver de nouvelles modalités pour
justifier la hiérarchie de la domination. Ce qui leur a permis
de revenir sur le devant de la scène politique c'est le relativisme
et la notion de différence. Il n'y a plus de supériorité
biologique, mais une supériorité culturelle et l'absolu
a été transféré à la frontière,
à la différence qui est alors considérée
comme immuable, indépassable. L'argument ultime c'est la liaison
entre territoire et culture qui n'était pas contenu dans les
sciences humaines, la différence devient la base du fondamentalisme
culturel que ce soit pour les fascistes occidentaux, chez les Serbes
en Bosnie ou dans la lutte entre les hindouistes et les musulmans au
Pakistan et en Inde.
Il est important de noter que Le Pen lorsqu'il a parlé de la
supériorité des races il y a mis comme contenu "la
réussite de la civilisation occidentale". Ceci n'est pas
biologique, ni naturel. La notion de nature vient une fois ce contenu
affirmé pour en second assurer la clôture et lier le racisme
populaire avec le discours de la domination. Du temps de Louis XIV c'était
la royauté qui était considérée comme naturelle,
aujourd'hui les fascos et les intégristes parlent de la nation
comme naturelle.
Si on veut pouvoir opposer des arguments à la dérive
fascisante de notre société il me semble important de
dépasser la référence au racisme biologique. Il
est remarquable qu'aucun politicien ne se dit raciste au sens biologique
ou racial, mais tout le personnel dirigeant de l'occident emploie le
relativisme ou est relativiste. Cette idéologie énonce
facilement que "tout se vaut !" (hormis l'intérêt
particulier ou étatique bien sûr !). Ce relativisme est
renforcé par le recours perpétuel à l'universalisme
abstrait des tenants de la république. Cet universalisme prône
l'assimilation et refuse de prendre en compte les différences.
C'est typique dans le débat sur les droits de l'homme au niveau
mondial, l'occident estime que ceux-ci sont universels, beaucoup de
pays du sud affirment au contraire qu'il faut tenir compte des spécificités.
Il est vrai que cet argument peut-être employé par des
régimes autoritaires qui refusent la démocratie, mais
lorsque les pays africains souhaitent faire modifier la Déclaration
de Droits Humains de 1948 vis à vis du droit des personnes âgées
les occidentaux bloquent le débat et n'en voient pas la nécessité.
Le relativisme est tellement devenu anodin qu'il imprègne toute
la pensée politique et culturelle de l'occident, c'est le volet
idéologique de l'individualisme. Du point de vue de la marchandise
et du spectacle tout se vaut, il est difficile à l'individu à
exister dans ce cadre et là la différence devient primordiale.
Tout le monde vit de la même façon ou presque dans le milieu
urbain, mais ne pas être comme tout le monde hante la conscience
individuelle. Le FN pousse le bouchon jusqu'au bout, la différence
doit être préservée sinon on va perdre notre identité.
Pour s'en sortir il me semble nécessaire de prendre en compte
l'importance du phénomène identitaire dans la crise générale
actuelle. Admettre la relativité est le point de départ,
c'est à dire que la différence existe, c'est le fameux
"multiple" si cher à Deleuze. Mais la relativité
n'implique pas le relativisme, c'est à dire qu'on peut proposer
comme piste de réflexion et d'action "la relativité
sans le relativisme ! " ou "l'universalité dans le
respect des différences !" . Cette voie peut permettre de
remettre en débat sur les valeurs ou d'impulser ce débat.
La crise actuelle est si profonde qu'elle met en question la notion
même d'humanité. S'il s'agit de savoir ce que veut dire
"être humain" nous pouvons proposer la discussion au
niveau universel tout en sachant que le contenu sera une réponse
en situation. La reprise de la culture et des débats antérieurs
peut nous aider pour savoir ce que nous gardons ou ce que nous rejetons
dans ce contenu. Alors les réponses ne sont pas figées
ou prédéterminées par une identité fixe
et intangible, nous acceptons le caractère mouvant de ce niveau
identitaire pour l'humanité, où la négociation
est permanente, puisque nous sommes humains aussi par les autres humains.
La question de la subjectivité humaine rencontre ainsi la question
de l'universalité pour savoir ce qui est particulier ou commun
aux diverses cultures. Les apports extérieurs fécondent
toujours la communauté, c'est le principe de l'exogamie. La marchandise
et le spectacle n'ont qu'un but : que ça continue, que le profit
et la structure du pouvoir se perpétuent. Si nous visons l'idéal
de non-domination nous ne devons pas négliger ces débats,
sinon ce sont les dominants et la fraction extrême de la domination
qui l'emporte dans les esprits et dans la réalité.
VII Aujourdhui ?
Lévolution actuelle : une fascisation dun style nouveau
?
La marchandise compatible avec le néoracisme et néofascisme
?
La comparaison historique est insuffisante, la référence
à Vichy montre vite ses limites, le totalitarisme nest
pas stalinien, mais il est réel par - et pour la marchandise,
sur celui-ci se greffe la dérive actuelle, la barbarie ce nest
pas ailleurs cest ici !
1 / le relativisme culturel a offert un nouveau discours à la
domination, cette nouvelle rhétorique est devenue normalité
et elle fonctionne bien, le poids du sens commun révèle
limportance de la transcendance sociale
2/ le fonctionnement du débat public (politique) a changé
a / le spectacle et les réponses qui précédent
les questions (idéologie de la communication = partir du réel
pour le nier et le transformer en images => poids des identifications)
interrogation sur le fonctionnement de la culture et de sa transmission
(Debord, Bourdieu pour limportance de lhabitus et du symbolique,
F. Brune, etc...)
§ Fuite dans le virtuel (cf la grande illusion et le double retournement)
b/ individu qui se croit libre, mais un comportement de masse, bricolage
idéologique (Foucault, Marcuse, Guattari et la schizo analyse),
importance du néotribalisme
c/ absence de sens et sentiment de labsurde (FO qui parle de résistance
ouvrière)
§ la reconnaissance sociale vient encore du travail salarié
mais le nombre des précaires ou des chomistes qui ont du temps
mais sont limités par l'absebce d'argent et l'impossibilité
mentale d'être actif
§ le nombre de personnes salariées qui trouvent leur travail
débile pourtant ils existent grace à cela
§ écart entre les mots et les choses => crise politique
(sang contaminé, fuite en avant du système et en particulier
avec la dette et largent, le nucléaire et le refus des
dangers et la prise en otage de générations futures, lamiante,
la vache folle, le financement de la classe politique, la production
darmes, tout est marchand, la situation des femmes, la bagnole
et la pollution dans les villes, etc...)
§ tout continue mais un sentiment de lurgence fort, d'autant
plus fort que l'on se sent impuissant, spectateur et non acteur (ou
si acteur d'une pièce sur laquelle nous n'avons aucune maîtrise)
§ tout se vaut ! => rien ne vaut hormis lintérêt
immédiat
§ on nest pas si mal ici !
d / la suppression des espaces intermédiaires entre soi et le
monde (ou la conscience du monde) tels que la famille, le village ou
la commune / la ville, la région et la nation. La relation individu
monde n'a plus de médiation. Nous sommes en contact de suite
et presque en permanence avec "le monde". La notion d'immédiateté
est liée à ce changement. On sait tout presque très
vite par la communication / information immédiate, mais on ne
connaît rien ou personnes. Certaines personnes notent la diminution
des contacts physiques (ou de proximité) dans notre vie actuelle.
Pour connaître il faut prendre le temps, pour se civiliser il
faut du temps, des allers et retours, des expérimentations, il
y a nécessité de parler, d'éprouver, une montée
progressive et qualitative des différents niveaux, notre esprit
ne peut pas tout ingurgiter d'un seul coup, il faut faire sien et cela
est un processus complexe.
e / des symptômes de crise :
* crise du progrès et crise des valeurs => luniversel
concret comme piste = pensée de la situation : théories
critiques dans la globalité et action concrète limitée
en situation
* invisibilité de lennemi et impuissance généralisée
(où attaquer et quoi faire pour arriver à la rupture ?
hante tous les esprits en lutte )
* crise de la représentation politique et exemple de la désobéissance
civile
* reconnaissance de limbrication des différents niveaux
(psychologique, sociologique, existentiel, structural, langagier, historique,
etc....)
* difficulté de penser le multiple et la complexité (Deleuze)
* incertitude et hasard, crise du déterminisme classique
* crise de lengagement et problème de la vérité
(Badiou et Benasayag),
* penser la politique et la vivre sans les partis mis avec un cadre
collectif
* importance du désir, importance de lexistentiel
* importance de lidentitaire, rôle des tribus
* une crise de civilisation => quelle contenu donner au mot humanité
?
* le besoin de sens et didéologie devient primordial
* impossibilité de répondre à la question
comment vivre ? autrement que temporairement et pour soi-même.
* La crise du sens et le spectacle :
L'absurdité de ce monde n'échappe personne, ce qu'il est
convenu d'appeler la "crise du sens" est devenu une banalité
y compris pour les ministres. La notion de société du
spectacle est évidente à tout le monde. La question qui
se pose alors c'est de savoir comment exister politiquement dans le
cadre de cette société où l'illusion et l'absurde
règnent en maîtres. Il faut s'interroger sur le rapport
entre l'individu et le "monde". On sait que l'individu est
une fiction crée par le système et les institutions, le
monde lui nous est transmis par les médias, les images, le sens
commun, le spectacle. D'emblée aujourd'hui l'individu est plongé
dans "le monde" . On peut noter un changement par rapport
au passé où la personne passait par diverses médiations
pour rentrer en contact avec la conscience du monde et de l'universel,
la famille et les institutions jouaient un rôle important, il
y avait une certaine progression pour arriver à la généralité,
au global. Le caractère immédiat du contact avec le monde
fait que nous sommes face à une "conscience mondialisée",
où les intermédiaires ont disparu et avec les espaces
publics de débats. En ce sens là nous sommes bien dans
un fonctionnement "panoptique" où la transparence est
fondamentale.
Pour exister dans ce monde on se rend compte qu'on est piégé
par le sens commun et ce qui est admissible ou ce qui ne l'est pas.
C'est à dire que la sphère symbolique devient un enjeu
de débat politique. Prenons l'exemple de la traversée
de l'Atlantique par d'Abboville qui unanimement a été
saluée comme un exploit et l'arrivée en France d'un réfugié
libérien qui fuyant son pays se cache dans la cale d'un cargo
et y reste 18 jours. Au bout de quelques jours ses vivres et son eau
sont épuisés, il est coincé entre les containers
et a comme compagnons de voyage des rats, le froid et l'obscurité.
A-t-il réalisé un exploit ? Lui-même est surpris
de la question, la valorisation collective n'est pas au rendez-vous.
La question symbolique est encore et toujours le lieu où la violence
de la domination s'installe et s'exerce. L'oublier c'est se cantonner
dans les limites du débat fixé par le système lui-même
et les images produites par ce système.
La lutte antiraciste doit reconnaître l'importance de cet enjeu
sinon nous ne militons que pour nous donner bonne conscience et avoir
une bonne image de soi. Ce n'est déjà pas si mal dans
le contexte de la barbarie capitaliste, mais fort éloigné
de nos prétentions. Il est possible de poser la question sur
ce que veut dire "être ensemble" pour pouvoir poser
la question de la loi et des institutions qui nous font devenir humains.
La question des valeurs rencontre donc celle de la sphère symbolique
où la question du tiers devient primordiale.
Conclusion : "Malgré tout dans le bordel ambiant"
Reprise du travail du XVIII° en adaptant à la situation nouvelle
tout en agissant concrètement contre la barbarie ici et maintenant
cest à dire en combattant le Kapitalisme et sa domination
multiforme.
=> travail théorique, idéologique = le combat des idées
et de transmission en acceptant la pluralité des approches
=> travail politique et organisationnel (nécessité
dun cadre collectif = une fédération libertaire
à partir des réseaux existants ?)
=> citoyenneté active (ou nouvelle citoyenneté) et
solidarité concrète (sans-papiers, syndicat, précarité
et exclusion, répression, antifascisme, femmes, etc...) = affrontement
à lEtat et aux dominants, mise en oeuvre pratique de lentraide
auto-organisée, etc....
C'est également agir sur les "conditions de possibilité",
c'est à dire faire en sorte qu'un certain nombre de choses soient
possibles (organisation collective et matérielle, transmission
des infos, mise en place de réseaux, publications, etc...).
Car la question dêtre anti-raciste et dêtre
antifasciste aujourdhui cest se poser la question de comment
et pourquoi être libertaire, cest à dire lutter pour
la liberté contre la domination sous les formes quon lui
connaît actuellement (capitalisme, machisme, xénophobie,
impérialisme, nationalisme, militarisme, nouvelles formes de
la religion, obscurantismes divers et variés, relativisme, etc....).
La praxis étant lunion dans la vie de la théorie
et de la pratique en évolution constante, cest à
dire la relativité sans le relativisme puisque cest lengagement
qui permet de lier luniversel et le particulier et de donner corps
aux idées tout en sachant que ceci est éphémère
et en perpétuel renouvellement.
Trouver et donner du sens et agir sans illusions ni certitudes !
V / Agir ?
* La lutte théorique et politique et la solidarité concrète.
Pour assumer ou essayer d'assumer tous ces défis une voie semble
s'imposer, c'est celle qui allie le combat politique et théorique
à la solidarité concrète. C'est oser penser tout
en sachant que nos actions en situation sont limitées et fragiles
et que nous ne pouvons pas répondre de façon globale.
Le combat des idées est toujours aussi fondamental si nous ne
voulons pas laisser l'initiative à Le Pen ou à la domination.
Ces deux niveaux d'action peuvent surprendre puisque la solidarité
est de fait dérisoire dans l'immensité des désastres
du présent et que la lutte théorique semble bien difficile
à mener et inaccessible à beaucoup de personnes. Pourtant
l'un ne va pas sans l'autre et permet de sortir de l'impuissance pratique
qui nous est assigné par le système. Interroger la société
sur sa bonne conscience antiraciste est la base de la désobéissance
civile. Attaquer la domination sur le plan symbolique permet aussi d'être
attentif à nos propres modèles, à notre imaginaire.
Poser la question du sens c'est déjà se donner du sens
à soi-même et aux regroupements qu'on choisit, puisque
nous essayons alors d'être en phase dans l'action avec nos affirmations
théoriques, ce qui peut être un moyen de sortir de l'absurde
sans forcément se prendre très au sérieux. Essayer
de savoir ce qui a ou non de la valeur pratiquement et théoriquement
devient alors une composante du vaste débat sur l'universalité.
PH. C. Nantes le13/5/97
Ce texte a servi de base à plusieurs débats à
Paris, Bordeaux, Bourges, Chambéry, Lyon, Poitiers et au Local
à Nantes.