Note de lecture sur le livre de Catherine Wihtol de Wenden «
Faut-il ouvrir les frontières ? » aux Éditions
de Sciences Po.
Jai pris connaissance de ce livre en écoutant France Culture.
Le journaliste et lauteure examinaient le problème de louverture
des frontières sous langle de la discordance entre la réalité
du monde contemporain : la libre circulation des capitaux, des biens,
des infos, des idées, et la fermeture des frontières qui
bloque la libre circulation des humains. Puis Catherine Wihtol de Wenden
a essayé de faire un bilan des conséquences positives
et négatives de la fermeture et de louverture des frontières.
Elle dénonçait les atteintes aux droits de lHomme,
limpossibilité dune fermeture totale, lillusion
dune immigration zéro et parlait des effets pervers des
lois actuelles. Elle prenait position pour louverture des frontières
en expliquant que la mobilité des humains permettrait une augmentation
des richesses.
Jai acheté ce livre et jai pu constater que le débat
sur la liberté de circulation était de nouveau à
lordre du jour dans lhexagone. Ce qui est étonnant
cest quil revient par la droite alors quil a été
bloqué par la gauche. Lhistoire de ce débat est
liée à la lutte des personnes sans-papiers. Plusieurs
associations ou groupes militants posaient la question de la libre circulation
ou parlaient de la remise en cause du dogme de la fermeture des frontières
après le coup de hache de St Bernard et au moment de la loi Debré
en 1996 et au début 1997.
Puis la gauche est arrivée au pouvoir avec un triumvirat de choc
: Chevènement au Ministère de lIntérieur,
Sami Naïr comme promoteur du codéveloppement et Patrick
Weil comme inspirateur de la nouvelle loi en préparation. En
Juillet 97 ce même Patrick Weil monte au créneau de façon
très virulente contre larticle dAlain Morice paru
dans la brochure IMmédia / Réflexes « Sans-Papiers,
chronique dun mouvement ». Alain Morice défendait
la libre circulation comme une idée raisonnable et sattachait
à montrer que le risque dinvasion qui sert de base à
la fermeture était un argument mal fondé et à rejeter.
Son statut duniversitaire donnait du poids à largumentation.
Patrick Weil attaquait cette position comme irresponsable, faisait lamalgame
entre lultra-libéralisme et la revendication douverture
des frontières demandée par le Gisti, la Fasti, le Collectif
des Papiers pour Tous, le mouvement des sans-papiers et leurs soutiens.
Il affirmait comme dhabitude que larrivée de nouveaux
immigrants empêchait lintégration des personnes immigrées
déjà là. Le débat était alors bloqué
et une chape de plomb sabattait sur la possibilité même
daborder la question.
Suite à la Coupe du Monde Pasqua demandait la régularisation
des personnes sans-papiers et commençait à évoquer
publiquement le besoin de main doeuvre lié au vieillissement
de la population des pays occidentaux.
Cohn-Bendit revient sur lidée douverture de frontières
lors de lélection européenne. Ce quon ne se
voit pas bien cest si cette position est énoncée
du point de vue du libéralisme ou du coté de légalité
entre les peuples et les personnes.
En Septembre 1999 Juppé revient sur ses positions antérieures
et demande, lui aussi, la régularisation de personnes sans-papiers.
On apprend également que le Médef envisage louverture
des frontières comme solution au besoin de main doeuvre
dans le cadre du vieillissement de la population européenne.
Octobre 1999 : parution du livre Catherine Wihtol de Wenden. Elle se
place du point de vue dune gestion propre du système. Elle
défend la possibilité douverture des frontières
en partant des trois axes :
- le maintien dun Etat de droit,
- la mondialisation qui engendre des flux de populations,
- le respect des droits de lhomme.
Elle démonte tous les arguments qui justifient la fermeture de
frontières un à un :
* la pression migratoire existe,
* elle va continuer, mais elle na rien à voir avec une
invasion ;
* la maîtrise absolue des flux migratoires est irréalisable,
* la politique de fermeture des frontières porte atteinte aux
droits de lhomme,
* elle génère une immigration clandestine,
* elle nuit à la fluidité des échanges (caractéristique
générique de notre monde contemporain),
* le codéveloppement nest pas une alternative aux migrations.
Les deux phénomènes vont de pair et ont tendance à
se générer mutuellement à court et moyen terme.
Pour Catherine Wihtol de Wenden louverture des frontières
nest pas illégitime. Elle dit que dautres arguments
quelle ne développe pas peuvent être avancés
:
- le rapport à lAutre,
- le dialogue entre les religions,
- la diminution des écarts de développement qui génèrent
les migrations.
On constate donc que la société française ne peut
pas échapper au débat sur la liberté de circulation.
Le débat refusé par la gauche revient par la droite. Car
après la lecture de ce livre la question qui se pose cest
de savoir de quel point de vue on mène le débat sur la
liberté de circulation ?
Catherine Wihtol de Wenden ne fait pas un livre militant, elle publie
à Sciences Po, elle accepte la gestion du système, elle
pense quune gestion propre est possible, elle ne remet pas en
cause limpérialisme.
Nous attendons la réponse de Patrick Weil et de Sami Naïr
aux arguments de Catherine Wihtol de Wenden, car elle ne défend
pas le libéralisme ou lultra-libéralisme. De plus,
elle sinscrit à la suite des demandes de Pasqua et de Juppé
qui posent la question des futurs besoins de main doeuvre du capitalisme.
Patrick Weil prétendait faire une bonne gestion en fermant les
frontières et là, on lui démontre encore une fois
que, du point de vue de la gestion, cest irréaliste et
générateur de bavures en matière de droit de lhomme.
Sami Naïr proposait le codéveloppement comme alternative
à limmigration, il est démontré ici que lalternative
nen est pas une.
A mon avis le débat sur la libre circulation doit se mener en
ayant comme horizon la lutte contre la domination et ne pas se situer
sur le même terrain que les gestionnaires du capitalisme. Débat
qui reste encore à mener.
Philippe Coutant Nantes le 11 10 99
Ce texte a été publié dans No Pasaran