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"La stratégie de la déception"
Paul Virilio


Cet auteur essaie d’analyser les changements dans la guerre suite à l’intervention de l’Otan au Kosovo.
Pour lui il s’agit d’une guerre totale dans l’espace où il faut considérer à la fois les bombardements classiques, mais aussi les bombardements magnétiques, la surveillance par satellites, l’utilisation des drones (petits avions sans pilotes téléguidés volant à basse altitude pour éviter le repérage radar), la guerre médiatique, le contrôle informatique.
Pour lui il y a ingérence effectivement, mais aussi ingérence médiatique et ingérence énergétique. C’est une guerre qui vise le « zéro mort militaire », les morts sont presque exclusivement des civil-es. Cette thèse est développée d’une autre manière par Temps Critiques dans l’article « De la valeur sans le travail à la guerre sans soldats ». L’emploi d’un écosystème d’arme cherche l’accident cybernétique chez l’ennemi. Il n’y a pas de guerre déclarée, ni de front.

La tentative de priver d’électricité un pays par les bombes au graphite est une méthode nouvelle. Ces bombes au graphite sont présentées comme « soft et clean », ceci n’est du qu’à leur faible puissance dans ce cas, mais si la puissance est forte on peut viser une centrale nucléaire et obtenir des dégâts très importants et ce serait très de fait extrêmement dangereux pour les populations.
Virilio met en corrélation les mouvements de populations dus aux guerres comme le Kosovo avec la demande de mobilité de main d’oeuvre souhaité par l’OCDE et les capitalistes. Les mouvements de population sont surveillés et suivis par satellite et informatique. Il estime que nous assistons là à une amplification de la détection. Il qualifie cela de télésurveillance panoptique.
Il étudie le changement dans la dissuasion par les armes et la stratégie globale dans le nouvel ordre mondial issue de la chute du mur et des changements intervenus au niveau impérialiste. L’Otan prend le dessus vis à vis de l’ONU. La procédure qui a prévalu est celle qui se résume ainsi : « qui ne dit mot consent ! ». Il analyse cela comme la suite des crises des Etats-nations. L’hégémonie des USA se confirme avec un désir de contrôle total de l’espace au dessus de la terre entière.

Il pense que c’est également une guerre économique totale avec une mutation militaire dans l’ère postindustrielle. Il s’agit d’une offensive stratégique US dans la quelle il faut exclure les autres pays, parce que la dissuasion ne se partage pas. La dissuasion est devenue cybernétique et spatiale. Pour cet auteur cette évolution est militairement révolutionnaire et politiquement réactionnaire.
La dissuasion devient totale, elle était nucléaire, elle est devenue sociétale, elle passe au-dessus de la souveraineté des États. La base de cette évolution est un concept écostratégiue planétaire et monopoliste, il s’appuie sur la possibilité de l’accident cybernétique intégral. Ses armes ne sont pas que militaires, elles sont également les coupures de courant, les virus informatiques, les bogues, le blocage des médias, etc. Il y a une complémentarité entre la dissuasion nucléaire et la dissuasion informatique, elle vise la paralysie des sociétés des pays attaqués. Cette nouvelle façon de faire la guerre cherche à provoquer la multiplication de la confusion (comme on l’a observée dans la guerre du Kosovo). La désinformation est obtenue par la saturation avec une masse d’informations, une surinformation où « le plus c’est le moins » en ce qui concerne la compréhension. Le chaos des opinions est normal et souhaité. Il constate également la difficulté à trouver du sens sur Internet.
Cet auteur remarque que c’est le retour de la politique de la canonnière avec les frappes préemptives au moyen des missiles longues portées comme on l’a vu dans la guerre avec l’Irak et au Soudan. La logique de la force fonctionne sans déclaration de guerre ou sans guerre véritable.
La volonté affichée d’utiliser des armes non-létales (non mortelles) est une suite des recherches sur la bombe à neutrons. L’arsenal postmoderne se déploie sur un champ de bataille qui est à la fois électronique et virtuel : les médias, les représentations, Internet, les satellites, etc. ; mais aussi physique et matériel : les défoliants et les bombes à dépression comme au Vietnam, les incapacitants chimiques, etc. La guerre cherche à provoquer des accidents en tout genre. La soi-disant guerre propre est légitimée par les droits de l’homme. Cette mutation de l’armement est basé sur un arsenal de guerre totale, qui cherche à obtenir des accidents systémiques, à neutraliser l’infrastructure, à créer une panique dans la population à contraindre à la passivité.

Paul Virilio pense que la stratégie US cherche à obtenir l’accident global sans déclaration de guerre en vue d’une mise K. O. des sociétés par un chaos transpolitique des nations.
Il examine le devenir de la dissuasion nucléaire depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La prolifération de des armements atomiques signifie la fin de cette méthode de dissuasion qui montait aux extrêmes. Il en conclue que comme on ne peut pas supprimer la bombe on peut toujours essayer de supprimer l’Etat ou les États.

Pour lui la course aux armement est relancée depuis la guerre du Kosovo, c’est en soi une course à l’épuisement économiques des sociétés (thèse déjà développée par Andrée Michel). Pour lui le Kosovo a été un remarquable champ d’expérimentation et une mise en représentation des nouvelles armes.
Il estime que la banlieue s’étend pour devenir un phénomène mondial autour de l’Europe, des USA et du Japon. Ce développement des banlieues s’accompagne d’une prolifération des mafias comme en Albanie et au Kosovo. Il s’interroge sur le rôle du TPI comme représentant du droit du plus fort et comme complément juridique de l’Otan. Il note l’extension des zones de non-droit.
Il se demande si l’affaiblissement de Clinton ne profite pas au Pentagone et si les militaires américains ne jouent pas la carte de l’Otan pour mieux paralyser les autres pays.

Pour lui la guerre du Kosovo annonce une nouvelle anthropophagie remarquée par Hannah Arendt dans la seconde guerre mondiale et annoncée par Nietzsche. Une façon de déstabiliser et de détruire les communautés humaines qui ne passe plus seulement par les armes conventionnelles ou nucléaires.
Il parle d’une stratégie de la déception parce qu’il n’y a pas de vainqueur ou de vaincu au sens classique, parce que la victoire militaire n’a rien réglé des problèmes politiques de la région, au contraire elle n’a fait que les accentuer.

L’intérêt du livre de Paul Virilio pour les libertaires repose sur plusieurs points :
1/ Son analyse nous invite à faire attention à la disproportion de la puissance entre les USA et le reste du monde.

2 / Il essaie de comprendre l’utilisation des nouvelles technologies en la liant à une nouvelle stratégie. Celle-ci intègre plusieurs façons de combattre, une manière strictement militaire et d’autres qui utilisent les systèmes d’informations, la surveillance sous plusieurs formes pour obtenir une confusion généralisée, un anéantissement par la passivité. Son insistance sur l’accident cybernétique global se comprend si on la met en relation avec la domination dans le monde de l’informatique, des satellites et de la communication.

3 / Les USA se comportent en gendarme du monde, ils utilisent la militarisation pour mettre à genoux les autres peuples et ont une visée de surveillance globale. La crise de l’Etat-nation prend des aspects qui ne vont pas du tout dans notre sens.
Les analyses de Paul Virilio confirment le poids des nouvelles technologies dans les nouvelles façons de dominer et l’importance de la maîtrise du mental. A nous de tenir compte des évolutions de l’impérialisme dans la manière dont il se reproduit et se maintient !

Philippe Coutant Nantes le 16 11 1999


Cet article a été publié dans No Pasaran