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Origine : http://www.edicom.ch/magazine/femina/epoque/dr_violents.shtml
Un foyer pour hommes violents
Cris, coups, larmes et la fuite, souvent avec les enfants. Les
femmes battues n’ayant d’autre alternative que l’abandon
en catastrophe du domicile familial. Genève prévoit
d’inverser cette logique en ouvrant une structure d’accueil
pour les hommes violents.
«J’aurais peut-être pu sauver mon couple.»
La voix de Michel trahit son émotion. S’il avait su
où aller, si un lieu d’accueil pour des hommes violents
comme lui avait existé, il aurait vraisemblablement quitté
le domicile familial avant que la situation ne dégénère
jusqu’au point de non-retour. Avant que les yeux de sa fillette
de 2 ans ne le regardent, remplis de frayeur et d’incompréhension
face à ce père qui retourne les tables et hurle des
mots insensés. Ce regard le hante encore. C’est ce
qui l’a stoppé. Net. Et l’a décidé
à quitter la maison. «Je n’ai jamais levé
la main ni sur ma femme ni sur mes enfants, mais on ne sait jamais
où peut conduire une explosion de violence.» Lorsqu’il
perd le contrôle, il se sent comme une cocotte-minute. Sa
force quintuple, il casse des objets, bouscule parfois sa compagne.
Puis l’orage se calme. D’un coup. Vient l’heure
des excuses, de la recherche du pardon, de la constatation des «dégâts»
bien plus graves que les débris qui jonchent le sol.
Honte et peur
Michel, la quarantaine, a dû retourner chez sa mère.
Pendant un an. Le temps nécessaire pour trouver un appartement.
Il se sent seul, conscient d’avoir un énorme problème
mais ne sachant vers qui se tourner. C’est le grand vide,
celui qui précède le désespoir profond. Son
suivi par des psychiatres ne le convainc pas. «Je voulais
m’en sortir. J’en avais assez de faire du mal aux autres,
à ma compagne, à mes enfants.» Il sent qu’il
est une bête noire dans notre société. Il a
honte de demander de l’aide, peur d’être stigmatisé.
3 clés pour s'en sortir: ne pas se trouver d'excuses, reconnaître
sa violence et vouloir se soigner.
Au bout d’un mois de calvaire, il se souvient d’une
allusion à l’association Vires qui propose de l’aide
aux hommes aux comportements violents. Aujourd’hui, après
un an de thérapie, Michel, qui s’est toujours trouvé
des excuses, affirme fermement: «Il n’y en a pas, d’excuses.
Rien ne justifie la violence.» Ce chemin, il est convaincu
qu’il aurait dû le prendre plus tôt. Mais la seule
option qui s’offrait à lui, la seule existante encore
actuellement en cas de crise de violence, c’est l’internement
psychiatrique ou pénitentiaire. «Si un foyer offre
une alternative, je suis sûr que des drames pourraient être
évités.»
Aucune protection
Des drames, il y en a et ils sont en augmentation. Selon les chiffres
les plus récents, plus de 1000 interventions de la police
genevoise concernaient des affaires de violences conjugales à
Genève en 2002 contre 871 en 2001. L’an dernier, 168
plaintes pénales ont été déposées.
En Suisse, il n’existe actuellement aucune protection immédiate
à l’intention des victimes. Elles doivent fuir ou continuer
de subir.
Deux modifications légales sont en discussion au Parlement
fédéral. La première loi, déjà
acceptée par le Conseil national et qui sera mise en application
en 2005, entend obliger l’agresseur à quitter le domicile.
Mais ne lui interdirait d’y revenir que pendant dix jours.
Le canton de Saint-Gall a adopté ce règlement en pionnier
et l’applique depuis le début de l’année.
La seconde loi devrait permettre une poursuite d’office des
actes violents au sein d’un couple et non plus seulement sur
plainte de la victime. Mais rien ne précise comment gérer
les effets dans le quotidien de la famille concernée.
Pionnière dans l’offre d’une thérapie
pour les hommes violents, l’association genevoise Vires revient
avec un nouveau projet inédit en Suisse qui compléterait
son action: créer un lieu d’hébergement pour
les agresseurs.
«Pour les victimes, quitter son chez-soi, devoir fuir, c’est
une seconde violence, c’est ajouter aux souffrances!»
s’exclame Anne-Marie von Arx-Vernon, présidente de
Vires. Sans parler de la désorganisation inévitable
pour les enfants, souvent traumatisés, qui devront changer
d’école ou de crèche, perdre leurs copains...
En outre, «les foyers pour femmes battues affichent complet»,
relève-t-elle, en sa qualité également de directrice
adjointe du Cœur-des-Grottes, l’une de ces structures
d’accueil. La situation est encore aggravée par la
crise lémanique du logement qui prolonge les séjours
en foyer, faute de trouver un appartement.
«Aujourd’hui, ceux qui commettent des agressions restent
chez eux. Il faut absolument inverser cette tendance, estime David
Bourgoz, psychologue à Vires. Ces hommes ne sont pas fondamentalement
différents de vous et moi. Mais ils se sont autorisés
un jour à utiliser la violence, une violence en escalade
pour asseoir leur pouvoir», explique-t-il. Or, après
l’urgence d’une explosion, il n’y a rien. Ou presque:
la prison ou l’internement psychiatrique ne sont que des réponses
de quelques jours, insuffisantes pour modifier durablement un comportement.
«Avec un foyer, la prise en charge serait plus efficace et
le processus de thérapie accéléré.»
Le projet pilote prévoit de disposer d’un appartement
ou d’une petite maison pour sept ou huit hommes qui seraient
là sur une base volontaire. Ils iraient travailler en journée
et, sauf contre-indications, pourraient préserver le contact
avec leurs enfants dans un lieu aménagé au sein du
foyer.
Prévenir aussi
Un autre enjeu essentiel du projet, c’est la prévention.
A plusieurs niveaux. «Nous recevons aussi des appels d’hommes
qui ont peur d’aller trop loin et cherchent à sortir
de l’engrenage de la violence», explique Sarah Candaux,
thérapeute à Vires. «On voit également
des compagnes convaincues que leur amour changera leur conjoint
et qui ne veulent pas le jeter à la rue, souligne Anne-Marie
von Arx-Vernon. Elles seraient rassurées de savoir qu’il
est pris en charge et pourraient mieux résister au chantage
affectif fréquent dans ces situations.» Un foyer permettrait
également d’éviter les récidives souvent
très graves. Selon Sarah Candaux, lorsque la femme parvient
à rester au domicile, elle vit souvent dans la terreur de
savoir son conjoint là, dans la rue, prêt à
débarquer à tout moment en état de crise.
Face à cette avalanche d’arguments, on se demande
pourquoi l’idée n’a pas été réalisée
plus tôt. «Parce que les mentalités n’étaient
pas prêtes. On ne voulait pas donner un rond pour ces «salauds»
de mecs qui tapent, répond crûment Anne-Marie von Arx-Vernon.
Aujourd’hui, on admet que pour lutter contre la violence conjugale,
on ne peut pas dissocier le couple.» David Bourgoz rappelle
que les foyers pour femmes battues existent en Suisse seulement
depuis trente ans, soit depuis la prise de parole des femmes. Sans
compter qu’il a fallu sept ou huit ans pour que l’action
de Vires soit pleinement reconnue par le Département de justice
et police. «L’évolution des mentalités
est forte», conclut-il. Un tabou est en train de tomber: aujourd’hui,
l’homme au comportement violent a le droit de demander de
l’aide.
Un pas de plus
L’association Vires a toujours joué un rôle
complémentaire au sein du réseau de lutte contre la
violence conjugale. En 1994, lors de sa création, deux thérapeutes,
Denis Châtelain et René Bourgoz, décident d’aller
au-devant des agresseurs, non pas pour prendre leur défense,
mais pour travailler sur les raisons de leur comportement. En 2001,
l’organisme est reconnu d’utilité publique, ce
qui se traduit par une subvention de 230 000 francs octroyée
par l’Etat, pour l’année 2002, et des locaux
mis à disposition par la ville de Genève. Ces moyens
lui ont permis de prendre en charge 79 hommes violents.
Pour affiner le projet de lieu d’hébergement, l’association
Vires a commandé une étude de faisabilité,
financée par l’étatique Fonds de prévention
de la violence. Terminé en janvier dernier, ce document,
qui tient compte des points de vue de toutes les parties concernées
(victimes, auteurs, professionnels du réseau social, police),
conforte l’idée qu’un centre doit s’ouvrir.
Et n’attend plus qu’une concrétisation rapide.
A la ville de Genève, Manuel Tornare, conseiller administratif
en charge du social, s’y attelle. Il cherche le lieu adéquat
à mettre à disposition. Du côté de l’Etat,
le projet est aussi salué positivement. «Si l’on
ne s’occupe pas de la prise en charge des hommes violents,
on ne fait que la moitié du travail», reconnaît
Micheline Spoerri, cheffe du Département genevois de justice
et police. Elle rejoint Fabienne Bugnon, la directrice du Bureau
de l’égalité, qui, tout en approuvant ce projet
de foyer, ne voit en lui qu’une réponse partielle:
«L’admission sur base volontaire ne permettra de toucher
qu’une toute petite proportion d’agresseurs. C’est
bien, mais ils sont marginaux parmi les hommes à comportement
violent. Il faudra aussi un arsenal répressif.» Pour
sa part, Micheline Spoerri va ressortir des tiroirs, où il
n’aurait pas dû atterrir, et réactualiser un
concept d’intervention intégré sur la violence
conjugale, réalisé en 1997. Il faut une structure
officielle avec une direction, un mandat et des délais clairs
pour que le canton se dote d’une base légale efficace.
Et la proposition de Vires là-dedans? «Elle est tout
à fait complémentaire.»
Isabelle Ducret
Origine : http://www.edicom.ch/magazine/femina/epoque/dr_violents.shtml
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