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Un foyer pour hommes violents
Isabelle Ducret

Origine : http://www.edicom.ch/magazine/femina/epoque/dr_violents.shtml

Un foyer pour hommes violents

Cris, coups, larmes et la fuite, souvent avec les enfants. Les femmes battues n’ayant d’autre alternative que l’abandon en catastrophe du domicile familial. Genève prévoit d’inverser cette logique en ouvrant une structure d’accueil pour les hommes violents.

«J’aurais peut-être pu sauver mon couple.» La voix de Michel trahit son émotion. S’il avait su où aller, si un lieu d’accueil pour des hommes violents comme lui avait existé, il aurait vraisemblablement quitté le domicile familial avant que la situation ne dégénère jusqu’au point de non-retour. Avant que les yeux de sa fillette de 2 ans ne le regardent, remplis de frayeur et d’incompréhension face à ce père qui retourne les tables et hurle des mots insensés. Ce regard le hante encore. C’est ce qui l’a stoppé. Net. Et l’a décidé à quitter la maison. «Je n’ai jamais levé la main ni sur ma femme ni sur mes enfants, mais on ne sait jamais où peut conduire une explosion de violence.» Lorsqu’il perd le contrôle, il se sent comme une cocotte-minute. Sa force quintuple, il casse des objets, bouscule parfois sa compagne. Puis l’orage se calme. D’un coup. Vient l’heure des excuses, de la recherche du pardon, de la constatation des «dégâts» bien plus graves que les débris qui jonchent le sol.

Honte et peur
Michel, la quarantaine, a dû retourner chez sa mère. Pendant un an. Le temps nécessaire pour trouver un appartement. Il se sent seul, conscient d’avoir un énorme problème mais ne sachant vers qui se tourner. C’est le grand vide, celui qui précède le désespoir profond. Son suivi par des psychiatres ne le convainc pas. «Je voulais m’en sortir. J’en avais assez de faire du mal aux autres, à ma compagne, à mes enfants.» Il sent qu’il est une bête noire dans notre société. Il a honte de demander de l’aide, peur d’être stigmatisé.

3 clés pour s'en sortir: ne pas se trouver d'excuses, reconnaître sa violence et vouloir se soigner.

Au bout d’un mois de calvaire, il se souvient d’une allusion à l’association Vires qui propose de l’aide aux hommes aux comportements violents. Aujourd’hui, après un an de thérapie, Michel, qui s’est toujours trouvé des excuses, affirme fermement: «Il n’y en a pas, d’excuses. Rien ne justifie la violence.» Ce chemin, il est convaincu qu’il aurait dû le prendre plus tôt. Mais la seule option qui s’offrait à lui, la seule existante encore actuellement en cas de crise de violence, c’est l’internement psychiatrique ou pénitentiaire. «Si un foyer offre une alternative, je suis sûr que des drames pourraient être évités.»

Aucune protection
Des drames, il y en a et ils sont en augmentation. Selon les chiffres les plus récents, plus de 1000 interventions de la police genevoise concernaient des affaires de violences conjugales à Genève en 2002 contre 871 en 2001. L’an dernier, 168 plaintes pénales ont été déposées. En Suisse, il n’existe actuellement aucune protection immédiate à l’intention des victimes. Elles doivent fuir ou continuer de subir.

Deux modifications légales sont en discussion au Parlement fédéral. La première loi, déjà acceptée par le Conseil national et qui sera mise en application en 2005, entend obliger l’agresseur à quitter le domicile. Mais ne lui interdirait d’y revenir que pendant dix jours. Le canton de Saint-Gall a adopté ce règlement en pionnier et l’applique depuis le début de l’année. La seconde loi devrait permettre une poursuite d’office des actes violents au sein d’un couple et non plus seulement sur plainte de la victime. Mais rien ne précise comment gérer les effets dans le quotidien de la famille concernée.

Pionnière dans l’offre d’une thérapie pour les hommes violents, l’association genevoise Vires revient avec un nouveau projet inédit en Suisse qui compléterait son action: créer un lieu d’hébergement pour les agresseurs.

«Pour les victimes, quitter son chez-soi, devoir fuir, c’est une seconde violence, c’est ajouter aux souffrances!» s’exclame Anne-Marie von Arx-Vernon, présidente de Vires. Sans parler de la désorganisation inévitable pour les enfants, souvent traumatisés, qui devront changer d’école ou de crèche, perdre leurs copains... En outre, «les foyers pour femmes battues affichent complet», relève-t-elle, en sa qualité également de directrice adjointe du Cœur-des-Grottes, l’une de ces structures d’accueil. La situation est encore aggravée par la crise lémanique du logement qui prolonge les séjours en foyer, faute de trouver un appartement.

«Aujourd’hui, ceux qui commettent des agressions restent chez eux. Il faut absolument inverser cette tendance, estime David Bourgoz, psychologue à Vires. Ces hommes ne sont pas fondamentalement différents de vous et moi. Mais ils se sont autorisés un jour à utiliser la violence, une violence en escalade pour asseoir leur pouvoir», explique-t-il. Or, après l’urgence d’une explosion, il n’y a rien. Ou presque: la prison ou l’internement psychiatrique ne sont que des réponses de quelques jours, insuffisantes pour modifier durablement un comportement. «Avec un foyer, la prise en charge serait plus efficace et le processus de thérapie accéléré.»

Le projet pilote prévoit de disposer d’un appartement ou d’une petite maison pour sept ou huit hommes qui seraient là sur une base volontaire. Ils iraient travailler en journée et, sauf contre-indications, pourraient préserver le contact avec leurs enfants dans un lieu aménagé au sein du foyer.

Prévenir aussi
Un autre enjeu essentiel du projet, c’est la prévention. A plusieurs niveaux. «Nous recevons aussi des appels d’hommes qui ont peur d’aller trop loin et cherchent à sortir de l’engrenage de la violence», explique Sarah Candaux, thérapeute à Vires. «On voit également des compagnes convaincues que leur amour changera leur conjoint et qui ne veulent pas le jeter à la rue, souligne Anne-Marie von Arx-Vernon. Elles seraient rassurées de savoir qu’il est pris en charge et pourraient mieux résister au chantage affectif fréquent dans ces situations.» Un foyer permettrait également d’éviter les récidives souvent très graves. Selon Sarah Candaux, lorsque la femme parvient à rester au domicile, elle vit souvent dans la terreur de savoir son conjoint là, dans la rue, prêt à débarquer à tout moment en état de crise.

Face à cette avalanche d’arguments, on se demande pourquoi l’idée n’a pas été réalisée plus tôt. «Parce que les mentalités n’étaient pas prêtes. On ne voulait pas donner un rond pour ces «salauds» de mecs qui tapent, répond crûment Anne-Marie von Arx-Vernon. Aujourd’hui, on admet que pour lutter contre la violence conjugale, on ne peut pas dissocier le couple.» David Bourgoz rappelle que les foyers pour femmes battues existent en Suisse seulement depuis trente ans, soit depuis la prise de parole des femmes. Sans compter qu’il a fallu sept ou huit ans pour que l’action de Vires soit pleinement reconnue par le Département de justice et police. «L’évolution des mentalités est forte», conclut-il. Un tabou est en train de tomber: aujourd’hui, l’homme au comportement violent a le droit de demander de l’aide.

Un pas de plus

L’association Vires a toujours joué un rôle complémentaire au sein du réseau de lutte contre la violence conjugale. En 1994, lors de sa création, deux thérapeutes, Denis Châtelain et René Bourgoz, décident d’aller au-devant des agresseurs, non pas pour prendre leur défense, mais pour travailler sur les raisons de leur comportement. En 2001, l’organisme est reconnu d’utilité publique, ce qui se traduit par une subvention de 230 000 francs octroyée par l’Etat, pour l’année 2002, et des locaux mis à disposition par la ville de Genève. Ces moyens lui ont permis de prendre en charge 79 hommes violents.

Pour affiner le projet de lieu d’hébergement, l’association Vires a commandé une étude de faisabilité, financée par l’étatique Fonds de prévention de la violence. Terminé en janvier dernier, ce document, qui tient compte des points de vue de toutes les parties concernées (victimes, auteurs, professionnels du réseau social, police), conforte l’idée qu’un centre doit s’ouvrir. Et n’attend plus qu’une concrétisation rapide.

A la ville de Genève, Manuel Tornare, conseiller administratif en charge du social, s’y attelle. Il cherche le lieu adéquat à mettre à disposition. Du côté de l’Etat, le projet est aussi salué positivement. «Si l’on ne s’occupe pas de la prise en charge des hommes violents, on ne fait que la moitié du travail», reconnaît Micheline Spoerri, cheffe du Département genevois de justice et police. Elle rejoint Fabienne Bugnon, la directrice du Bureau de l’égalité, qui, tout en approuvant ce projet de foyer, ne voit en lui qu’une réponse partielle: «L’admission sur base volontaire ne permettra de toucher qu’une toute petite proportion d’agresseurs. C’est bien, mais ils sont marginaux parmi les hommes à comportement violent. Il faudra aussi un arsenal répressif.» Pour sa part, Micheline Spoerri va ressortir des tiroirs, où il n’aurait pas dû atterrir, et réactualiser un concept d’intervention intégré sur la violence conjugale, réalisé en 1997. Il faut une structure officielle avec une direction, un mandat et des délais clairs pour que le canton se dote d’une base légale efficace. Et la proposition de Vires là-dedans? «Elle est tout à fait complémentaire.»

Isabelle Ducret


Origine : http://www.edicom.ch/magazine/femina/epoque/dr_violents.shtml