Séminaire du 7- 8 Octobre 1999
Les hommes et la violence à l'égard des femmes
Recommandations
La violence à l’égard des femmes est l’un des principaux obstacles
à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le phénomène
trouve ses racines dans la structure même des sociétés européennes, fondées
sur des valeurs et principes patriarcaux. Bien que la violence masculine
puisse être dirigée aussi contre d’autres hommes et que l’on signale des
incidents provoqués par des femmes violentes, la très grande majorité
des victimes de violence dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
sont des femmes et des enfants.
La plupart des sociétés européennes continuent de tolérer la violence
à l’égard des femmes, jugée acceptable selon la tradition. Elles continuent,
directement ou indirectement, à en imputer la faute aux victimes en donnant
à entendre que celles-ci n’auraient pas été agressées si elles avaient
ou n’avaient pas adopté tel ou tel comportement. On excuse souvent les
hommes violents en disant qu’ils sont soumis à la tension d’un surcroît
de travail ou du chômage, sous l’influence de l’alcool ou de la drogue,
malades, etc.
Les femmes subissent des violences qui leur causent des souffrances ou
des torts physiques, sexuels ou psychologiques, et ce dans leur vie privée
comme dans leur vie publique. Cette violence peut revêtir différentes
formes: agression sexuelle, violence dans le cadre de la famille ou du
couple, intimidation et harcèlement sexuels (dans le cadre du système
éducatif, au travail, dans des institutions ou partout ailleurs), négation
des droits en matière de procréation, mutilation génitale, traite d’êtres
humains aux fins d’exploitation sexuelle et tourisme sexuel, viol ou agression
dans une situation de conflit (armé), meurtre «d’honneur» et mariage forcé.
Conscients de ce qui précède, les participant(e)s au séminaire organisé
par le Conseil de l’Europe à Strasbourg les 7 et 8 octobre 1999 sur le
thème «Les hommes et la violence à l’égard des femmes» adoptent d’un commun
accord les recommandations suivantes.
Recommandations aux Etats membres du Conseil de l’Europe
Le phénomène de la violence à l’égard des femmes étant encore nié, la
recherche et, en particulier, les enquêtes sont essentielles, car elles
peuvent servir à éclairer les décideurs sur l’ampleur réellede cette violence.
Pour mieux se rendre compte de l’incidence du phénomène en question, il
faut se servir d’instruments normalisés afin d’obtenir des données
valables, fiables et comparables, ainsi que des résultats représentatifs
de la réalité. Cet effort est à poursuivre aux niveaux
local, régional, national et international, et dans cette perspective,
les gouvernements devraient:
- Encourager et soutenir les projets d’enquête et de recherche nationaux
et internationaux sur les différentes formes de violence à l’égard des
femmes, en tenant compte des paramètres suivants, dont l’ignorance risquerait
d’altérer les résultats desdits projets:
- la perspective de l’égalité entre les sexes, y compris en ce qui
concerne l’élément de conflit entre les sexes, présent dans toutes les
sociétés européennes;
- la variabilité des significations et de la perception des notions
dans différents contextes que déterminent divers facteurs (par exemple,
les disparités de classe sociale ou d’origine régionale, culturelle et
linguistique): plusieurs groupes de personnes peuvent ne pas comprendre
la même notion - dont la violence - de manière identique;
- la stigmatisation de certaines notions, telle que le viol, encouragée
notamment par les moyens de communication de masse;
- l’évolution et la transformation des valeurs culturelles;
- les changements sociétaux, en particulier lorsque apparaît de
l’instabilité (due à des causes socio-économiques ou à un conflit); même
si la cause de l’instabilité disparaît, le niveau de la violence ne diminue
pas;
- encourager la normalisation des méthodologies de recherche en
se servant, entre autres, des éléments suivants:
- un échantillon représentatif de la population (1000 répondants
au minimum);
- une échelle comportant la description extrêmement détaillée des
actes de violence;
- les informations fournies par des femmes battues ou victimes de
tout autre violence (également en vue d’établir des questionnaires);
- la formation des enquêteurs/trices et des chercheurs/euses, qui
doit comporter une information sur la manière de prendre en compte les
différences culturelles, ethniques, sociales et économiques, ainsi que
sur celle d’accéder à des groupes isolés ou marginalisés;
- les précautions visant à prévenir les dangers que les répondants
pourraient courir à la suite des enquêtes ou études;
- pour les recherches conduites au niveau européen, le recours à
des linguistes professionnels pour éviter les problèmes de traduction;
- encourager et soutenir les recherches nationales et internationales
sur les points suivants:
- ce qui empêche quelqu’un de devenir violent;
- les moyens d’aller vers les hommes violents et de les intégrer
dans des programmes spéciaux;
- la polarisation dominante sur la construction de l’identité sexuelle,
en vue de promouvoir une perception plus ouverte de la féminité et de
la masculinité;
- dans quelle mesure et de quelle manière l’instabilité sociale
et la transformation de la société agissent sur les relations entre les
sexes et sur la violence à l’égard des femmes;
- les incidences que la violence domestique a sur les enfants et
adolescents et la manière dont elle affecte leur socialisation, ainsi
que leur future insertion dans le monde du travail et les relations qu’ils
ont avec leurs égaux et partenaires;
- les moyens de prévenir la violence et les abus exercés sur les
personnes âgées;
- les coûts économiques de la violence;
- améliorer les interactions entre la communauté scientifique, les
ONG travaillant dans ce domaine, les décideurs politiques et les législateurs,
afin de concevoir des actions coordonnées contre la violence;
- encourager la diffusion de toutes informations utiles (résultats
d’études et de recherches, statistiques, etc.) sur la violence à tous
niveaux à l’égard des femmes de tous âges;
- faire en sorte que les institutions chargées de prendre en charge
la violence masculine signifient clairement aux hommes que leur comportement
est inacceptable et mettent en place et approfondissent des stratégies
pour les récidivistes, y compris une approche pluri-institutionnelle;
- à l’aide de la stratégie de l’approche intégrée de l’égalité entre
les sexes, faire participer à l’élaboration d’une politique en la matière
tous les acteurs normalement concernés - même s’ils ne travaillent pas
en ce moment sur la question -, afin de lutter contre la violence à l’égard
des femmes;
- renforcer les législations et mesures nationales visant à lutter
contre la violence à l’égard des femmes, également en instituant des démarches
novatrices fondées sur les expériences conduites dans d’autres pays européens,
car la mise en commun des enseignements recueillis en la matière est essentielle
pour progresser;
- adopter ou renforcer les mesures de protection sociale, de sorte
que les dommages causés par des actes violents aux femmes et aux enfants
soient couverts par les régimes de protection sociale;
- promouvoir la formation des personnes travaillant avec des jeunes
et celle des professionnels de santé, afin d’une part d’identifier les
enfants et adolescents qui grandissent dans des foyers où règne la violence,
et d’autre part de prendre les mesures nécessaires pour les aider et les
soutenir;
- assurer la formation du personnel médical afin qu’il puisse identifier
les victimes de violence;
- promouvoir la participation des femmes en politique et à la prise
de décisions: il est important d’accroître le nombre de femmes en politique
afin qu’un nombre plus élevé de mesures pour combattre la violence soit
adopté;
- promouvoir l’éducation aux droits de l’homme, et en particulier
l’éducation à l’égalité entre les femmes et les hommes, dans tous les
Etats membres du Conseil de l’Europe, notamment ceux où l’on remarque
de l’instabilité sociale;
- susciter une participation active de la police en matière de lutte
contre la violence à l’égard des femmes;
- promouvoir la formation du personnel judiciaire en matière de
lutte contre la violence à l’égard des femmes;
- promouvoir la recherche et prendre toutes les mesures possibles
pour prévenir le développement d’une dichotomie et de l’inégalité entre
femmes et hommes, ainsi que l’agressivité masculine dans l’armée et dans
tous contextes militaires (particulièrement pendant le service militaire),
y compris pendant les conflits armés;
- condamner toutes les formes de violences à l’égard des femmes
et des enfants en situation de conflit;
- condamner les viols systématiques, l’esclavage sexuel, les grossesses
forcées des femmes et des jeunes filles ainsi que toutes formes de violence
à l’égard des femmes et des enfants qui tendent à être utilisées comme
arme de guerre, comme cela est apparu dans les conflits récents;
- promouvoir, dans les régions qui ont été affectées par des conflits,
un débat public ainsi qu’une diffusion de l’information concernant les
abus subis par les femmes et les enfants, afin de prévenir la répétition
de la violence.
- Recommandations au Conseil de l’Europe
- Les participant(e)s soulignent que la communauté internationale
- et en particulier les organisations internationales telles que le Conseil
de l’Europe - ont un rôle éthique capital à jouer dans la promotion de
la tolérance zéro vis-à-vis de la violence à l’égard des femmes. En condamnant
cette violence, elles peuvent transmettre un message politique important
aux gouvernements et aux décideurs.
- Les participant(e)s notent que les travaux incessants du Conseil
de l’Europe, et en particulier de son Comité directeur pour l’égalité
entre les femmes et les hommes (CDEG), visant à lutter contre la violence
à l’égard des femmes, ont beaucoup contribué à sensibiliser les esprits
à ce problème. Le Plan d’action publié en 1997 a été perçu comme une plate-forme
efficace pour l’élaboration de mesures au niveau national.
- Le Conseil de l’Europe doit continuer à jouer un rôle essentiel
dans la lutte contre la violence. La nécessité d’actions internationales
à entreprendre aux niveaux des législateurs, des décideurs politiques
et des chercheurs/euses en vue d’étendre la coopération internationale,
peut servir de base à l’action future de l’Organisation.
Les activités suivantes pourraient être conduites au sein du Conseil de
l’Europe ou avec son assistance:
- poursuivre et achever, aussi vite que possible, l’élaboration
du projet de recommandation relative à la protection des femmes et des
jeunes filles contre la violence, qui est en préparation sous l’égide
du Comité directeur pour l’égalité entre les femmes et les hommes (CDEG);
une fois adoptée, la recommandation pourra servir de référence pour la
préparation de lignes directrices nationales dirigées contre la violence;
- réaliser le plus tôt possible une étude sur l’état des législations
des Etats membres concernant la violence à l’égard des femmes; en assurer
la traduction et la diffusion dans les Etats membres;
- organiser - le cas échéant en coopération avec d’autres organisations
et organismes internationaux compétents - des réunions périodiques auxquelles
participeraient en particulier des décideurs/euses, des chercheurs/euses,
des praticien(ne)s et des représentant(e)s de la police pour déterminer
l’état actuel de la recherche et de la pratique en la matière et échanger
des informations à ce sujet;
- établir des rapports par pays sur la base des recherches effectuées
et des informations réunies au niveau national en ce qui concerne la violence
à l’égard des femmes et les mesures prises pour la combattre;
- à la suite des récents conflits en Europe du Sud-Est, prendre
part aux efforts entrepris sur le plan européen pour favoriser la paix
et la stabilité dans les pays de la région en organisant des activités
ayant pour but de combattre la violence à l’égard des femmes sous toutes
ses formes;
- promouvoir la recherche sur l’évolution de la violence à l’égard
des femmes, sous ses différentes formes, pendant et après les conflits
qui ont affecté récemment l’Europe du Sud-Est, y compris l’accroissement
de la violence au sein de la famille.
La page origine
des actes du colloque sur la violence des hommes sur les femmes :
http://www.eurowrc.org/13.institutions/3.coe/fr-violence-coe/01.actes-oct99.htm
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