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Derrière la violence, le refus d'accepter la femme comme une égale
Les groupes d'aide aux hommes violents sont indispensables mais insuffisants.
Gilles Rondeau
et Thérapies pour hommes violents Par Jeanne Morazain
Revue Intertface Volume 21, numéro 3 / mai-juin 2000

Origine : http://www.forum.umontreal.ca/numeros/1997-1998/Forum97-12-01/article09.html
Derrière la violence, le refus d'accepter la femme comme une égale
Les groupes d'aide aux hommes violents sont indispensables mais insuffisants.
Gilles Rondeau

"Le 6 décembre 1989, nous avons eu un choc. Cette tuerie horrible était une chose impensable qui rejoignait pourtant nos plus grandes craintes."

Gilles Rondeau, professeur à l'École de service social, se souvient. Pour lui, l'assassinat des 14 étudiantes à l'École Polytechnique par Marc Lépine n'arrivait pas tout à fait par hasard, car il travaillait depuis plusieurs années avec des hommes violents et connaissait la rage sourde de certains hommes contre les femmes. "Nous avions remarqué que certains hommes nourrissaient une colère, une haine contre les femmes qui prenaient leur place dans la société. Une colère et une haine qui faisaient peur."

À travers ce meurtre, qui demeure l'un des plus graves dans l'histoire canadienne, il y avait, selon M. Rondeau, un "refus d'accepter la femme comme une égale".

Huit ans plus tard, les choses ont-elles changé? Oui et non, répond le spécialiste. Les femmes ont certes gravi des échelons dans la hiérarchie du pouvoir, mais un bon nombre d'hommes continuent de leur nier ce droit à l'égalité, et ils le font avec une agressivité qui ne s'essouffle pas. "La violence n'est pas un geste isolé. Elle prend racine dans la vie de tous les jours. Il y a contrôle, pouvoir, puis gestes de plus en plus graves."

Cela dit, tous les hommes ne sont pas des Marc Lépine en puissance, et Gilles Rondeau insiste pour que le terme "violence" ne soit pas employé à toutes les sauces. "Si tout peut être qualifié de violent -un mot, un regard -, cela risque de banaliser la chose et de provoquer le contraire de l'effet souhaité. Par ailleurs, les hommes risquent d'être emprisonnés dans une image négative d'eux-mêmes. Ils sont des 'hommes toxiques', comme l'a écrit le sociologue Germain Dulac. C'est dangereux."

Changer la source du mal

C'est dans les années 1970 que la société québécoise a pris conscience de l'ampleur du problème de la violence familiale. Il y avait alors un immense besoin de maisons d'hébergement pour femmes violentées. Un effort a été fait dans ce sens.

"Par la suite, reprend M. Rondeau, nous avons constaté que c'était bien de convaincre une femme battue de quitter son conjoint et de refaire sa vie, mais si l'homme demeure violent, il reprendra son attitude avec sa prochaine conjointe. Il fallait s'attaquer à la source du problème."

En 1983, un premier organisme voué à l'aide aux hommes violents voit le jour au Québec, quatre ans après le premier centre américain. Puis en 1986, un amendement à la loi permet aux policiers d'intervenir dans les "chicanes de ménage". C'est un point tournant qui met fin à l'impunité de l'homme. On compte aujourd'hui 26 de ces organismes d'un bout à l'autre de la province.

Ces organismes de soutien fonctionnent bien. La méthode: l'homme qui se présente aux séances hebdomadaires de groupe (de six à huit individus par groupe) a lui-même pris l'initiative de cette démarche et en paie les frais. Sous la supervision de deux thérapeutes (psychologue, travailleur social ou autre), il partage son expérience avec les autres durant une session qui s'étend sur 15 à 25 semaines.

Gilles Rondeau avoue que cet exercice a des limites. "Les organismes d'aide aux conjoints violents sont indispensables, mais ils ne sont pas suffisants. On peut d'ailleurs dire la même chose des mesures pénales: elles sont nécessaires, mais pas suffisantes."

Sexe, drogue et crime

Depuis 15 ans, Gilles Rondeau a suivi de près l'évolution de ce sujet à Montréal. Il a notamment participait à la création de CHOC (Centre pour hommes opprimés et colériques), à Laval, et d'Option, à Montréal, deux organismes de soutien aux conjoints violents. Il a également lancé la Table de concertation en violence conjugale et participé à la création du Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite au femmes (CRI-VIFF). Puis, après avoir occupé les fonctions de directeur de l'École de service social de 1987 à 1991, il a collaboré à la rédaction de la politique d'intervention en matière de violence conjugale, adoptée par plusieurs ministères québécois en 1995.

Il travaille aussi à la recension d'écrits sur le monde carcéral et les conjoints violents et sur d'autres projets touchant la criminalité et les toxicomanies. "Avec la prison, la drogue, le sexe et le crime, je suis en 'business' pour longtemps", blague-t-il.

Mathieu-Robert Sauvé


100 Canadiennes assassinées chaque année

En 1993, les services de police municipaux, la Sûreté du Québec et les services de police amérindiens ont enregistré un total de 11 984 infractions liées à la violence conjugale, ce qui constitue une augmentation de 10,2% par rapport à 1992. Plus des trois quarts de ces infractions, soit 75,8%, ont donné lieu à une mise en accusation en 1993.

Selon Statistique Canada, une moyenne de 100 Canadiennes sont assassinées chaque année par leur partenaire masculin. La probabilité qu'une femme soit tuée par son mari est neuf fois plus élevée que la probabilité qu'elle soit tuée par un étranger. Les données de 1993 montrent que les femmes risquent plus que les hommes d'être tuées par un conjoint (39% des victimes de sexe féminin et 7% de sexe masculin) ou par quelqu'un avec qui elles partagent une relation intime (11% des victimes de sexe féminin et 4% de sexe masculin).

Source: Gouvernement du Québec, Politique d'intervention en matière de violence conjugale, 1995, p. 15.


Origine : http://www.forum.umontreal.ca/numeros/1997-1998/Forum97-12-01/article09.html
Thérapies pour hommes violents Par Jeanne Morazain

Revue Intertface Volume 21, numéro 3 / mai-juin 2000

Les hommes violents qui demandent de l’aide sont très peu nombreux à s’engager dans une thérapie et encore moins nombreux à la terminer (à peine plus du tiers d’entre eux). Afin de comprendre les raisons d’un taux d’abandon aussi élevé et de trouver les facteurs prédictifs de persévérance, huit organismes québécois offrant des programmes d’aide ont participé à une étude, à la fois quantitative et qualitative, du Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes.

« Notre recherche confirme les résultats d’études antérieures montrant l’importance des facteurs sociodémographiques individuels tels l’âge, le revenu, la scolarité, l’exclusion du marché du travail, les antécédents judiciaires, nous dit Gilles Rondeau, le chercheur principal. Elle révèle que les hommes qui recourent aux programmes d’aide sont plus démunis que l’ensemble de la population et que, manifestement, les mieux nantis s’adressent à d’autres ressources. De plus, parmi ceux qui s’inscrivent, tout se passe comme si les individus les moins nantis et les moins bien intégrés socialement s’éliminaient à mesure que le traitement progresse. »

La persévérance, apprend-on, est fonction de la maturité de l’individu et de la stabilité de ses conditions de vie. En outre, plus les hommes reconnaissent qu’ils sont violents, qu’ils doivent s’attaquer à ce problème et qu’une thérapie spécialisée est nécessaire, plus il est probable qu’ils terminent le programme d’aide. L’étude met enfin en évidence l’importance du soutien du milieu de même que, et c’est là un aspect plus nouveau, le rôle clé de l’alliance thérapeutique.

Les intervenants trouveront dans ces résultats matière à réflexion. Actuellement, il existe un seul modèle d’intervention : le groupe ouvert, non homogène. Il y a place pour d’autres modèles et d’autres façons d’intervenir. On pourrait notamment cibler une clientèle — par exemple, les jeunes de 18 à 24 ans, plus difficiles à maintenir en traitement — et adapter le programme à ses besoins. On pourrait encore offrir une meilleure préparation aux candidats en multipliant les rencontres préthérapie, et même, en offrant une thérapie individuelle avant l’inscription dans un groupe.

« Surtout, insiste Gilles Rondeau, il apparaît essentiel que les intervenants aient le souci d’améliorer leur capacité de développer des alliances thérapeutiques. Cela signifie apprendre à intervenir en favorisant l’engagement du client, en développant sa capacité de travailler sur ses problèmes et en forgeant avec lui un consensus sur les objectifs de la thérapie. »

Une autre originalité de cette étude est qu’on s’est intéressé aux trajectoires des hommes qui demandaient de l’aide. Cet examen montre que le processus thérapeutique se déroule en plusieurs étapes. « Ce n’est donc pas parce qu’il y a abandon du traitement que la démarche est terminée », conclut Gilles Rondeau. Par conséquent, l’efficacité des programmes pour hommes violents ne se mesure pas aux résultats d’une seule intervention puisqu’elle repose sur l’effet cumulatif d’une série d’interventions étalées dans le temps.


RONDEAU, G., BROCHU, S., LEMIRE, G., BRODEUR, N., La persévérance des conjoints violents dans les programmes de traitement qui leur sont proposés, Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes, Université de Montréal, 1999.

Origine : http://www.acfas.ca/decouvrir/enligne/scienceclips/213_therapies.html