"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google

« Utopie et anarchisme »
Eduardo Colombo


Essai de compte-rendu de l’intervention faite lors de la rencontre :
« Gardarem l’Utopie » à Bieuzy les eaux le 15 Octobre 2000

Eduardo Colombo commence par distinguer l’utopie comme anarchie et l’anarchisme comme mouvement de lutte social et politique. Il établit une relation entre l’utopie comme anarchie et la visée de changement social et politique. Il explique que l’utopie prend de multiples formes, l’utopie qui l’intéresse est l’anarchie. Il a choisi de traiter de l’utopie comme anarchie, il nous dit qu’il parlera de l’anarchisme comme mouvement politique le moment venu. Ce qui lui semble important de remarquer, c’est que de la même façon que l’utopie n’a pas de fin (il y a toujours de nouvelles utopies qui apparaissent et il y en aura certainement toujours de nouvelles) l’anarchie n’a pas de fin, toujours elle nous interroge, elle est à reprendre sans arrêt. L’anarchie est une variante de l’utopie qui est un ensemble d’idées qui visent la transformation sociale et politique. L’anarchie n’est pas une utopie qui cherche à décrire une société parfaite au sens où cela a été développé lors des interventions précédentes à propos des auteurs étudiés au cours de cette rencontre. Il a choisi de nous parler de l’utopie vue comme anarchie ou de l’anarchie vue comme utopie.
Pour lui, la question est de savoir où est l’esprit de l’utopie, est-il dans l’imaginaire d’une personne (comme Godin qui était le sujet de l’intervention précédente), ou était-il dans la Commune ? Il pense qu’elle était sur le pavé de Paris, parce que c’était là qu’il y avait une dimension collective pour le changement social et politique. Pour lui, l’utopie a toujours une dimension collective sociale. L’utopie a mille visages, l’utopie qui l’intéresse est celle qui a le sens de la négation de ce qui est et qui se vit dans un collectif social.
Il revient sur la présentation dont a parlé Ronald Creagh, à propos de l’image de Don Quichotte. Cette image est sur le document de présentation de ce week-end. Cette image de Don Quichotte avait été utilisée par un journal étudiant argentin en lutte contre la dictature militaire. Dans ce journal Eduardo Colombo et ses camarades avaient inclus un texte, une traduction extraite d’un journal publié à la fin du siècle dernier à Buenos Aires en langue française, ce journal s’appelait « La Liberté ». Ils avaient traduit et publié l’édito qui était une utopie d’avant le mouvement ouvrier. Le contenu du texte préconisait la révolution de suite, l’utopie c’était faire ce qu’on veut, une sorte d’Abbaye de Thélème. Il estime que c’était l’expression de leur jeunesse romantique et dans ce cadre l'image de Don Quichotte était bien placée. Puis Eduardo Colombo explique qu’il s’est rendu compte que cette image montrait en fait où est l’Utopie. Où est l’utopie ? Demande-t-il. Dans l’espace ou dans le temps ? La réponse, pour lui, est dans l’espace et pas seulement dans le temps comme on le dit habituellement.

Il explique que nous avons souvent accès à l’utopie par des descriptions qui viennent de nos ennemis. Pour lui, il est normal que les dominants critiquent l’utopie. Mais il faut aller au-delà de la vision de l’utopie comme transformation sociale vue par nos ennemis. L’utopie est critiquée par le marxisme comme étant une pensée d’avant la science, d’avant la rupture épistémologique décrite par Althusser. Ce courant critique l’utopie comme une critique sociale qui se fonde sur le désir, qui est dans les nuages, c’est un fantasme alors que le marxisme propose la science avec des étapes qui vont nous amener à la fin à la société sans classe. Il s’agit d’une vision de l’histoire, d’une eschatologie * dans la théorie. Aujourd’hui nos ennemis nous renvoient à la réalité, qui est le capitalisme géré par la démocratie parlementaire. Pour eux, l’utopie est totalitaire, ce sont des idées formelles et rigides qui ne peuvent conduire qu’au Goulag, à la société massifiée dominée par un État autoritaire. Ces critiques défendent la base du libéralisme, du capitalisme. Ces critiques de l’utopie sont toujours énoncées par des gens qui veulent perpétuer le pouvoir qui ont peur de l’utopie incarnée qui, elle, vise à la non-reproduction de la domination, de la hiérarchie.

Pour lui, l’utopie doit être vue comme une manifestation fondamentale de l’imaginaire social, une critique radicale. La société vit avec du sens, sens qui est donné par un imaginaire qui définit la place de chacun et l’organisation institutionnelle, c’est le nomos, la règle, la loi. Qui détermine les règles ? Ce sont les hommes, dit-il. Pourtant cette règle reste sous la dépendance d’une fondation basée sur le passé, sur quelque chose qui est en dehors de nous, sur un mythe qui nous vient des ancêtres. Les hommes sont soumis et esclaves de cette formation, de leur propre formation.
Il explique que l’on peut voir l’imaginaire social selon deux moments : En premier lieu, il y a un moment qui vient d’avant nous, qui s’appuie sur une disposition originelle, la loi est extérieure et l’institution est basée sur une hétéronomie. L’imaginaire collectif vient d’avant nous. Puis dans un second temps, cet imaginaire collectif est capté, exproprié par un groupe qui prend en charge la capacité globale de la société. Il s’agit d’une élite qui est en relation avec Dieu ou avec les ancêtres. La loi, les règles sont comme une révélation sociale dans les mains des dominants qui justifie la hiérarchie.

Il développe ensuite sa vision de l’utopie. L’utopie est une construction imaginaire radicale contrairement à la construction symbolique dans laquelle nous vivons et qui est dans la dépendance du réel, qui, elle, est déjà construite. L’utopie au contraire n’est pas réelle et elle veut devenir réelle. La construction de sens est une construction sociale dans la pensée. Dans la science l’étude pour comprendre le réel s’appuie sur des idées (en dernier ressort sur les formules mathématiques qui sont des idées). Pour le domaine social et politique le désir est présent, c’est une différence notable. Le désir est toujours là, mais c’est un désir construit socialement. Il s’agit de la relation à l’autre. Le langage et l’histoire se construisent sur la base d’un imaginaire, sur le désir d’obtenir ce qu’on a perdu. Il pense qu’il faut introduire de la psychologie dans la sociologie, comme il faut introduire de la politique en théorie. Il parle alors de ce qu’on appelle « l’objet perdu » en psychologie, c’est cette pleinitude qui se perd pour tout le monde, car il faut quitter le sein maternel à un moment ou un autre. Ce sentiment de pleinitude continue de vivre en nous. Selon son approche, on peut le vivre de deux façons :
1 / Soit on cherche à revenir au passé par le recours au mythe, mythe qui est une fondation symbolique, une explication de l’origine de ce qui est. Tout le monde connaît l’âge d’or qui est une grande figure de cette voie.
2 / Soit on cherche à aller plus loin, on se projette dans le futur. On vise la société de demain, où nous serons tous libres et égaux.

Il poursuit en disant que, pour nous anarchistes, c’est la seconde solution qui est valable. L'utopie est alors le contraire du mythe. Il faut aller plus loin pour trouver l’idéal perdu. Mais l’utopie qui l’intéresse n’est pas l’utopie que l’on nous présente habituellement. Que ce soit Campanella ou Thomas More, ils ferment l’utopie à partir du réel qui contient Dieu. Il pense qu’un monde sans Dieu, c’est à la base de l’autonomie humaine. Pour lui, l’utopie comme anarchie est contenue dans l’image de la ligne d’horizon. C’est une vision qui garde toujours la même distance devant nous, il y a toujours l’altérité en face de nous. Il estime que l’horizon qui recule sans cesse ne nous empêche pas d’avancer.
Si on considère que l’utopie comme l’anarchie, quel essai de définition peut-on en donner ? L’anarchie est du coté de l’utopie, elle est irréalisable, c’est toujours un futur idéal. L’anarchisme comme mouvement le concrétise dans une époque donnée. Mais cela se fait avec notre vision humaine d’aujourd’hui, et ce qui veut dire qu’il y aura toujours une négation de ce qui est, ce qu’il nomme l’utopie comme anarchie ou l’anarchie comme utopie.
Il continue son développement en déclarant que le bonheur n’est pas une notion politique. Le bonheur n’appartient pas au mouvement révolutionnaire. Le bonheur appartient à la sphère personnelle. La lutte politique, elle, se bat pour l’égalité et la liberté.
Il dit que l’anarchie est la figure de l’espace politique non hiérarchique et égalitaire qui se définit par l’autonomie du sujet en action. L’acteur social n’est pas un sujet avec une substance ontologique. L’individu n’est pas le sujet. Le sujet c’est ce qui se construit par l’action même, action qui est collective. Il constate qu’on pense avec les autres. Pour l’anarchie, le sujet est collectif, la grève c’est collectif, l’action se fait en groupe. Dans l’anarchie, l’espace politique a pour base l’autonomie du sujet de l’action, l’autonomie de l’action du sujet.

Il affirme que cette démarche s’appuie sur deux postulats :
Le premier postulat : L’anarchie dans l’histoire est un relativisme radical, les valeurs ont une histoire, elles sont dans l’histoire, mais il refuse d’adopter une vision historiciste. Les valeurs sont toujours relatives, et, selon son approche, il y a toujours des valeurs postulées comme universelles.
Le second postulat : L’anarchisme est un pari qui est basé sur le principe de préférence. Pour lui, nous n’avons pas l’assurance de notre position, nous préférons la liberté pour tout le monde et nous sommes contre l’esclavage. Cette position ne peut pas être fondée, elle ne s’appuie pas sur un principe externe à l’humanité, c’est un choix interne. Ici, selon son point de vue, nous sommes dans l’ethos de l’anarchie. Pour lui, il est évident que nous préférons la dignité à l’ignominie. Il explique que nous pensons que c’est mieux, mais que d’autres personnes peuvent préférer le contraire. Selon son approche, comme il est impossible de fonder nos choix sur une idée externe à l’humanité, nous savons que c’est un problème interne à la société humaine. Dans cette vision de l’anarchie, développée par Eduardo Colombo, nous construisons ainsi une société non-hierarchique basée sur l’autonomie contre l’Etat qui est la hiérarchie même. L’idée de l’Etat est opposée à l’anarchie. La liberté, dans ce cadre, est une condition nécessaire pour l’égalité. La construction d’un espace social de ce type exige l’égalité.

Il continue son exposé en disant que l’anarchie est un mouvement collectiviste qui est basé sur l’entraide, sur la solidarité. On peut discuter longtemps sur son origine dans l’histoire. Il est exact que ces idées apparaissent dans une société datée. Toutes les formes particulières se construisent à partir d’une fonction sociale. A partir de ce qui est, on peut choisir le conformisme ou opter pour la voie révolutionnaire. Si on cherche à comprendre pourquoi on choisit l’une ou l’autre voie, cela nous renvoie, selon son approche, à la discussion sur l’internalisation de l’autorité, ce qui est un autre débat.

L’anarchie est une construction innatteignable. Sur la base philosophique de l’utopie comme anarchie le mouvement anarchiste, l’anarchisme se concrétise, se définit en fonction des conditions sociales ici et maintenant. Le passé est important, mais il pose la question de savoir pourquoi ce passé est toujours volé aux libertaires. Par exemple, la révolution espagnole est presque toujours présentée à travers la vision communiste, alors que c’était un petit parti, que la population vivait la révolution selon des idées libertaires. Il faut s’approprier le passé pour fonder le futur d’aujourd’hui, pour définir un autre futur. L’action révolutionnaire se vit dans le monde. L’utopie a besoin de devenir un mouvement d’action sociale, l’utopie réelle et vraie est dans l’action révolutionnaire. Effectivement l’utopie a besoin de théorie, a besoin d’un imaginaire. Mais au moment de Godin le fondateur du Familistère, il pense que l’utopie c’était la Commune.

Discussion :
Remarque sur l’utopie de Thomas More que Michèle Madonna-Desbazeille estime être une société où Dieu est exclu, une utopie pour la liberté des hommes. Pour elle, les utopies sont des propositions qui montrent dans l’historicité le possible ici et maintenant. Elle estime que c’est le cas aussi pour Godin.
Eduardo Colombo : Il pense que l’absence de Dieu ne prouve rien. Dans la bible, la tour de Babel aussi était une utopie et Dieu était contre. Pourtant les hommes ont voulu le faire et l’ont fait.
Eduardo Colombo se demande si Godin est plus utopiste seulement parce qu’il construit. Pour lui, l’utopie est la négation de ce qui est. Il existe une différence entre le contenu formel, le contenu cognitif d’une utopie et la fonction utopique qui est une force, une force critique. Gustave Landauer dit que l’utopie vit clandestinement dans la réalité sociale. En elle-même, l’utopie comme anarchie est une image de l’altérité. L’action se vit en situation, la révolution est l’action révolutionnaire. Cela se transforme en institution si la révolution triomphe, c’est normal.
La dimension critique existe dans l’utopie même. Il constate qu’on nous oppose le goulag pour nous dire que l’utopie n’a pas de sens. Mais la critique du goulag existait déjà avant la révolution de 1917. Malatesta le répète en 1918. Si l’armée et l’Etat sont utilisés pour lutter contre les ennemis de la révolution, ils sont aussi utilisés pour la domination, ils peuvent être utilisés pour la domination, c’est ce qui s’est passé. Eduardo Colombo pense que nous retrouvons ici la cassure de la Première Internationale. Le débat portait sur l’autonomie du mouvement ouvrier contre le parti avec des chefs et la masse des autres. Au moment de la création de l’ISR (l’Internationale Syndicale Rouge dans les années vingt) l’action révolutionnaire passe dans les mains des chefs. Eduardo Colombo dit qu’on peut le voir par ce qui s’est passé ensuite, mais on le savait déjà avant, dit-il. Les ennemis de l’utopie défendent les acquis du point de vue du monde de la domination, ils défendent une organisation sociale inégalitaire. C’est ce que l’on constate en France aujourd’hui. On parle beaucoup de la mondialisation, il faut le dire cette mondialisation est la forme actuelle du marché capitaliste.

Michèle Madonna Desbazeille défend l’idée que l’utopie est une idée d’une société sans État. A la question sur la présence des esclaves dans l’Utopie de Thomas More elle répond qu’il s’agit en fait d’une mauvaise traduction, qu'en réalité ce sont des « servant », des serviteurs.

René Schérer intervient en disant qu’il a beaucoup apprécié la différence appliquée à l’utopie, utopie qui serait subordonnée soit sur une idée extérieure ou sur une idée interne. L’idée extérieure étant fondée sur une transcendance et l’utopie interne basée sur l’immanence. Pour lui, l’utopie qui s’appuie sur la transcendance est un savoir pédagogique. L’Etat serait comme un savant, et le savoir échappe aux individus. Par contre l’immanence, dont l’idée a été développée par Deleuze et Guattari, permet une appropriation de l’utopie par les sujets eux-mêmes. Il explique que l’on trouve cela chez Proudhon sous la forme de : « la capacité politique des classes laborieuses ». Ce qui équivaut à ne pas se décharger de ses compétences sur les autres.
Il pense que le blocage vient d’une attitude bien synthétisée par une phrase qu’il a vu sur un mur de la faculté à Mexico, une phrase dont il se souvient dont il cite la formulation en espagnol, puis il nous livre la traduction : « On ne parle pas à la place d’un autre parce qu’il en sait mieux ».
Eduardo Colombo appuie cette déclaration en rappelant que Proudhon a expliqué qu’on croyait à tort que l’autorité existe sans voir la force sociale qui est à sa source. L’autorité est un produit de la société, c’est le problème de l’hétéronomie. Le pouvoir en général s’appuie sur le passé, sur un mythe fondateur. La vision révolutionnaire propose un monde qui n’est pas encore là, mais dont la construction commence ici et maintenant. Il dit que souvent on nous objecte qu’il faudra attendre 2000 ans avant de le voir, ce à quoi il rétorque que c’est pour cette raison qu’il faut commencer tout de suite, parce que si on ne fait rien il faudra attendre 2001 ou 2010.

Jacques Gury donne son point de vue sur la critique du XX° siècle qui se sert du communisme pour dire que l’utopie est dangereuse et inefficace. Il rappelle que le concept d’humanité chez Oscar Wide est une notion qui est toujours à découvrir. Il cite aussi Anatole France qui a écrit que sans utopie on vivrait plus mal, que sans ce rêve généreux il n’y aurait pas eu de réalité bienfaisante. Il pense qu’il ne faut pas être trop pessimiste pour sentir la novation dans l’esprit de l’utopie, l’esprit novateur est là.
Eduardo Colombo nous rappelle que Oscar Wide était lié par sa famille au courant socialiste anarchiste de son époque. Sa mère a été proche de Kropopkine à Londres. Anatole France soutenait les anarchistes au moment des dures répressions du début du siècle. Il dit qu’il existe des connexions, que ce sont des textes à relire **.

Madame X : Elle remercie Eduardo pour son lien entre l’anarchie et l’utopie. Elle pose la question de la société hiérarchisée. Elle se demande comment en sortir ? Elle pense que l’éducation est fondamentale pour avancer dans ce cadre.
Eduardo Colombo cite une lettre de Kropopkine qui estime qu’un mot comme l’anarchie implique une révolution copernicienne. Avec la description du monde de Copernic, c’est toute la pensée du monde qui a changé. Galilée qui a vécu longtemps après Copernic n’a pas pu le dire publiquement bien qu’il sache que Copernic avait raison, il l’avait démontré. Avec Copernic c’est une vision du monde qui change, c’est un changement vis à vis de la position de l’Eglise qui change, c’est la science toute entière qui est bouleversée, c’est l’école qui évolue. Il s’agit d’un changement global. C’est pareil pour l’anarchie, cela concerne des changements dans l’éducation, dans la famille, une remise en cause de la hiérarchie. Il développe son point de vue en disant que nous savons que nous sommes pris dans une dynamique où on essaie de changer nous mêmes, mais nous savons aussi qu’il faut changer la société. Pour lui, nous savons qu’il faut changer l’homme pour changer la société et qu’il faut changer la société pour pouvoir changer l’homme. Souvent on nous présente cela comme une aporie, une contradiction. Mais Eduardo Colombo dit que ce n’est pas contradictoire, c’est l’évolution qui explique le rapport de la poule et de l’oeuf. Il pense que pour nous c’est pareil, nous sommes dans un processus en mouvement et l’évolution est le mouvement lui-même. Être révolutionnaire c’est voir le changement, puis on essaie de traduire cela dans l’expérience sociale. L’utopie anarchie est une révolution globale vis à vis de l’autorité et cela se passe aussi dans notre tête puisque l’on sait que nous avons l’autorité en nous. L’utopie comme anarchie est la négation de ce qui est cela implique une réflexion personnelle, plus tout le reste qui en découle. Pour l’éducation, il est certain, selon son point de vue, que nous devons changer de méthode, c’est la même chose pour les rapports homme / femme.

L’im-modérateur Ronald Creagh m'autorise à poser une dernière question. J'explique que je suis d’accord avec la présentation de l’hétéronomie qui justifie la domination et pour considérer que l’autonomie interne à la société humaine est à la base de la lutte contre la domination. Ce qui reste en question, à son avis, c’est ce qui se passe vis à vis du pouvoir dans notre mouvement. Je demande : Comment faire pour ne pas reproduire le pouvoir dans nos luttes ?

Eduardo Colombo répond simplement ainsi : « En essayant de ne pas le reproduire nous-mêmes ! ». Il s’explique en disant que le mot pouvoir a plusieurs sens et que cette polysémie présente des dangers. Le premier sens du mot pouvoir est celui qui rend compte de la capacité de faire, le second sens est celui qui est lié à la hiérarchie, à l’asymétrie et au fait d’obéir. Le premier sens comme capacité est le pouvoir même de l’homme, sa puissance. Il faut bien remarquer qu’il existe une utilisation du pouvoir qui est différente suivant les personnes. La capacité situationnelle est différente suivant les gens. Mais cette capacité n’est pas une différence hiérarchique. On sait que certains sont plus forts, que certains ont plus d’intelligence que d’autres, que d’autres sont plus émotifs, etc. La distribution de ces capacités est aléatoire. On pourrait résumer sa vision de l’utopie anarchie comme « un pouvoir sans domination ». Pour l’autorité Eduardo Colombo pense que c’est identique, il existe deux sens. Le pouvoir, la domination sont en nous, il dit que nous sommes nés dans une société de domination. Par contre, ce qui est aberrant c’est la guerre entre les groupes qui nient leur proximité. Il se demande : Est-ce que l’union est impossible parce que nous vivons dans un monde hiérarchique ? Il estime que nous devons combattre la domination dehors, dans la société et dedans, dans nos mouvements. Il pense que les deux marchent ensemble, que l’on ne peut pas séparer un domaine de l’autre. Il termine son intervention en disant que nous ne pouvons pas attendre pour combattre la domination dans la société que nous en ayons fini avec le pouvoir chez nous.


* En cherchant les définitions du concept « eschatologie », j’ai trouvé deux définitions qui se rejoignent :
1 / Doctrine relative aux fins dernières de l’homme (eschatologie individuelle) et à la transformation ultime du monde (eschatologie collective).
2 / Ensemble des croyances concernant les fins dernières de l'homme et du monde.
Le mot est lié au contexte religieux. Dans le marxisme l’eschatologie concerne le sens de l’histoire qui va des sociétés primitives au communisme. La fin dernière est contenue dans l’objectif qu’est le communisme, celui-ci devait permettre la réconciliation de l’homme avec lui-même par la réalisation de l’égalité et la justice.

** Oscar Wilde s’est exprimé ainsi :
« Une carte de l’univers qui ne contient pas l’utopie ne mérite pas un seul coup d’oeil, car elle omet l’unique terre que l’humanité redécouvre toujours et quand l’humanité la découvre, elle porte ailleurs ses regards et voit une terre encore meilleure et appareille à nouveau. Le progrès c’est l’utopie réalisée. »
Anatole France a notamment écrit :
« Sans les utopistes d’autrefois les hommes vivraient misérables et nus dans des cavernes. Ce sont les utopistes qui ont tracé les lignes de la première cité. Il faut plaindre le parti politique qui n’a pas ses utopistes. Des rêves généreux sortent les réalités bienfaisantes. L’utopie est le principe de tout progrès et l’esquisse d’un avenir meilleur.»


Post scriptum : J’ai réalisé ce compte rendu à partir de notes, c’est ce que j’ai retenu de cette intervention. Un autre auditeur, Bernard, m’a aidé en me communicant les citations exactes de la fin. Ce point de vue est subjectif, les formulations ne correspondent pas forcément à ce qu’Eduardo Colombo aurait écrit s’il avait rédigé ce texte lui-même. Il est publié avec son accord. Pour connaître plus précisément sa pensée il est possible de se référer à son article intitulé « Anarchisme, obligation sociale et devoir d’obéissance. » publié dans le numéro 2 de la Revue Réfractions de l’été 1998, numéro qui a pour titre « Philosophie politique de l’anarchisme ».
Pour se procurer cette revue il est possible d’écrire à cette adresse :
Les amis de Réfractions, B. P. 33, 69571 Dardilly cedex

Cet article est présent sur le site Internet consacré à la revue Réfractions :
http://www.refractions.plusloin.org/textes/refractions2/index.html

Il est également accessible sur le site consacré à L’Institut de Recherche sur l’Anarchisme de l’Université de Montpellier animé par Ronald Creagh :
http://melior.univ-montp3.fr/ra_forum/fr/individus/colombo_eduardo/

Philippe Coutant, Nantes le 24 Novembre 2000