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L’universel et les conditions de possibilités


Dans l’article « Pour une critique politique des morales de l’intérêt et du goût » l’équipe de Temps Critiques se livre à une critique sévère des positions actuelles du mouvement révolutionnaire. Pour ce faire la stratégie employée est de partir du réel militant et de l’opposer à l’universel qui représenterait l’en commun de l’humanité. Cette méthode passe par le constat de l’institutionnalisation des luttes anti-capitalistes, par la critique de l’auto-position et le refus du militantisme basé sur le mode de vie.

Si on veut essayer de raisonner en terme de mouvement révolutionnaire (ce qui pour moi équivaut à parler du devenir du mouvement libertaire) on doit essayer de définir cet « en-commun », cet universel. Pour y arriver je pense qu’il faut admettre que nous avons besoin d’un espace commun de discussion afin de définir le contenu de cet universel et la manière dont on peut ou non l’appliquer à nos situations respectives. Je ne pense pas que l’universel soit déjà là ou un « en-soi » auquel nous ne saurions pas accéder. Effectivement l’universel est un tout qui est différent de la somme de ses parties, la question qui demeure c’est comment le définir ?
Une fois que l’on a affirmé sa nécessité formelle, l’en commun de l’humanité, l’universel est également, à mon sens, le résultat de l’activité humaine pratique et théorique. Dans cet universel on peut trouver un certain nombre d’acquis tels que la démocratie, la condamnation du meurtre, le refus de la torture, la visée d’égalité et de justice. Je ne pense pas qu’il existe d’universel en soi, c’est toujours le fruit des décisions humaines, même si elles ne sont pas assumées ainsi. Si on pense qu’il existe un universel en soi d’où vient-il ? Quel est son contenu ? Quelles sont les personnes qui y ont accès et comment ?

Pour avancer je crois que nous devons faire une différence entre la rationalité et la rationalisation. Très souvent l’usage de la rationalité aboutit à une rationalisation d’une auto-position. Ceci n’a rien d’étonnant puisque nous savons que la vérité en politique est liée à la subjectivité humaine. Dans le tenir pour vrai il y a de l’affectif, Freud nous a déjà prévenu. Nous sommes des êtres de désir et la raison peut justifier toutes sortes de choses, hélas pour nous !

La démarche de Temps Critiques me parait nécessaire, mais pour autant est-elle suffisante ? A mon avis non !
On peut vite tomber d’accord sur l’état peu glorieux du mouvement militant, sur la tendance à la dispersion, sur la méfiance vis à vis des injonctions de mode de vie. J’accepte sans problème « la nécessité d’une critique de la domination en tant que système global de domination qui contribue à la production et à la reproduction des rapports sociaux ». Mais comment penser le devenir de l’idée révolutionnaire, du mouvement libertaire ?

De mon point de vue, une des solutions consiste à se poser la question des éventuels possibles en discutant et en travaillant sur les conditions de possibilité. Ceci permettra de prendre au sérieux tous les mouvements, toutes les personnes qui ont oeuvré pour l’égalité et la justice. L’évaluation est nécessaire puisqu’au fil de l’histoire toutes les luttes se sont institutionnalisées, à commencer par celle du prolétariat, mais ensuite nous devons essayer de répondre aux questions de notre temps. En acceptant l’espace commun de discussion on évitera la position du grand juge qui distribue les bons et les mauvais points. On cherchera également à ne pas reproduire ce qu’on reproche aux autres pour se valoriser. Car il reste des questions qui ne sont pas résolues :
- En politique toute prise de position ne contient-elle pas une part d’auto-affirmation ?
- Comment dans la volonté de vérité ne pas tomber dans le jugement de valeur ?
- Comment éviter la position du maître surmoïque qui essaie de se hausser au dessus du lot en disqualifiant les autres par la mise à mort symbolique ?

Dans le cadre de notre militance je pense qu’une partie de notre énergie doit porter aussi sur des débats, des recherches sur les conditions de possibilité de la praxis libertaire pour que l’universel critique soit un jour notre horizon commun.
Pour terminer je noterais que je suis en désaccord avec Temps Critiques sur l’analyse du patriarcat. Pour moi, celui-ci ne s’est pas affaiblit, il s’est modifié et transformé. L’autorité a tendance à s’effacer dans ce domaine, comme dans d’autres, ce qui ne veut pas dire que de fait l’égalité soit arrivée. De plus le discrédit permanent jeté sur les idées féministes participe du maintien et de la reproduction de la domination masculine y compris dans notre milieu.

Philippe Coutant Nantes le 26 05 99


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