"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Quels préalables pour l’unité des libertaires ?
En 2001


Comme préalable aux débats sur l’unité il nous semble nécessaire de revenir sur quelques points :

1 / Nous sommes des croyant-es.

Les idéaux libertaires sont aussi des croyances que nous utilisons pour nous donner une identité, pour nous procurer une bonne estime de soi, une bonne image de nous-mêmes, pour nous permettre de nous supporter quand on se regarde dans la glace le matin. Les mythes, les emblèmes, les images, les symboles, les drapeaux, les sigles, les logos, les étiquettes sont nécessaires pour donner un contenu à notre besoin de connaître notre place, de savoir où nous sommes situé es dans l’ensemble humain, pour donner de la solidité à notre lien entre notre position personnelle et la communauté humaine.

La croyance peut se traduire en dogmes, alimenter la soumission non-contrainte. La raison et la croyance entretiennent des rapports parfois conflictuels, souvent complémentaires. Il est toujours plus facile de dénoncer les croyances, l’irrationnel chez les autres personnes et beaucoup plus délicat de le faire pour soi-même.

Nous ne nous appuyons pas sur une “ nature humaine ” qui n’existe pas, mais sur le constat que l’espèce humaine est une espèce croyante, une espèce qui a besoin de donner du sens à ce qu’elle fait. Il semble que ce soit un des points qui nous distingue des autres animaux. Le processus est largement inconscient, mais il existe bel et bien, qu’on le veuille ou non, alors autant l’assumer.

2 / L’aspect psychologique est fondamental dans notre vie.

L’existentiel est une question clé. Cette approche observe et prend en compte les dispositifs que les humains mettent en oeuvre pour ne pas tomber dans la folie et pour vivre le rapport au désir, à ce qui est autorisé ou interdit, le rapport à la mort, pour supporter la condition humaine.

Un être humain n’existe que s’il a une activité dans la société, s’il participe à un ou des projets. Sinon, la personne est souvent dans le mal-être, elle se sent inutile, sans attache avec la communauté humaine, sans valeur. Les questions du sens et du lien se posent inévitablement à un moment ou à un autre. Ceci explique pourquoi, quand un projet est lancé, il attire autant de gens et de débats. Il offre une existence aux humains qui y participent, tout simplement. C’est le cas pour le projet sur l’unité, précisément.

Contrairement à la période précédente, il n’y a pas de projet qui joue un rôle de fédérateur pour la multitude des projets individuels et collectifs. Les personnes passent facilement d’un projet à un autre, selon le bénéfice qu’elles en tirent principalement pour elles-mêmes (image de soi, relations sociales, place dans la société, ...). Les projets sont multiples et plus ou moins longs. Ceci peut expliquer en partie le turn-over important dans les organisations libertaires ou non, la diversité des groupes et parfois leur disparition rapide.

3 / Nous devons essayer d’accepter le multiple.

Le multiple découle de ce qui précède, puisqu’il existe de multiples manières d’être humain et de vivre la culture. Il existe, de fait, plusieurs façons de s’engager en politique. Là où nous vivons, nous rencontrons souvent différentes manières d’être libertaire. Quand nous nous lions, nous nous accrochons, nous nous connectons à un regroupement, nous ne faisons pas cela que pour des raisons rationnelles, nous le faisons aussi pour des raisons existentielles, des raisons affectives. L’affectif existe dans ces liens. Les crises et les ruptures le démontrent régulièrement. Si les liens affectifs sont faibles, ce qui est souvent le cas au début de l’intégration à un regroupement, ils deviennent vite importants par la suite. Ces liens interviennent, influent et déterminent en partie notre fonctionnement individuel dans ce cadre collectif. Si nous ne pouvons pas devenir ami-e avec les personnes avec qui nous faisons de la politique, il existe souvent une difficulté pour vivre cela et nous avons tendance à chercher ailleurs. Le fait que les groupes soient des chaudrons affectifs ne doit pas nous faire peur, nous devons le reconnaître et essayer l’assumer sans trop de dégâts et ne pas en rajouter si possible.


D’autre part, ce qui fonctionne pour soi-même, marche aussi pour les autres, même s’ils le vivent de façon différente. Ceci implique, à notre avis, un minimum de respect pour les autres personnes, qui ont choisi de s’engager dans la politique libertaire.

4 / Nous souhaitons rappeler que les humains ont droit à l’erreur.

Ceci vaut aussi pour les libertaires. Si nous n’acceptons pas cela, nous restons dans le schéma ancien qui fait fonctionner les regroupements sur la base de la vérité, “ la ” vérité unique et intangible, “ la ” vérité possédée par quelques personnes. Immanquablement cela induit la condamnation des personnes qui ne sont pas dans un rapport de soumission par rapport à cette vérité. Les dirigeants des groupes sont alors les grands prêtres de la militance, puisqu’ils ont accès à “ la ” vérité.

Si nous refusons que se maintienne et se reproduise le pouvoir en milieu militant, nous sommes amené-es à admettre que nous progressons aussi en nous trompant, que la formation politique ne tombe pas du ciel, qu’elle s’acquiert en militant, en travaillant en groupe et seul-e. Comment penser un partage des apports théoriques s’ils sont réservés à quelques personnes ? C’est un rapport dialectique entre le travail théorique et l’action pratique qui permet d’avancer, de s’approprier les idées des théories critiques, d’examiner leur validité ou leur pertinence, d’étudier l’histoire des mouvements révolutionnaires. Les débats existent, mais nous devons veiller à ne pas transformer nos interventions en mises à mort symboliques, en dévalorisations qui tendent à rabaisser les personnes et à les présenter comme des nul-les.

Schopenhauer avait déjà relevé le danger lié aux controverses : “ Ce serait une grave erreur de croire qu’il suffit de ne pas être soi-même désobligeant. En démontrant tranquillement à quelqu’un qu’il a tort et que par voie de conséquence il juge et pense de travers, ce qui est le cas dans toute victoire dialectique, on l’ulcère encore plus que par des paroles grossières et blessantes. Pourquoi ?

... / ... Rien n’égale pour l’homme le fait de satisfaire sa vanité et aucune blessure n’est plus douloureuses que de la voir blessée ?

... / ... Cette satisfaction de la vanité naît principalement du fait que l’on se compare aux autres, à tout point de vue, mais surtout au point de vue des facultés intellectuelles. C’est justement ce qui se passe effectivement et très violemment dans toute controverse. D’où la colère du vaincu, sans qu’on lui ait fait tort ... ”


Schopenhauer, L’art d’avoir toujours raison, éditions Mille et une nuits (exemplaire à 10 frs), Paris, Février 2001, page 62. Ce texte est extrait des oeuvres posthumes de Schopenhauer et a été publié pour la première fois en 1864.

L’imaginaire et la toute puissance peuvent se servir de la symbolique révolutionnaire pour exclure et se sentir plus fort que les autres, pour rassurer et rehausser son narcissisme ou celui du groupe, pour maintenir des rapports de pouvoir qui sont contraires à l’idée libertaire.

L’idée libertaire a beaucoup produit de textes et de projets alternatifs sur le thème de l’éducation libertaire. Il n’est pas interdit de penser que l’on pourrait tenter de les mettre un peu en oeuvre dans nos regroupements.

5 / La question qui suit est celle de : “ Qu’est-ce qu’on fait ? ” ou “ Que faisons-nous ensemble ? ”

En acceptant le besoin existentiel et la nécessité des projets, nous sommes forcement moins sévères, beaucoup moins dur-es sur le contenu des affirmations théoriques, des jugements et sur le déroulement des actions. Nous pouvons être ensemble ponctuellement dans des luttes pour des raisons assez différentes. En ayant une posture, qui assume ce besoin d’agir pour exister, nous sommes dans une position qui permet d’être beaucoup moins virulent-es dans les attaques contre les autres personnes militantes. “ Qu’est-ce qu’on fait ensemble ? ” devient la question clé, cela permet d’accepter les différences et n’empêche pas les débats, les recherches théoriques, ni les actions radicales.


La question du réformisme est liée à cela. Quand est-on révolutionnaire ? Il n’est pas toujours facile de répondre à cette interrogation. La seule révolution qui a vraiment réussi c’est 1789 et il a fallu près de deux siècles pour construire, pour créer un classe démocratique soumise aux desseins de la bourgeoisie contre L’Église et la noblesse. De plus, il faut quand même remarquer que certaines réformes peuvent se lire comme des idées révolutionnaires qui ont gagné. La seule utilité de l’idée révolutionnaire semble être de pouvoir se démarquer des réformistes, qui acceptent de gérer la domination, le capitalisme, ce que nous refusons.

6 / Pouvoir “ donner de l’air à notre liberté ” est fondamental pour les libertaires.

Une camarade disait cela en plaisantant, mais son affirmation est juste et importante. On retrouve ici la notion de “ respiration psychique ”, proposée par un autre ami, libertaire lui aussi, respiration psychique qui est indispensable pour évoluer quand nous sommes bloqué-es dans une situation mortifère. La distance entre soi et l’idéal est importante pour pouvoir penser d’autres possibles, d’autres configurations humaines, d’autres solutions mentales et pratiques. Si nous restons trop collé-es à cet idéal, nous sommes condamné-es à la torture mentale parce que nous ne pouvons vivre de façon “ révolutionnaire ” que très rarement dans cette société du spectacle et de la marchandise. L’autre solution face à cette difficulté, c’est d’utiliser la dissonance cognitive, c’est dire d’adapter nos dires à ce que nous faisons concrètement, et de toujours trouver des justifications rationnelles à nos pratiques.

Pour éviter ces deux errements, il nous semble plus simple et plus humain de mettre un peu de distance entre nous-mêmes et nos grandes affirmations, nos anathèmes, nos condamnations péremptoires. Ceci n’implique pas de tomber dans le relativisme, ni de prôner la conciliation ou l’oubli de nos objectifs révolutionnaires, mais de savoir que nous devons régulièrement examiner les résultats de notre engagement. Cet examen nous permettra de chercher à ce qu’il existe un peu plus de cohérence entre nos idées et nos actes. Alors nous nous apercevrons peut-être, que le résultat de notre engagement tient, parfois, dans le simple fait de vivre, d’exister d’une façon un peu moins absurde et moins coincée dans le système de domination que nous propose le capitalisme.

Nantes le 2 Mai 2001, Georges Birault et Philippe Coutant


L’Unité ?

Bonjour

La notion d'unité est très séduisante, personne ne peut aller contre au risque d'apparaître comme un méchant diviseur.

Ce qui me pose problème c'est la question du pouvoir et celle des emblèmes. Comment comptez-vous faire avec l'unité dans la diversité, la multiplicité sans chefs ?

Les grandes idées ne me semblent pas suffisantes si on ne parle pas de "comment faire de la politique en ce début du siècle ?"

Il existe un passif qui laisse des traces, nous ne sommes pas sur une terre nouvellement découverte.

En conséquence je réserve ma réponse pour l'instant, parce que des préalables sont nécessaires pour éviter de reproduire ce nous avons déjà fait si souvent : la reproduction du pouvoir et la violence (symbolique ou non) en milieu militant.

Salutations libertaires

Philippe Coutant Nantes le 7 mars 2001


Bonjour

Je souhaite poser quelques questions à propos de l’unité des libertaires : :
- La vérité, où est-elle ?
- La diversité, Le multiple ... sont-ils possible ?
- Qu'est-ce que la compromission ? Est-il possible d'agir sans écorner les principes, valeurs qui sont essentielles ? et donc d'être exclu ou taxé d'ennemi ?
- Le pouvoir, la domination,
- La violence réelle et symbolique,
- et bien d'autres choses du même ordre.

Si la question de l'unité pouvait servir à discuter de tout cela, je serais d’accord.
Mais il n'en est fait mention nulle part ou presque.

Salutations libertaires

Georges Birault Nantes le 11 Avril 2001