Comme préalable aux débats sur lunité il nous
semble nécessaire de revenir sur quelques points :
1 / Nous sommes des croyant-es.
Les idéaux libertaires sont aussi des croyances que nous utilisons
pour nous donner une identité, pour nous procurer une bonne estime
de soi, une bonne image de nous-mêmes, pour nous permettre de
nous supporter quand on se regarde dans la glace le matin. Les mythes,
les emblèmes, les images, les symboles, les drapeaux, les sigles,
les logos, les étiquettes sont nécessaires pour donner
un contenu à notre besoin de connaître notre place, de
savoir où nous sommes situé es dans lensemble humain,
pour donner de la solidité à notre lien entre notre position
personnelle et la communauté humaine.
La croyance peut se traduire en dogmes, alimenter la soumission non-contrainte.
La raison et la croyance entretiennent des rapports parfois conflictuels,
souvent complémentaires. Il est toujours plus facile de dénoncer
les croyances, lirrationnel chez les autres personnes et beaucoup
plus délicat de le faire pour soi-même.
Nous ne nous appuyons pas sur une nature humaine qui nexiste
pas, mais sur le constat que lespèce humaine est une espèce
croyante, une espèce qui a besoin de donner du sens à
ce quelle fait. Il semble que ce soit un des points qui nous distingue
des autres animaux. Le processus est largement inconscient, mais il
existe bel et bien, quon le veuille ou non, alors autant lassumer.
2 / Laspect psychologique est fondamental dans notre
vie.
Lexistentiel est une question clé. Cette approche observe
et prend en compte les dispositifs que les humains mettent en oeuvre
pour ne pas tomber dans la folie et pour vivre le rapport au désir,
à ce qui est autorisé ou interdit, le rapport à
la mort, pour supporter la condition humaine.
Un être humain nexiste que sil a une activité
dans la société, sil participe à un ou des
projets. Sinon, la personne est souvent dans le mal-être, elle
se sent inutile, sans attache avec la communauté humaine, sans
valeur. Les questions du sens et du lien se posent inévitablement
à un moment ou à un autre. Ceci explique pourquoi, quand
un projet est lancé, il attire autant de gens et de débats.
Il offre une existence aux humains qui y participent, tout simplement.
Cest le cas pour le projet sur lunité, précisément.
Contrairement à la période précédente, il
ny a pas de projet qui joue un rôle de fédérateur
pour la multitude des projets individuels et collectifs. Les personnes
passent facilement dun projet à un autre, selon le bénéfice
quelles en tirent principalement pour elles-mêmes (image
de soi, relations sociales, place dans la société, ...).
Les projets sont multiples et plus ou moins longs. Ceci peut expliquer
en partie le turn-over important dans les organisations libertaires
ou non, la diversité des groupes et parfois leur disparition
rapide.
3 / Nous devons essayer daccepter le multiple.
Le multiple découle de ce qui précède, puisquil
existe de multiples manières dêtre humain et de vivre
la culture. Il existe, de fait, plusieurs façons de sengager
en politique. Là où nous vivons, nous rencontrons souvent
différentes manières dêtre libertaire. Quand
nous nous lions, nous nous accrochons, nous nous connectons à
un regroupement, nous ne faisons pas cela que pour des raisons rationnelles,
nous le faisons aussi pour des raisons existentielles, des raisons affectives.
Laffectif existe dans ces liens. Les crises et les ruptures le
démontrent régulièrement. Si les liens affectifs
sont faibles, ce qui est souvent le cas au début de lintégration
à un regroupement, ils deviennent vite importants par la suite.
Ces liens interviennent, influent et déterminent en partie notre
fonctionnement individuel dans ce cadre collectif. Si nous ne pouvons
pas devenir ami-e avec les personnes avec qui nous faisons de la politique,
il existe souvent une difficulté pour vivre cela et nous avons
tendance à chercher ailleurs. Le fait que les groupes soient
des chaudrons affectifs ne doit pas nous faire peur, nous devons le
reconnaître et essayer lassumer sans trop de dégâts
et ne pas en rajouter si possible.
Dautre part, ce qui fonctionne pour soi-même, marche aussi
pour les autres, même sils le vivent de façon différente.
Ceci implique, à notre avis, un minimum de respect pour les autres
personnes, qui ont choisi de sengager dans la politique libertaire.
4 / Nous souhaitons rappeler que les humains ont droit à
lerreur.
Ceci vaut aussi pour les libertaires. Si nous nacceptons pas cela,
nous restons dans le schéma ancien qui fait fonctionner les regroupements
sur la base de la vérité, la vérité
unique et intangible, la vérité possédée
par quelques personnes. Immanquablement cela induit la condamnation
des personnes qui ne sont pas dans un rapport de soumission par rapport
à cette vérité. Les dirigeants des groupes sont
alors les grands prêtres de la militance, puisquils ont
accès à la vérité.
Si nous refusons que se maintienne et se reproduise le pouvoir en milieu
militant, nous sommes amené-es à admettre que nous progressons
aussi en nous trompant, que la formation politique ne tombe pas du ciel,
quelle sacquiert en militant, en travaillant en groupe et
seul-e. Comment penser un partage des apports théoriques sils
sont réservés à quelques personnes ? Cest
un rapport dialectique entre le travail théorique et laction
pratique qui permet davancer, de sapproprier les idées
des théories critiques, dexaminer leur validité
ou leur pertinence, détudier lhistoire des mouvements
révolutionnaires. Les débats existent, mais nous devons
veiller à ne pas transformer nos interventions en mises à
mort symboliques, en dévalorisations qui tendent à rabaisser
les personnes et à les présenter comme des nul-les.
Schopenhauer avait déjà relevé le danger lié
aux controverses : Ce serait une grave erreur de croire quil
suffit de ne pas être soi-même désobligeant. En démontrant
tranquillement à quelquun quil a tort et que par
voie de conséquence il juge et pense de travers, ce qui est le
cas dans toute victoire dialectique, on lulcère encore
plus que par des paroles grossières et blessantes. Pourquoi ?
... / ... Rien négale pour lhomme le fait de
satisfaire sa vanité et aucune blessure nest plus douloureuses
que de la voir blessée ?
... / ... Cette satisfaction de la vanité naît principalement
du fait que lon se compare aux autres, à tout point de
vue, mais surtout au point de vue des facultés intellectuelles.
Cest justement ce qui se passe effectivement et très violemment
dans toute controverse. Doù la colère du vaincu,
sans quon lui ait fait tort ...
Schopenhauer, Lart davoir toujours raison, éditions
Mille et une nuits (exemplaire à 10 frs), Paris, Février
2001, page 62. Ce texte est extrait des oeuvres posthumes de Schopenhauer
et a été publié pour la première fois en
1864.
Limaginaire et la toute puissance peuvent se servir de la symbolique
révolutionnaire pour exclure et se sentir plus fort que les autres,
pour rassurer et rehausser son narcissisme ou celui du groupe, pour
maintenir des rapports de pouvoir qui sont contraires à lidée
libertaire.
Lidée libertaire a beaucoup produit de textes et de projets
alternatifs sur le thème de léducation libertaire.
Il nest pas interdit de penser que lon pourrait tenter de
les mettre un peu en oeuvre dans nos regroupements.
5 / La question qui suit est celle de : Quest-ce
quon fait ? ou Que faisons-nous ensemble ?
En acceptant le besoin existentiel et la nécessité des
projets, nous sommes forcement moins sévères, beaucoup
moins dur-es sur le contenu des affirmations théoriques, des
jugements et sur le déroulement des actions. Nous pouvons être
ensemble ponctuellement dans des luttes pour des raisons assez différentes.
En ayant une posture, qui assume ce besoin dagir pour exister,
nous sommes dans une position qui permet dêtre beaucoup
moins virulent-es dans les attaques contre les autres personnes militantes.
Quest-ce quon fait ensemble ? devient la question
clé, cela permet daccepter les différences et nempêche
pas les débats, les recherches théoriques, ni les actions
radicales.
La question du réformisme est liée à cela. Quand
est-on révolutionnaire ? Il nest pas toujours facile de
répondre à cette interrogation. La seule révolution
qui a vraiment réussi cest 1789 et il a fallu près
de deux siècles pour construire, pour créer un classe
démocratique soumise aux desseins de la bourgeoisie contre LÉglise
et la noblesse. De plus, il faut quand même remarquer que certaines
réformes peuvent se lire comme des idées révolutionnaires
qui ont gagné. La seule utilité de lidée
révolutionnaire semble être de pouvoir se démarquer
des réformistes, qui acceptent de gérer la domination,
le capitalisme, ce que nous refusons.
6 / Pouvoir donner de lair à notre liberté
est fondamental pour les libertaires.
Une camarade disait cela en plaisantant, mais son affirmation est juste
et importante. On retrouve ici la notion de respiration psychique
, proposée par un autre ami, libertaire lui aussi, respiration
psychique qui est indispensable pour évoluer quand nous sommes
bloqué-es dans une situation mortifère. La distance entre
soi et lidéal est importante pour pouvoir penser dautres
possibles, dautres configurations humaines, dautres solutions
mentales et pratiques. Si nous restons trop collé-es à
cet idéal, nous sommes condamné-es à la torture
mentale parce que nous ne pouvons vivre de façon révolutionnaire
que très rarement dans cette société du
spectacle et de la marchandise. Lautre solution face à
cette difficulté, cest dutiliser la dissonance cognitive,
cest dire dadapter nos dires à ce que nous faisons
concrètement, et de toujours trouver des justifications rationnelles
à nos pratiques.
Pour éviter ces deux errements, il nous semble plus simple et
plus humain de mettre un peu de distance entre nous-mêmes et nos
grandes affirmations, nos anathèmes, nos condamnations péremptoires.
Ceci nimplique pas de tomber dans le relativisme, ni de prôner
la conciliation ou loubli de nos objectifs révolutionnaires,
mais de savoir que nous devons régulièrement examiner
les résultats de notre engagement. Cet examen nous permettra
de chercher à ce quil existe un peu plus de cohérence
entre nos idées et nos actes. Alors nous nous apercevrons peut-être,
que le résultat de notre engagement tient, parfois, dans le simple
fait de vivre, dexister dune façon un peu moins absurde
et moins coincée dans le système de domination que nous
propose le capitalisme.
Nantes le 2 Mai 2001, Georges Birault et Philippe Coutant
LUnité ?
Bonjour
La notion d'unité est très séduisante, personne
ne peut aller contre au risque d'apparaître comme un méchant
diviseur.
Ce qui me pose problème c'est la question du pouvoir et celle
des emblèmes. Comment comptez-vous faire avec l'unité
dans la diversité, la multiplicité sans chefs ?
Les grandes idées ne me semblent pas suffisantes si on ne parle
pas de "comment faire de la politique en ce début du siècle
?"
Il existe un passif qui laisse des traces, nous ne sommes pas sur une
terre nouvellement découverte.
En conséquence je réserve ma réponse pour l'instant,
parce que des préalables sont nécessaires pour éviter
de reproduire ce nous avons déjà fait si souvent : la
reproduction du pouvoir et la violence (symbolique ou non) en milieu
militant.
Salutations libertaires
Philippe Coutant Nantes le 7 mars 2001
Bonjour
Je souhaite poser quelques questions à propos de lunité
des libertaires : :
- La vérité, où est-elle ?
- La diversité, Le multiple ... sont-ils possible ?
- Qu'est-ce que la compromission ? Est-il possible d'agir sans écorner
les principes, valeurs qui sont essentielles ? et donc d'être
exclu ou taxé d'ennemi ?
- Le pouvoir, la domination,
- La violence réelle et symbolique,
- et bien d'autres choses du même ordre.
Si la question de l'unité pouvait servir à discuter de
tout cela, je serais daccord.
Mais il n'en est fait mention nulle part ou presque.
Salutations libertaires
Georges Birault Nantes le 11 Avril 2001