De toute part on entend comme seule réponse au chômage,
la volonté de remettre tout le monde au boulot ! Celui-ci serait
source de dignité, justifierait notre place dans la société,
redonnerait un sens à notre vie, etc.. Exit le débat sur
l'aliénation engendrée par le travail. Bref le travail
devient la panacée, le moyen de lutter contre l'exclusion ; en
fait il devient un but en soi alors qu'il ne devrait être qu'un
moyen pour satisfaire nos besoins et nos désirs : une activité
sociale parmi d'autres comme celle de militer, de participer à
la vie d'une association_
Depuis plus de 20 ans on nous fait miroitier "la sortie du tunnel"
grâce à une flexibilisation et une précarisation
de plus en plus importante des conditions d'exploitation de la force
du travail. Régulièrement le patronat réclame de
pouvoir licencier plus facilement les travailleurs afin de les embaucher
plus facilement ; ou bien il demande un allégement des charges,
etc. Depuis plus de 20 ans le chômage ne cesse d'augmenter. L'objectif
de cette politique, menée par tous les gouvernements n'est pas
de réduire le chômage, de réduire "la fracture
sociale", mais bien d'adapter les conditions d'exploitation de
la force de travail aux exigences de l'évolution du capitalisme.
Depuis plus de 20 ans on nous "squatte l'encéphale"
avec l'idéologie des gagneurs (la tapie mania en a été
le symbole) : il faut nous battre pour faire notre place dans cette
société en écrasant les autres ; seuls les plus
forts auront droit aux bienfaits de la concurrence, les autres restant
sur le carreau.
Dans les pays du Centre, cela passe par une exclusion, une marginalisation
d'une partie significative de la population dont le capitalisme n'a
que faire ; sa principale préoccupation à leur égard
consiste à faire en sorte que les exclus n'empêchent pas
les capitalistes d'exploiter en rond ! Une vision sécuritaire
se met en place : la notion de classes dangereuses tient lieu d'analyse
; autrement dit, l'Etat se prépare à la répression
au cas où les opprimés et les exploités voudraient
sortir de ce cercle vicieux. Ainsi cela se traduit par des préparations
:
policière : renforcement des moyens de répression
par exemple, amélioration de l'équipement des CRS ou la
création des Brigades anti-criminalité composées
de flics en civils ;
militaire : entraînement et spécialisation d'unités
militaires à la répression anti-émeutes, banalisation
de cette présence dans les villes grâce à Vigipirate
;
juridique : légalisation du contrôle au faciès,
utilisation de la notion "de trouble à l'ordre public"
relevant du flou artistique et laissant donc libre cour à toutes
les exactions policières ; volonté d'étendre la
notion de terrorisme, par exemple Toubon avait prévu que l'accueil
de clandestins rentre dans le cadre de la lutte antiterrosite ; pour
l'instant cette proposition n'a pas été votée,
mais quelques attentats sauront la faire accepter au Conseil constitutionnel
;
médiatique/idéologique en vue de faire accepter
au quidam moyen toutes les "bavures" dues à l'ordre
sécuritaire et à renforcer la cassure entre ceux qui vivent
dans les centres du Centre et ceux qui survivent "là-bas",
c'est-à-dire dans les quartiers ghettos du Centre ou les pays
de la Périphérie.
Les populations vivant dans ces quartiers ou dans ces régions
de la planète sont laissées à l'abandon. Le seul
"souci" qu'elles créent aux décideurs économiques
et politiques sont leurs facultés à émigrer pour
échapper à la misère et/ou la mort ; pour ce faire,
de véritables forteresses se constituent en vue d'endiguer les
flux migratoires. Ces immigrés venant du Sud, les "exclus"
vivant dans les quartiers ghettos des pays du Centre sont les nouveaux
barbares contre lesquels les sociétés capitalistes doivent
se défendre.
POLITIQUE SOCIALE : POLITIQUE D'EXCLUSION !
Dans ce contexte les politiques n'ayant de social que le nom, entérinent
ce processus : l'apartheid social . Ainsi par exemple le RMI est présenté
par son initiateur, Rocard, comme un progrès social au même
titre que la Sécurité sociale. Cela relève d'un
véritable tour de passe-passe. La création de la Sécu
est le fruit de longues luttes du mouvement ouvrier et a permis d'assurer
un minimum vital lorsque l'on ne peut plus momentanément ou durablement
travailler parce qu'on est malade ou que l'on est atteint d'un âge
avancé. L'ensemble de la société a bénéficié
de ce progrès social qui a permit de désangoisser l'avenir
pour des millions de personnes.
Par contre le RMI s'inscrit dans l'histoire du traitement du chômage
depuis le début de la crise des années 60/70. Dans les
premiers temps, les responsables politiques n'avaient pas conscience
de la profondeur de celle-ci. Ils pensaient que l'augmentation du nombre
de chômeurs était passagère, qu'il fallait attendre
une amélioration de la conjoncture. Aussi les allocations des
chômeurs pouvaient atteindre jusqu'à 90% du salaire car
il ne fallait pas ralentir la consommation afin de maintenir la croissance
et de toute manière le retour vers l'emploi se ferait rapidement
: le mythe de l'éternité des Trente Glorieuses avaient
encore du souffle !
Mais il a fallu constater que la crise n'avait rien de conjoncturel,
mais était bien structurelle. Une des conséquences de
cette prise de conscience fut qu'on ne pouvait plus revenir à
une période de "plein emploi" . Les gouvernements n'ont
plus lutté contre le chômage massif et de longue durée.
D'un côté, ils tentèrent de maintenir un statut
quo accepté bon gré mal gré par tous en culpabilisant
les travailleurs. Ces derniers ne devraient pas se plaindre et être
exigeant sinon le chômage irait en augmentant (les syndicats ont
une grande part de responsabilité dans cette apathie des travailleurs.
Il ne fallait pas gêner la gôche au pouvoir). Ce thème
sera particulièrement développé à l'encontre
des fonctionnaires, ces "nantis" qui ont la garantie de l'emploi
! Ainsi la lutte contre le chômage passait par la dégradation
des conditions de travail . De l'autre, les décideurs réduisirent
les allocations chômage d'année en année, condamnant
à la misère de plus en plus de personnes ; le RMI est
la dernière étape de cette approche de la réalité.
L'Etat entérine concrètement le fait qu'une partie de
la population est durablement, voire définitivement exclue de
la sphère de production et donc de la consommation.
On peut définir un outil comme étant un progrès
social lorsqu'il permet d'améliorer les conditions de vie des
individus. Avec le RMI on ne fait que renforcer le travail au noir,
les trafics en tout genre ; en effet comment vivre avec un peu plus
de 2000 F par mois ? Comment parler ainsi d'amélioration des
conditions de vie et donc de progrès social ? Le cynisme des
décideurs n'a aucune limite !
LA LUTTE CONTRE LE CHOMAGE : UNE IMPASSE !
Face à cette situation peut-on envisager d'éradiquer le
chômage et donc en finir avec la misère ? La lutte contre
le chômage rencontre un premier obstacle : le chômage est
une donnée constante dans les sociétés capitalistes.
On ne peut concevoir un marché du travail sans concurrence entre
les travailleurs, sinon le rapport de forces serait trop défavorable
pour les capitalistes et le coût de la force de travail (autrement
dit les salaires) serait prohibitif et limiterait considérablement
les profits dégagés. Ainsi il paraît difficile,
sinon impossible, d'en finir avec la misère en ayant comme objectif
de vouloir maintenir l'ensemble de la population active au travail.
La croissance économique ne peut répondre à cet
objectif. Actuellement elle rime plutôt avec l'augmentation du
chômage : beaucoup de cotations en bourse des entreprises sont
en partie déterminées par la capacité de ces dernières
à licencier une partie de leur personnel. Cela montre, d'une
part, que les plans de restructuration sont bien engagés et,
d'autre part, la faculté de la direction de l'entreprise à
imposer ses décisions à l'encontre du personnel même
si les conflits peuvent être importants. De toute manière,
il faudrait un tel taux de croissance pour réduire de manière
significative le chômage que cette rhétorique frise la
farce.
Un constat s'impose, la quantité de travail globale diminue,
en raison de l'augmentation de la productivité et de l'automatisation
de certains secteurs de la production ; d'ailleurs si elle n'est pas
plus avancée cela est due en grande partie à des raisons
de rentabilité : lorsque le coût de la main-d'_uvre est
inférieur à celui de l'introduction d'automates, bien
évidemment le capitaliste préférera asservir des
ouvriers.
Pour lutter contre le chômage, les réponses de la classe
politique sont de deux ordres, mais qui en fin de compte reviennent
à maintenir le capitalisme en place. D'un côté,
on ne cesse de libéraliser les conditions d'exploitation afin
d'être encore plus compétitifs sur le marché mondial
; concrètement c'est la politique qui est menée depuis
une vingtaine d'années et qui conduit à la déréglementation
des conditions de travail : instauration et légalisation de la
précarité et donc de l'exclusion. Résultat des
courses, le chômage n'est allé qu'en augmentant et les
conditions de travail se sont dégradées. Le libéralisme
ne peut donc prétendre vouloir résoudre le problème
du chômage, au contraire il ne peut qu'aller vers une dégradation
plus importante de l'exploitation de la force de travail.
De l'autre, on propose de développer les emplois de services
(apporter le café, les pizzas, garder les enfants, les personnes
âgées, faire le ménage, nettoyer les espaces verts_).
En fait cela conduit à ce que la majorité de la population
soit au service (autrement dit, effectue les tâches matérielles
et quotidiennes peu valorisées socialement) d'une caste ayant
le privilège d'occuper les emplois "nobles" de décision,
de responsabilité. Ainsi, on renforce la hiérarchie sociale,
la majorité est au service de la minorité : l'élite!
Pire, les rapports sociaux instaurés entre les personnes, mais
aussi ceux qui tiennent plutôt des relations d'amitié,
de bon voisinage et de solidarité sont aujourd'hui appréhendés
comme source possible de travail : les fameux gisements d'emploi. On
va donc avoir bientôt le droit de produire et de consommer du
voisinage, de l'amitié et de la solidarité. On veut rendre
cette société capitaliste plus humaine (comme si la domination,
la hiérarchie sociale, l'exploitation_ pouvaient rendre la société
plus humaine !) en veillant à la résolution, ou plutôt
la bonne gestion, des exclusions ; cela ne conduit, au travers des emplois
de services, qu'à plus déshumaniser cette société
: les relations humaines, sociales sont aujourd'hui en passe d'être
quantifiables, consommables : marchandisées ! Devrons-nous demander
un chèque-service pour aider une personne âgée à
traverser la rue ?
Ces propositions ont en commun d'aborder le problème du chômage
par la création d'emplois avec, à l'appui, la recherche
systématique d'une croissance économique. Jamais il n'est
réellement pris en compte qu'il y a moins de travail, qu'il est
préférable que des machines s'usent sur des chaînes
de montage plutôt que des ouvriers y laissent leur santé
et leur vie. Ceci montre que le travail est le centre des préoccupations
; à la limite, il est une fin en soi ; toujours est-il, qu'autour
de lui s'organise la vie : la gestion du temps, le choix du lieu d'habitation,
etc. Autour du travail se joue une bataille idéologique dont
l'enjeu est le maintien de la société bourgeoise.
Le mouvement ouvrier n'est pas épargné par cette conception
; historiquement, il a souvent fait une priorité du fait de pouvoir
travailler ; il est allé jusqu'à revendiquer " le
droit au travail ". En toute logique cette revendication est absurde
: le travail ne peut être un droit, il ne doit être qu'un
moyen pour satisfaire des besoins. Ceci montre qu'une des causes de
l'échec du mouvement ouvrier est qu'il n'est jamais radicalement
sorti de l'idéologie bourgeoise.
Le mouvement syndical en particulier, mais aussi des associations de
lutte contre le chômage proposent de diminuer le temps de travail
à 35, 32 et même à 30 heures hebdomadaire. Ces propositions
ne peuvent en aucune façon apporter de réponses concrètes
et durables. Pire la réduction du temps de travail se traduit
par une augmentation de la productivité ! En tout cas, elle ne
prend pas vraiment en compte ce que signifie la mondialisation de l'économie.
Les marchés et les multinationales acquièrent de plus
en plus de puissance, limitant à la portion congrue la réalité
du pouvoir que détiennent les Etats ; ils ne peuvent plus déterminer
ni contrôler les politiques monétaires, industrielles,
sociales_ Si, par exemple, le gouvernement français, ou même
l'ensemble de l'Europe de Maastricht, accédaient à ces
revendications, il y a fort à parier que les multinationales
investiraient dans d'autres régions du monde où le coût
de l'exploitation de la force de travail serait moins cher. La lutte
pour la diminution du temps de travail, dans le contexte de la mondialisation,
n'est guère porteuse de perspectives ; on ne peut faire disparaître
le chômage et l'exclusion par la réduction
du temps de travail. Au contraire, on renforce la césure entre
les exclus et les précaires, d'un côté et les travailleurs
garantis, de l'autre. A l'échelle de la planète, cette
lutte peut amplifier les conflits entre les populations des différentes
régions du monde en renforçant la concurrence entre ces
dernières et surtout entre les opprimés.
La revendication actuelle de l'emploi est synonyme de " moyen de
vivre ", " d'insertion ", " d'existence ".
Elle occulte toute réflexion sur son pourquoi et sa finalité.
Produire quoi ? Pour quels besoins ? Produire comment ? Ces questions
sont toujours reportées aux calendes grecques sous prétexte
de l'urgence. Des créations d'emplois sont réclamées
pour la santé sans s'interroger sur quelle santé, quelle
vieillesse, pourquoi la France est le premier consommateur de calmants_
? Dans le maintien ou la recherche de " gisements d'emplois ",
la société accepte tout et n'importe quoi dans une fuite
en avant suicidaire :
de la multiplication des autoroutes aux centrales nucléaires
;
du tourisme à la transformation des rapports sociaux en
marchandises, etc..
Les marchés imposent de plus en plus leurs diktats ; ce sont
eux qui déterminent les choix politiques en fonction des finalités
qu'ils se sont fixés ; ils détiennent ainsi le pouvoir
sur lequel aucun contrôle ne peut être exercé tant
leur autonomie est grande. Les Etats deviennent de gros ministères
de l'intérieur chargés de réduire les coûts
de la force de travail, d'en durcir les modes d'exploitation et de se
doter des moyens de répressions suffisants pour parer à
toutes éventualités si les exploités et les opprimés
en viennent à remettre en cause cet ordre mondial.
La revendication d'un revenu garanti pour tous et toutes représente
une réponse immédiate et concrète. Mais n'existe-t-il
pas un danger en l'extrayant d'un contexte global de lutte contre l'exclusion,
de ne pas remettre en cause la hiérarchie sociale fondée
par l'importance des revenus, et de renforcer une société
fondée sur une partie de la population qui serait maintenue au
travail, tandis que l'autre vivrait de revenus garantis. Cet objectif
stigmatise les exclus et les précaires au détriment de
la lutte de classes. Ces clivages sociaux seraient sources de conflits
durables. Comment parler d'égalité sociale ? Le revenu
garanti, comme unique revendication ne peut être un outil pouvant
lutter radicalement contre l'exclusion. Celle-ci ne pouvant se réduire
à des considérations économiques, car elle pose
la question de la nature du lien social qui fait qu'on vit ensemble
dans une même société. Celui-ci n'est jamais donné,
il nous faut l'inventer et le construire en tenant compte des contradictions
peut-être des impasses auxquelles est confronté
le capitalisme.
CRITIQUE DU TRAVAIL : CRITIQUE DU LIEN SOCIAL
Dans la société bourgeoise seule l'activité produisant
du profit dont bénéficient les capitalistes est considérée
comme étant du travail. Il signifie en fait travail salarié,
s'opposant aux activités sociales considérées comme
mineures par rapport à lui. C'est une caractéristique
de cette société de faire du travail le fondement du lien
social. Historiquement il n'a pas toujours été ainsi.
Ainsi au Moyen Age et jusqu'à la Révolution française,
l'ordre social était vécu comme un ordre divin où
chacun et chacune avait sa place déterminée par Dieu et
ne pouvait en aucune façon être remise en cause sinon on
attentait à Dieu . Cette organisation sociale reposait sur trois
corps : le clergé, en particulier les évêques, qui
détenait la parole et donc transmettait le message de Dieu ;
les soldats ou aristocrates, bras armés de l'Eglise ; les paysans,
qui regroupés en fait l'ensemble des travailleurs, étaient
chargés d'entretenir l'ensemble des personnes composant la société.
Ainsi donc le travail n'est pas le fondement du lien social. D'ailleurs,
une des caractéristiques des deux ordres qui formaient l'élite
de la société est qu'ils ne participaient en aucune façon
aux activités productrices qu'ils jugeaient comme dégradantes
; elles étaient l'exclusives du troisième ordre.
Au XVIIème siècle apparaît une nouvelle conception
de l'être humain. Deux éléments vont définir
un individu : il doit préserver sa vie et satisfaire ses intérêts
; ainsi l'individu peut et doit agir sur son devenir et par conséquent
sur l'évolution sociale. La société n'est plus
d'essence divine mais de construction humaine. " Le problème
majeur est de trouver un nouveau principe d'ordre, susceptible de fonder
l'unité de la société et d'organiser les liens
entre des éléments qui n'avaient jamais été
considérés dans leur isolement auparavant, mais toujours_
comme des parties d'un ensemble hiérarchisé et articulé.
" En effet si ma principale aspiration est de préserver
ma vie et de satisfaire mes intérêts, alors les autres
individus risquent de contrecarrer mes projets pour assouvir leurs besoins,
voire mettre ma vie en danger ; la réciproque est également
vrai ; " l'Homme est un loup pour l'Homme. " Dans ces conditions
il est difficilement concevable que nous puissions vivre dans une société
fondée sur l'individu. Il faut donc rechercher un lien social
qui permette, garantisse une cohésion sociale qui ne soit pas
à chaque instant remise en cause et dont on pourra déterminer
les règles communes acceptées par tous et toutes.
Ce sont les économistes qui vont apporter les réponses,
en particulier A. Smith. Ce sera l'échange dans les rapports
marchands et dans le cadre du travail qui mettra en relation les individus
et maintiendra le lien social. C'est par le travail que l'individu obtient
le droit de posséder, cela se fondant sur le droit de se préserver.
Ainsi l'économie acquiert une place prépondérante.
Elle "_ est donc une philosophie de la société fondée
sur la méfiance : l'intervention humaine n'est pas suffisante
pour garantir l'ordre social. Au libre choix par les individus de leurs
règles de vie et de leurs fins l'économie préfère
la rigueur des lois. " Ainsi n'est considérer comme travail,
les activités qui sont à l'origine d'un accroissement
de la richesse. Le temps de travail devient l'outil de mesure de la
valeur d'échange qui prend le pas sur la valeur d'usage ; le
prix d'une marchandise prévaut sur l'utilité que nous
pourrions retirer de cette dernière . La société
bourgeoise regarde la réalité à partir du prisme
de la quantification au détriment de la qualité et de
l'utilité concrète puisque une de ses finalité
est l'augmentation sans limite de la richesse.
La lutte contre le chômage se limite à réclamer
un meilleur partage du gâteau capitaliste, mais n'en conteste
par la nature. Cela renforce l'idée que le libéralisme
est indépassable qu'il n'y a plus d'alternative : cela entretient
le mythe d'une sortie de la crise par le partage dut travail. Ainsi
on ne prend pas en compte les évolutions du capitalisme, à
savoir la mondialisation. C'est croire que les Etats sont encore assez
forts pour imposer aux multinationales et aux spéculateurs des
développements autocentrés dans les pays du Centre. C'est
aussi faire fi que cela fut possible pendant les Trente Glorieuses en
pillant le Tiers Monde !
Cela renforce d'autant la domination bourgeoise en nous empêchant
de réfléchir, d'imaginer d'autres rapports sociaux non
plus fondés sur le travail salarié. Au-delà de
la lutte contre le chômage, qui bien souvent est synonyme de mobilisation
pour l'emploi, il nous faut lutter plus globalement contre la misère.
Il nous faut mettre à bas le capitalisme, c'est-à-dire
révolutionner la société en tentant de proposer
des alternatives.
PERSPECTIVES
Les luttes contre la misère doivent se fonder :
à partir des évolutions fondamentales de la société
bourgeoise : la perte de la centralité du travail et la mondialisation.
Jusqu'à un passé récent, le profit était
extrait essentiellement de l'exploitation de la force de travail ; depuis
un quinzaine d'années, une tendance se dessine : la principale
source de profit devenant la spéculation. Il importe maintenant
pour les capitalistes de se doter de moyens pouvant limiter les risques
(comme on l'a vue lors du krach de la banque du Mexique, ou de la Barings
par exemple) qu'engendre cette dernière et donc d'être
en capacité de " prévoir " (autrement dit "
redonner confiance aux marchés ") pour pouvoir investir
sans que les risques soient trop importants. Le travail devient
dans les sociétés occidentales pour le moins plus
un outil de domination que la source principale de profit.
l'évolution qualitative des luttes qui se sont déroulées
ces dernières années. Que l'on prenne, par exemple les
luttes sur le logement, contre la précarité et dernièrement
celle des sans-papiers, elles ont un point commun : ce sont des personnes
qui survivent dans des conditions inextricables et qui disent "
stop ! On arrête, on ne peut plus continuer à vivre de
la sorte ". Ces luttes ne posent plus les problèmes en termes
quantitatifs (réduction des loyers, du temps de travail, augmentation
de salaires_), mais impose des débats sur des choix de société
: pouvons nous accepter que des individus ne puissent se loger sous
prétexte qu'un propriétaire leur réclame des loyers
et garanties qu'ils ne pourront jamais fournir . On peut espérer
que dans un proche avenir des personnes n'acceptent plus d'être
réduites à la mendicité ou à la charité
pour pouvoir se nourrir, se vêtir_
De même les sans-papiers en revendiquant la libre circulation
des individus, l'ouverture des frontières, interrogent la société
sur son devenir. Voulons nous vivre dans un monde de "petits blancs"
complètement repliés sur eux-mêmes et ayant peur
de tout ce qui leur est extérieur, étranger ; un monde
dans lequel les populations, en particulier les pauvres, seraient fixées
sur leur territoire, un monde dans lequel les cultures seraient étanchent
les unes par rapport aux autres ? Ou voulons nous au contraire vivre
comme on le veut, avec qui on veut et où l'on veut, ce qui passe
inévitablement par la reconnaissance de valeurs comme la solidarité,
l'égalité, la liberté, l'interculturalité
?
Un des problèmes fondamentaux auxquels nous sommes confrontés
est de réinventer de nouveaux liens sociaux qui redonnent du
sens pour vivre dans une société. La question n'est pas
de dire " à bas le travail ", il a toujours fait partie
des activités humaines ; on peut même avancer l'idée
qu'il participe aux rapports que nous entretenons avec la nature et
donc entre les êtres humains.
Notre volonté politique est de connaître et de maîtriser
nos conditions de vie. Si l'on définit le travail comme une activité
ayant pour but de satisfaire des besoins sociaux, mais aussi individuels,
au même titre que se cultiver, de faire la fête, de participer
à la vie associative d'un quartier ou toute autre forme de mobilisation
qui, elles aussi sont des activités pour satisfaire nos besoins
et, ce en vue de connaître et maîtriser nos conditions d'existence,
alors le travail retrouve sa juste place. Ainsi le fait de travailler
devient une activité sociale parmi d'autres, activité
que nous devons maîtriser, c'est-à-dire en déterminer
les finalités, l'utilisation, les méthodes, les techniques
et les moyens employés. Nous devons donc développer la
notion d'activite socialement utile. En effet, pour définir ce
qui est " utile " il faut déterminer " socialement
" quels sont nos besoins. L'activité travail implique forcément
le partage puisqu'elle est déterminée collectivement,
non plus afin de créer des profits pour les capitalistes, mais
par rapport à nos conditions d'existence sur lesquelles nous
voulons agir. Ce qui doit fonder le lien social ce n'est plus le travail
salarié, mais les formes d'organisations sociales qui nous permettront
de connaître et maîtriser nos conditions d'existence. Le
débat sur la crise de la centralité du travail peut ainsi
nous permettre d'entrevoir d'autres perspectives et briser l'unidimensionnalité,
autre caractéristique de la société bourgeoise
: on définit notre existence principalement par le statut de
travailleur. Moins on répond à ce caractère (précarisation,
chômage...) plus le processus d'exclusion se met en place.
Or vouloir casser le caractère unidimensionnel nous impose aussi
des stratégies dans les luttes. Bien souvent on confine des personnes
en lutte à la spécificité de leur combat. Ainsi
on est ouvrier en grève, sans-papiers, chômeur luttant
pour obtenir ses allocations, ou mal logé... On a souvent du
mal à briser l'étanchéité entre ces différentes
réalités ; en conséquence les luttes sont souvent
spécifiques et il est très difficile d'_uvrer pour leur
globalisation. Si l'on prend l'exemple des sans-papiers, il paraît
évident qu'ils sont aussi travailleurs, chômeurs, parents,
locataires, etc. Il y a fort à parier qu'on renforcerait le rapport
de force si l'on arrivait à prendre en compte l'ensemble de ces
dimensions tout d'abord au sein des collectifs en lutte, mais aussi
dans les différentes secteurs de la société. De
réelles convergences d'intérêts, sur des bases concrètes,
pourraient se mettre en place, fondement d'une solidarité active
et ainsi les personnes ne seraient plus uniquement des sans-papiers.
En outre cette prise en considération de tous les éléments
afférents à la vie sociale permettrait, au sein des mouvements,
d'aborder la globalité non plus de manière ésotérique
et élitiste, mais par l'ensemble des personnes mobilisées.
C'est ainsi qu'on construit une réelle autonomie des luttes devenant
réellement des luttes anticapitalistes. Autre exemple, il serait
intéressant de discuter avec les intermittents du spectacle de
l'accès pour tous à la culture et aux loisirs. Comment
lorsqu'on touche le RMI aller regarder un spectacle dont l'entrée
est de 150 F. Avec des paysans : comment organiser des réseaux
de solidarité active avec des personnes ne pouvant plus se nourrir
décemment et sont donc obligées d'aller mendier aux restaurants
du coeur. Le logement gratuit pour tous est une revendication que nous
portons. Mais comment s'organiser tant au sein de l'immeuble pour assurer
l'entretien des locaux que faire appel à des personnes qualifiées
pour exécuter certains travaux qui requièrent un savoir
faire non partagé par tout le monde (plomberie, électricité,
entretien du toit...) ; comment échanger ces savoirs ? En résumé,
comment s'organiser socialement pour que nos conditions de vie ne soient
plus déterminées par nos revenus, pour qu'une réelle
égalité sociale voit le jour sur la base d'une solidarité
active. Comment déterminer des choix de société
qui en finissent avec l'exploitation, la domination ? C'est à
ces débats, ces interrogations auxquels nous devons réfléchir
et faire partager pour tenter de construire des alternatives sinon le
capitalisme a encore de beaux jours devant lui.
JC en 1998
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