Angers vit un statut de satellite de Paris et une implantation catholique
légaliste. En face, sest constituée une opposition
politique de gauche et dextrême gauche. À lintérieur
de cette opposition se développent des formes de féminismes.
Je parlerai de féminismes : comme il ny a pas «
le Juif », il ny a pas « la Femme ». Ces formes
partagent un tronc commun : la prise de conscience individuelle
ou collective de loppression spécifique des femmes. Le
féminisme est un phénomène réactif :
il existe parce quil y oppression.
Révolutionnaire, syndicaliste et égalitaire
Trois formes se dégagent. Les féministes révolutionnaires :
Le MLF, les Danaïdes sont des groupes créés par les
forces dextrême gauche. Elles cherchent plus à intervenir
dans la vie quotidienne que dans la vie parlementaire. Elles élaborent
les revendications les plus radicales. Dans les syndicats, se développe
le féminisme syndicaliste. Il ne sera question ici que de la
CFDT, syndicat majoritaire à Angers. Leur syndicat doit découvrir
et prendre en compte lensemble de la vie des travailleuses et
cesser de borner son action au seuil de lentreprise, alléguant
la défense de la vie privée. Enfin le féminisme
égalitaire : le Mouvement Français pour le Planning
Familial (MFPF), les femmes socialistes à lintérieur
ou à lextérieur du parti sont très investies
dans la vie électoraliste, à la fois comme actrices et
groupe de pression. Elles cherchent à impliquer lÉtat
dans les changements concernant la vie des femmes.
Maintenant que cette typologie est établie, introduisons le dernier
élément qui va mettre en doute sa pertinence : ces
femmes sont des humains, ce que leurs complexités parfois contradictoires
et/ou stratégiques impliquent. Une même femme est souvent
militante féministe révolutionnaire, syndicaliste et égalitaire
(exemple : MLF, CFDT, MFPF). Le discours et les revendications
sadaptent à toutes les voies qui permettent de combattre
loppression patriarcale.
Oppressions et féminisme
La conscience de genre nest pas première. Viennent dabord
les sentiments de classe, de génération, de religion,
dappartenance politique. Les femmes participent aux mouvements
sociaux plus en tant quindividu quen tant que femme. La
conscience dêtre sexuée femme vient surtout de la
situation qui leur est faite en tant que femme
Les militantes
viennent de tous les horizons, ont participé à des mouvements
beaucoup plus valorisés que les mouvements féministes.
Or les féministes ont presque cessé leurs activités
dans les années 80 sous lopprobre et la stigmatisation
virulentes et régulières des antiféministes (dont
les alliances englobent tout léventail politique
).
Les souvenirs révèlent lintériorisation impressionnante
de ce mépris : Avoir agi, milité, gagné des
batailles à force dacharnement nest pas valorisé !
Militer est synonyme de combattre : contre lidéologie
dominante, patriarcale, les attitudes misogynes, contre des parts delles-mêmes
dues à léducation et la morale chrétienne,
à la peur apprise de lAutre (ce qui fait le plus peur nest
pas forcément celui quon croit) et enfin contre dautres
femmes. Cet article envisage les féministes organisées
plus faciles à cerner or elles ont un rapport conjoncturel avec
les organisations : elles sont mobiles, préparant loffensive
et le repli tout en gardant leurs objectifs, sans chef. Lorganisation
peut se dissoudre après le succès ou léchec.
Limportant est de se constituer, dexister pour briser le
mur de linvisibilité de laction des femmes. Apparaître
jusque dans la défaite pour situer les positions, même
abdiquer, prouve au moins sa présence au sein de la société.
Enfin, elles
préparent le terrain pour les suivantes car tant quil y
aura oppressions, il y aura féminismes.
1965 : la Maternité Heureuse (dont le nom vise à
contourner la loi de 1920 [toujours en vigueur aujourdhui], interdisant
la contraception, lavortement et la publicité à
leur sujet) ouvre ses portes. La fin de la période de reconstruction
permet un retour au plan national des propositions féministes.
1985 : toutes les structures sessoufflent quand elles nont
pas déjà disparu, sembourbent dans un phénomène
de salarisation des militantes pour maintenir une présence. Au
plan collectif, principalement mai 68, au plan individuel, la politisation
des injustices quotidiennes (à lécole, par rapport
à ses parents, son couple, les jeunesses chrétiennes féminines,
le droit à disposer de son corps, dans toutes les organisations
politiques ou syndicales) les radicalisent. Les mouvements de mai 68
sont mixtes. Ils justifient et légitiment des revendications
qui mettent au centre lindividu. Ils protestent contre et réussissent
à faire reculer ce qui est ressenti comme un carcan, et dont
largument principal est basé sur le ressenti. Autant dargumentaires
et de victoires qui apprennent à refuser le « ça
ne doit pas changer parce que ça a toujours été
ainsi » ce qui est une des caractéristiques de loppression
des femmes. Autrement dit « les choses peuvent changer parce que
je a décidé que ça allait changer ».
Dans un contexte de prospérité et dune lecture approximative
de Reich, les questions de sexualité sont débattues :
du temps se libère pour pointer et penser ce qui opprime ; la
scolarisation des filles progresse en termes de nombre et de niveau.
Mai 68 intègre le vécu collectif direct ou indirect grâce
aux débuts de la médiatisation qui mettent en scène
des femmes « symbole de la révolte ». Concrètement,
des images de femmes en révolte se diffusent, la preuve de cette
capacité devient irréfutable : la logique du patriarcat
se retourne contre lui.
Politisation des injustices
La politisation des injustices est toute aussi générale.
Les filles ressentent le holisme familial (subordination de lindividu
à une entité supérieure) à travers la vie
de leur mère. Soumises, le plus souvent, elles sont confrontées
à des grossesses trop nombreuses, trop souvent difficiles, à
des maltraitances maritales plus ou moins graves, à lappropriation
collective de leur corps (surveillance sociale). Cest la position
dite classique qui est rejetée pour sa mère (conscience
de la pérennité de loppression) et pour soi (rébellion).
Parfois, la mère exerce un travail salarié, a été
militante avant dêtre mère, a tout simplement du
caractère, transmet sa révolte. Le soutien des pères
sobserve surtout à travers lencouragement aux études.
Pendant mai 68, elles se heurtent aux pratiques misogynes : les
terres de missions (convaincre les grandes écoles catholiques
de participer à la « chienlit »), les surnoms «
Mado la rouge » ou « la Jeanne dArc de la CFDT »
qui les assignent au
statut de vierges-rouges-célibataires. Pendant leurs parcours
scolaires, elles observent dans les classes devenues mixtes les licences
accordées aux garçons (tolérance de linsolence
etc.). Les membres des jeunesses chrétiennes procèdent
à lintérieur de cette structure, non-mixte dans
un but de protection, à un pervertissement de ce but. Loin dattendre
le mariage, cette organisation leur permet de sortir de leur famille,
de prendre des responsabilités (nationales parfois), dapprendre
à prendre la parole, à diriger une réunion, à
représenter un groupe et à confronter leur vécu.
La JOC-F se positionne en faveur de lavortement malgré
lÉglise, défend sa non-mixité contre la JOC
qui linsulte « Féministe » : forcément
bourgeoise, traître à la cause et la classe ouvrière !
Dès 1964, une commission féminine existe à la CFTC/CFDT,
survivance des syndicats féminins. Elle devient commission «
problèmes féminins » pour donner envie aux hommes
de sassocier
Au congrès de 1970, la CFDT décide
(pour se démarquer de la CGT) la fin de cette structure spécifique
puisque les problèmes des femmes concernent tout le monde ; en
conséquence
plus rien ne se fait. À partir de 1974,
un groupe « Travailleuses » se reconstitue avec des femmes
plus jeunes et plus à gauche (LCR). Les militantes vont obtenir
le soutien et la mobilisation du syndicat sur les questions touchant
aux femmes. A lintérieur du PS, alors que F. Mitterrand
se revendique féministe depuis 1965, les militantes
essaient de se démarquer, dobtenir des places éligibles.
Les militantes de la CFDT comme du PS font le choix de la dépendance
à une organisation afin de faire pression.
Autonomie et dépendance
De lautre côté, des femmes font le choix de lindépendance.
Pour 50 % des françaises, la vie sexuelle était une corvée
(et maintenant ?). Le MFPF diffuse linformation et la contraception.
Le mouvement se radicalise et prend position pour lavortement
(départ des militants chrétiens de gauche, arrivée
des militantes révolutionnaires), organise les départs
pour les avortements au Royaume-Uni. Un homme expérimente la
contraception masculine. De 1972 à 1975, le MLAC pratique des
avortements clandestins non-culpabilisants, fait venir le film interdit
« Histoire dA ». Le groupe Femmes relaie la dynamique
du MLAC : anti-fête des mères, journal, ouverture
dun local non-mixte, manifestation de
nuit contre le viol. Mais les militantes, qui participent en parallèle
à dautres organisations, subissent des attaques dautant
plus virulentes quelles se nourrissent du contexte du début
de la crise, sessoufflent et se replient sur la sphère
privée. Ce sont les militantes lesbiennes qui maintiennent le
local puis le remplacent par un lieu plus convivial, militant par sa
non-mixité, de 1982 à 87.
La question de lavortement satisfaite par une loi insuffisante
et sous condition, les divisions politiques refont surface ; les autres
revendications sont moins unitaires. Les militantes sépuisent
de nêtre pas relayées ni par les hommes ni par les
jeunes femmes ignorantes des luttes. Elles reçoivent le coup
de grâce, comme tous les autres mouvements de revendication, par
larrivée aux Réalités du Pouvoir des kamarades
en 1981. Depuis 1995, les femmes retournent dans la rue, des structures
féministes autonomes ou non réapparaissent. Des hommes
enrichissent le débat de leurs analyses de loppression
patriarcale y compris sur eux-mêmes. Le creux prépare la
vague suivante
E - commission femmes
Le mémoire de maîtrise dHistoire « mémoires
et histoire des féminismes à Angers, 1965-85 »,
qui sert de base à cet article a été réalisé
à partir dentretiens avec 28 femmes et 4 hommes. Ce travail
a été co-lauréat du prix Jean Maitron en novembre
1998.