1 / Trois questions à... Serge Tisseron, psychanalyste Edition
du mercredi 8 décembre 1999
1 Quel progrès représentent ces nouveaux objets électroniques
?
Depuis quelques années, je remarque un effort constant des stylistes
pour rendre ces objets plus rassurants, plus exaltants : les formes sont
rondes, les couleurs chaudes... Désormais, l'objet doit évoquer
l'intimité, le confort. Pourtant, ce n'est pas parce que les objets
nous paraissent plus humains qu'ils nous humanisent. Ça ne peut
être le cas qu'en prenant conscience des enjeux sensoriels, émotifs,
moteurs et imaginaires qui nous lient à eux autant que leur efficacité
réelle. D'ailleurs, la rêverie d'intimité que cultivent
ces objets peut se retourner : le cocon reste un endroit dont on peut
aussi craindre de ne jamais sortir. Un jour, peut-être, il faudra
donner aux objets une forme agressive afin qu'ils ne nous maintiennent
plus artificiellement dans ce cocon.
2 A quels besoins répondent ces objets ?
Les objets sont de moins en moins des prolongements de nous-mêmes
; avec les progrès techniques, ils deviennent des interlocuteurs
à part entière. Mais en même temps, ils répondent
à notre désir de donner des représentations des expériences
que nous vivons. Or, on ne se donne pas seulement des représentations
du monde par la pensée, mais en agissant sur lui. Les nouvelles
technologies encouragent une relation tripartite : oeil, main, pensée.
Il ne faut pas croire que les images ne peuvent être maîtrisées
que par la pensée : l'utilisation d'un scanner, d'une télécommande,
montre l'intervention nécessaire de l'oeil et de la main sur l'image.
3 Quelle relation entretenons-nous avec eux ?
Ces objets sont facilement détournés pour un usage qui n'avait
pas été prévu, mais qui s'impose. Le téléphone
portable, par exemple, peut être aussi un moyen de s'isoler. La
télécommande, en devenant un instrument de pouvoir dans
les familles, est détournée de sa fonction initiale. L'homme
détourne ces machines dans son économie relationnelle immédiate.
Le bouleversement actuel n'est pas, comme le pensent certains, d'ordre
quantitatif ; il est qualitatif
De même qu'on ne se comporte pas de la même manière
avec la matière inerte, un chien ou un être humain, les machines
introduisent un troisième ordre plus équivoque encore :
il faut leur parler comme à des êtres humains, communiquer
avec elles et apprendre leur langage, mais il faut sans cesse se rappeler
que ce ne sont que des machines et s'accorder le droit de les débrancher
à tout moment
Propos recueillis par Sylvie Chayette
« Comment l'esprit vient aux objets » de Serge Tisseron, Aubier.
Article disponible sur le site Le Monde Interactif http://www.lemonde.fr
2 / Les objets ont-ils une âme ? (par Franck Jamet)
Dans « Comment l'esprit vient aux objets » (éditions
Aubier), le psychanalyste Serge Tisseron décrypte le véritable
rôle des objets sur notre comportement. De la télé
au portable, en passant par nos bibelots préférés,
il montre comment les objets qui nous entourent sont les révélateurs
de notre vie. Nous lui avons posé quelques questions.
IBazar Magazine : Quelle est l'influence des objets sur notre comportement
?
Serge Tisseron : Les objets-mémoire servent de support à
notre vie intérieure et à notre mémoire en nous
rappelant des épisodes importants de notre vie. Des meubles,
des services à café, des assiettes, des couverts sont
des objets chargés d'une mémoire personnelle ou d'une
mémoire familiale. Lorsque nous sommes en contact avec ces objets,
la mémoire qui est réveillée par eux, est une mémoire
vivante, on en parle volontiers. A l'inverse les objets-placard sont
des objets dans lesquels il y a une partie de nous qui est enfermée.
On les regarde dans des armoires vitrées, dans des tiroirs. Si
un enfant pose une question, l'adulte répondra " je t'interdis
d'y toucher ". Cet objet contient une partie cachée de soi
que l'on ne veut pas révéler
IBazar Magazine : Les objets ont-ils une âme ?
S. T. : Les objets n'ont pas d'autre existence que celle que nous leur
donnons. Pour certaines personnes, un objet peut être jeté
facilement alors que pour une autre ce même objet a une grande
valeur. Les objets n'ont pas d'âme, mais nous passons notre temps
à leur en donner. Les objets qui nous entourent contiennent un
peu de notre âme, de notre intériorité
IBazar Magazine : Manipuler un objet est-il un acte érotique
?
S. T. : Les voitures ont longtemps été un objet phallique,
aujourd'hui elles ne le sont plus. Actuellement, on achète une
voiture ronde, confortable, une voiture utérine, des voitures
bulles, des cocons. Elle évoque beaucoup plus l'intimité
féminine que la virilité masculine. Le téléphone
portable a été au début un emblème phallique
parce qu'il était rare, cher, les gens qui le possédaient,
donnaient l'impression d'avoir un statut social important. Aujourd'hui,
ce n'est plus le cas, son usage se banalise. Les publicités du
portable jouent beaucoup plus sur la multiplicité des usages
: il y a ceux qui permettent aux enfants d'appeler à la sortie
de l'école, ceux pour les conversations amoureuses
à
chacun son portable.
Interview disponible sur la page http://magazine.ibazar.fr/5/decryptage.htm
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