Si le XXe siècle mérite une mention spéciale, c'est
bien dans le domaine de la fabrication d'images destinées à
orienter les croyances et les comportements, notamment politiques. La
publicité, aujourd'hui, est le laboratoire de ces recherches. Leur
moteur est toujours le désir de faire partie d'un groupe, directement
ou indirectement.
Certaines fois, la publicité joue directement sur ce désir.
C'est le cas des publicités pour " l'Oréal " organisées
autour du slogan " parce que je le vaux bien ". Ces publicités
flattent, amusent ou intriguent leurs spectateurs. Mais d'autres publicités,
au contraire, dérangent et malmènent leurs spectateurs.
Pour venir à bout de ce dérangement, ils n'ont que deux
solutions : soit ils parlent de cette publicité et ils augmentent
alors son impact, soit ils achètent le produit et c'est pour eux
une façon de se rassurer sur le caractère normal de leur
émotion parce qu'ils ont l'impression de se rattacher au groupe
de tous ceux qui consomment le même produit après avoir éprouvé
le même malaise. Le moteur essentiel de telles images est donc leur
impact émotionnel dérangeant, et c'est notamment la stratégie
utilisée par la marque " Benetton ". Plus le spectateur
d'une image est malmené par elle, plus il est tenté d'emprunter
le chemin qui lui est indiqué dans cette image pour résoudre
son malaise. La publicité nous permet ainsi de comprendre ce qu'est
une image violente : c'est une image qui ne nous pousse pas à penser,
mais à agir, et cette définition concerne les images verbales,
parlées ou écrites, autant que les images visuelles.
Pour lutter conte cet effet des images, il nous faut d'abord prendre la
mesure du fait que ce n'est pas notre conviction intellectuelle, mais
notre adhésion émotive et corporelle aux images qui est
le vrai danger. Nous savons bien que les images ne sont pas le vrai, mais
nous ne pouvons pourtant pas nous empêcher d'y croire ! Pour nous
protéger de cela, trois directions doivent être privilégiées.
La première est de comprendre que ce sont les failles dans les
images qui permettent de déjouer leurs pièges hypnotiques
: toutes les images qui nintroduisent pas le jeu du doute portent
un risque hypnotique et, inversement, toutes les images hypnotisantes
sont des images qui n'introduisent pas le jeu du doute.
La deuxième direction est d'apprendre à utiliser les images
comme une source d'information sur elles-mêmes, et notamment sur
la manière dont elles ont été fabriquées.
Enfin, la troisième est de les utiliser comme une source d'information
sur soi, en partant des effets émotifs, sensoriels et corporels
que certaines images ont sur nous pour tenter d'en comprendre les causes
en liaison avec notre histoire personnelle. Le questionnement sur les
effets des images sur soi n'est pas seulement l'occasion de faire d'elles
une source permanente d'information sur notre histoire et notre personnalité.
Elle est aussi une manière d'introduire à une circulation
permanente de l'information dans le dialogue familial et citoyen.
8 Juin 2000 : Propagande, publicité, information et désinformation
Conférencier : Serge Tisseron
Né en 1948
Statut : Psychiatre et psychanalyste, enseignant en psychopathologie
à l'Université de Paris VII (Censier), chargé d'une
recherche sur " les effets des images chez les enfants et les adolescents
" par le Ministère de la Culture, la Direction de l'action
sanitaire et sociale, le CSA, et le CNC.
Diplômes : Docteur en médecine, et en psychologie.
PUBLICATIONS :
Serge Tisseron a publié plus de cinquante articles dans des revues
spécialisées (il est membre du comité de rédaction
des Cahiers de Médiologie), une dizaine d'ouvrages personnels
(parmi lesquels : Tintin chez le psychanalyste, Aubier, 1985, Psychanalyse
de la bande dessinée, PUF, 1987, Secrets de famille, Mode d'emploi,
Ramsay, 1996, Le mystère de la Chambre Claire, Les Belles Lettres,
Archimbaud, 1996, Le bonheur dans l'image, Les empêcheurs de penser
en rond, 1996, Y a-t-il un pilote dans l'image ?, Aubier, 1998, Comment
l'esprit vient aux objets, Aubier, 1999, etc.), et participé
à une trentaine d'ouvrages collectifs.
Spécialité :
Spécialiste de la bande dessinée, de Tintin en particulier
(qu'il a le premier analysé sous un angle psychanalytique), ses
recherches se sont orientées dans deux directions : d'une part,
les secrets de famille et la honte qui les accompagne, d'autre part,
les diverses formes d'images qui nous environnent (s'intéresse
à la photographie, propose une théorie psychanalytique
des images).
Associations :
Président de la Société de Thérapie Familiale
Psychanalytique, il fait également partie de nombreuses associations
à caractère scientifique, nationales et internationales,
et il est régulièrement consulté comme expert autour
de la question des images (Ministère de la jeunesse et des sports,
Ministère de la culture, Direction de la protection judiciaire
de la jeunesse, Direction de l'action sanitaire et sociale, Office d'évaluation
des choix parlementaires).
Particularités :
Vivement intéressé par la bande dessinée sous un
angle psychanalytique, Serge Tisseron est lui-même dessinateur
humoriste et auteur de bandes dessinées (Les oreilles sales,
aux Éditions Les Empêcheurs de penser en rond, par exemple).
Il a d'ailleurs réalisé, en 1975, sa thèse de médecine
en bandes dessinées (parue aux Éditions Savelli, en 1987).
Résumé de la conférence donnée dans le
cadre de l'Université de tous les savoirs
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