"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google

Images. La violence en question ?
Messieurs les censeurs, au revoir...


Sale temps pour la censure : Serge Tisseron, psychanalyste, avec "Enfants sous influence" brise quelques mythes et lève le voile sur la violence des images et leurs effets. Rencontre.
 
Encore un ado qui a sorti son flingue. Pendant qu'on le cuisine au commissariat, les enquêteurs fouillent de fond en comble sa chambre à la recherche de cette satanée cassette, Tueurs nés ! Horreur ! Ce film impie figurait en bonne place dans sa vidéothèque. Les censeurs de tout poil hurlent à la mort et prescrivent interdiction et coupes claires comme jadis on pratiquait des saignées, fustigeant la violence des écrans devant lesquels le téléspectateur ne vaut pas mieux qu'un chien de Pavlov.
Serge Tisseron, psychanalyste et psychothérapeute, se méfie des explications simplistes. " Ce n'est pas parce qu'un film donne le scénario d'un meurtre que vous allez passer à l'acte ". Ajoutant : " Il faudrait s'intéresser aux traumatismes vécus par les censeurs. J'en connaissais un qui voyait des fellations partout ! Pour lui, un enfant avec une sucette dans une pub, c'est de la pédophilie ! " Or dire qu'il y a imitation, " c'est dramatiser l'image et sous-estimer le rôle des parents. D'ailleurs, ceux qui disent que les images sont dangereuses, ce sont les journalistes. Par cette auto-flagellation, ils se donnent beaucoup d'importance. "
Il comprend néanmoins ces inquiétudes : " Les effets des images restent très mystérieux. Et cela peut-être facilement angoissant. " D'autant que, si le chemin était plus ou moins balisé, désormais " on ne peut pas échapper aux images violentes. En zappant, à travers la pub, sur Internet... "
Alors, le psychothérapeute a décidé d'étudier l'impact des images sur les enfants. Deux cents jeunes de onze à treize ans, auxquels il a montré soit cinq images violentes (Sleepers, Ken le Survivant...) soit cinq séquences neutres. Et les a interrogés d'abord individuellement, puis en groupe.
Au fait, c'est quoi, une image violente ? " Longtemps, j'ai pensé que l'image n'était violente que subjectivement. Certaines images rouvrent des placards psychiques dans lesquels nous enfermons nos traumatismes passés. Il existe néanmoins des images en elles-mêmes violentes. Pas forcément par leur contenu mais par le montage, la bande-son. "
Le résultat ? " Une image violente provoque des émotions très fortes. Elle fragilise les repères de l'enfant. Même si on observe parfois des attitudes de bravade. " Face à une image violente, l'enfant a besoin de s'exprimer. " Quand on est déstabilisé, on a trois moyens pour retomber sur ses pattes : les mots, les images et le corps. " L'enfant " imagine des petits scénarios intérieurs, où il explique ce qu'il aurait fait dans cette situation ". Envisageant la lutte comme la fuite.
" Encore faut-il pouvoir en parler ! Or, souvent, dans les milieux défavorisés, il n'a pour seul groupe de référence que sa bande de copains. " Le problème est là : " Les images violentes réduisent les résistances de l'enfant au groupe. " D'où l'apparition massive des sentiments de honte et d'agressivité car " l'enfant veut aller dans le sens du groupe ". Uniformisation et instinct grégaire entrent dans la danse. L'enfant peut tomber sur une bande de copains qui discutent. Mais aussi sur " un groupe de passage à l'acte, dont les membres sont d'origine sociale défavorisée, partageant les mêmes traumatismes, privilégiant le langage du corps ". Un groupe plus perméable aux injonctions du " leader ". Illustration avec le film l'Appât, tiré d'un fait divers tout ce qu'il y a de plus réel...
Les solutions ? " Rétablir les lieux d'élaboration des effets des images, des lieux de paroles. Je ne dis pas que tout le monde doit aller voir un psy. Mais tout le monde a une famille. Il faut aussi que nous perdions cette pudeur vis-à-vis des images. Reconnaître enfin qu'elles peuvent nous faire mal et analyser en quoi elles nous font souffrir. Evidemment, on parle plus facilement d'un film que de ses problèmes intimes ", reconnaît le psychanalyste. D'où son appréciation positive de la signalétique antiviolence : " C'est très bien si cela permet de rétablir le dialogue entre l'enfant et ses parents. En revanche, il ne faut pas le laisser se débrouiller seul. Et surtout ne pas lui interdire de regarder une émission en lui disant qu'il est trop petit. Parce qu'il finira toujours par voir le programme en question. Et n'en parlera jamais... "
Pessimiste, Serge Tisseron ? " La société est ainsi faite que les violences que l'ont subit nous sont le plus souvent cachées. Au travail, en famille. Un type qui rentre de son boulot, comme il ne peut frapper son chef, va déplacer la cause de ses souffrances. S'attribuer toutes les fautes, taper sa femme et ses enfants. Ou regarder un film violent. "
Il faut donc " une éducation critique à l'image. Mais l'Etat ne semble pas désirer s'en donner les moyens. Tout simplement parce que les hommes politiques ne vivent que sur leur image. Leur discours est catastrophiste. Le but : fragiliser les gens pour qu'ils élisent un sauveur ". Et Serge Tisseron de conclure : " Swift écrivait qu'il y a deux manières de lutter contre la présence de poux dans les cheveux des petites filles pauvres. On peut raser leurs cheveux, mais aussi lutter contre la pauvreté. Les gouvernements qui, face à la violence télévisuelle, ne parlent que de censure, sont comme ceux qui, dans l'histoire de Swift, rêvaient de faire couper les cheveux de toutes les petites filles. C'est toujours une histoire de ciseaux. "

Sébastien Homer
Journal l'Humanité 13 Novembre 2000
Serge Tisseron, " Enfants sous influence. Les écrans rendent-ils les jeunes violents ? ", Coll. Renouveaux en psychanalyse, Ed. Armand Collin, 175 pages, 98 francs.
Le lien d'origine http://www.humanite.presse.fr/journal/2000/2000-11/2000-11-13/2000-11-13-010.html