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Sans régression, il n'est pas de progression possible "
par Serge Tisseron Psychanalyste


A voir la série, on peut se dire que les auteurs ont sacrément observé le comportement des bébés. L'environnement déjà : il semble illimité et, pourtant, les quatre créatures ne s'éloignent jamais de l'espèce d'utérus qui trône en son centre. On pourrait penser que cette pelouse synthétique, c'est de l'herbe virtuelle pour les enfants qui n'en auraient pas de réelle. Ça fait plutôt référence à la moquette verte de la chambre.
Scandaleux, les babillages des Teletubbies ? Au contraire, l'enfant se plaît à voir ce qu'il n'est plus, c'est-à-dire un bébé, créature malhabile, un peu ridicule, qui n'arrive pas à s'exprimer. L'enfant qui regarde les Teletubbies peut s'identifier à l'un ou à l'autre, mais il se réfère davantage au bébé-soleil qui rit lui aussi du ridicule des Teletubbies. Evidemment, cet univers est très édulcoré, mais va-t-on faire pour les enfants des séries où on lui montre qu'il va devoir travailler pour gagner sa vie ou toucher l'allocation chômage ? S'il y a beaucoup de répétitions, c'est parce qu'à cet âge, l'enfant a du mal à suivre un scénario ou comprendre les références culturelles d'un conte ou d'un dessin animé.
Il y a néanmoins un côté tragique chez les Teletubbies puisque leur difficulté à s'exprimer, leur maladresse fait écho au désespoir de ne pas savoir se déplacer, parler. Le bébé n'est pas, comme le pensait Freud, qu'un tube digestif. Cette série est meilleure que Pollux ou Saturnin car il y a quelque chose de terrible de représenter l'enfant par un animal.

Par ailleurs, ces derniers ont un écran dans le ventre. Ça paraît horrible, au premier degré. Mais ce n'est pas l'écran qui isole mais qui socialise. On ne se regarde pas le nombril mais, à travers l'écran, on communique avec les autres. Cela participe de la banalisation de l'écran. Or dans quinze ou vingt ans, il y aura des écrans partout. Et la série montre que derrière ces écrans, il y a des enfants. Et ce, à travers des séquences qui ne sont pas très éducatives, il est vrai.

Personne n'est autonome devant un écran : enfant ou adulte, on a besoin d'exprimer ses émotions. C'est pourquoi il est important que les adultes soient à porter de voix. Ne serait-ce que pour répondre à la question de l'existence des Teletubbies. Il faut leur dire clairement que c'est une fiction.

Le succès de cette série tient au fait que l'enfant ressent un plaisir certain à voir ce qu'il a cessé d'être. Quant au scandale, cela tient au succès. Dès qu'une série marche, comme Tintin par exemple, on se pose un tas de questions. Voir en Tinky Winky un homosexuel, c'est réagir en adulte. Or, un enfant, ce n'est pas un adulte en réduction.

Le fait que certains adolescents se réapproprient ces héros n'est pas différents des adultes qui collectionnent les petites voitures. Les plus grands consommateurs de peluches, ce ne sont ni les enfants ni les adultes, mais les personnes âgées. Une régression ? Non. Et puis sans régression, il n'est pas de progression possible... "

Serge Tisseron est psychanalyste et l'auteur, entre autres, de "Y a-t-il un pilote dans l'image ", chez Aubier en 1998.

Journal L'Humanité 01 Avril 2000 - rubrique SOCIETE

Le lien d'origine http://www.humanite.presse.fr/journal/2000/2000-04/2000-04-01/2000-04-01-021.html