Après avoir été longtemps méprisée,
l'image est aujourd'hui considérée comme une médiation
importante des savoirs. Pourtant, la conception des images que nous avons
en Occident est inadéquate. Nous voulons croire que nous aimons
les images parce qu'elles voudraient dire quelque chose. Comme si, derrière
notre intérêt pour une image, il y avait toujours un intérêt
pour son «sens caché».
Mais parler de l'image exclusivement en terme de signification, c'est
bloquer la dynamique du désir qui s'y joue et permet d'en jouir.
Les images que nous regardons n'ont pas seulement le pouvoir de faire
sens. Elles ont aussi le pouvoir de nous contenir et le pouvoir d'exister
pour nous comme lieu de transformations multiples. Le drame d'une pensée
de l'image en terme de signification, c'est qu'elle prétend réussir
à la constituer en opérateur de transformations sans accepter
d'abord de la constituer en territoire à explorer. Moyennant quoi,
elle manque la vérité de notre rapport à l'image.
Si les images n'avaient pas le pouvoir de nous accueillir en elles et
de mettre en route certaines opérations psychiques, elles ne seraient
jamais constituées par nous en «images», c'est-à-dire
en objets porteurs de certaines significations.
Il faut, ici, apprendre à nous démarquer totalement de l'idée
qu'une image serait un signe ou un ensemble de signes. Toute image est
d'abord, pour son spectateur, un moyen de transport. On peut dire les
choses autrement. Les images ont des significations, mais elles ont d'abord
des aspects formels qui sont autant de voies d'accès à elles
et de relations possibles à l'intérieur d'elles. La preuve
en est que nous ne recevons pas une image de la même façon
lorsque nous sommes assis dans une salle de cinéma, allongés
sur le canapé de notre salon, en train de pianoter sur un clavier
d'ordinateur ou d'agiter un joystick.
Par ailleurs, l'image implique le corps, et le corps ne prend son sens
qu'à travers les liens que nous établissons avec nos semblables.
Se trouver seul face à la même image ou avec d'autres change
totalement nos réactions. Entre les spectateurs d'une même
image en contact proche, des émotions sont partagées, des
gestes sont ébauchés qui sont ou non accompagnés
par les autres spectateurs, parfois des commentaires fusent, bref chacune
des réactions de chacun est portée et amplifiée par
celles des autres ou au contraire inhibée par elles. L'ensemble
de ces attitudes ne participe pas seulement, comme on le croit trop souvent,
à l'expression des émotions et des sentiments face
aux images. Elle est une condition de leur assimilation. Elles
font partie aussi des médiations du savoir.
La page d'origine était là
http://www.comu.ucl.ac.be/grems/agenda/dispositif/resumes/tisseron.htm
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