|
STRUCTURALISME
ENCYCLOPEDIA UNIVERSALIS
GENRES ET NOTIONS LITTÉRAIRES. ENCYCLOPÉDIA UNIVERSALIS/ALBIN
MICHEL 2° ÉDITION (2001).
Philosophie (2005) id.
Anthropologie (2007) Notionnaire. Idées
Origine : http://www.unice.fr/ChaireIUF-Nicolai/Archives/Tables_rondes/TR_2008/Strulingphianth.pdf
Le structuralisme n’est pas une école de pensée
facilement identifiable. A la fin des années 50, la référence
au concept de structure est générale dans le champ
des sciences humaines et trois colloques aux titres évocateurs
attestent à la fois de cette généralisation
de la notion, de sa dispersion…et de son imprécision
: 1959, Sens et usages du terme structure (R. Bastide ed., Mouton
1962), 1957, Notion de structure et structure de la connaissance(Albin
Michel, 1957) et, 1959, Entretiens sur les notions de genèse
et de structure (Colloque de Cerisy, Mouton, 1965). Ils mobilisent
alors savants des sciences de la nature, sociologues, anthropologues,
psychologues, économistes, historiens, théoriciens
de la littérature, linguistes et philosophes. Signes de Merleau-Ponty,
qui paraît en 1960, atteste de ce que le « structuralisme
» est bien devenu, sous ce nom, un enjeu de pensée
non seulement inter-ou trans-diciplinaire, mais « philosophique
». Pourtant, ce qualificatif ne devrait pas désigner
un statut de prestige où de légitimation ultime, mais
un « fait » dont l’évidence impérieuse
ne va plus de soi aujourd’hui, et réclamerait une mise
en perspective historique sérieuse.
Celle-ci rencontrerait inévitablement la difficulté
suivante :
Chaque discipline a pu reconnaître, sur les bases de son
propre développement, un intérêt plus ou moins
central pour le concept de structure qu’elle s’est efforcée
de définir pour son propre compte (en biologie, en sociologie,
en mathématique en linguistique en anthropologie…).
Ces thématisations de la « structure » ne sont
pas nécessairement synchrones, elles n’ont pas eu lieu
en même temps, elles ne sont pas nécessairement isomorphes,
elles relèvent de types de rationalité hétérogènes.
Elles relèvent d’une histoire des sciences et des idées
régionales (quelle que soit l’immensité de ces
régions…)
Or, ce qu’on appelle couramment « structuralisme »
est précisément cette précipitation (au sens
chimique) qui laisse poindre à la fin des années cinquante
l’espoir d’une unité (au moins asymptotique)
des travaux en sciences humaines, et même chez certains –
on trouve certaines formulations en ce sens chez Lévi-Strauss
– la perspective d’une recomposition majeure des savoirs
par-delà les coupures entre culture scientifique/culture
lettrée ou même, nature/culture. Ce double espoir a
sans conteste affecté chacune des disciplines concernées
et orienté – un temps au moins – leur évolution.
Il les a conduites au moins à envisager d’autres configurations,
d’autres relations avec les disciplines voisines. Pour certaines,
il les a conduites à projeter leur avenir à partir
des quelques lignes que F. de Saussure a consacré à
la sémiologie dans le Cours de linguistique générale
: « une science générale des signes au sein
de la vie sociale ».
Cette science « projetée » a déjà
des attaches paradoxales avec la linguistique : elle est pour elle,
selon Saussure lui-même, un horizon…dont la linguistique
serait pourtant l’esquisse la plus achevée, son fondement,
son modèle. On peut penser que ces attaches paradoxales se
répercutent et se démultiplient dans ce qu’on
peut appeler par provision le « structuralisme généralisé
». Dans les années soixante, soixante-dix, les termes
sémiologie ou sémiotique renvoient à un projet
scientifique polymorphe, rencontrant en philosophie une inquiétude
qui remonte au moins aux Lumières : celle des conditions
de possibilité et de légitimité d’une
science de l’homme, d’une anthropologie. A partir d’une
interprétation très libre et peu consensuelle des
concepts
saussuriens et de la linguistique post-saussurienne, de l’idée
d’une « fonction symbolique » que chaque discipline
précise pour son propre compte, la thématisation philosophique
de la structure consistera par l’un de ses aspects les plus
importants à explorer par des voies diverses les possibilités
et impasses d’une telle anthropologie « sémiologique
».
Pour cette raison, on peut accepter de parler, avec les années
60, d’un « structuralisme généralisé
» qui pense trouver, rétrospectivement, dans les développements
de la linguistique moderne depuis F. de Saussure une matrice de
questions fécondes propres à renouveler des problèmes
anciens et à en périmer d’autres. Pourtant,
cette dénomination ne saurait prétendre à la
stabilité d’une « doctrine », ni à
l’homogénéité de principes méthodologiques
et épistémologiques susceptibles de « s’appliquer
» indifféremment à tous les secteurs de la production
symbolique humaine. Dans l’histoire de la linguistique, on
voit le concept de structure –quand il est utilisé
– se réaliser dans des théories et des objectifs
qui ne sont pas entièrement compatibles. En anthropologie
– discipline qui, à partir des Structures élémentaires
de la parenté de Lévi-Strauss, va montrer la voie
– la revendication de scientificité passe par une restriction
austère et exigeante du champ d’application de la notion
de « structure », et une méfiance critique ombrageuse
vis à vis de toute extension de ce champ.
Néanmoins, et quel que soit le jugement qu’on puisse
porter sur ce « moment » structuraliste en philosophie,
on peut dire avec la distance de l’historien qu’il a
constitué un effort désordonné mais intense
de rapprochement avec les sciences humaines que la tradition philosophique
française dominante avait différé depuis la
fin du XIX° siècle au moins, et il a exprimé à
sa manière, dans la deuxième moitié du XX°
siècle, à la fois les défis lancés à
la raison, et de la nécessité permanente à
renouveler les formes et les représentations de la rationalité.
Plan :
• Structuralisme linguistique pp. II - XI
• Structuralisme et philosophie pp. XI – XXVIII
• Structuralisme et anthropologie
I. STRUCTURALISME LINGUISTIQUE
Le structuralisme, même restreint à son champ d'origine
-l'analyse de la langue -ne constitue pas à proprement parler
une communauté de doctrine comme l'histoire de la grammaire
a pu en connaître dans un passé proche ou plus lointain.
Il se caractérise plutôt par le partage d'un ensemble
de principes très généraux qui peuvent orienter
ou infléchir les recherches dans des directions différentes
: attention portée au signifiant phonique, tentative pour
rendre compte de la langue en termes de pure combinatoire, réflexion
sur la forme dans les phénomènes linguistiques, prise
en compte de la diversité des codes et des normes qui règlent
la langue (écrit et oral)... Seule, d'ailleurs, cette orientation
méthodologique et épistémologique du structuralisme
linguistique assure la continuité réelle à
partir de F. de Saussure : le Cours de linguistique générale
propose une réflexion sur les conditions de possibilité
les plus générales d'une connaissance des langues
plutôt qu'une doctrine linguistique développée.
Les Ecoles structuralistes en linguistique se développent
à partir des années 20 essentiellement à Prague,
Copenhague et aux Etats-unis. Genève et Paris (les deux villes
où Saussure enseigna) donnèrent plutôt naissance
à des personnalités originales, informées,
mais relativement isolées. Le point de vue structural, dans
ses différentes versions, dominera l'avant-garde des recherches
linguistiques jusqu'au début des années 60, (apparition
du générativisme de N. Chomsky). On pourrait schématiser
les caractéristiques communes à ces écoles,
dans quelques principes généraux que nous présentons
ici :
- Le fonctionnement de toute langue obéit à des règles
que les sujets parlants adultes mettent en oeuvre individuellement
sans connaître explicitement le système dont elles
relèvent. La description de ce système (ainsi que
la détermination des différents niveaux de l'analyse
linguistique (phonème, morphème ou monème,
syntagme, phrase...) incombe au linguiste dans une perspective délibérément
non-normative et constructiviste (la langue est l'objet d'une reconstruction
à partir des données individuelles de la parole des
sujets). Dans le structuralisme américain, par exemple, le
travail sur corpus (échantillon de langue constitué
d'énoncés oraux ou écrits) va devenir un enjeu
de la théorie du langage et de ses méthodes. L'orientation
synchronique du structuralisme (on étudie un état
de langue et non le devenir d'une langue, son évolution diachronique)
découle de ce premier principe : les sujets parlants ignorent
les lois d'évolution de la langue qu'ils parlent : ils obéissent
à des contraintes de structure. Ce principe méthodologique
implique à son tour un choix fondamental : ce sont des énoncés
qu'il s'agit de rendre compte, et non de la situation de communication
ou de l'intention de l'émetteur. L'idée de structure
implique bien, de ce point de vue, qu'on travaille sur un ensemble
clos de données : certains linguistes parlent à ce
sujet de texte, dont le modèle explicatif devrait pouvoir
rendre compte de manière exhaustive, en ce qui concerne tant
la structuration du signifiant que celle du signifié. Par
rapport à ce texte, les intentions du sujet parlant et les
conditions concrètes de l'énonciation échappent
à l'analyse structurale qui, sans en dénier l'existence,
en laisse la charge aux disciplines connexes : sociologie, psychosociologie,
psychanalyse, anthropologie... Si toutefois R. Jakobson, E. Benveniste,
Ch. Bally étudient certains aspects du procès de l'énonciation,
c'est uniquement dans la mesure où le code linguistique (dans
le système des pronoms, des embrayeurs, du système
verbal, des modalisateurs...) porte la trace systématique
et manifeste, objectivée, de la subjectivité des locuteurs.
Là encore, ce n'est donc pas la subjectivité toute
puissante, infiniment variable dans ses manifestations discursives,
qui les intéresse, mais plutôt la subjectivation contrainte
par le jeu des règles systématiques de la langue.
- La définition du signe arbitraire comme unité indissociable
du signifiant et du signifié implique non seulement la forclusion
du référent (le linguiste n'a pas affaire à
une réalité extérieure à la langue,
ou aux états mentaux des locuteurs), mais une conception
du sens comme pur effet de structure, et une conception de la forme
comme antérieure à tout contenu. Si le structuralisme
place le signe au coeur de ses constructions théoriques,
c'est donc dans une perspective explicitement non-substantialiste,
qui suppose une réflexion renouvelée sur l'identité
d'unités linguistiques purement différentielle et
oppositive. Le signe n'est signe que pour un autre signe, dans un
faisceau de relations qui lui confèrent sa valeur : Les Ecoles
structuralistes interprètent, modulent, explicitent et discutent
là un thème fondamental de Saussure : la langue est
une forme et non une substance. Il résulte de cet axiome
une certaine incommensurabilité entre les langues, et le
structuralisme est en ce sens un relativisme linguistique qui ne
reconnaît pas d'universaux linguistiques, même s'il
peut en chercher dans l'axiomatique de leur description (c'est le
cas de la Glossématique).
L'incommensurabilité des codes est l'affirmation - dont
le statut épistémologique varie d'une théorie
à l'autre (fait empirique, décision théorique,
culturalisme, postulation de type logique...) -qu'il n'existe pas
de langue neutre, de langue-étalon, susceptible de rendre
possible une transposition sans reste d'une langue à l'autre.
Dans le structuralisme américain cette thèse est discutée
à partir de l'affirmation par B. L. Whorf et E. Sapir selon
laquelle la langue est une conception du monde, et elle nourrit
de nombreux débats sur les limites de la traductibilité
- La langue est un fait social (et non un organisme vivant). Elle
est une émanation de la communauté sociale, de son
histoire, et elle contribue à la fonder en retour en tant
que communauté parlante : elle constitue comme l’infrastructure
de la culture. Dans des styles épistémologiques différents,
Benveniste et Jakobson insistent particulièrement sur ce
point, et contribuent de cette manière aux extrapolations
extra-linguistiques du structuralisme généralisé
(non linguistique) qui se manifestent en anthropologie et sociologie,
dans la sémiologie et les théories du texte littéraire.
Ces principes ne fournissent que le cadre général
dans lequel différents courants scientifiques se développent,
polémiquent ou s'ignorent. Et s'il n'y a pas d'accord unanime
en ce qui concerne la définition de la structure, c'est peut-être
d'abord parce que son émergence, à partir de la notion
saussurienne de système n'a été ni linéaire,
ni directe et reste même discutable du point de vue épistémologique.
1. Prague et le signifiant : C'est sans doute à Prague que
la filiation à la problématique saussurienne s'affirme
le plus explicitement (J. Fontaine, 1974, Le cercle linguistique
de Prague, Mame; J. Vachek 1966, The Linguistic School of Prague
: An Introducion to its Theory and Practice; Indiana University
Press).
Créé en 1926 à l'université Charles
de Prague à l'initiative de Vilèm Mathésius
(1882-1945), le Cercle de Prague ne se fait connaître en tant
que tel qu'au premier Congrès international des slavistes
par un manifeste rédigé en français et publié
dans la première livraison des Travaux du cercle Linguistique
de Prague. Cette manifestation publique suit d'une année
le 1° Congrès International des Linguistes à La
Haye. Ce qu'on reconnaît comme le premier manifeste du structuralisme
coïncide donc à un an près avec l'institutionnalisation
internationale de la profession sous une dénomination («
linguiste ») qui a émergé lentement au cours
du XIX° siècle avec cette acception (spécialiste
de linguistique) et non avec l'ancienne (« polyglotte »
» (Auroux, S. 1987).
Constitué de personnalités fortes et bénéficiant
d'apports de l'Europe entière (cf. Change 3, Seuil, 1969),
les activités du Cercle permettent l'émergence de
trois membres éminents, tous russes. S.
Karcevski (1884-1955), résident à Genève de
1906 à 1916 a bénéficié de l'enseignement
direct de Saussure. Il le diffuse largement à Moscou après
la révolution de 1917. R. Jakobson (1896-1982), animait à
Moscou une cercle très actif qui, indépendamment de
l'enseignement de Saussure, affirmait l'autonomie de la forme par
rapport au sens, focalisait l'attention scientifique sur les formes
littéraires et les traditions populaires, en liaison étroite
avec une avant-garde artistique féconde (W. Maïakovsky,
W. Klebnikhov...) . Mais ce sont sans doute les travaux de N. S.
Troubetzkoy (1890-1938), qui fixent certains des traits les plus
marquants du structuralisme, en particulier l'identification (abusive,
mais tendanciellement inévitable) de ce courant de la linguistique
à la phonologie. (Pour les aspects moins connus des travaux
du Cercle, cf. J. Vachek et L. Duskova, 1983, Praguania. Some Basic
and less Known Aspects of the Prague Linguistic School. J. Benjamin,
Amsterdam).
La diversité des centres d'intérêt du structuralisme
praguois et de ses membres (phonologie, linguistique diachronique,
typologie des langues, morphologie, grammaire notionnelle, enseignement,
systèmes graphiques...) oblige à chercher son unité
au niveau des principes généraux qui l'animent. Schématiquement,
on peut soutenir que c'est l'exploration et la mise en oeuvre de
la notion de fonction du langage - parallèlement à
celle de forme - qui oriente et fédère ses différents
aspects, interprétant de manière originale la notion
de système. La troisième thèse du Manifeste
définit la langue comme structure. La structure émerge
dans le courant praguois à partir de plusieurs sources :
la psychologie gestaltiste inspirerait en partie les Principes de
phonologie historique (1931) de Jakobson, qui retient que la forme
linguistique est une fonction de plusieurs variables, donnant ainsi
sans doute l'un de ses sens à la notion de structure. Husserl
- dont certains membres du Cercle ont été les élève
-est souvent cité avec la phénoménologie, sans
qu'il soit possible de mesurer une influence directe. Mais la notion
de fonction est chez les praguois le lieu d'une polysémie
complexe. La fonction est d'une part le but de la communication,
car la langue est un moyen en vue d'une fin. Jakobson (1960, repris
dans 1963, Essais de linguistique générale, ed. de
Minuit), avec son schéma de la communication en six composants
(émetteur, destinataire, code, canal, référent,
message) reprend et modifie une typologie de K. Bühler (1934,
Théorie du langage) qui distinguait principalement trois
fonctions du langage : la représentation, l'expression, et
l'appel (action sur l'interlocuteur). Ces typologies aboutiront,
entre autre, à un renouvellement de la réflexion sur
les différences entre messages à fonction esthétique
et non esthétique, et sur la poétique (Havranek, Mukarovsky,
Jakobson...). Mais la fonction est aussi ce qui permet de distinguer
les signes ou les composants du signe dans le système de
la langue (principe de pertinence). C'est cette définition
qui donnera lieu à de nombreuses discussions au sein du paradigme
structuraliste, en particulier dans le débat sur le phonème
et dans la confrontation avec les thèses du structuralisme
américain. La fonction désigne enfin l'adaptation
évolutive du système global de la langue aux besoins
des locuteurs de la communauté linguistique (conception téléologique
des changements). Le structuralisme praguois restaure par là
les éléments d'un débat qui occupa la fin du
XIX° siècle autour de la caractérisation des lois
phonétiques (naturelles ? historiques ? tendancielles ?)
Le structuralisme praguois se signale donc par l'insistance à
intégrer le point de vue de la communication dans l'appareil
explicatif d'une linguistique de la structure. Encore faut-il préciser
la spécificité de ce point de vue : l'idée
que la langue est un instrument de communication est un lieu commun
de la grammaire depuis les origines. Celle qui fait de la communication
une fonction inhérente au système de la langue lui-même
prend sans doute naissance à la fin du XIX° siècle,
mais aux confins de la linguistique, de la psychologie et de la
sociologie naissantes, en réaction aux métaphoriques
organicistes de l'époque. Elle n'est cependant exploitée
en corrélation étroite avec l'idée de système,
et d'un point de vue strictement linguistique, que par le Cercle
de Prague. Enfin, tant la conception téléologique
de l'évolution des systèmes linguistiques (la diachronie),
que l'assujettissement de la structure à une intention de
communication ou d'expression, dépassent manifestement l'enseignement
de Saussure qui, dans le Cours, assume les positions antitéléologiques
de ses maîtres néogrammariens, et ne réserve
qu'une place marginale au schéma de la communication, de
l'interlocution : le « circuit de la parole » (C. L.
G. p. 27).
C'est dans l'analyse du signifiant phonique que l'héritage
saussurien est à la fois le plus clairement assumé
et dépassé. Le point de départ des positions
praguoises illustrées principalement par Troubetzkoy et Jakobson
est la distinction établie entre phonétique et phonologie
(cf.Troubetzkoy 1933, « La phonologie actuelle », repris
dans Essais sur le langage, 1969, Seuil, J. C. Pariente ed.). La
phonétique a pris son essor dans différents pays à
la charnière des deux siècles, inaugurant un débat
fondamental concernant la définition même du phonème
et sa nature (psychologique pour Baudouin de Courtenay ou E. Sapir,
(« incorporelle » pour Saussure, physique pour D. Jones...).
Prague clarifie et systématise ce débat : on doit
faire la part dans le matériau de la langue entre les sons
qui autorisent des différenciations sémantiques (phonologie),
et ceux dont les variations ne sont associées à aucune
différenciation sémantique (phonétique), et
qu'on peut renvoyer de la sorte à une variation stylistique
ou dialectale, justiciable d'un point de vue physiologique/acoustique.
L'effort tend ici vers une définition fonctionnelle strictement
linguistique.
L'opposition saussurienne de la langue (système abstrait,
collectif) et de la parole (réalisation concrète,
individuelle) justifie cette partition. L'objet propre de la phonologie
sera donc l'ensemble des oppositions phonologiques (i. e. : pré/près)
qui caractérisent chaque langue en propre, ainsi que l'étude
des traits distinctifs qui permettent de distinguer plusieurs paires
de phonèmes dans une langue donnée. C'est dans la
notion de « pertinence » que l'idée de structure
s'actualise ici : les relations entre les unités phonologiques
sont comprises en rapport avec l'absence ou la présence de
traits distinctifs (palatalisation/non-palatalisation, nasalisation/non-nasalisation...)
-les corrélations -qui constituent le système phonique
de la langue considérée. Les principes de phonologie
de Troubetzkoy, 1939, trad franç.1949, fondent dans une large
mesure les travaux contemporains dans le domaine. Cette logique
binaire des « traits » (marqué/non-marqué)
rencontre sans doute les théories de l'information qui se
développeront dans les années 45-50 du XX° siècle.
Elle est l'objet dans les années trente de l'attention de
R. Jakobson qui remet en cause en son nom la consistance même
du concept de phonème : le plus petit élément
de la langue que l'on ne peut décomposer serait lui-même
constitué d'un faisceau de traits. Du même coup, est
contesté le principe saussurien de la linéarité
du signifiant qui veut que dans l'énoncé (ou le signifiant)
les éléments discrets se succèdent et ne puissent
apparaître ensemble. (Dans l'ordre d'exposition du Cours,
la linéarité du signifiant est un principe aussi important
que celui de l'arbitraire du signe). Mais la contrepartie de cet
écart, est une tentative qui évoque le tableau de
Mendéleev dans les sciences de la matières, et fournit
à la phonologie contemporaine un champ de recherches et de
débats fécond. En réduisant les traits distinctifs
à douze oppositions binaires (neuf sont des traits de sonorités,
trois des traits de tonalité), la charpente phonique de toute
langue doit pouvoir entrer dans un tableau constitué de douze
cases à valeur universelle (chacune affectée d'un
+ ou d'un -selon le matériau linguistique considéré),
facilitant d'autant la typologie et la comparaison des langues.
La discussion scientifique sur les universaux, récurrente
dans l'histoire des théories du langage, s'en trouve également
réactivée à partir de nouveaux principes et
sur une base proprement linguistique (cf. en particulier J. M. Greenberg,
1961, Universals of Language, Cambridge University Press).
2. Le structuralisme américain.
Le développement du structuralisme américain (ces
localisations ne sont que partiellement adéquates) est d'abord
lié aux deux figures tutélaires majeures de L. Bloomfield
(1887-1949) et E. Sapir (1884-1949), puis à leurs disciples
(parmi lesquels Z. Harris et C. Hockett). La confrontation sur le
continent américain à une diversité de langues
vivantes inconnues plus grande que dans l'Europe occidentale explique
en partie les positions radicales du structuralisme américain
vis à vis du sens, surtout après la seconde guerre
mondiale (toute intuition sémantique est alors méthodologiquement
bannie des procédures d'analyse), ainsi que le balancement
de la linguistique structurale américaine entre anthropologie
(sous l'influence de F. Boas, 1858-1942) et formalisme.
Le structuralisme développé par la postérité
bloomfieldienne retient d'abord l'idée que la structure linguistique
d'une langue est constituée de strates qui déterminent
plusieurs niveaux dans l'analyse.
De ce point de vue, l'Analyse en Constituants Immédiats
(ou A. C. I.) est aussi caractéristique de la linguistique
issue de Bloomfield, que le concept de fonction l'est pour le Cercle
de Prague.
L'influence de la psychologie behavioriste se fait sentir à
partir de 1921, et continuera par la suite à s'exercer dans
la linguistique distributionnelle : on doit pouvoir rendre compte
des comportements linguistiques, ainsi que de la structure hiérarchisée
des messages émis, sans aucune postulation concernant les
intentions des locuteurs et leurs états mentaux. Language
(Bloomfield, 1933) présente un modèle de l'analyse
linguistique (grammaire et syntaxe) en niveaux hiérarchisés
et dépendants : les phonèmes se combinent pour constituer
des morphèmes qui se combinent en mots et enfin en phrases
(unités maximales d'ordonnancement des unités de rang
inférieur). Chaque niveau représente à la fois
une structuration de la forme et du sens, et la fonction d'un élément
de niveau quelconque se révèle dans l'intégration
au niveau supérieur : l'analyse procédera donc des
constructions maximales aux constituants ultimes. Dans la perspective
de Bloomfield - pour qui la phrase n'est pas la simple somme de
ses constituants -les formes grammaticales s'organisent (modulation,
modification phonétique, ordre syntagmatique linéaire,
sélection verticale) pour produire le sens, dont l'analyse
autonome est hors de portée directe du linguistique. Bloomfield
nourrit à l'égard d'une possible sémantique
scientifique autonome un scepticisme radical qui repose sur l'impossibilité
de maîtriser jusqu'au bout les traits distinctifs qui structurent
une situation de communication, et d'en fournir un inventaire exhaustif.
Il s'agira donc pour lui de rendre compte de la structuration parallèle
de la forme et du sens, et de mettre en lumière un niveau
proprement grammatical d'organisation de l'énoncé
qui possède ses contraintes propres.
Dans les travaux de Z. Harris (né en 1909) ou Ch. Hockett,
le modèle distributionnel privilégiera nettement le
niveau morphématique de structuration de la forme et du sens
: la structure demeure une hiérarchie de dépendances
que les distributionnalistes objectivent par différents artifices
(parenthèsage, emboîtements, indicateur syntagmatique
en arborescence). L'identification des unités (la segmentation
du flux continu de la parole) repose sur le critère strictement
formel de distribution. La distribution d'un élément
se définit par la somme des environnements (des contextes)
dans lesquels il trouve place. Dans ces conditions, on pourra étudier
au moyen du seul critère de commutation (substitutions d'éléments
dans un contexte) les propriétés distributionnelles
des éléments de la langue que l'on pourra alors ranger
dans des classes aux propriétés nettement distinguées.
La phrase n'est plus alors qu'une combinaison de classes distributionnelles
différentes, agencées selon des formules, des schémas
dont on peut entreprendre l'inventaire et étudier les variations
à tous les niveaux de contrainte.
La tentative distributionnaliste, en réduisant le plus possible
le recours aux hypothèses mentalistes (comment procèdent
les locuteurs pour émettre ou comprendre un message ?), propose
non seulement une méthode, une technologie d'analyse fondée
sur les notions opératoires de contexte, occurrence et cooccurrence,
sélection, ordre, mais aussi un idéal de la représentation
scientifique (inductif), et une théorie du langage, pièce
d'une science général des comportements.
3. Un structuralisme algébrisé : la Glossématique.
On retrouve ce souci de problématisation, propre au structuralisme
dans son ensemble, dans les travaux du Cercle de Copenhague fondé
par le linguiste danois L. T. Hjelmslev (18991965), H. J. Uldall
et V. Bröndal (1887-1942). Hjelmslev participa d'abord aux
travaux de Prague pour nourrir ensuite une critique de son phonologisme
et de sa conception trop peu rigoureuse de la forme. Le structuralisme
« algébrique » resserre le lien entre réflexion
épistémologique rigoureuse (il reprend à son
compte la critique positiviste-logique des assertions métaphysiques)
et la construction d'une conception algébriste de la langue
(il développe sur ce point et comme à la lettre, une
métaphore saussurienne).
La priorité de la forme sur la substance est ici radicalisée
par duplication de la distinction forme/sens. Si l'on admet que
l'énoncé est constitué d'une expression et
d'un contenu (relecture du signe saussurien), on devra distinguer
pour chacun ce qui relève de la forme et de la substance,
étant admis qu'il n'y a de contenu que structuré dans
une forme. La priorité logique accordée à la
forme implique à titre de conséquence qu'on puisse
considérer que la phonétique n'est pas la science
de l'expression (critique du structuralisme praguois), puisque la
forme peut se substantialiser non seulement dans le son, mais aussi
dans le geste, l'écriture, à travers un code quelconque.
Le projet sémiologique de type saussurien est ainsi comme
intégré à la linguistique (cf. dans cette perspective,
les travaux de A. J. Greimas qui se réfèrent de manière
privilégiée à la glossématique ).
Parallèlement, en ce qui concerne le contenu, on doit distinguer
rigoureusement entre forme et substance : la sémantique n'est
donc pas la science du contenu. Qu'il s'agisse en effet de l'expression
ou du contenu, la glossématique radicalise la conception
saussurienne selon laquelle le signifiant et le signifié
viendraient structurer une masse amorphe sonore d'une part, et une
masse amorphe psychique de l'autre. Dans l'un et l'autre cas, pour
la Glossématique, le matériau phonique et le flux
psychique sont « toujours déjà » informés
par une structure que l'on doit décrire. Plus généralement,
décrire une langue ne doit pouvoir se faire qu'à partir
des principes immanents qui la régissent. La glossématique
insiste ici sur un trait commun aux différentes écoles
structuralistes qui reconnaissent toutes le moment de l'abstraction
comme le moment décisif dans la description de la ou des
langues, même si ces écoles ne le conçoivent
pas dans les mêmes termes.
Ce principe d'immanence, joint à la priorité accordée
à la forme (son autonomie), conduisent à une méthodologie
en deux temps (induction et déduction) qu'on peut schématiser
ainsi : l'observation des unités de la langue (test de commutation),
dégage les unités de forme et de contenu et leurs
relations indépendamment de la substance. L'opération
est menée autant de fois que nécessaire, pour plusieurs
langues. On est alors en mesure de formuler toutes les relations
théoriquement possibles (calcul), non pas dans une langue
ni dans plusieurs, mais dans toute langue, pour un système
universel de relations. On peut alors décrire (déduire)
le système d'une langue particulière comme un sous-ensemble
réalisé de l'ensemble des relations possibles. La
description linguistique de la diversité des langues devient
donc le résultat déductif d'une axiomatique à
prétention universelle dans une version algébrisée
de la structure. (cf. K. Togeby (1951) Structure immanente de la
langue française, Larousse, pour une application au français).
4. Genève, Paris et l'héritage saussurien.
L'existence même d'une école genevoise (dont Saussure
aurait été le fondateur) est loin d'être assurée
(Amsterdamska, O. 1987), et sa position vis a vis de la linguistique
structurale qui se réclame de Saussure est nuancée.
Les disciples directs (rédacteurs du fameux Cours de Saussure
publié en 1916), Ch. Bally (1865-1947) (Linguistique générale
et linguistique française, 1932) et A.
Sechehaye (1870-1946) (Programme et méthode de la linguistique
théorique, 1908), construisent des oeuvres qui, si elles
dialoguent ou consonnent avec les propositions saussuriennes, possèdent
néanmoins leurs orientations propres. Bally développe
une linguistique de l'expression qui préfigure pour certains
les Pragmatiques actuelles, tandis que Sechehaye, dans une perspective
nettement psychologique s'intéresse aux actes de paroles
et à ce qu'il nomme une science du pré-grammatical.
Paradoxalement, ce serait donc une filiation post-saussurienne
et post-structuraliste qu'annonceraient les deux rédacteurs
du Cours de linguistique générale. Dans les générations
suivantes, L. J. Prieto (né en 1926) développe une
théorie du sens fondée sur le principe de pertinence
(Messages et signaux, 1966; Pertinence et pratique : Essai de sémiologie
1975, ed de Minuit). La Grammaire des fautes de H. Frei (titulaire
de la chaire de linguistique générale de Genève
à partir de 1945), apparaît enfin aujourd'hui comme
une illustration parlante du fonctionnement de la langue selon les
deux axes proposés par Saussure : l'axe des syntagmes et
l'axe des paradigmes.
Mais l'existence d'un structuralisme français est non moins
problématique. Si l'oeuvre capitale d'A. Martinet (né
en 1908) incarne le prolongement incontestable de certains aspects
de la linguistique du Cercle de Prague (dont Martinet a été
l'un des correspondants) dans le domaine phonologique tout particulièrement,
le qualificatif « structuraliste» est rejeté
par son auteur qui ne retient que celui de « fonctionnaliste
». Les Eléments de linguistique générale
(1960; Colin, coll. U2) constitueront pourtant un relais important
dans la diffusion des idées structuralistes, là où
Economie des changements phonétiques (1955, 2° ed. Berne,
1964) -analyse des changements linguistiques dans le cadre de la
synchronie - reste plus confidentiel. Les travaux de Martinet dans
le domaine de la phonologie diachronique apportent aux conception
structuralistes de la langue une contribution capitale en ce qui
concerne l'interprétation de la distinction saussurienne
synchronie/diachronie. Si, selon Martinet, les nécessités
de la communication impliquent d'un côté un nombre
maximum de différences phoniques, de l'autre, « la
tendance au moindre effort » (exigences d'un nombre minimum
d'unités les moins différentes possibles) font de
la synchronie un équilibre instable (régie par une
économie, calcul optimal des gains et des pertes) qui tend
toujours vers une amélioration du rendement fonctionnel des
moyens mis à la disposition des locuteurs de la communauté.
L'incidence diachronique de cette économie réside
dans le fait qu'une opposition relativement peu fréquente
disparaîtra plus facilement qu'une opposition plus massivement
exploitée. Les perspectives diachronique et synchronique
ne s'opposent donc plus ici, mais se complètent. Il existe
dans une langue, à un moment donné, des points de
fragilité dans l'équilibre, qui peuvent s'analyser
en tendances au changement.
Quant à E. Benveniste (1902-1976), élève d'A.
Meillet, il développe son oeuvre considérable, d'un
côté dans la tradition (renouvelée par lui)
du comparatisme où il occupe une position de tout premier
plan, de l'autre dans des travaux de linguistique générale
où la méditation des propositions saussuriennes (sur
l'arbitraire du signe, le sémiologique, par exemple) s'approfondit.
Par certains aspects, la focalisation de son attention théorique
sur la place de « l’homme dans la langue » annonce
en linguistique générale le dépassement du
structuralisme dans les théories de l'énonciation
et la pragmatique. Nulle part mieux qu'en France, d'ailleurs, on
est à même de mesurer la somme de malentendus qui préside
aux relations entre enseignement saussurien et constitution du structuralisme
: la réception du Cours par A. Meillet est d'emblée
ambivalente, les travaux d'un G. Gougenheim (1900-1972) manifestent
un structuralisme diffus (le Système grammatical de la langue
française (1938), le travail original de L. Tesnière
(1893-1954) dans ses Eléments de syntaxe structurale (1959,
Klincksieck) est surtout salué pour la préfiguration
de la notion chomskienne de transformation. Quant à G. Guillaume
(1883-1960), lecteur opiniâtre de Saussure, il élabore
une théorie du langage -la psycho-systématique ou
psycho mécanique -, moins en référence à
la définition saussurienne du système qu'en rapport
à un dynamisme, un « cinétisme » de la
langue-pensée. Il jette ainsi les bases d'une école
guillaumienne de linguistique très vivante qui hésite
à se reconnaître structuraliste et tend à se
développer à partir de ses propres principes.
- L'historiographie du structuralisme linguistique superpose et
confond souvent deux problèmes distincts : d'une part ce
qui relève de la genèse et de l'influence réelle
du Cours de linguistique générale et, d'autre part,
ce qui relève de la valorisation rétrospective (légitimation
par les « précurseurs ») dans les différentes
versions du structuralisme. De ce point de vue, et bien qu'il existe
de nombreuses intersections, il n'est pas assuré que le champ
de la postérité saussurienne en linguistique au XX°
siècle recouvre exactement le terrain proprement structuraliste.
Pourtant, la sortie du structuralisme sera présentée
souvent (selon un point de vue volontiers extérieur à
la linguistique elle-même) sous la forme d'une minoration
axiologique (le structuralisme n'aurait été qu'une
idéologie dont la linguistique ne fut que le prétexte),
plutôt que sous la forme d'une relativisation historique.
Dans le champ linguistique proprement dit, la contestation du structuralisme
s'exercera dans les années 60/70 de manière ambiguë
: les reproches qu'on lui adresse concernent souvent davantage les
principes que les oeuvres : le champ immense de la description des
langues dans lequel ses promoteurs se sont investis). Saussure ferait
ainsi obstacle à l'invention d'une linguistique de la phrase,
réalisée au contraire dans le modèle syntaxique
proposé par N. Chomsky, à une sociolinguistique de
la covariance langue/société, à l'étude
de la dimension subjective et pragmatique des discours...
Au delà des polémiques, on se fera sans doute une
idée plus précise de la situation historique du structuralisme
quand on disposera d'une genèse complète des concepts
du Cours de linguistique générale, et que le recul
permettra d'évaluer plus précisément le degré
de compacité de ce qu'on continue de nommer « structuralisme
» par commodité et provision. L'entreprise de description
des langues est une entreprise à long terme, le structuralisme
une étape dans cette histoire, la linguistique générale
la mise en forme d'un savoir des langues qui ne se réduit
pas à l'hypostase de quelques principes généraux.
On peut donc déjà risquer que le structuralisme linguistique
est un relais ponctuel mais intense dans cette histoire longue qui
reste à faire. Il a été constitué de
plusieurs courants qui se rassemblent et se distinguent en ce qui
concerne la définition de l'objet langue, obligeant à
une réflexion sur les principes dont l'exigence n'est jamais
véritablement dépassée, mais auquel on ne peut
pas non plus le réduire.
De ce point de vue, il semble difficile – malgré une
doxa solidement installée -de faire dériver de manière
directe un hypothétique « structuralisme philosophique
» du structuralisme linguistique dont nous avons essayé
de retracer quelques une des lignes de force de son institution
et de ses variétés. C’est que le structuralisme
linguistique semble s’être réfracté deux
fois au moins : d’une part de la linguistique vers différentes
sciences sociales (ethnologie, sociologie, économie, géographie…),
d’autres part de celles-ci vers un style de réflexion
plus principielle qui a pu prendre lui même des voies diverses
(épistémologies régionales ou générales,
théories des formations sociales, théories des systèmes,
histoire et théories des idéologies, histoire des
sciences, théories du sujet, de la littérature, philosophies
de la culture…). Un exposé synthétique d’une
éventuelle « philosophie structuraliste » nous
apparaissant hors de portée, pour des raisons qui tiennent
donc autant au fond qu’à la forme, le point de vue
que nous adopterons dans les pages suivantes consistera à
essayer de mettre en évidence quelques caractéristiques
historiques qui nous semblent saillantes des rapports entre philosophie
et structuralisme.
II. STRUCTURALISME ET PHILOSOPHIE
On connaît des noms (C. Lévi-Strauss, M. Foucault,
J.Derrida, J. Lacan, M. Serres…), on croit connaître
en effet le terrain intellectuel sur lequel ils se rencontrent :
celui d’une modernité philosophique assimilée
au « structuralisme ». Celui-ci a connu son heure de
gloire dans les années 60/70 en France ; il s’est diffusé
largement par la suite en particulier aux Etats-Unis où l’on
parle volontiers aujourd’hui de post-structuralisme.
On n’en finirait pas pourtant d’énumérer
tous les paradoxes et difficultés qui s’attachent à
la définition d’un structuralisme philosophique.
I. Une Ecole « hors les murs » : philosophie et sciences
humaines Il faudrait d’abord s’entendre, avant la définition
même de ce dont il est question, sur une appellation : philosophie
structuraliste ( ?), structuralisme philosophique ( ?), philosophie
du structuralisme ( ?) Nous prendrons le parti de la coordination
(structuralisme et philosophie), qui présente certes l’inconvénient
de présupposer l’existence du structuralisme, mais
qui présente aussi l’avantage de neutraliser la charge
polémique des autres dénominations et de respecter
trois caractéristiques complexes de cette mouvance ou de
ce moment philosophique qu’aucun des « acteurs »
n’a vraiment repris à son compte (sauf Lévi-Strauss
qui manifeste significativement de fortes réticences vis
à vis d’un structuralisme « proprement »
philosophique).
I.1. D’abord il y a l’exercice systématique
du soupçon vis à vis de la prétention philosophique
à jouer le rôle de fondement ultime, d’élucidation
des principes premiers (ontologiques ou transcendantaux) de toute
connaissance et de toute pratique. Cette prétention est assimilée
globalement à un « avant » de la « coupure
structurale » en philosophie. Cette caractéristique
ne suffit pourtant pas pour répondre à la question
posée par G. Deleuze en 1973 – « à quoi
on reconnaît le structuralisme ( ?)». Elle appartient
depuis toujours, par exemple, à l’empirisme, attitude
philosophique peu connue, peu valorisée, peu illustrée
en France où sa version modernisée (l’empirisme
logique) ne sera véritablement diffusée que tardivement
(au début des années 80), et précisément
en réaction au structuralisme. Mais c’est plutôt
dans le cadre d’un rationalisme élargi, c’est
à dire désacralisé et historicisé, tendu
vers ce qui est inassimilable par les conceptions antérieures
de la raison – Descartes, Kant, Hegel pour l’essentiel
– que le structuralisme contestera la posture philosophique
d’un discours fondateur qui n’est pas lui-même
fondé. Cet élargissement de la raison n’est
pourtant pas un retour simple sur sa genèse. Il est plutôt
une remise en cause des limites assignées à la raison
par le sujet cartésien assimilé au cogito, par le
sujet transcendantal kantien dans ses rapports à la connaissance
et aux pratiques, par le savoir absolu hégelien dans ses
conditions dialectiques d’émergence et de réalisation,
son origine et sa téléologie. C’est pourquoi
les formes les plus radicales du structuralisme en philosophie remettent
toujours en cause les partitions les mieux établies de la
tradition : le sujet et l’objet si le sujet peut devenir à
son tour objet (la version lacanienne de la psychanalyse, par exemple),
l’a priori et l’a posteriori kantien si le symbole ou
le signe, parce qu’ils relèvent de systèmes
« toujours déjà » institués sans
sujet (individuel ou collectif) instituteur originaire, ouvrent
un abîme qui est un espace de jeu entre le sujet et l’expérience,
le système et l’histoire enfin, si les différences
qui régissent le système ne sont pas de l’ordre
de la contradiction dialectique (cf. G. Deleuze, Logique du sens)
et n’orientent vers aucun telos des figures de la raison réconciliée
avec elle même, malgré et à travers ses ruses.
I.2. Ensuite, si toujours, la philosophie s’est nourrie «
de ce qui n’est pas elle » (G. Canguilhem), les philosophes
réputés structuralistes, ou impliqués dans
le développement du structuralisme sur un mode plus ou moins
critique (G. Deleuze, P. Ricoeur, par exemple), auront spécialement
tenté de réfléchir de manière explicite,
problématique et par différence, un régime
de la pensée philosophique vis-à-vis des sciences
humaines et des pratiques sociales qu’elles théorisent.
a) Il nous semble que c’est là, sur le plan historique,
l’une des caractéristiques les plus importantes des
rapports entre philosophie et structuralisme. De ce point de vue,
à la prudence « scientifique » d’un C.
Lévi-Strauss, qui manifeste très tôt des réticences
vis à vis de ce qu’il considère comme un structuralisme
plus ou moins spéculatif (philosophique), répondrait
en écho et par contraste, à l’autre extrémité
du spectre, la réflexion de J. Derrida (dès L’écriture
et la différence et De la grammatologie) sur la « naïveté
» d’une détermination strictement positive de
la « structure » dans les sciences de l’homme
(linguistique, anthropologie, théorie de la littérature…)
et sur les notions mêmes de « marges » ou de «
propre » de la philosophie. D’une attitude à
l’autre, c’est le statut même du discours philosophique
qui est en question, et la définition althusserienne de la
philosophie comme « pratique théorique », puis
« lutte des classes dans la théorie » modalise
autrement (et entre autres) mais dans la même direction, cette
interrogation « structuraliste » hantée à
la fois par le thème de la « scientificité »
(ici, du matérialisme historique), des « positivités
»… et par le refus du positivisme. Le structuralisme
français des années 50/60 prend acte de l’impossibilité
dans laquelle se trouve le discours philosophique de maintenir une
consistance sans le recours aux résultats et méthodes
des sciences humaines (sociologie de Durkheim et Mauss, linguistique
saussurienne, psychologie génétique de Piaget…),
qui se sont détachées de la philosophie à la
fin du XIX°siècle. Par cet aspect, il est incontestablement
une entreprise de modernisation (cf. F. Wahl 1968, T. Pavel 1988).
Quant à M. Foucault, les notions qu’il propose de «
positivité », « d’épistémé
», de « configurations discursives », de «
régime de discours »… sont toutes dirigées
contre le pouvoir d’auto-imposition philosophique traditionnel
: l’enquête archéologique sur le regard médical
(Naissance de la clinique), sur la déraison (Histoire de
la folie), sur les sciences humaines (Les mots et les choses) ne
construit à chaque fois son objet qu’en déconstruisant
les objets privilégiés des discours philosophiques
de la tradition (la Raison, le Normal et le Pathologique, l’Homme…).
Malgré des divergences fondamentales (violemment exprimées
dans un débat sur Descartes, par exemple), la notion derridienne
de « déconstruction » et celle foucaldienne «
d’archéologie » ont au moins en commun, à
travers deux métaphores très diversement connotées
renvoyant à deux sources dissemblables (la « Destruktion
» heideggerienne et la « Genealogie » nietzschéenne),
selon deux parcours divergents, à partir de conceptions différentes
du « discours » ou du « texte », de prendre
acte d’un régime de pensée « second »
attaché à défaire – c’est à
dire aussi bien à réinvestir – les enjeux de
la tradition philosophique.
b) De ce point de vue, la « secondarité » est
sans doute une autre caractéristique majeure de l’orientation
structuraliste en philosophie. Cette secondarité s’exprime
d’une part, dans le mode de référence à
certains textes privilégiés sous l’égide
du « retour à … » (retour à Freud
pour Lacan, à Marx pour Althusser, et de manière moins
évidente mais néanmoins patente à Nietzsche
pour Foucault, à Heidegger pour Derrida), d’autre part
dans un style de problèmatisation philosophique où
les objets de la philosophie (la Liberté, la Vérité,
l’Homme…) ne sont plus accessibles « directement
», mais seulement à travers les discours qui sont tenus
sur eux par la tradition ou par les sciences humaines. De ce point
de vue, le structuralisme entretient des relations d’intimité
conflictuelle avec l’herméneutique : la « re-lecture
» n’est pas l’assomption d’un sens caché.
La secondarité s’exprime plus fondamentalement, dans
ce que certains ont appelé la « forclusion de la référence
», dont le principe serait fourni dans la définition
saussurienne du signe et de son arbitraire, celle du système
de la langue comme « structure de renvoi » ou toute
identité n’est produite que par différenciation
et opposition sans terme ultime (cf. ici même, l’article
Structuralisme linguistique). Ce dernier aspect n’est d’ailleurs
pas nécessairement inhérent au structuralisme : G.
Hottois (1979) y voit le trait commun, la ligne de fracture commune
à plusieurs courants contemporains qui distinguent différentes
formes et degrés de la « secondarité »
entendue en ce sens dans la phénoménologie, l’herméneutique,
la philosophie du langage ordinaire.
Enfin, la secondarité est l’aspect du structuralisme
qui, amplifié, donnera naissance au thème poststructuraliste
de la « post-modernité ».
I.3. D’autre part, on peut considérer comme symptomatique
d’une attitude philosophique d’époque le travail
d’un historien de la philosophie comme M. Guéroult
qui, selon un paradoxe qui n’est qu’apparent, considère
les oeuvres philosophiques du passé (Fichte, Descartes, Spinoza…)
comme des textes clos sur eux mêmes, soustraits aux déterminations
historico-psychologiques externes, et entièrement voués
à la reconstruction systématique de leurs commentateurs.
Même si cette clôture ne doit rien, directement, à
celle des « systèmes » langagiers analysés
par les linguistes ou les théoriciens de la littérature,
elle atteste paradoxalement du surinvestissement dont l’épistémologie
des systèmes de pensée fait l’objet à
l’époque et, plus largement, des difficultés
à penser l’histoire à partir de la catégorie
saussurienne de synchronie. Au-delà du cas Guéroult
– qui a joué un rôle non négligeable dans
la formation philosophique d’une génération
sans assumer explicitement une position « structuraliste »
-c’est souvent sous le nom de Théorie (avec majuscule)
que s’auto-désigne alors ce point de vue : intransitivement
et souvent sans détermination supplémentaire. Non
que la Théorie n’aie pas d’objet et ne puisse
devenir « théorie de...», mais parce que les
objets qu’elle se donne sont toujours donnés «
ailleurs » à travers les médiations d’un
système symbolique structuré où ils n’apparaissent
que comme symptômes de surface d’une configuration non
visible (d’où la promotion d’un mode de lecture
« symptômale » de Marx, à l’oeuvre
par exemple dans Lire le Capital d’Althusser, et plus ou moins
librement emprunté à Nietzche) . En tous les domaines
qu’elle aborde, d’ailleurs, la manière structuraliste
consistera non en une suspension provisoire du sens, qui fut la
grande affaire de la phénoménologie qui cherchait
là, elle, l’accès aux modalités transcendantales
de donation de sens originaires, le « retour aux choses mêmes
» (« l’époché », et les oeuvres
du dernier Husserl, en particulier Expérience et jugement),
mais en la mise en crise systématique ou stratégique
de la signification sous l’égide du Signifiant. Sous
sa forme la plus systématisée, en même temps
sans doute que la plus positive, la thématisation par M.
Serres de la communication sous le signe d’Hermès et
de Leibniz (Hermès I. II. Et III 1969, 1974) problématise
de la manière la plus large cette circulation, sans terme
ni but ultime, des variations, des variétés, de l’infini
pluralité des codes qui définissent le monde comme
« l’ensemble des possibles ». Non que le monde
soit codé dans une langue universelle, mais au contraire
parce que chaque chose du monde, chaque région du savoir
ne reçoit son identité individuelle que parce qu’elle
est porteuse d’une forme (« une morphè »)
qui en fait un canal sur le réseau de communication universel
: « La condition de possibilité de tout savoir est
cet espace transcendantal de communication où les transports
peuvent s’effectuer, où les graphes sont inscriptibles.
Tout domaine scientifique n’est qu’une région
de cet espace » [cf. L’interférence]. Le transcendantal
n’est plus alors ni rigoureusement dans le sujet qui pense
le monde (une forme de la pensée), ni dans les choses comme
corrélat de la pensée (une forme universelle), mais
dans un espace indéterminé de variations que ni l’unité
de l’esprit, centre de toutes mes représentations,
ni celle de l’univers dont la première serait le reflet
ne viennent garantir. La seule unité du savoir (de l’encyclopédie
qui ne peut se refermer sur elle-même) est dans la circulation/importation/exportation
de références multiples comprise comme un espace d’échanges
sans terme. De ce point de vue, on pourrait presque définir
les rapports de la philosophie et du structuralisme des sciences
humaines à partir de ce paradigme de la traduction, de la
communication, de l’échange. Le moment structuraliste
en philosophie, s’il procède bien de développements
en linguistique, en anthropologie, en psychanalyse… qui se
sont produits en dehors d’elle, ne consiste pas en une simple
sommation des savoirs partiels dans une anthropologie encyclopédique,
ni en une simple trangression des frontières disciplinaires
dans une interdisciciplinarité à visée totalisante,
mais plutôt d’une réappropriation (souvent violente,
conflictuelle, concurrentielle) de concepts enracinés dans
une région du savoir (le symbolique, le signe, le signifiant,
la structure…) et mis en circulation pour à la fois
être mis à l’épreuve dans la tradition
philosophique et soumettre cette tradition à l’épreuve
en retour. Exemplaire est à cet égard le style derridien
en philosophie qui consiste à diffuser à partir de
domaines variés du savoir des « simulacres »
conceptuels, par exemple la différance, à partir de
l’analyse du signe saussurien considéré à
la fois comme l’avancée la plus décisive contre
l’idée de signifié transcendantal, et comme
la forme la plus subtile du maintien du préjugé logocentrique
dans la pensée moderne. Le jeu réglé, la stratégie
( à la fois comme combinatoire, ajustement mécanique,
exploration systématique des compossibilités), sont
alors non seulement des objets de pensée, mais un style que
chacun des philosophes saisi par le structuralisme module dans des
directions diverses ou à partir d’un champ qui lui
est propre. L’épistémologie de M. Serres consiste
à parcourir (en le faisant exister par là-même)
l’espace différencié des sciences modernes.
Cette stratégie montre qu’il existe plusieurs théories
d’une même science (l’arithmétique est
« réaliste », l’algèbre «
nominaliste »…), plusieurs théories de sciences
différentes, et donc « qu’il est vain de demander
où s’enracine la science, à partir de quoi elle
prend son sens global, sur quel sol primitif elle se fonde. Les
sciences, en interférant, se confèrent entre elles
le sens » [cf.L’interférence]. La (les) définition(s)
de l’énoncé dans L’archéologie
du savoir, sa mise en pratique dans les mots et les choses relèvent
également du jeu réglé : si un énoncé
au sens foucaldien n’est ni une proposition (proférée
par un sujet logique) ni une phrase (émanation d’un
auteur), c’est parce qu’il relève d’une
régularité spécifique qui n’est ni celle
de son origine ni celle de son originalité, référable
à un sujet transcendantal, ou un esprit d’époque
mais à « une place déterminée et vide
qui peut être effectivement remplie par des individus différents
». Dans cette mesure, l’archéologue foucaldien
ne dresse pas une typologie des énoncés mais ordonne
leur topologie : il décrit un espace (celui des « formations
discursives ») où les énoncés se constituent
en familles. Les lieux d’apparition d’objets et de concepts
sont des corrélats de ces formations, et les « formations
non-discursives » où s’inscrivent les énoncés
(institutions, événements, pratiques sociales…),
ou qui sont elles-mêmes des énoncés (codes déontologiques,
chartes, contrats…), en constituent la condition de possibilité.
A travers l’analyse archéologique de l’Histoire
Naturelle, de l’Analyse des richesses, de la Grammaire Générale,
Les mots et les choses dessine ainsi l’espace de jeu de formations
discursives qui échappe autant à la formalisation
des propositions qu’à l’herméneutique
des phrases, qui considère ses objets non comme des documents
attendant l’interprétation ou la formalisation, mais
des monuments posés sur un socle énonciatif anonyme.
De manière semblable, à travers la relecture de Marx,
Althusser discerne, derrière les hommes « réels
» et leurs rapports « réels », derrière
les idéologies et les rapports imaginaires que les hommes
entretiennent avec leurs conditions matérielles d’existence,
un domaine plus profond comme objet de science et de philosophie.
De ce point de vue, la Théorie s’identifie à
la production de l’objet théorique, puisque les vrais
« sujets » de la structure économique sont d’abord
des « places » dans un espace défini par les
rapports de production, objet propre de l’analyse…dont
l’analyste est lui-même partie prenante.
II. Une chronologie complexe
La deuxième grande difficulté qu’on rencontre
dans l’historiographie des rapports structuralisme/philosophie
consiste à décider d’une périodisation
satisfaisante. Pour cela, il faudrait au moins mettre en évidence
les liens du terme structure à ses dérivés
(structuralisme, structural), pour débrouiller l’écheveau
complexe qui, dans les années 50/ 60, a abouti à la
rumeur de l’existence d’une « science- pilote
» dans les sciences humaines - la linguistique - et d’une
évolution philosophique qui en serait la conséquence
plus ou moins directe… Il faudrait enfin questionner cette
évidence même : si l’existence d’une linguistique
structurale est en effet attestée dès les années
20/30 de ce siècle, on sait, d’une part, que cette
existence est plurale (voire contradictoire) et discrète
(les enjeux généraux du structuralisme linguistique
ne seront perceptibles que plus tard, dans les années 50/60),
et surtout que ses engagements épistémologiques sont
divers (fonctionnalisme, axiomatique, théorie des comportements…)
; on sait enfin qu’elle est éphémère
: les premiers développements de la linguistique chomskienne
la remettent en cause dès la fin des années 50, justement
au moment où la rumeur d’une philosophie structuraliste
commence à se répandre largement (Cf Chiss et Puech
1997).
Mais la genèse du structuralisme philosophique à
partir de la seule approche linguistique de la structure (c’est
à dire de l’histoire des théories linguistiques),
n’est sans doute pas entièrement satisfaisante. Il
faut en effet tenir compte : a) de ce que le concept de structure
est absent des écrits de Saussure, où l’on ne
trouve que les concepts de « système » et de
« forme », et b) de ce que ces deux concepts –
mais s’agit-il des mêmes concepts – n’appartiennent
pas en propre à la linguistique et fonctionnent depuis longtemps
en mathématiques, et plus longtemps encore en biologie.
L’adoption d’un point de vue de « longue durée
» sur le structuralisme montrerait sans doute qu’il
constitue une réponse originale à une question qui
concerne depuis Aristote la structuration morphologique de la matière
sous trois de ses aspects que ni la physique antique (qui postule
un principe organisateur interne à la matière) ni
la physique fondamentale classique et moderne ne parviennent à
prendre en compte véritablement (même avec l’aide
de la cybernétique et de la théorie des systèmes)
: l’organisation, la complexification, la diversification
des substrats matériels.
Pour J. Petitot (1999), l’apport des formalismes linguistiques
issus de Saussure dans ce contexte large réside dans un déplacement
à haute portée historique du problème : avec
l’étude de l’organisation des systèmes
symbolique, linguistique, sémiotique, l’intérêt
se déplace « d’une physique vers une logique
de l’organisation ». En retour, on peut penser que la
diversité des engagements épistémologiques
de la linguistique structurale réfracte plus ou moins consciemment
cette histoire longue et ses intérêts de connaissance
multiples : de l’entéléchie aristotélicienne
au jugement téléologique sans valeur constitutive
de Kant, de la réflexion sur le « Gestalt » de
Husserl, puis de Merleau-Ponty, aux formalismes logico-mathématico-linguistiques
se joue, bien avant l’apparition de la conceptualité
saussurienne, le sort d’une explication rationnelle de la
totalité, du système, de la finalité, de la
différence, de la genèse et de la structure.
Il faudrait également, pour rendre compte des rapports de
la philosophie au structuralisme, distinguer les appréciations
globales du structuralisme en philosophie selon les époques
où elles sont portées.
a) Par exemple, en 1963 (Esprit 11), P. Ricoeur prend acte de la
pensée structurale (celle de Lévi-Strauss) et de son
incidence sur la philosophie : c’est l’alternative structuralisme/herméneutique
qui se met en place, et qui ressurgit d’ailleurs aujourd’hui
aussi bien dans les théories littéraires que dans
le domaine de la sémantique linguistique. P. Ricoeur prenait
alors la suite de Merleau-Ponty qui, le premier, attirait l’attention
sur les potentialités philosophiques du Cours de linguistique
générale de Saussure (Signes 1960) dans une perspective
s’inscrivant dans une certaine filiation (critique) à
la phénoménologie husserlienne et heideggerienne.
Pour Merleau-Ponty, Saussure, d’une part, achève en
un certain sens la phénoménologie husserlienne en
complétant l’idée de « grammaire pure
» des recherches logiques, et, d’autre part, propose
une « philosophie de l’histoire » ( à travers
la distinction synchronie/diachronie) absente chez le phénoménologue
allemand. Merleau-Ponty lui-même peut- on penser- prenait
le relais de E. Cassirer. Ce dernier, en 1945, situait le structuralisme
dans la longue durée de l’alternative entre substance
et fonction (« Structuralism in modern linguistics »,
Word I et Essai sur l’homme) et dans le prolongement de sa
monumentale Philosophie des formes symboliques. Il semble que ce
soit lui qui propose la première occurrence du terme «
structuralisme » dans ce sens très général,
hors de toute visée technique et dans un champ de réflexion
où la linguistique est évidemment impliquée,
mais dont les principes d’analyse servent surtout de fil directeur
dans une enquête critique sur la diversité et l’unité
des représentations humaines. De ce point de vue, il semble
que la rencontre de Cassirer avec Heidegger en 1929 à Davos
(contemporaine de la rédaction du manifeste structuraliste
du Cercle linguistique de Prague) constituait déjà,
evigagée rétrospectivement, un embranchement majeur
de la pensée contemporaine : à travers une discussion
serrée sur le schématisme trancendantal chez Kant,
c’est la question de la légitimité philosophique
de l’anthropologie qui est en question. Radicalement remise
en cause par Heidegger qui exacerbe la critique husserlienne du
« psychologisme », du « sociologisme »,
elle est défendue par Cassirer au nom d’un néo-kantisme
« élargi » qui n’entend se priver d’aucune
des ressources offertes par les sciences humaines en renouvellement.
On peut voir là peut-être l’une des sources (paradoxales)
du débat structuraliste sur l’anti-humanisme théorique
(Althusser). On peut penser que ce débat désignait
en tous cas comme par défaut le cadre général
dans lequel prendront place les débats structuralistes :
celui des relations entre les sciences de l’homme et la philosophie,
et les enjeux âprement discutés d’une anthropologie
philosophique (Heidegger).
b) La diversité des modalités de réception
du structuralisme invite donc à penser que la problématique
structuraliste n’est pas pour la philosophie une problématique
« autochtone ». Avant elle, en France, « l’existentialisme
» sartrien a émergé au contraire à partir
de Husserl et Heidegger qu’il prétend prolonger. L’émergence
du structuralisme cherchera plutôt ses ressources premières
dans un « ailleurs » sinon de la philosophie du moins
de la philosophie universitaire :
l’anthropologie culturelle après le retour des Etats-Unis
de Lévi-Strauss, la linguistique à travers Jakobson,
Martinet, puis Saussure, la psychanalyse après la rupture
lacanienne avec la Société Internationale, etc. De
ce point de vue, le roman de formation qu’est Tristes tropiques
de Lévi- Strauss constitue comme l’emblème ambigu
d’une génération : sous le signe de la déception,
la futilité de l’exotisme et celle de l’académisme
sont réunis dans un même opprobre au profit d’une
exigence de renouvellement théorique (par la théorie)
que L’anthropologie structurale, La pensée sauvage
et les Mythologiques tenteront de satisfaire à partir de
la Science . Ce qui se joue à travers le structuralisme tel
qu’il est « reçu » chez les philosophes,
c’est une certaine relation aux sciences, et plus précisément,
dans les sciences, à « l’empirie » à
laquelle elles donnent accès. De ce point de vue, si l’anti-hégélianisme
est bien la forme la plus spectaculaire que prend l’institution
du structuralisme (la génération structuraliste a
suivi les cours de Kojève, véritable introducteur
de Hegel en France), c’est avec la philosophie transcendantale
de Kant ou celle de Husserl que le structuralisme philosophique
dialogue et polémique véritablement : qu’il
s’agisse du langage, des mythes (Lévi-Strauss), des
formations sociales (Althusser), des religions (Dumézil),
de l’inconscient (Lacan), ce qui est en question pour les
philosophes à travers la notion importée de «
structure », c’est son pouvoir constituant, et l’assignation
d’un lieu et d’un mode de cette constitution : quel
sujet ? quelle histoire ? quelles instances des formations sociales
? Quel type de causalité, d’efficience ? Quel mode
d’intelligibilité ?
III. Un rationalisme paradoxal et impliqué
Devant de telles difficultés, plusieurs solutions s’offrent
à l’analyse.
1) La première, (la plus faussement radicale) consiste à
déclarer la tâche impossible : il n’y pas d’histoire
de ce qui n’a ni origine, ni limite disciplinaire, ni consistance
actuelle (qui se réclamerait aujourd’hui, en tous cas
en France et dans le domaine philosophique, du structuralisme ?)
Le structuralisme n’aura été qu’une mode
intellectuelle (ce qu’il a été aussi en effet),
un mirage dans sa dimension pseudo-linguistique, selon T. Pavel
(1988 ) (mais quel philosophe réputé structuraliste
s’y est-il donc laissé prendre sans réserve
?), une opération idéologique subversive et sans fondement
philosophique sérieux dont l’apogée se situerait
pendant l’année 1968 (des pamphlétaires restaurateurs
de l’ordre philosophique normal (kantien) ont pu parler après-coup
de Pensée 68 à son sujet), un nihilisme superficiel
aux effets philosophiques néanmoins « autophages »
(la philosophie ne parle plus que d’elle-même) (J. Bouveresse,
1984), une imposture intellectuelle (et scientifique) enfin, que
seule une autre imposture est suceptible de mettre au jour (A. Sokal,
1997).
2) La seconde est moins radicale et plus périlleuse : elle
consisterait à montrer que chacune des appréciations
négatives énumérées plus haut pourrait
être retournée en objet d’étude sociohistorique.
Par exemple, la diffusion très large, autour de l’année
1966 (avec en particulier la publication de Les mots et les choses
de Foucault et des Ecrits de Lacan) de l’idée d’un
structuralisme généralisé homogène,
s’inscrit vraisemblablement dans l’histoire très
spécifiquement française des mouvements littéraires
artistiques et philosophiques depuis la fin du XIX° siècle
: romantisme, symbolisme, surréalisme, existentialisme, personnalisme…
Dans ce cadre, le structuralisme philosophique devrait apparaître
comme la continuation d’une idiosyncrasie française
des « avant-gardes », qui mêlaient une esthétique,
une éthique et une politique des idées (dans des proportions
variables) autour d’une « personnalité-phare
». Or, le structuralisme n’aura homologué aucun
« leader ». Il aura pratiqué une sorte de suspension
du jugement dans le domaine éthique -« l’anti-humanisme
» est, sinon une contre-éthique, du moins une anti
morale. Son esthétique est largement assujettie à
l’impératif de connaissance, et sa « politique
» a été reçue de manière si diverse
qu’on a pu dire à la fois que les événements
de 1968 en ont été l’illustration la plus manifeste
ou au contraire une réaction contre son formalisme abstrait,
idéaliste et vide.
L’approche socio-culturaliste du structuralisme philosophique
attesterait cependant certainement d’une transformation du
statut sociologique de la production-diffusion des idées
en France :
- les figures de « l’engagement » politique, du
« grand » intellectuel, prévalantes depuis la
guerre dans les mouvements culturels, sont à la fois intégrées
et dépassées de manière très ambiguë
: de la conscience/témoin à vocation universelle,
de l’intellectuel organique ou du « compagnon de route
», vers le spécialiste impliqué. Si l’on
admet que, depuis les années 20/30 (cf. par exemple la divergence,
parmi les surréalistes, entre A. Breton et L. Aragon), une
grande partie des débats intellectuels en France est nettement
orientée par les prises de position vis à vis du marxisme,
et plus spécifiquement du parti communiste, la guerre froide,
la « déstalinisation » et la décolonisation
vont introduire une nouvelle donne, où le structuralisme
est impliqué de manière plus ou moins directe et,
de toute manière, complexe : la question du « relativisme
et de l’identité culturelle » (cf le Lévi-Strauss
de Race et histoire) devient cruciale, celle de la scientificité
(vs idéologie) urgente pour dégager le marxisme de
ses attaches dogmatiques et meurtrières de l’époque
stalinienne ou aussi bien « humanistes » post-staliniennes
(Althusser) : -Le structuralisme est, dans les années 60,
avec l’éclatement de la « vieille » Sorbonne,
incontestablement contemporain de l’élargissement de
la base sociologique de l’Enseignement Supérieur, lui-même
concomitant de la reconnaissance d’une autonomie relative
des sciences Humaines au sein des Facultés de Lettres et
d’une spécialisation des recherches sur le modèle
des « sciences dures » (laboratoires, publications spécialisées,
réorganisation du CNRS).
- Ses promoteurs/diffuseurs auront été à la
fois marginaux dans l’institution universitaire « normale
» (Greimas, Barthes ) et distingués dans les institutions
« d’élite » et/ou de renouvellement (Ecole
pratique pour Greimas, Ecole Normale Supérieure pour Althusser,
Derrida et même Lacan un temps au moins, Collège de
France pour Barthes et Foucault, Université de Vincennes
pour Deleuze…).
Mais ces données, et d’autres encore, ne sont que
des corrélations dont il est difficile de dire si elles sont
causes ou effets historiques, ni même si elles ne s’inscrivent
pas dans une histoire plus longue que celle qui transparaît
dans les (rares) histoires du structuralisme. V. Descombes, T. Pavel,
F. Dosse semblent s’entendre en effet sur une périodisation
qui ne remonte jamais avant 1945 et situe en 1967 l’amorce
de la contestation et du déclin du structuralisme, ce déclin
étant d’ailleurs tantôt assimilé à
sa banalisation universitaire (donc à sa légitimation
définitive), tantôt à l’échec de
son projet intellectuel… Mais surtout, les histoires récentes
du structuralisme restent largement dans la tonalité polémique
qui a très fortement accompagné son installation comme
paradigme (réputé) dominant, ce qui, paradoxalement,
revient presque toujours à prendre à la lettre ses
déclarations de rupture, sa volonté de « commencement
absolu » à partir desquelles il est en effet plus facile
de le réfuter globalement ou de dénoncer son caractère
illusoire à des fins de restauration.
3) C’est pourquoi une troisième voie pourrait consister
à essayer de rétablir -de manière peut-être
un peu provocatrice - des continuités, là où
les acteurs ont préféré privilégier,
de manière quelque peu rhétorique parfois, une mythologie
des commencements absolus (le thème de la « coupure
» ou de la « rupture » chez certains) et une eschatologie
ambiguë de la fin (de la philosophie, de la métaphysique,
voire de la pensée occidentale). Or, sans nier la volonté
de « rupture » qui marque les rapports du structuralisme
et de la philosophie dans les années 60/70, sans remettre
en cause les filiations proclamées (d’ailleurs souvent
contradictoires entre elles) avec Nietzsche, Freud, Marx et Heidegger…,
on peut raisonnablement penser que la mutation structurale en philosophie
renoue en même temps des liens avec des traditions et débats
philosophiques anciens, plus ou moins « dominés »
et recouverts au XIX° siècle en France par des courants
spiritualistes et éclectiques qui ont organisé sur
le plan institutionnel le champ de la philosophie depuis le XIX°
siècle. La sémiotiké envisagée par Locke
en 1690 était sans doute beaucoup plus une théorie
des idées qu’une théorie du signe au sens moderne
du terme, tout comme l’analyse condillacienne ou les théories
du langage des encyclopédistes et des idéologues,
mais les problèmes de philosophie de la connaissance qu’elles
permettaient de soulever sont certainement plus proches de ceux
posés dans la mouvance structuraliste que ne le sont ceux
de la philosophie française du XIX° siècle (Auroux,
1979). On peut penser tout particulièrement qu’à
travers l’engouement de toute la période pour le matérialisme
– dont est à la fois dessaisie et affectée la
tradition marxiste, métabolisée dans la pensée
de Sartre des années 50, et retravaillée par Althusser,
en partie contre Sartre –, c’est l’empirisme –
sa valeur et son statut philosophique – qui est à la
fois redécouvert et mis en cause. De ce point de vue, les
concepts d’apparence oxymorique de l’épistémologie
bachelardienne (le matérialisme rationnel, le rationalisme
appliqué, la phénoménotechnique …) fournissent
le cadre de nombreux débats en philosophie de la connaissance,
et disent à la fois l’attachement à une tradition
rationaliste ancienne, et l’impossibilité de se satisfaire
d’une conception anhistorique, spéculative, normative
et/ou téléologique de la raison, tout comme d’un
impérialisme de l’expérience . L’épistémologie
historique bachelardienne, celle de Koyré également,
s’enracinent elles-mêmes dans ce terreau du début
du siècle où la crise de la culture, de la civilisation,
des représentations de la science et de la raison avait appelé
les esprits les plus aigus à élaborer des instruments
de pensée propres à réagir à la tentation
irrationaliste. Les historiens, (avec en particulier la prise en
compte de la longue durée et de la « série »),
et les épistémologues, avec leur attention précise
portée aux « rationalismes régionaux »,
aux relativismes des conditions concrètes de la production
des vérités scientifiques, ont alors jeté les
bases d’une rationalité ouverte dont hérite
le structuralisme, même quand il ne s’y cantonne pas
(E. C. Gattinara 1998). Plus radicalement, le point de départ
de la déconstruction derridienne ne réside-t-il pas
(La voix et le phénomène) dans un commentaire serré
de Husserl sur la temporalité et les perturbations qu’introduit
la matière langagière dans la thématisation
phénoménologique de l’intuition et des idéalités
culturelles les plus hautes ? La partie se joue alors avec l’empirisme
contre la forme la plus avancée du rationalisme transcendantal,
et contre lui avec la critique de la métaphysique de la présence
(à soi, au monde) dont il est porteur.
IV. Un matérialisme du signifiant ?
De ce matérialisme du signe ou du signifiant, on peut penser
que, sous des formes variées, il constitue l’horizon
philosophique d’une génération. Il détermine
en effet deux thèmes dominants, deux directions majeures
de la philosophie contemporaine dans ses rapports au structuralisme.
1) La mise à jour d’un ordre du Symbolique et de son
efficace. Le symbolique n’est pas seulement structuré,
ce qui conduirait à chercher l’origine ou le fondement
de sa structuration dans une démarche historique ou génétique,
mais structurant, ce qui conduit à questionner sa logique
et à décrire les lieux de son efficace. La reconnaissance
d’un tel « ordre » oriente dans des directions
variées la critique philosophique de la notion de représentation,
qui informe depuis longtemps tous les débats philosophiques
sur la connaissance et, depuis la fin du XIX° siècle,
sur les productions humaines en général. Une série
d’alternatives porte alors cette critique.
a) Conscience/inconscient : ce thème introduit par Lévi-Strauss
dans le débat structuraliste dès Les structures élémentaires
de la parenté est hérité du développement
des sciences humaines depuis le début du XIX° siècle,
et sans doute de celui des statistiques depuis le XVIII°. L’enquête
de Durkheim sur le suicide visait déjà à montrer
que l’acte qui passe pour la manifestation la plus radicale
du libre arbitre d’un sujet, obéissait aussi à
des lois déterminantes (structurales ?) dont ne rendait pas
compte l’autonomie supposée des individus. Par ailleurs,
une part non négligeable des débats de la linguistique
de la fin du XIX° siècle porte sur le statut psychoontologique
(naturel vs historico-social, conscient vs inconscient) des grandes
lois phonétiques, et aboutira à la formulation des
célèbres dichotomies saussuriennes (langue/parole,
diachronie/synchronie). Dans le contexte de l’après-guerre,
toutefois, le concept « d’inconscient » a acquis
avec la psychanalyse un autre statut. On pourrait dire que le structuralisme
fait converger alors sur la notion d’inconscient deux conceptions
d’un déterminisme spécifique mis à jour
en linguistique, en sociologie, en anthropologie, en économie
politique d’une part, et dans les premiers travaux de Freud
de l’autre : le sujet n’est pas contraint seulement
« de l’extérieur », par des faits sociaux
de type durkheimiens, il l’est aussi de l’intérieur,
par une « force » qui est en lui (cf. l’interprétation
freudienne de l’hystérie comme effet d’un «
déterminisme psychique »). Cette force échappe
à toute identification parce qu’elle ne relève
pas de la simple intériorisation d’une norme (Durkheim,
Mauss) mais bien d’un dynamisme radicalement conflictuel du
psychisme humain, d’une économie, descriptible dans
une topologie dynamique (conscient/ préconscient/ inconscient,
puis moi/ ça/ surmoi).
Dans la reprise structurale de la question chez Lacan, la fameuse
formule « l’inconscient est structuré comme un
langage » substitue à la notion obscure de «
force » (de l’affect ou de la pulsion) celle de l’efficace
symbolique d’une structure, à la notion de déterminisme,
le graphe d’un glissement des signifiés « aspirés
» par une place vide sous la chaîne signifiante. Plus
généralement, l’approche structuraliste des
instances du sujet et de la société manifestera une
attention soupçonneuse vis à vis des catégories
de « causalité » et de « détermination
», en portant son intérêt sur les phénomènes
de surdétermination, de détermination « en dernière
instance » (de l’économique sur le social, le
politique, l’idéologique chez Althusser), ou de causalité
métonymique, c’est à dire d’une causalité
présente dans et par ses effets
b) Intuition/concept : l’oeuvre de J. Cavaillès (1947),
sa critique de la phénoménologie reposent sur la promotion
« d’une philosophie du concept » contre une philosophie
du sujet, et jouera le rôle d’un manifeste pour une
« sortie » de la phénoménologie et des
philosophies de la conscience en général. L’orientation
épistémologique très marquée du structuralisme
en philosophie trouvera ici l’une de ses motivations les plus
fortes. En particulier, l’épistémologie historique
de Koyré et Bachelard, qui cherche à promouvoir une
nouvelle représentation de la vérité, de la
science et de la rationalité, se radicalise dans cette orientation
à partir des notions de « coupure »,de «
rupture » de « refonte » épistémologiques.
c) sens/structure : la conception saussurienne de la langue et
ses reprises dans la linguistique structurale (en particulier celle
de Hjelmslev et de la glossématique) seront interprétées
comme l’affirmation de la primauté de la structure
sur le sens. Dans la langue conçue comme un système
a) le signifié n’est pas le référent,
b) la valeur d’un signe (seule entité « positive
» de la langue, lui est conférée par la série
paradigmatique dans laquelle il s’insère, et dans les
rapports syntagmatiques qu’il entretient avec les autres signes
sur l’axe horizontal. Il ne s’agit plus seulement de
dire que la forme précède le sens, mais que le sens
est l’effet superficiel, second, décalé d’une
forme virtuelle qui à la fois l’organise et le défait.
Le symbolisme des structuralistes n’a plus rien à
voir alors avec les symboles d’un Mircea Eliade ou d’un
C. G. Jung. Il ne s’agit plus de la projection psychologique
(imaginaire, spéculaire) plus ou moins universelle de valeurs
attachées à un groupe ou à une mentalité,
un individu isolé, mais d’unités élémentaires
dénuées de sens en elles-mêmes, produites par
des systèmes culturels historiques variables dans le temps
et l’espace, ou encore par l’histoire d’un sujet,
c’est à dire d’un procès de « subjectivation
».
Si le Cours de linguistique générale et les linguistiques
structurales qui en sont plus ou moins issues ont pu passer pour
un fondement du structuralisme (mais la référence
est parfois superficielle, souvent dérivée, toujours
à interpréter), c’est bien sûr parce qu’une
fois reconnu le rôle du langage comme infrastructure de la
culture, le paradigme sémiologique offrait à la réflexion
philosophique l’idée d’une science générale
des signes, c’est à dire la reconnaissance d’une
médiation non substantielle entre le sujet et le monde, susceptible
de mettre en crise, sous l’égide de la science (vs
la philosophie ou l’idéologie) et de la forme (vs la
substance psychique ou sociohistorique), à la fois l’ontologie,
la psychologie rationnelle issues de la tradition, et la psychologie
positive, voire même un certain héritage de Freud déjà
figé en orthodoxie dans la psychanalyse « officielle
». C’est le concept de « signe », librement
et diversement adapté de Saussure, plus rarement emprunté
à C. S. Peirce, qui porte alors la charge de la critique
des philosophies de la représentation. Dans le signe saussurien,
on reconnaît l’élément premier d’une
structure, élément qui ne possède par lui même,
à l’état isolé, ni référence
extrinsèque dans le monde, ni signification intrinsèque
(comme c’est le cas pour l’image de la balance qui porte
la signification de l’équité), les deux faces
du signe (signifiant/signifié) ne tirant leur valeur propre
que de la position qu’elles occupent dans la structure différentielle
qui leur préexiste virtuellement. Cette critique de la représentation
peut même inclure chez certains la critique du concept saussurien
de signe lui-même, concept qui reconduirait à travers
la distinction signifiant/signifié toute la tradition philosophique
des deux mondes (matériels et spirituels, monde empirique
et arrière-monde, J. Derrida). Chez Lacan, la refonte est
plus ou moins explicite, et conduit à la primauté
du Signifiant seul (sur la reprise lacanienne de Saussure, cf. Arrivé
1986). Quoi qu’il en soit, la célèbre triade
lacanienne du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique,
au delà de son intérêt stratégique dans
la sphère psychanalytique, entend affirmer d’abord
l’existence d’un tiers entre les deux membres du couple
traditionnel dans notre culture de l’imaginaire et du réel
: le symbolique du structuralisme n’est ni le réel
de l’objectivité, ni la projection imaginaire d’un
moi; il n’est pas réel mais il n’est pas non
plus imaginable. Evoquant la topique freudienne du ça, du
moi et du surmoi, la trilogie lacanienne la modifie fondamentalement
en conférant au symbolique la charge de la gestion de l’appareil
psychique, qui n’est plus déterminé par la dynamique
cachée de l’enfer pulsionnel de forces obscures, mais
structuré à fleur de discours dans les défilés
du signifiant, les heurs et malheurs du discours, sous la loi des
noms du père.
b) Mais ce privilège accordé au symbolique conduit
à la reprise critique du thème du transcendantal issu
de Kant et de Husserl. A travers la mise en cause du sujet (ce qui
ne veut pas dire que son concept est mis à l’écart),
c’est bien le statut du transcendantal qui est en question.
Ce que les philosophes croient pouvoir reconnaître à
travers la mutation des sciences humaines depuis le début
du siècle, c’est la possibilité – apparue
indépendamment du pouvoir d’auto-imposition traditionnel
de la philosophie – de poser à nouveaux frais la question
d’un terrain commun où les rites, les mythes, les formes
du vivre ensemble, les jeux de l’enfant, l’aptitude
spécifiquement humaine à utiliser des codes arbitraires,
à rêver, à parler des langues…s’articulent
dans une « fonction » unique (symbolique). Seul, J.
Piaget essaiera de donner une existence positive (expérimentale,
épistémologique) à cette fonction symbolique,
ce qui le conduira vers un « structuralisme génétique
» plus proche des développements cognitivistes contemporains
que du structuralisme des années 60/70. Mais on en présuppose
l’existence de toute part dans la constellation structuraliste.
Sur le plan philosophique, c’est l’existence, le statut
et le mode opératoire propre (subjectif ? objectif ?) de
cette fonction qui demandent alors à être problématisés
dans la mesure où ce qui passait auparavant pour des «
représentations » (idées classiques, images,
associations, symboles…) d’un « sujet »
saisi dans le « jeu » de ses facultés premières
(entendement, sensibilité, imagination, raison) ou dans le
dynamisme de sa conscience (l’intentionalité husserlienne),
pourrait ne plus apparaître que comme effet de système,
de structure. Là encore, E. Cassirer, le premier, dans le
cadre d’un kantisme élargi et à partir de la
notion de « formes symboliques », a proposé dès
les années 20/30 l’idée d’un « monde
intermédiaire » (Zwischenreich) entre l’esprit
et le monde. Il a envisagé (sans mener au bout son projet)
l’unité de l’esprit dans la diversité
de ses oeuvres (la langue, le mythe, la religion, la science, l’art),
proposé un principe « formel » d’organisation
dynamique de ses activités (la « fonction » emprunté
aux mathématiques), indiqué enfin l’horizon
de sa recherche : la genèse (plus que l’origine) des
significations, dans ce qu’il nomme à la fin de sa
vie la logique des sciences de la culture. On peut penser que les
cadres généraux du paradigme sémiologique ou
sémiotique du structuralisme se mettent alors en place. Ils
s’inscrivent sur le terrain d’une philosophie de la
culture, extraordinairement exigeante dans sa forme et son étendue,
parce qu’elle refuse, contrairement aux développements
plus faciles d’un Dilthey en Allemagne ou d’un Brunschwig
en France, d’entériner une coupure étanche entre
la culture scientifique et technique d’une part, et la culture
lettrée de l’autre, bref, entre « connaître
» et « comprendre ». Dès la Structure du
comportement (1942) et la Phénoménologie de la perception
(1945), avec la notion de « forme » inspirée
de la Gestalt des psychologues, puis enfin, dans Signes (1960),
avec la notion de structure empruntée aux sciences humaines
(M. Mauss, F. de saussure, C. Lévi-Strauss), M. Merleau-Ponty,
de son côté, prend acte d’un « régime
de pensée <qui>, dans tous les domaines, répond
à un besoin de l’esprit ». Il en précise
ainsi l’enjeu : « Pour le philosophe, présente
hors de nous dans les systèmes naturels et sociaux, en nous
comme « fonction symbolique », la structure indique
un chemin hors de la corrélation sujet-objet qui domine la
philosophie de Descartes à Hegel ». A partir de Signes
au moins, il ne s’agit plus pour Merleau-Ponty de penser comment,
transcendantalement, sont produites les structures (cette tâche
est encore celle de Cassirer), mais bien selon quel type de nécessité
elles régissent l’existence empirique...
Car dans cet ordre de préoccupations, le structuralisme
entend sans doute franchir un pas de plus, que Merleau-Ponty ne
fait qu’esquisser. Lorsque Foucault par exemple prend pour
objet d’analyse la mort, le désir, le travail ou le
jeu, c’est pour montrer que ces déterminations accessibles
immédiatement à l’expérience ne sont
que des effets de position ou de place dans un ordre assigné
par la structure d’une culture particulière qui la
définit. Il entend bien proposer ainsi une nouvelle répartition
de l’empirique et du transcendantal. Avant lui, C. Lévi-Strauss
avait dégagé dans les Structures élémentaires
de la parenté des unités de position équivalentes
aux phonèmes de la linguistique (des sortes de parentèmes,
des atomes de parentés), que les sujets empiriques viennent
remplir en prenant place dans une combinatoire purement abstraite
qui les détermine dans leur singularité même.
Dans le marxisme althussérien, les rapports de production
sont également désubstantialisés en rapports
purement différentiels qui ne concernent pas d’abord
des individus concrets (les « hommes » des humanismes
traditionnels), mais des fonctions, des objets, des agents dans
l’ordre symbolique (instrument de production, force de travail…),
pris dans des rapports de propriété, des processus
d’appropriation. A partir de 1961 (séminaire sur l’identification),
puis en 1964 (Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse),
Lacan non seulement formule la version la plus radicale de la conception
structuraliste du sujet en en faisant du signifiant « un sujet
pour un autre signifiant », mais il réalise ainsi la
convergence entre une conception maximaliste de l’ordre symbolique
et une conception minimaliste du sujet : si l’ordre des choses
s’institue à partir de l’ordre des discours,
« la trame du monde s’inscrit donc à partir d’un
manque central, condition de son unité » (F. Dosse).
Mais ici, sans doute, le matérialisme philosophique du signifiant
trouve sa limite ultime : un matérialisme sans matière,
un signe sans signifié, un sujet sans inscription. Un ordre
inassignable ?
La tâche qui consiste à résumer les traits
distinctifs du « moment structuraliste » en philosophie
est bien une tâche paradoxale.
- Les synthèses les plus tardives apparaissent pourtant
toujours prématurées : les deux décennies du
structuralisme glorieux se sont refermées en diffusant un
parfum de cendres qui ne tient pas seulement à la fin brutale
ou violente de ses acteurs les plus en vue (Althusser, Barthes,
Foucault), et que ne peuvent dissiper ni la chronique mondaine informative
(F. Dosse), ni la polémique revancharde désinformée
(Ferry et Renaut), ni la distance ironique (V. Descombes), ni le
dédain hautain (J. Bouveresse). Seule la reprise critique
et circonstanciée des sources avouées et cachées
de cette effervescence polymorphe devrait pouvoir autoriser une
évaluation (T. Pavel, G. Hottois, J. Petitot, par exemple).
- Les synthèses les plus homogènes (mais une synthèse
pourrait-elle se recommander de l’hétérogénéité
?) sont les plus trompeuses : les noms qu’on peut rassembler
sous « l’enseigne du signifiant émancipé
» (V. Descombes) - sous l’enseigne du structuralisme
n’ont coexisté la plupart du temps que dans un champ
de bataille où les affrontement ont souvent été
rudes : Derrida/Foucault, Deleuze/Lacan, Derrida/Lacan, Ricoeur/Lévi-
Strauss…, pour ne s’en tenir qu’aux oppositions
internes au paradigme structuraliste.
Chacun des acteurs a suivi un itinéraire irréductible
au seul structuralime : l’althussérisme s’inscrit
dans une tradition marxiste infiniment conflictuelle, et dans l’histoire
intellectuelle encore mal connue et contradictoire de la déstalinisation.
Rétrospectivement, on le voit pris dans la fin de course
de la comète du « communisme réel », fin
de course dont on n’a pas encore véritablement localisé
le point de chute philosophique…. Les attaches lacaniennes
à la philosophie sont à la fois incontestables et
subordonnées, selon les déclarations les plus récurrentes
de Lacan lui-même, à la pratique et à la clinique
psychanalytique : le Lacan des noeuds borroméens n’est
plus tout à fait celui du Signifiant des années 50
et 60. Les « machines désirantes » de Deleuze
et Guatarri avec l’anti-Oedipe constituent selon certains
une résurgence de l’énergie vitale bergsonnienne…peu
compatible avec le structuralisme de la discontinuité, de
la coupure, du discret…etc.
- Les synthèses d’intention les plus prosaïquement
honnêtes ne peuvent éviter enfin un forçage
de la notion de structure : parce qu’on ne sait pas si le
« système » saussurien est bien une structure
au sens de Lévi-Strauss, Lacan, Althusser, Deleuze…,
parce que Derrida n’emprunte jamais la voie structuraliste
que par stratégie et tactique, ces dernières pouvant
à tout moment se retourner contre le structuralisme lui même.
Parce qu’enfin la notion de structure ne dérive pas
de la seule linguistique, ce qui conduit dans une synthèse
à établir une série synonymique infiniment
contestable de notions qui ont chacune leur consistance, leur origine,
voire même… leur polysémie propres : structure,
système, modèle, forme, signe, signifiant, sujet,
sémiologie…
Enfin on peut malgré tout risquer prudemment l’idée
que, s’il n’existe pas de « fin mot » des
rapports entre structuralisme et philosophie, c’est pour une
raison essentielle que le dialogue entre Heidegger et Cassirer mettait
en évidence dès 1928 : l’existence et le développement
des sciences humaines et, parmi elle, des sciences du langage tout
particulièrement, a eu sur la philosophie un double effet.
D’une part ils laissaient entrevoir la possibilité
de répondre sur un autre mode que Kant à la question
critique la plus haute de la philosophie des Lumières, celle
de la finitude : « qu’est-ce que l’homme ? »
D’autre part il différait de manière radicale
et (provisoirement ?) définitive la réponse à
cette question, par la mise en place d’une configuration de
pensée dont Ricoeur proposa une désignation dès
1963 à Lévi-strauss, qui ne la récusa point
: « un champ transcendantal sans sujet ». Si on prend
cette expression à la lettre, le structuralisme aura été
une sorte de monstre philosophique. Si on lui restitue en revanche
le dynamisme de tension qu’elle recèle, on retrouvera
en effet, jusque dans ses excès, l’enthousiasme raisonnable
et fécond de ce « moment » qui s’essayait
à penser la différence et l’articulation sans
rêver l’impossible unité. On peut juger que les
« modes » philosophiques post-structurales en France
auront manifesté moins de prudence, de vertu, de zèle
et parfois de travail : l’humanisme « nouveaux philosophes
» aura été à la fois une digression paresseuse
et une régression inquiétante, le post-modernisme
aura coupé le lien de la philosophie avec les constructions
des sciences, et certains courants des philosophies cognitivistes,
par logicisation/naturalisation des structures, semblent parfois
tentés de restaurer, comme amnésiques, le rêve
vide de l’unité de l’esprit humain.
STRUCTURALISME, anthropologie
C. Puech Paris III (paru en 2006 : Encyclopédie Universalis,
Idées, Notionnaires 2)
Ce qu’on appelle couramment du nom de « structuralisme
» est un courant de pensée du XX° siècle
référé d’abord au Cours de linguistique
générale (1916) du linguiste suisse Ferdinand de Saussure
(1857-1913), puis aux développements de l’un des courants
majeurs de la linguistique du XXe siècle, de l’anthropologie
contemporaine issue des travaux de Claude Lévi-Strauss, des
théories de la littérature (Roland Barthes, Algirdas-Julien
Greimas…), de la plupart des sciences humaines après
1945, et finalement de la philosophie (Jacques Derrida, Michel Foucault,
Jacques Lacan, Jean-François Lyotard…).
On s’attachera ici à dégager les principales
caractéristiques du structuralisme, avant de montrer son
influence en anthropologie.
Les difficultés d’une définition
Aucune synthèse empirique ne parvient véritablement
à ressaisir l’unité d’une École
« structuraliste ». D’abord parce que l’extension
des intérêts de connaissance - linguistique, sémiotique,
théorie littéraire, anthropologie culturelle, psychanalyse
- de ce courant semble toujours faire obstacle à la compréhension
de ce dont il s’agit : les concepts de « structures
», de « modèle » de « symbolique
», « d’homologie », de « forme »,
de « jeu »… ne sont nulle part vraiment stabilisés.
Ensuite parce que cette extension et cette compréhension
ne sont jamais l’objet d’un consensus, mais créent
plutôt un champ de bataille aux enjeux divers et aux prolongements
variés.
Enfin parce que dès sa large diffusion - en France après
1950 -, l’émergence du structuralisme se confond avec
ses incessantes rectifications, réinterprétations
et réappropriations, par Lacan dans les années 1950,
par Maurice Merleau-Ponty, Derrida et Foucault dans les années
1960… Dans la littérature anglo-saxonne, les expressions
« post-structuralisme » et, dans une certaine mesure,
« post-modernisme » cherchent à contourner la
difficulté, en accréditant l’idée d’un
structuralisme épistémologique et méthodologique
premier, consistant et homogène qui aurait suscité
par la suite une série de réactions critiques qui
en auraient constitué d’une manière ou d’une
autre la « sortie ». Pourtant, rien n’empêche
vraiment de voir dans les post-structuralismes et postmodernismes
une radicalisation des principes du structuralisme, fussent-ils
parfois dirigés contre lui.
Aucun des acteurs majeurs du champ structuraliste n’a souhaité
restreindre le structuralisme à une attitude épistémologique
ou à un ensemble de règles méthodologiques
stables, définitives et unanimement partagées. Le
linguiste Louis Hjelmslev s’est toujours réclamé
d’un des courants philosophiques marquants du XX° siècle,
le positivisme logique. Roman Jakobson n’a cessé de
se référer depuis les années 1930 à
Hegel et à la phénoménologie husserlienne.
Lévi-Strauss lui-même, pourfendeur d’un structuralisme
« spéculatif » (Barthes, Foucault, Derrida, Althusser)
à l’écart duquel il entendait se tenir, n’a
pas manqué d’outrepasser les limites de la prudence
épistémologique en proposant une théorie de
l’esprit humain et une réflexion sur un humanisme «
rénové » ou un « anti-humanisme »
qui va devenir l’image vulgarisée et négative
de ce courant.
Structure : le mot et la chose
Dès les années 1950 en France, il est clair que la
notion de « structure » est le bien commun des linguistes,
des biologistes, des mathématiciens des psychologues et des
anthropologues. Plusieurs colloques tentent alors de mesurer le
degré d’homologie des différents usages de la
notion de structure.
A un très haut niveau de généralité,
on peut dire que la structure désigne – quelque soit
le champ d’application de la notion – un mode d’organisation
de l’objet à connaître tel que les relations
y prédominent sur la substance. Il s’agit en somme
d’une radicalisation de la notion de système qui n’est
plus entendu comme l’ensemble des relations établies
entre des éléments qui préexisteraient à
ce système, mais comme ensemble de règles abstraites
qui font exister ces éléments et leur confèrent
des propriétés. Dans cette mesure, la structure comme
« totalité » n’est plus la simple somme
de ses parties, et toute perturbation qui l’affecte s’auto-répare
dans un nouvel état d’équilibre. Enfin, la notion
de structure introduit un nouveau modèle de temporalité
et de causalité.
La genèse d’une structure se confondant avec son fonctionnement,
l’origine ne peut plus figurer comme « cause ».
La cause devient immanente à ses effets - on parle de causalité
métonymique -, dans un système clos refermé
sur lui-même.
Dès 1960, Roger Bastide souligne l’origine du mot
« structure » dans l’architecture (struere : construire).
Le terme serait ensuite passé dans le vocabulaire de l’anatomie
(Fontenelle) et de la littérature (Vaugelas) pour disparaître
relativement au XIX° siècle, où il subit la concurrence
du terme « organisme » et est réinterprété
dans une perspective évolutionniste, aussi bien en biologie
que dans les sciences sociales, notamment chez Herbert Spencer.
En 1945, le philosophe Ernst Cassirer (« Structuralism in
modern linguistics », in Word 1) voit dans l’émergence
de cette notion au XX° siècle l’ultime avatar de
l’histoire longue du couple substance / fonction et sa source
moderne dans les développements de la logique mathématique.
Dans d’autres versions du structuralisme et de son histoire,
on insiste sur une genèse « naturaliste » de
la notion de structure, entendue comme « totalité morphodynamiquement
(auto)-organisée et (auto-régulée) »
(Jean Petitot, in Critique, n° 620-621, 1999).
Il reste que le succès de la notion de structure dans les
sciences humaines à partir des années 1930 vient surtout
d’une crise fondamentale de la grammaire historique et comparée,
l’école philologique développée avec
succès principalement en Allemagne durant tout le XIX°
siècle. La linguistique structurale qui s’affirme à
partir de la fin des années 1920 dans les colloques internationaux
diffusant les thèses du Cercle de Prague s’attache
en effet à dégager un niveau d’intelligibilité
des faits linguistiques susceptible d’échapper aux
antinomies et paradoxes épistémologiques des «
lois phonétiques ». Si ces dernières sont essentiellement
historiques (donc liées à la contingence de la vie
des société, des communautés parlantes) d’où
viendrait leur « nécessité sans exception »
selon les néo-grammairiens ? Comment concilier historicité
et « précision astronomique » ? L’évolutionnisme
darwinien donne-t-il la loi d’évolution des langues
dans le temps ? Dans le champ de l’ethnologie en France, la
notion de « mentalité primitive » proposée
puis critiquée par Levy- Brühl (1857-1939) fait écho
à ce naturalisme évolutionniste, contre lequel le
structuralisme linguistique et, en ethnologie, Marcel Mauss (1872-1950)
réagiront à peu près en même temps.
Les prémisses linguistiques
Les écoles structuralistes en linguistique se développent
essentiellement à Prague (Nikolaï Troubetzskoï,
Roman Jakobson), Copenhague (Vigo Brøndal, Louis Hjelmslev)
et aux États-Unis (Leonard Bloomfield, Zellig Harris). Genève
et Paris - les deux villes où Saussure enseigna -, donnèrent
plutôt naissance à des personnalités originales,
informées, mais relativement isolées. On peut schématiser
les caractéristiques communes à ces écoles
dans quelques principes généraux issus plus ou moins
directement du Cours de linguistique générale.
- Le fonctionnement de toute langue obéit à des règles
que les sujets parlants adultes mettent en oeuvre individuellement
sans connaître explicitement le système dont elles
relèvent. La description de ce système (ainsi que
la détermination des différents niveaux de l'analyse
linguistique (phonème, morphème ou monème,
syntagme, phrase...) incombe au linguiste dans une perspective délibérément
non normative, constructiviste (la langue est l'objet d'une reconstruction
à partir des données individuelles de la parole des
sujets) et abstraite (un phonème n’est pas un son,
un morphème n’est pas un mot).
- L'orientation synchronique du structuralisme (on étudie
un état de langue et non le devenir d'une langue, son évolution
diachronique) découle de ce premier principe. Les sujets
parlants ignorent les lois d'évolution de la langue qu'ils
parlent, ils obéissent inconsciemment à des contraintes
de structure et la loi du dire n’est pas un vouloir dire.
- L'idée de structure implique bien, de ce point de vue,
qu'on travaille sur un ensemble clos de données : certains
linguistes parlent à ce sujet de « texte », dont
le modèle explicatif devrait pouvoir rendre compte de manière
exhaustive, en ce qui concerne tant la structuration du signifiant
que celle du signifié.
- La définition du « signe arbitraire » comme
unité indissociable du signifiant et du signifié implique
non seulement la forclusion du référent (le linguiste
n'a pas affaire à une réalité extérieure
à la langue, ni aux états mentaux des locuteurs),
mais une conception du sens comme pur effet de structure, et de
la forme comme antérieure à tout contenu. Si le structuralisme
place le signe au coeur de ses constructions théoriques,
c'est donc dans une perspective explicitement non substantialiste,
qui suppose une réflexion renouvelée sur l'identité
d'unités linguistiques purement différentielles et
oppositives. Le signe n'est signe que pour un autre signe, dans
un faisceau de relations qui lui confèrent sa valeur.
- La langue est un fait social, et non un organisme vivant. Elle
est une émanation de la communauté sociale, de son
histoire, et elle contribue à la fonder en retour en tant
que communauté parlante. Elle constitue comme l’infrastructure
de la culture. Benveniste et Jakobson insistent particulièrement
sur ce point, et contribuent de cette manière aux extrapolations
extra-linguistiques du « structuralisme généralisé
» qui se manifestent en anthropologie, en sociologie et dans
la sémiologie et les théories du texte littéraire.
Ces principes ne fournissent que le cadre général
dans lequel les différents courants scientifiques se développent,
polémiquent ou s'ignorent. S'il n'y a pas d'accord unanime
en ce qui concerne la définition de la structure, c'est peut-être
d'abord parce que son émergence à partir de la notion
saussurienne de « système » n'a été
ni linéaire, ni directe, et reste même discutable du
point de vue historique. Quoi qu’il en soit, ces principes
sont incontestablement à l’origine d’un bouleversement
des sciences du langage, en particulier avec l’apparition,
à côté de la phonétique - science descriptive
de la substance phonique -, de la phonologie - science explicative
et prédictive de la forme du matériau phonique des
langues (Troubetzskoï, Principes de phonologie, 1939), qui
fournira à Lévi-Strauss la clé d’une
méthodologie nouvelle en anthropologie.
Anthropologie structurale Ce sont les systèmes de parenté
qui offrent à Claude Lévi-Strauss le premier analogue
rigoureux des systèmes phonologiques étudiés
par la linguistique. Dans son cadre le plus général,
cette analyse prend sa source dans le dessein d’interpréter
la société en fonction d’une théorie
de la communication : communication des femmes (systèmes
de parenté), communication des biens (systèmes économiques),
communication des messages (systèmes linguistiques) sont
des formes sociales de l’échange entre lesquels il
s’agit de chercher des homologies de structure et des règles
de transformation permettant de passer de l’un à l’autre.
Comme pour l’analyse phonologique inspirée aux Pragois
au moins autant par le magistral Mémoire sur le système
primitif des voyelles dans les langues indo-européennes de
Saussure (1879) que par son Cours -, c’est le point de vue
atomistique traditionnel qui est principalement visé et critiqué.
Les « termes de parenté », comme les phonèmes
de la langue, n’ont pas de valeur en eux-mêmes. L’unité
de base de la parenté n’est pas la famille nucléaire
considérée par les prédécesseurs, mais
un faisceau de relations organisé en système. Dans
cette perspective, celle de la recherche des « éléments
» premiers de la structure, Lévi-Strauss isole quatre
termes premiers (frère, soeur, père, fils) unis entre
eux par deux couples d’oppositions corrélatives, et
tels que, dans chacune des générations en cause, il
existe toujours une relation positive et une relation négative.
« Pour qu’une structure de parenté existe, il
faut que s’y trouvent présents les trois types de relations
familiales toujours donnés dans la société
humaine, c’est à dire : une relation de consanguinité,
une relation d’alliance, une relation de filiation […]
La structure ici considérée est celle qui permet de
satisfaire à cette triple exigence selon le principe de la
plus grande économie […] elle est l’unique matériau
de construction de systèmes plus complexes. […] Tout
système de parenté est élaboré à
partir de cette structure élémentaire se répétant,
ou se développant par intégration de nouveaux éléments.
» (Anthropologie structurale, I, pp. 56-59).
Les structures élémentaires de la parenté
(1949) cherchent donc à construire une description synchronique
de la structure de différents types de mariage. Cette étude
synchronique doit permettre de générer, à partir
d’un modèle unique élémentaire abstrait
et par différentes transformations, des formes de plus en
plus complexes.
C’est bien sûr ici la notion de modèle, empruntée
principalement à la cybernétique plus qu’à
la linguistique, qui va devenir l’enjeu de tous les débats
autour du structuralisme et à l’intérieur de
ses différents courants. Ni pure construction de l’esprit
(pur schéma idéel des formalismes logicomathématiques),
ni donnée empirique (la « structure sociale »
n’est pas donnée dans « les relations sociales
»), le modèle de Lévi-Strauss ne devait être,
selon Jean Piaget, qu’une tentative « pour expliquer
le système dans une structure sous-jacente qui en permette
l’interprétation en quelque sorte déductive
qu’il s’agit de reconstituer par la construction de
modèles logico-mathématiques » (Le Structuralisme,
1968). Pourtant, dès Les Structures élémentaires
et plus encore par la suite avec les Mythologiques (1964-1972),
la notion de modèle semble acquérir, au-delà
de sa fonction méthodologique, une signification plus fondamentale.
D’abord considérées comme un fait de réciprocité
et d’échange dans des sociétés différentes,
les institutions matrimoniales sont présentées dès
1949 comme l’expression d’une logique binaire coextensive
de l’esprit humain. Dans Le Totémisme aujourd’hui
(1962) Lévi-Strauss relie explicitement « l’émergence
d’une logique opérant au moyen d’oppositions
binaires » aux premières manifestations du «
symbolisme » et au passage de la nature à la culture.
La fonction symbolique, ramenée au binarisme, sera assimilée
finalement à un inconscient structural universel.
De la même manière, l’analyse structurale des
mythes est l’objet chez Lévi-Strauss d’une spectaculaire
inversion de perspective, qui assure au symbolique - dans cette
trilogie des « instances » dont les liens et les noeuds
ne cessent d’être discutés -, une prééminence
quasi exclusive sur l’imaginaire et le réel. L’analyse
d’un mythe relève plus en effet de l’élucidation
d’une fonction logique donnant accès à sa structure
que de sa confrontation à la « réalité
sociale » dont il est pourtant issu. C’est la comparaison
de différentes versions d’un même mythe ou de
groupes de mythes voisins qui permet de mettre en évidence
les répétitions significatives, les transformations
diverses et, du même coup, les rapports invariants qui expriment
la structure du ou des mythes considérés. Dans cette
mesure, l’analyse des mythes n’a pas pour objet selon
Lévi-Strauss de « montrer comment pensent les hommes
» : produits d’un inconscient universel, collectif,
et dans une certaine mesure, intemporel, les mythes « se pensent
dans les hommes à leur insu », ils se pensent entre
eux » (Le Cru et le Cuit, 1964).
Bilan
Il est aussi difficile d’assigner au paradigme structuraliste
une fin qu’il est difficile de lui assigner un commencement.
La lecture des manuscrits saussuriens (publiés par Engler
et Bouquet en 2000) convainc rapidement que le périple structural
n’était pas contenu en germe dans le Cours de linguistique
générale de Saussure. Mais il est aussi indéniable
que celui-ci a fourni à partir des années 1930 une
impulsion décisive à la naissance d’un courant
de pensée qu’il est plus facile de caractériser
par ses refus (l’historicisme, l’évolutionnisme,
le sociologisme, le psychologisme, l’atomisme…) que
par ses propositions. Pour l’essentiel, on peut peut-être
néanmoins s’en tenir à la formulation d’une
exigence d’intelligibilité des faits humains fondamentaux
(langage et société), sans concession à l’anecdote
et aux facilités d’un humanisme de convenance que l’histoire
du XX° siècle ont rendu intenables. Dans cette perspective,
l’anti-humanisme structuraliste apparaît rétrospectivement
comme une entreprise salutaire, l’exigence scientifique étant
toujours un défi lancé à l’histoire immédiate
et à ses leurres. Mais force est de constater aussi que l’anthropologie
et la linguistique « post-structuralistes » n’ont
pu totalement se satisfaire des aspects les plus radicaux du structuralisme.
C’est du sein même de la linguistique structurale, chez
Jakobson et Benveniste notamment, que la linguistique du sujet de
l’énonciation a vu le jour ; c’est chez les disciples
les plus proches de l’anthropologie structurale que la nécessité
du retour à l’histoire et de l’ancrage de l’ethnologie
dans la réalité des sociétés post-coloniales
est apparue.
Bibliographie structuralisme anthropologie
J. L. Chiss & C. Puech, Le langage et ses disciplines XIX°
XX° siècles, Duculot, Paris, 1999.
E. Delruelle, Claude Lévi-Strauss et la philosophie, De
Boeck Université, 1989.
F. Dosse, Histoire du structuralisme. t. 1, Le champ du signe,
1945-1966, t. 2, Le chant du cygne, 1967 à nos jours, La
découverte, Paris, 1992.
M. Godelier, L’idéel et le matériel, Fayard,
Paris, 1984.
J. C. Milner, Le périple structural : figures et paradigme,
Seuil, Paris, 2002.
Bibliographie Structuralisme linguistique (voir également
les références dans le texte)
Amsterdamska, O. (1987) Schools of Thought : The Development of
Linguistics From Bopp to Saussure, D. Reidel.
Auroux, S. (1987) , Papers in the History of Linguistics, H Aarsleff,
L. G. Kelly & H. J. Niederehe, eds. J. Benjamins.
Benveniste, E. (1966-1974); Problèmes de linguistique générale
I et II, Gallimard, coll. Tel.
Chiss, J. L. et C. Puech (1987); Fondations de la linguistique,
De Boeck-Wesmael, Bruxelles.
Dubois, J. (1969); Grammaire structurale du français : la
phrase et ses transformations, Larousse.
Ducrot, O (1968); Qu’est-ce que le structuralisme ? 1. Le
Structuralisme en linguistique, Points/Seuil.
Greimas, A. J. (1966); Sémantique structurale, Larousse.
Harris, Z. (1951); Methods in Structural linguistics, University
of Chicago Press.
Hjelmslev, L. (1966); Le langage, Ed. de Minuit.
(1971); Prolégomènes à une théorie
du langage, Ed. de Minuit.
Hymes, D. et Fought, J. (1981); American Structuralism; Mouton.
Jakobson, R. (1963-1974); Essais de linguistique générale
I et II, Ed. de Minuit.
(1976); Six leçons sur le son et le sens, Ed. de Minuit
Langages n°20; « Analyse distributionnelle et structurale
», Larousse.
Lepschy, G. C. (1968); La linguistique structurale, Payot.
Martinet,A. (1971); Langue et fonction, Gonthier.
Sapir, E. (1968); Linguistique, Ed. de Minuit.
Siesterma (1965); A Study of Glosematics, Brill, Leiden
Bibliographie Structuralisme et philosophie
1) Littérature primaire (ne concerne que les relations structuralisme/philosophie
et les oeuvres des auteurs cités les plus significatives
quand à la mise en place de cette problématique)
L. Althusser, Pour Marx, Maspéro, Paris, 196
L. Althusser (et alii), Lire Le capital, Maséro, Paris,
196
E. Cassirer, E. Cassirer-M. Heidegger, débat sur le kantisme
et la philosophie et autre textes de 1929-1931, présentés
et traduits par P. Aubenque, J. M. Fataud et P. Quillet, Paris Beauchesne,
1972
E. Cassirer, Die Philosophie der Symbolischen Formen I, Die Sprache,1923,
II Das Mythische Denken, 1925, III Phänomenologie der Erkenntnis,
1929. Traductions, Philosophie des formes symboliques, I, par O.
Hansen-Love et J. Lacoste, II par J. Lacoste, III par C. Fronty,
Paris, Minuit,
E. Cassirer, « Structuralism in Modern Linguistics »,
in : Word. Journal of the Linguistic Circle of New-York I, 1946,
pp. 95-120
J. Cavaillès, Sur la logique et la théorie de la
science, Presses universitaires de France, Paris, 1947 (2° édition
1960)
G. Deleuze, Logique du sens, Les Editions de Minuit, Paris 1969
G. Deleuze, « A quoi reconnaît-on le structuralisme
? », in : F. Chatelet (ed.), Histoire de la Philosophie :
Idées, Doctrines. Le XX° siècle, Hachette-Littérature,
1973, pp. 299-335
J. Derrida, De la grammatologie, Les Editions de Minuit, Paris,
1967 J. Derrida, L’Ecriture et la différence, Seuil,
1967
J. Derrida, La voix et le phénomène. Introduction
au problème du signe dans la phénoménologie
de Husserl, Presses Universitaires de France, 1967
J. Derrida, La dissémination, Seuil, 1968
G. Dumezil, « La préhistoire des flamines majeurs
», in : Revue d’histoire des religions, CV III, 1938,
pp. 188-220
G. Dumezil, Mythe et Epopée, Gallimard, 1973
M. Foucault, Naissance de la clinique : une archéologie
du regard médical, Presses Universitaires de France, Paris,
M. Foucault, Histoire de la folie à l’Âge Classique,
Gallimard, Paris,
M. Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, Paris, 1966
M. Foucault, L’archéologie du savoir, Gallimard, Paris,
1969
M. Guéroult, Descartes selon l’ordre des raisons,
Aubier, Paris 1953
J. Lacan, Ecrits, Paris, Seuil, 1966
J. Lacan, « Vers un signifiant nouveau », in : Ornicar
?17-18, Paris, 1973, pp. 7-23
C. Lévi-Strauss, Les structures élémentaires
de la parenté, Presses Universitaires de France, Paris, 1947
C. Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, Paris 1955
C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale I, et II, Plon,
Paris, 1958, Plon, Paris, 1973
C. Lévi-Strauss, Mythologiques, 4 tomes, Paris, Plon, 1964-1972
M. Merleau-Ponty, La structure du comportement, Paris, Presses
Universitaires de France, 19421963
M. Merleau-Ponty, La phénoménologie de la perception,
Paris, Gallimard, 1945
M. Merleau-Ponty, Les sciences de l’homme et la phénoménologie,
Paris, SEDES, 1953
M. Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1960
J. Piaget, Eléments d’épistémologie
génétique, Presses Universitaires de France, Paris,
1950
P. Ricoeur, «Structure et herméneutique », in
: Esprit 11 « La pensée sauvage et le structuralisme
», Paris, novembre 1963,
M. Serre, Hermès I La communication, II L’interférence,
III La traduction, Paris, Les Editions de Minuit, 1969 et 1974
2) Littérature secondaire (concerne plus particulièrement
les rapports des sciences humaines et de la philosophie et l’histoire
du structuralisme)
M. Arrivé, Linguistique et psychanalyse : Freud, Saussure,
Hjelmslev, Lacan et les autres, Meridiens Klincksieck, Paris, 1986
S. Auroux, La sémiotique des Encyclopédistes, Payot,
paris, 1979
La philosophie du langage, PUF, 1995
J.Bouveresse, Le philosophe chez les autophages, Les Editions de
Minuit, Paris 1984
E. Castelli Gattinara, Les inquiétudes de la raison : épistémologie
et histoire en France dans l’entredeux guerres, Vrin/ EHESS,
Paris, 1998
J. L. Chiss et C. Puech, Le langage et ses disciplines, Duculot,
Louvain 1997
G. Deleuze, Un nouvel archiviste, Montpellier, Fata Morgana, 1972
V. Descombes, Le même et l’autre : quarante-cinq ans
de philosophie française (1933-1978), Les Editions de Minuit,
Paris, 1979
F. Dosse, Histoire du structuralisme, I le champ du signe, 1945-1966,
II Le chant du cygne, 1967 à nos jours, Editions La Découverte,
Paris 1992
Y. Jeanneret, L’affaire Sokal ou la querelle des impostures,
Presses universitaires de France, 1998
G. Hottois, L’inflation du langage dans la philosophie contemporaine,
Editions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1979
Juranville, Lacan et la philosophie, Presses universitaires de
France, Paris, 1988
T. Pavel, Le mirage linguistique : Essai sur la modernisation intellectuelle,
Paris, Les éditions de Minuit
J. Petitot, « La généalogie morphologique du
structuralisme », in : Critique 620-621, « Claude Lévi-
Strauss », Paris, Janvier-février 1999, pp.97-123
A. Sokal, Impostures intellectuelles, Librairie Générale
Française, Paris, 1997
F. Wahl, Qu’est-ce que le structuralisme ? 5. Philosophie,
Seuil, Paris, 1968
------------------------------------------
J. L. CHISS ENS Fontenay/Saint-Cloud UMR 75 97
C. PUECH Université Sorbonne Nouvelle Paris III UMR 7597
http://www.unice.fr/ChaireIUF-Nicolai/Archives/Tables_rondes/TR_2008/Strulingphianth.pdf
|
|