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Origine :
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/structuralisme/94130
Courant de pensée des années 1960, visant à
privilégier d'une part la totalité par rapport à
l'individu, d'autre part la synchronicité des faits plutôt
que leur évolution, et enfin les relations qui unissent ces
faits plutôt que les faits eux-mêmes dans leur caractère
hétérogène et anecdotique. (Le structuralisme
a connu sa forme la plus complète dans l'anthropologie sociale
pratiquée par Lévi-Strauss.)
En linguistique, démarche théorique qui consiste
à envisager la langue comme une structure, c'est-à-dire
un ensemble d'éléments entretenant des relations formelles.
Le structuralisme comme mouvement idéologique
Le structuralisme se présente comme une théorie,
voire une méthode, plus que comme une philosophie. Il s'adresse
à certaines disciplines des sciences humaines et a connu
dans les années 1960 un effet de mode. Certaines d'entre
ces sciences, sous l'influence du positivisme, tendent à
s'émanciper de la philosophie, considérée jusqu'alors
comme le tronc commun des sciences humaines. Ainsi, la psychologie,
marquée par le béhaviorisme et le gestaltisme, la
sociologie, par le fonctionnalisme, la linguistique, qui avait déjà
auparavant constitué un domaine à part s'évadent
du nid de la philosophie. Ferdinand de Saussure, un théoricien
hors pair, donne à la recherche linguistique une méthode
d'analyse à la fois systématique et concrète
qui inspirera les chercheurs d'autres disciplines.
Le structuralisme français s'est développé
principalement en anthropologie : il est surtout tributaire des
travaux de Claude Lévi-Strauss (1908-2009), qui d'ailleurs
s'est imprégné de ceux des linguistes Sapir, Bloomfield
et Jakobson. Le succès de Lévi-Strauss a poussé
nombre de chercheurs français à s'intéresser
au nouveau mouvement et à flirter avec lui. Ce fut le cas
en histoire, à la suite des travaux de Georges Dumézil
(1898-1986) – notamment en référence avec la
structure en trois éléments des fonctions sociales
et religieuses dans la société indo-européenne
– et de ceux de Fernand Braudel (1902-1985). L'école
marxiste française a été également tentée
de se rapprocher du structuralisme, avec Louis Althusser (1918-1990),
et Jacques Lacan (1901-1981) l'introduisit en psychanalyse, en référence
à sa thèse selon laquelle « l'inconscient est
structuré comme un langage ».
Révélateur est le propos du psychologue suisse Jean
Piaget (1896-1980), selon lequel « le structuralisme est une
méthode, non pas une doctrine » (le Structuralisme,
1968). Piaget rappelle que la structure est faite de trois composantes
: 1° la totalité, qui lie chaque élément
qui la compose à tous les autres ; 2° la transformation,
qui fait que les processus de transformation obéissent à
une loi externe (comme l'enfant qui passe du stade sensori-moteur
au stade des opérations formelles, chaque stade constituant
lui-même cette totalité, de laquelle il sort à
l'étape suivante) ; 3° l'autoréglage, qui fait
que les permutations dans la structure sont possibles à partir
des lois qui la régissent. C'est d'ailleurs en vertu de cette
définition que Piaget utilise le terme de groupe pris au
sens logico-mathématique.
Michel Foucault (1926-1984) est peut-être le seul qui a fait
de ce mouvement un instrument de combat philosophique dans les sciences
humaines, avec pour effet de vider l'humain de sa chair, en principe
pour mieux le saisir. Dans les Mots et les Choses (1966), il considère
la mort de l'homme et l'effacement du sujet comme le point d'aboutissement
des sciences humaines ; c'est ce que permet l'optique « structurale
», qui considère la structure dans tout fait humain,
psychologique, social, etc., comme ayant une réalité,
non tangible, certes, mais effective et rendue intelligible par
l'organisation logique que suppose la structure. Foucault est à
peu près seul à aller aussi loin dans cette voie.
La critique du mouvement en donne une définition restrictive
mais qui annonce sa fin ; par exemple Jacques Derrida (1930-2004,
dans De la grammatologie et L'Écriture et la différence
(1967), reproche à l'école structuraliste de suivre
Saussure et de faire par là du « phonocentrisme ».
Il l'accuse de privilégier dans la langue sa forme verbale
et « sonore » et de mettre au deuxième plan sa
forme écrite, en faisant de l'écriture « le
signe d'un signe », un signe au deuxième degré.
Il avait en effet compris quelles allaient être les limites
de l'analyse structurale, notamment en linguistique – Chomsky
s'en affranchira, signant la vraie mort du structuralisme.
En dehors de la linguistique et de l'anthropologie, c'est surtout
la critique littéraire, avec les travaux de Roland Barthes
et de Gérard Genette, qui fera date dans l'histoire du structuralisme,
les autres secteurs, comme l'histoire, la marxologie ou la psychologie
ne s'y rattachant que le temps d'une mode passagère.
Le structuralisme dans la littérature et la critique
littéraire
On doit à Lévi-Strauss et à Jakobson une étude
du poème les Chats de Charles Baudelaire ; cette étude
parue en 1962 est le texte fondateur du structuralisme appliqué
à la littérature. Le texte littéraire est considéré
par la critique structuraliste comme une manifestation de la langue
; on l'étudie à l'aide des structures (réseaux)
servant à l'analyse linguistique, qu'elles soient d'ordre
grammatical, syntaxique, rhétorique, phonétique ou
autre. Le texte est perçu non comme une entité unique
et originale, mais comme le point de convergence de tous ces réseaux
de signification. Michael Riffaterre (1924-2006) a introduit dans
la pensée structuraliste la notion de stylistique, définie
comme une étude linguistique des « effets du message
», c'est-à-dire comme une prise en compte des effets
du texte sur le lecteur (Essais de stylistique structurale, 1971).
Pour Riffaterre, le lecteur a un rôle actif : il doit «
interpréter » le texte. En effet, il ne s'agit pas
seulement pour le lecteur de faire apparaître les différents
réseaux qui le constituent, il faut aussi que ce lecteur
fasse appel à sa culture et à son expérience
pour faire exister le texte. Par là il ne suffit plus de
considérer le texte comme un nœud de réseaux
que l'on peut analyser : il devient de plus une réalité
sensible, incertaine, qui n'est jamais définitive, chaque
lecteur ayant de lui une vision différente.
Roland Barthes (1915-1980) a été le chef de file
de cette « nouvelle critique » qui allait appliquer
aux textes littéraires les méthodes du structuralisme
textuel. Après avoir étudié les signes, les
symboles et les mythes de la société contemporaine
(Mythologies, 1957 ; Système de la mode, 1967), Barthes a
appliqué aux textes littéraires les procédés
de l'analyse structurelle (Essais critiques, 1965 ; S/Z, 1970, etc.),
et en premier lieu aux tragédies de Racine. Dans son ouvrage
Figures III (1972), Gérard Genette (né en 1930) a
lui aussi appliqué aux œuvres littéraires (particulièrement
aux récits) les méthodes d'analyse structurale qu'il
emprunte à la linguistique. L'originalité de sa méthode
est d'avoir mis l'accent sur l'étude de la temporalité.
Il s'est notamment intéressé à la notion de
« présent de la narration ». Dans Palimpsestes
(1982), il a défini l'intertextualité comme l'ensemble
des relations qu'ont entre elles les citations, les références,
les allusions plus ou moins explicites qui s'établissent
entre les textes littéraires. Le critique littéraire
a pour mission d'étudier cette intertextualité. Pour
Genette, en effet, le texte littéraire est un « palimpseste
», c'est-à-dire un manuscrit dont on a effacé
le premier texte pour réécrire par-dessus : de la
même manière, il faut regarder le texte littéraire
comme créé d'une part à partir des événements
vécus par l'auteur, mais bien davantage encore à partir
de ses lectures. Le dernier structuraliste littéraire est
sans doute le sémioticien Algirdas Lucien Greimas (1917-1992),
auteur d'une Sémantique structurale (1966).
Le structuralisme en linguistique
Introduction
Un certain nombre de recherches convergentes ont marqué l'histoire de
la linguistique dans le début du xxe s. et on a pu les considérer
comme annonçant le grand mouvement du structuralisme.
La doctrine structuraliste en linguistique
Dans les années 1920, la linguistique se définit
comme un domaine de recherche particulier à l'intérieur
du mouvement positiviste et scientifique des sciences humaines (en
allemand Geistwissenschaften). La linguistique est alors sous l'influence
de deux hommes : Ferdinand de Saussure (1857-1913), dont le Cours
de linguistique générale (1916) vient de dégager
la notion de langue, par différence avec le langage, et qui
oppose langue et parole ; et Edward Sapir (1884-1939), qui a posé
pour la typologie des langues des critères formels et non
plus historiques, et qui, dans cette perspective, oppose le pattern
(« structure ») et la réalité parlée.
Saussure avait proposé dès les années 1900
une hypothèse générale sur la nature et le
fonctionnement du langage ; Sapir, indépendamment de Saussure,
avait établi plusieurs distinctions qui annoncent le structuralisme,
comme celle entre phonologie et phonétique, synchronie et
diachronie.
Le principe fondamental du structuralisme peut être énoncé
comme un principe d'immanence, en fonction duquel un énoncé
réalisé ne peut être analysé qu'à
partir de ses propriétés internes. Cela implique qu'on
ne peut recourir à des analyses externes, historiques par
exemple. L'étymologie en particulier ne sert à rien
dans un énoncé du genre « le garçon mange
la soupe à huit heures » : peu importe que «
mange » vient d'un mot latin du genre manducat, que «
soupe » vienne du francique suppa, qui est de la famille du
gothique supon, « assaisonner », etc. Ce qui compte,
c'est l'étude synchronique, « qui s'occupera des rapports
logiques et psychologiques reliant les termes coexistants et formant
système, tels qu'ils sont aperçus par la même
conscience collective », et l'étude diachronique, «
qui étudiera au contraire les rapports reliant les termes
successifs non aperçus par une même conscience collective
et qui se substituent les uns aux autres sans former système
entre eux ». Cela a pour conséquence de remettre l'analyse
linguistique au plan de l'énoncé même, et de
refuser d'en sortir.
Ce même principe impose de plus d'établir une coupure
radicale entre l'énoncé produit et les différents
participants de la communication linguistique. Seul compte l'énoncé
réalisé ; les motivations psychologiques de l'émetteur,
les composants situationnels dans lesquels il est produit doivent
être éliminés dans l'analyse. Pour décrire
une langue, il faut partir d'un corpus constitué d'énoncés
produits par un « locuteur natif » de la langue en question.
Ces énoncés doivent être homogènes, provenir
d'un locuteur représentatif de sa communauté linguistique.
La distinction entre langue et parole fait de la langue l'ensemble
du corpus tel qu'il vient d'être défini et de la parole
une réalisation particulière à partir de la
langue. La langue est donc un ensemble clos, sur lequel on peut
appliquer plusieurs procédures d'analyse pour dégager
les unités de langue et les règles de combinaison
entre ces unités.
Des oppositions importantes ont été dégagées
par Saussure ; il pose en effet que la langue est un fait social,
tandis que la parole est un fait individuel, et que la langue est
un fait de mémoire, alors que la parole est un fait de création.
Chomsky reprendra cette distinction en la généralisant
sous la forme de la distinction compétence et performance.
Le fonctionnement de la langue suppose un principe essentiel au
structuralisme, à savoir la nécessaire existence d'un
ensemble de règles régissant les rapports entre ces
unités. L'apport décisif du structuralisme est d'avoir
redéfini la notion de valeur. La valeur de l'unité
linguistique n'est ni réductible à son aspect de signifié
(c'est-à-dire à son contenu de signification), ni
à son aspect de signifiant (c'est-à-dire à
sa forme acoustique, ou graphique). La valeur est liée au
rapport entre le signifiant et le signifié, rapport qui constitue
un élément original dans tout système linguistique.
Cela oblige à définir chaque unité linguistique
par opposition aux autres unités linguistiques, et met la
négativité au cœur de leur nature ; comme le
dit Saussure : « Leur plus exacte caractéristique est
d'être ce que les autres ne sont pas. »
On définit les unités d'un système linguistique
en opposition les unes avec les autres. Dans l'exemple déjà
cité (« le garçon mange la soupe à huit
heures »), l'important est qu'à le garçon puisse
être substitué un autre item de la même classe
que lui, du genre « la fille », « l'homme »
; à mange la soupe, un autre groupe de mots du genre «
boit du lait » ; à soupe, un autre mot du genre «
une pomme ». L'analyse structurale définit donc des
unités substituables. Cet exemple permet de constater que
deux opérations ont été mises en œuvre
: la segmentation et la substitution. L'analyse structurale vise
à délimiter les unités au travers de leurs
relations. Les relations qui unissent les unités sont de
deux types : les unes définissent les rapports existant entre
chaque élément de l'énoncé (par exemple
le garçon mange), les autres définissent les éléments
en fonction de leur place dans l'énoncé, c'est-à-dire
la classe des éléments susceptibles d'apparaître
à chaque place de l'énoncé au complet (par
exemple soupe, pomme, ou encore mange, dévore). Les relations
du premier type sont dites syntagmatiques, les secondes, du type
paradigmatique. Cette optique conduit à faire de la description
linguistique un ensemble de procédures organisé en
niveaux, qui, chacun, permettent de classer les éléments
en unités spécifiques distinctes. Ainsi, un phonème
se définit au niveau phonologique, le morphème au
niveau morphologique. Chaque unité peut se substituer avec
des unités de même niveau et chaque unité s'intègre
dans une unité de niveau supérieur, dont elle est
un constituant. Par exemple, les phonèmes /p/ et /r/ dans
un contexte qui serait du genre /-a/ ou /-i/ : on a ainsi les unités
phonétiques /pa/ et /ra/ ; en même temps /p/ et /r/
sont constitutifs des morphèmes /pas/ et /rat/ ou encore
/pi/ et /riz/.
Le linguiste français Émile Benveniste (1902-1976),
qui se rattache au courant structuraliste, définit quatre
niveaux d'analyse : le niveau des traits distinctifs, le niveau
phonologique, le niveau morphologique et le niveau phrastique. Pour
bien situer ce modèle d'analyse, il faut reprendre la définition
fondamentale du constituant immédiat telle que l'a formulée
le linguiste américain Leonard Bloomfield (1887-1949). L'analyse
en constituants immédiats est une méthode de décomposition
des phrases qui consiste à isoler les segments qui «
constituent immédiatement » chaque phrase, la phrase
étant l'élément le plus vaste considéré
(on pourrait en prendre de plus vastes : le paragraphe, le discours
ou encore le chapitre, le livre, etc.). Puis on définit les
segments qui constituent immédiatement ceux qui viennent
d'être dégagés, et ainsi de suite jusqu'aux
morphèmes et aux phonèmes. On obtient de la sorte
une structure hiérarchisée dans laquelle chaque niveau
s'intègre au niveau supérieur. Dans l'analyse de Benveniste,
on remarque que, entre deux niveaux, par exemple du trait distinctif
au morphème, les constituants de l'unité sont constituants
de l'unité supérieure : le phonème est un constituant
immédiat du morphème. En revanche, les morphèmes
sont bien des constituants de la phrase, mais ils n'en sont pas
les constituants immédiats. Il y a donc des éléments
intermédiaires entre le niveau morphologique et le niveau
phrastique.
Les écoles structuralistes de linguistique
La plus importante, celle qui initie le mouvement, est le cercle
de Prague, fondé en 1926 à l'initiative de Vilém
Mathesius et dominé par deux linguistes russes, Nicolaï
Sergueïevitch Troubetskoï (1890-1938) et Roman Jakobson
(1896-1982), qui passera aux États-Unis en 1941 et deviendra
américain. Le premier se spécialise et fonde la phonologie.
Le second cherche à intégrer les thèses du
cercle de Prague dans un ensemble cohérent impliquant les
modalités de fonctionnement du langage.
Une autre école est celle du cercle de Copenhague, autour
duquel naviguent des linguistes comme Louis Trolle Hjelmslev (1899-1965)
et Viggo Brøndal (1887-1942). Hjelmslev est le premier structuraliste
qui pose le problème d'une sémantique générale
en postulant un isomorphisme entre le plan du signifiant et le plan
du signifié.
Enfin l'école américaine est florissante. On peut
y distinguer les noms d'Edward Sapir, de Leonard Bloomfield et de
Zellig Sabbetai Harris (1909-1992).
Le structuralisme en linguistique s'est trouvé dépassé
dans les années 1960 par la naissance du générativisme.
Le structuralisme en anthropologie
Introduction
Le mouvement s'est lui aussi distingué dès sa naissance
par une critique de la méthode historicisante des écoles
anthropologiques antérieures, le diffusionnisme et l'évolutionnisme.
Il a donné naissance à deux mouvements distincts,
le structuro-fonctionnalisme anglo-saxon et le structuralisme de
Lévi-Strauss.
Le structuralisme anglo-saxon en anthropologie et en sociologie
Deux anthropologues dominent le structuralisme anglo-saxon : Bronislaw
Malinowski (1884-1942) et Alfred Reginald Radcliffe-Brown (1881-1955).
Avec eux, l'anthropologie quitte les bibliothèques et se
lance sur le terrain, va voir les sociétés «
archaïques » contemporaines, qui vivent à l'écart
de la « civilisation », et essaie, à partir de
cette observation, de dégager leurs principes d'organisation
et de fonctionnement, et non plus de reconstituer de manière
hypothétique leur passé. La méthode est dite
structuraliste dans la mesure où elle suppose que chaque
société constitue un système, un ensemble d'éléments
interdépendants, comme la parenté, la culture, la
religion, l'économie, la technique, qui n'acquièrent
de sens qu'en fonction les uns des autres. L'anthropologie se fixe
pour tâche de découvrir les relations qui existent
entre eux. En fait, il faut également qualifier cette approche
de fonctionnaliste, car elle vise à définir également
la fonction que remplit chaque élément dans l'ensemble
social où il se trouve. On a pu rattacher cette optique à
la doctrine organiciste des sciences naturelles : en effet, elle
aboutit à expliquer les institutions sociales par les fonctions
qu'elles remplissent, et les fonctions par les besoins naturels
qu'elles satisfont, aussi bien individuels que collectifs.
Pour Radcliffe-Brown, les structures concrètes constituent
la matière première de l'observation anthropologique,
l'ordre immédiatement observable, et les structures générales,
« abstraites », qui les organisent, constituent des
modèles qui permettent de les comprendre. Il y a donc une
communauté de nature entre les deux types de structures pour
Radcliffe-Brown, les unes et les autres s'étayant réciproquement.
Cette approche n'est pas recevable par Lévi-Strauss, et c'est
sur ce point, comme on le verra, que sa conception va diverger avec
l'école anglo-saxonne.
Les Américains vont s'attacher à définir avec
plus de précision que leurs confrères britanniques
les problèmes méthodologiques, et axer la recherche
sur un domaine plus généralisable que celui fourni
par les seules données ethnographiques, la sociologie. C'est
ce que tente le sociologue Talcott Parsons (1902-1979). Il définit
la structure comme une disposition stable échappant aux fluctuations
de son environnement, en opposition avec la fonction, qui est l'effort
continuel de l'adaptation de la structure aux changements. Structure
et fonction sont donc étroitement liées dans le système
social : elles permettent de comprendre son organisation et sa dynamique.
Mais tout cela n'est aux yeux de Parsons qu'un système conceptuel
destiné à fournir un cadre à l'action. L'élément
basique à partir duquel toute société est construite
n'est pas l'individu, mais l'action. Toute action implique des corrélats
à partir desquels elle se construit ; ces corrélats
sont des normes, des symboles ou encore des valeurs. Les corrélats
de l'action sont construits à partir des conditions structurelles
antinomiques, au nombre de cinq, en face desquelles se trouve tout
acteur. Ce sont : 1° affectivité/neutralité affective
; 2° altruisme/égocentrisme ; 3° universalisme/particularisme
; 4° qualité/accomplissement ; 5° spécificité/diffusion.
Ce modèle permet d'expliquer les actions et les rôles
des individus. Par exemple, l'interaction entre l'agent de police
et l'individu est neutre, altruiste, universaliste (commandée
par des principes généraux), orientée vers
l'accomplissement, et spécifique (limitée à
une situation particulière). On peut imaginer toutes sortes
d'autres combinaisons des alternatives fondamentales. Ainsi les
exigences fonctionnelles auxquelles répond l'action s'accomplissent
dans la réalisation de l'objectif, l'adaptation, le maintien
des modèles de valeur, et l'intégration. Parsons relie
ainsi le schéma fonctionnel et le schéma structurel,
ce qui lui permet d'expliquer toutes les formes possibles de l'action
sociale.
On a critiqué le structuro-fonctionnalisme de Parsons, en
lui reprochant son caractère à la fois trop rigide,
trop général et trop particulier, excluant nombre
de situations sociales de ses capacités d'explication, et
donc son caractère trop limité pour constituer un
modèle, d'autant que sa démarche s'accompagne d'un
formalisme rudimentaire.
Le structuralisme anthropologique de Lévi-Strauss
Lévi-Strauss a découvert le structuralisme avec les
linguistes américains, notamment Jakobson. Il a cherché
à en faire une méthode aussi rigoureuse que celle
qui est à l'œuvre dans les sciences exactes. Il l'a
notamment opposé au fonctionnalisme, dont les relents de
finalisme lui paraissaient suspects. L'explication structurale est
autosuffisante : il s'agit de partir des phénomènes
pour remonter à leur structure cachée, par l'intermédiaire
de modèles.
La structure est définie par Lévi-Strauss comme un
ensemble de rapports invariants (corrélatifs ou antithétiques)
qui expriment l'organisation du système. Selon ses termes,
« la notion de structure sociale ne se rapporte pas à
la réalité empirique, mais aux modèles construits
d'après celle-ci ». Elle n'est donc pas observable
directement, mais elle constitue le réel rendu intelligible
sous forme logique, le modèle. Le modèle est un système
symbolique qui permet d'accéder à la structure. Certains
modèles appartiennent à une catégorie strictement
logique, comme ceux que Lévi-Strauss utilise dans les Structures
élémentaires de la parenté (1949) ; d'autres
sont constitués de simples propositions ayant entre elles
des rapports d'opposition, de corrélation, ou de génération.
Ce sont ceux qu'on va retrouver dans sa série Mythologiques
(1964-1971). Il existe des modèles conscients et des modèles
construits, supposés inconscients : les premiers sont ceux
que met en œuvre le système social de chaque peuple,
les seconds sont ceux que (re)construit ou retrouve le chercheur
qui étudie le peuple. Le structuralisme lévi-straussien
repose sur quelques principes simples :
1° le principe d'immanence, qui fait que tout objet d'étude
doit être regardé comme un système clos, dans
son état actuel ;
2° la primauté du tout sur les parties ; les éléments
de chaque ensemble n'ont pas de signification pris isolément,
mais ne se conçoivent que dans leurs rapports réciproques
;
3° la primauté des rapports entre les éléments
sur les éléments eux-mêmes. Par exemple, les
mythes amérindiens mentionnent un arbre comme le prunier
ou le pommier.
Or ils ne sont pas substituables en tant qu'arbres, l'arbre n'a
rien d'un support symbolique ; l'analyse montre que c'est la fécondité
du prunier qui intéresse l'Indien, tandis que dans le pommier
c'est la puissance et la profondeur des racines. L'univers du mythe,
du conte, est analysable en paires d'oppositions, chaque élément
est un « faisceau d'éléments différentiels
» ;
4° la logique binaire est au point de départ de l'analyse
mythologique ; mais elle inclut la complémentarité,
la supplémentarité, la symétrie, et surtout
la transformation.
Le structuralisme a atteint avec Lévi-Strauss un sommet
de perfection qu'il ne dépassera pas ; son analyse des mythes
amérindiens demeure un modèle du genre. Mais en même
temps, il a signé l'arrêt de mort de ce grand mouvement
: face aux sociétés figées, l'analyse structurale
a montré son efficacité, mais elle paraît tout
à fait insuffisante à l'égard des sociétés
complexes, telles que celle dans laquelle nous vivons.
http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/structuralisme/94130
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