Deux nouveaux livres de cet adepte de Nietzsche, considéré
comme l'un des philosophes actuels les plus sulfureux, paraissent cette
semaine (voir encadré). Certaines de ses prises de position ont
provoqué un tollé en Europe. Le clonage, l'éducation,
la sagesse, le bonheur, la guerre... il répond au Point.
Il est aujourd'hui de bon ton de citer Peter Sloterdijk. Mais il serait
injuste de réduire à un effet de mode le succès
de ce philosophe allemand que l'on pourrait décrire comme un
anti-Habermas - lui préfère se présenter comme
un nietzschéen de gauche. En tout cas, ses lecteurs se multiplient
en Allemagne comme en France, un pays qu'il connaît bien et dont
il pratique parfaitement la langue. Peut-être est-ce parce qu'il
est l'un de ceux qui prennent leur époque à bras-le-corps
? Manipulations génétiques, bouleversement de la culture,
mutation anthropotechnique, disparition des frontières : rien
de ce qui fait - peut-être - notre avenir n'effraie ce post-heideggérien
séduit par les charmes de la technoscience. En 1999, il avait
fait scandale en énonçant, au cours d'un colloque, les
« Règles pour le parc humain ». Les pro et anti-Sloterdijk
s'étaient invectivés par voie de presse. La consécration,
universitaire et médiatique, est pourtant venue, puisqu'on l'a,
à 54 ans, nommé recteur de la Hochschule für Gestaltung,
où il enseigne la philosophie et l'esthétique, puis choisi
pour succéder au critique Marcel Reich-Ranicki comme animateur
d'une émission de télévision culturelle.
En attendant, celui qui s'inquiétait alors de la disparition
de l'humanisme lettré affiche aujourd'hui un optimisme surprenant.
Le monde dans lequel vivra sa fillette, âgée d'une dizaine
d'années, ne semble plus l'inquiéter. Et, tout en poursuivant
son oeuvre, il jouit avec appétit des plaisirs de la vie. C'est
que ce géant aime l'amour, la belle langue, la bonne chère
et les promenades à vélo autour de sa maison de Grignan,
dans la Drôme, où il séjourne régulièrement.
Très allemand, sans doute, mais aussi tellement français...
-
LE POINT : Lors de la publication des « Règles pour le
parc humain », l'évolution de l'humanité vous inquiétait.
Aujourd'hui, votre inquiétude semble s'être muée
en adhésion au monde qui vient. Pourquoi ?
P. SLOTERDIJK : Après la Seconde Guerre mondiale, la philosophie
continentale est devenue une sorte d'herméneutique de la catastrophe.
Comprendre le cauchemar, se pencher au-dessus de l'abîme, telle
était la tâche principale de la pensée. Et les philosophes
devaient aussi s'engager à ce que jamais leurs textes ne puissent
servir d'alibi aux horreurs à venir. D'où l'orientation
vers une philosophie gothique, terme par lequel les Anglais ont dénommé
une certaine littérature, qui fait de l'horreur le sublime du
peuple. Au XIXe siècle, dans les domaines littéraire,
musical et même idéologique, s'était développé
le sens de l'amusement par l'annonce de terreur. Après la guerre,
la situation générale de la pensée a favorisé
le retour du gothique dans les théories. Dès mon premier
livre, « Critique de la raison cynique », j'ai rompu avec
cette stratégie de la fraternité de la terreur.
LE POINT : Peut-être, alors, reconnaîtrez-vous avoir changé
de stratégie pour répondre à cette terreur. Vous
situez-vous encore dans la filiation du cynisme grec que vous invoquiez
alors ?
P. SLOTERDIJK : Je n'ai jamais été un vrai cynique. Je
n'en ai pas les moyens. En effet, être un cynique cohérent
exige des qualités physiques et morales qui me font défaut.
Le dernier grand cynique véritable de notre époque a été
Cioran, qui menait une vie monastique informelle. Mais être le
moine d'un désespoir privé coûte cher, parce que
vous êtes tous les jours confronté à des réfutations
de votre choix, à la preuve que le bonheur n'est pas aussi éloigné,
aussi transcendant. Le cynisme, c'est la décision de ne pas se
dissoudre dans le bonheur.
LE POINT : Vous avez également comparé le processus mondial
à une party de suicidaires...
P. SLOTERDIJK : Il s'agissait alors de se débarrasser de cet
héritage de l'école de Francfort, qui a marqué
mes premiers travaux. Cette matrice théorique de la gauche classique
était pour moi une sorte de consensus dont il fallait d'autant
plus s'affranchir qu'elle se présentait sous la forme d'un discours
de résistance à l'opinion dominante du pays. En se prétendant
le représentant d'une pensée minoritaire, au bord de l'extinction,
Adorno a exercé une pression idéologique sur des strates
entières de la pensée contemporaine. D'un point de vue
biographique, c'était tout à fait correct car il appartenait
à une génération qui ne s'était sauvée
de l'Holocauste que par l'émigration. Mais ses positions, légitimes,
sont devenues anachroniques au milieu des années 70.
LE POINT : J'insiste sur votre changement de ton...
P. SLOTERDIJK : Il faut distinguer un pessimisme méthodologique
d'un pessimisme existentiel. Le pessimisme méthodologique s'impose
parce que penser au pire est le fondement même de l'analyse. Mais
le métier de professeur consiste à penser au pire tout
en menant une vie heureuse. J'ai bien essayé, comme personnage
psychologique, d'être aussi désespéré que
les théories que je tenais des maîtres de notre génération.
Il m'a fallu vingt ans pour retrouver la capacité de méditer
le pire tout en adoptant une attitude existentielle tournée vers
le bonheur. Car le devoir de l'homme est d'être heureux. Si on
veut échapper au piège du ressentiment, il faut vouloir
le bonheur.
LE POINT : Quand vous parlez des biotechnologies et même de technique
en général, vous ne faites guère preuve de pessimisme
méthodologique. Au contraire, vous brocardez ceux qu'inquiètent,
par exemple, les expériences d'un Antinori...
P. SLOTERDIJK : L'important est de ne pas anticiper l'avenir à
partir de nos expériences du passé. Dans une société
plus ou moins médiévale, une véritable innovation
technologique produit une révolution. Mais aujourd'hui, alors
que nous avons accumulé une expérience extraordinaire,
l'introduction modérée et contrôlée de quelques
innovations dans la manipulation de la substance génétique
chez l'homme, les plantes ou les animaux ne constitue plus une attaque
folle. Les conquêtes actuelles sont des processus extrêmement
réglementés. Chaque « citoyen épistémologique
» - information ou invention - qui réclame le droit d'immigration
dans notre société n'obtient un statut civil parmi nous
qu'après un examen serré. Mais la culture de la peur dans
laquelle nous vivons repose sur une image de la nouveauté comme
envahisseur.
LE POINT : Votre point de vue ne cache-t-il pas un rêve démesuré
de maîtrise ?
PETER SLOTERDIJK : En réalité, le hasard est le dernier
allié de l'inconscient catholique des Européens vis-à-vis
de leurs choix existentiels. Dans la société, il y a un
parti plutôt protestant, plutôt activiste, qui accepte la
fatalité de pouvoir choisir. Et il y a un parti typologiquement
catholique - au regard non de la profession de foi mais de l'attitude
mentale - pour lequel seul le hasard est habilité à faire
des choix. Dès lors que la procréation est le fruit de
hasards divers, on ne doit pas s'en mêler. Cette attitude catholique
est redoutablement forte, même en Allemagne, où une grande
coalition de la superstition veut que le hasard génétique
décide à notre place.
LE POINT : Mais si la religion du hasard dépérit, pourra-t-on
encore connaître des expériences de la finitude humaine
?
P. SLOTERDIJK : Ce qui vient après la religion du hasard, c'est
la sagesse même, la sagesse dans le savoir-faire. La manipulation
totale sera à jamais une idéologie idiote. Alors, les
premiers à se servir de la nouvelle génétique seront
nécessairement les fous, des gens abominables. Antinori prouve
qu'il existe toujours des rencontres interdélirantes entre des
scientifiques et des non-scientifiques. Il est certain qu'il représente
la possibilité qu'a l'homme de science d'aujourd'hui de se mettre
au service du délire de la clientèle. Mais j'ai rencontré
une dizaine de chercheurs dans ces domaines, et je n'ai jamais vu de
scientifiques aussi modérés, prudents, angoissés
même, par ce qu'ils font.
LE POINT : Cette foi en la sagesse humaine ne contredit-elle pas votre
constat mélancolique sur la crise profonde de l'humanisme lettré
?
P. SLOTERDIJK : Nous sommes au seuil d'un nouveau compromis de la culture
dans lequel l'humanisme traditionnel devra régler ses affaires
avec la troisième culture dont il n'a jamais pris acte. Et la
troisième culture, ce ne sont ni les sciences dures ni les humanités,
mais tous les savoirs des ingénieurs. Lorsque Wilhelm von Humboldt
et quelques autres ont inventé l'Université moderne à
l'époque des guerres napoléoniennes - ce qu'on a appelé
le néohumanisme prussien -, il y a eu entre la France et l'Allemagne
un dialogue de grande envergure sur la manière dont il fallait
éduquer les êtres humains dans cette nouvelle époque.
Et la réponse fut un mélange de néoclassicisme
et de néoréalisme. Faire la paix entre les savants et
la tradition classique, réconcilier l'humanisme de Weimar avec
la culture des machines, ce fut la lutte culturelle du XIXe siècle.
Dans l'avenir, nous aurons une nouvelle formule forte qui intègre
les savoirs techniques et la culture des ingénieurs à
ce courant de base qu'est la littérature, le premier art de l'écriture.
Le progrès ne naît jamais du renoncement. Les Européens
n'ont jamais rien oublié. Ils ont toujours intégré
de nouvelles technologies dans des formes toujours plus complexes.
LE POINT : L'avenir, selon vous, passe par la sortie de l'individualisme
classique. Toute votre oeuvre récente, en particulier «
Sphères », porte sur l'être-ensemble. « Chaque
être est accompagné », écrivez-vous. Il faut
radicaliser l'idée du lien, « louer le transfert et réfuter
la solitude ».
P. SLOTERDIJK : Il nous faut aujourd'hui être révisionnistes
par rapport à l'ensemble de pensées caractérisées
comme « l'époque de la métaphysique ». J'ai
donc participé au procès contre la substance et sa solitude.
Notre culture a commis une erreur fondamentale en parlant du sujet humain
seul : elle est allée trop loin dans la volonté d'analyser.
Il faut s'arrêter au « deux ». L'individualisme métaphysique
des Occidentaux parle de l'être humain dans une terminologie qui
convient plutôt aux étoiles, aux grains de sable, à
des individus physiques qui ne connaissent pas l'extase de l'être-voisin....
Les êtres humains sont selon moi des êtres surréels,
littéralement, parce qu'ils vivent dans la surréalité
de leurs liens toujours réciproques et toujours asymétriques.
LE POINT : Parlons un peu politique. Pour vous, le combat de la droite
contre la gauche a longtemps été celui du lourd contre
le léger : la gauche correspondait au désir d'alléger
l'existence, la droite à la pesanteur. Cette distinction est-elle
encore pertinente, dès lors que rien n'est plus léger
que le capitalisme d'aujourd'hui ?
P. SLOTERDIJK : Oui, la flexibilité a changé de camp.
Le capitalisme qui propose d'alléger la vie occupe la place de
l'ancienne gauche dont la clientèle classique était composée
de ceux dont la vie était trop dure. On devenait un personnage
de gauche en partageant la vie de ceux qui ne mènent pas une
vie facile. Au fond, tout cela est très simple. Il ne s'agit
pas de morale abstraite mais d'une idée concrète de la
justice.
LE POINT : De là à en appeler, comme vous l'avez fait,
à une internationale des patrons...
P. SLOTERDIJK : Mais oui, les patrons partagent le destin des travailleurs.
Ils font un travail concret et difficile... Je ne parle pas de la nouvelle
leaderclass frivole, mais de ceux qui s'engagent pour la production
de biens concrets. Ces patrons-là se retrouveront aux côtés
de l'ancien prolétariat, parce qu'ils ont les uns et les autres
conscience de contribuer à une production. Il existe vraiment
une nouvelle opposition entre production et spéculation.
LE POINT : Est-ce qu'être de gauche au sens d'alléger
la vie ne supposerait pas d'assumer un certain conservatisme, conservatisme
que vous prêtez avec un peu d'ironie aux gens qui possèdent
des bibliothèques et des caves à vin ?
P. SLOTERDIJK : Pour être conservateur, il faut posséder
des biens qui méritent d'être gardés et transmis.
Tous les collectionneurs de vins savent que ce ne sont pas eux qui boiront
les meilleures bouteilles. Et c'est valable pour toutes les cultures
matérielles dont on peut souhaiter la survie pour une autre génération
d'utilisateurs. Voilà une définition assez élégante
et en même temps convaincante d'un bon conservatisme. Si rien
ne mérite d'être préservé, il devient absolument
inutile de lutter pour l'accès des masses aux biens des élites.
LE POINT : Une école où l'on transmet les savoirs mérite-t-elle,
dans cette perspective, d'être conservée ?
P. SLOTERDIJK : L'éducation tout entière est essentiellement
une activité conservatrice. Un enseignant progressiste est un
conservateur qui s'est caché le côté rétro
de son activité. Un véritable éducateur ne songerait
pas à proposer, comme vient de le faire notre nouveau ministre
de la Culture en Allemagne, d'introduire la musique pop dans l'enseignement
des écoles. Cette folie prétendument progressiste cache
un noyau vide ou réactionnaire. Pour résumer, je dirais
qu'il faut être conservateur à l'égard des richesses
acquises. On ne peut pas appartenir à une civilisation quand
on la méprise absolument. La civilisation ce n'est pas seulement
le savoir-faire, c'est le savoir-apprécier-la-richesse. Et être
de gauche, c'est combattre la pauvreté dans tous ses domaines
et toutes ses expressions.
LE POINT : Est-ce cela, la gauche nietzschéenne dont vous vous
réclamez ?
P. SLOTERDIJK : Oui, Nietzsche est précisément le partisan,
le prophète de cette richesse sans mauvaise conscience - à
condition, évidemment, de ne pas adhérer à une
conception idiote de la richesse. Sans amour de la richesse, on reste
toujours dans la politique du ressentiment. Et celle-là, c'est
le grand échangeur qui mène trop facilement sur les autoroutes
fascisantes.
LE POINT : Le risque est-il ce « fascisme d'amusement »
que vous avez évoqué ?
P. SLOTERDIJK : Je réserve ce terme « fascisme d'amusement
» à des phénomènes appartenant strictement
au registre médiatique. Je pensais à la chasse aux sorcières
et, plus largement, à la transplantation de la feria dans le
système parlementaire, là où l'on pouvait espérer
un débat. C'est ce que j'appelle la société de
l'arène. Le cirque romain l'a emporté sur le stade qui
hébergeait l'athlétisme à la grecque. Et l'arène
romaine, c'est le lieu de naissance du fascisme d'amusement.
LE POINT : Pour vous, le véritable danger fasciste de l'avenir
réside aux Etats-Unis.
P. SLOTERDIJK : Il est effrayant de voir avec quelle facilité
la sentimentalité, le ressentiment et le bellicisme peuvent envahir
la Maison-Blanche. L'invraisemblance de la forme de vie démocratique
est beaucoup plus palpable quand on vit aux Etats-Unis, parce que l'hétérogénéité
de la société y est telle que, sans un délire partageable,
la société se dissoudrait d'un instant à l'autre.
Et il faut renouer le prétendu contrat social à chaque
instant. C'est parce qu'ils ont appris à publier toute leur personnalité
qu'il est si plaisant de parler avec des Américains, alors que
nous, à l'image des aristocrates d'autrefois, nous celons nos
secrets de famille. L'arrière-pensée est une spécificité
européenne. Ici, on fait la conversation, mais on garde toujours
le plus intéressant pour soi.
LE POINT : Mais croyez-vous au choc des civilisations ?
P. SLOTERDIJK : Le choc des civilisations est derrière nous
: vous savez, Huntington est un recycleur d'idées. Son génie
est d'avoir réussi à revendre notre bonne vieille guerre
contre les Turcs aux Américains, qui n'ont pas de frontière
commune avec les Turcs. Si on veut vraiment savoir où on en est
du choc des civilisations, il faut lire la correspondance dans laquelle
Voltaire encourage la tsarine Catherine à attaquer l'Empire musulman
au nom de la civilisation et lui donne la bénédiction
des Lumières pour mener cette guerre civilisatrice. C'est ça
le choc des civilisations. Et les Américains ont avalé
la pilule...
LE POINT : La vie, écrivez-vous, ne se justifie que par la générosité.
Mais comment distinguer cette générosité nietzschéenne
de l'humanitarisme plat des bons sentiments ?
P. SLOTERDIJK : C'est une distinction difficile. Certains bons chrétiens
estiment être les meilleurs des nietzschéens. Selon eux,
Nietzsche aurait sous-estimé le côté généreux
du christianisme, insistant sur le ressentiment de celui-ci sans comprendre
que la figure du saint, comme celle du sage antique, est porteuse de
l'idée de dépense inconditionnelle. Nietzsche aurait-il
à son tour manqué de générosité en
ignorant cet aspect sublime du christianisme ? Cela dit, aujourd'hui,
les impôts ont remplacé la sainteté. Chaque millionnaire,
à l'image de saint Martin, donne la moitié de son manteau
sans être canonisé.
LE POINT : Les responsables américains ne trouvent pas de mots
assez durs pour parler de la France et de l'Allemagne, lesquelles seraient
simultanément « ringardes » - la « vieille
Europe » - et capitulardes. Le rapprochement de nos deux pays
contre la guerre en Irak constitue-t-il la base d'une Europe susceptible
de s'opposer à l'Amérique ou traduit-il une volonté
de sortir de l'Histoire?
P. SLOTERDIJK : Il faut être reconnaissant au ministre de la
Guerre des Etats-Unis, Rumsfeld, pour sa grossièreté productive
: l'idée que la France est un problème et que l'Allemagne
est un problème constitue la pure vérité. Malheureusement,
les propos du ministre ne contiennent aucun élément laissant
penser qu'il cherche à comprendre la nature du problème.
Il additionne tout de même les deux Etats qui refusent et les
oppose au groupe, plus important, de ceux qui disent oui - avec ce résultat
que l'Europe semble scindée entre un camp compatible avec Bush
et un camp incompatible. C'est visible, même si c'est faux. Admettons-le
: une faille parcourt effectivement le monde occidental, mais sa ligne
de rupture n'apparaît pas du fait des vulgarités de Rumsfeld.
La vieille Europe, dignement représentée par la France
et l'Allemagne, est la fraction avancée de l'Occident, celle
qui, sous le coup des leçons données par le XXe siècle,
s'est convertie à un style culturel post-héroïque
- et à son pendant politique. Les Etats-Unis restent au contraire
totalement attachés aux conventions affectives et politiques
de l'héroïsme. Des héros du type de Rumsfeld et de
Bush sont emplis par la croyance que c'est au bout du compte la force
qui rend libre, et que la culture et les lois ne valent que par beau
temps. La querelle concerne le sens de la « réalité
» : Rumsfeld estime que les Etats-Unis sont les adultes sur la
scène mondiale et qu'ils pratiquent la realpolitik ; les pays
problématiques en Europe pensent plutôt qu'à Washington
c'est l'infantilisme réel qui est au pouvoir.
Peter Sloterdijk
« Si l'Europe s'éveille. Réflexions sur le programme
d'une puissance mondiale à la fin de l'ère de son absence
politique » (Mille et Une Nuits, 96 pages, 10 e). Ecrit en 1994,
ce texte apparaît aujourd'hui singulièrement prémonitoire.
« Ni le soleil ni la mort, jeu de piste sous forme de dialogue
avec Hans-Jürgen Heinrichs » (Pauvert, 340 pages, 25 e).
Une promenade, souvent polémique, à travers les grands
thèmes de l'oeuvre de Sloterdijk, autrement dit dans le monde
de demain. Son oeuvre est vaste et d'un accès plus ou moins facile.
On lira avec plaisir les textes de ses conférences, publiés
par Mille et Une Nuits : les « Règles pour le parc humain
» (2000), « La domestication de l'être » (2000),
« La compétition des bonnes nouvelles » (2002).
Il serait dommage, cependant, de se priver de ses livres précédents
: « Sphères » (Pauvert 2002), « Dans le même
bateau » (Rivages, 1996) ; « Essai d'intoxication volontaire
» (Calmann-Lévy, 1999) et « Critique de la raison
cynique » (Bourgois, 1987).
Journal Le Point Le point 14/02/03 - N°1587 –
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