1° partie: mes notes, concernant seulement une partie de cet exposé,
et avec sans doute une "traduction" personnelle par endroits.
Constat: un développement du thème de la lutte de...
tous contre tous Entre individus, entre peuples... En lieu et place
de la lutte de classes. Ou plus généralement de tout regroupement
SUR DES IDÉES et/ou des intérêts. Luttes de catégories,
formées par des gens qui... ne se sont pas choisis Mais se "retrouvent"
selon leurs origines ethniques ou leur nationalité, par exemple.
Et l'individualisation grandissante (Télévision, spécialisations,
etc...) a fait éclater nos modèles associatifs.
Lors d'une crise de civilisation, il peut y avoir deux solutions. La
première consiste à rechercher des modèles dans
le passé. Par exemple, qu'est ce qui relie les différentes
formes de révisionnisme ? Entre la récente réhabilitation
de Louis XVI, celle de Pétain, et les négativistes de
tout poil, il y a un "plus petit dénominateur commun":
lhomogénéisation du sang, c'est à dire un
regroupement ETHNIQUE, et non pas un regroupement sur des idées,
des volontés...
La crise économique des années 70 est la suite logique
d'une volonté hégémonique «mondiale»
de régulation dans un système économique et politique
unique. Cette mondialisation entrave nettement les "progrès
sociaux", du fait de la compétition avec les autres pays.
La période qui s'ouvre semble devoir être très longue.
Avec le retour d'un prolétariat, c'est à dire le travail
précaire, le statut incertain, la peur du lendemain, l'asservissement
des volontés...
Le modèle typique de pays ayant concilié le type de démocratie
"moderne" avec le système économique qui s'est
imposé, ce pays typique n'est autre que la France. Le "contrat
social" à la française consiste en l'oubli d'une
appartenance de classe pour l'idée de seule citoyenneté.
C'est une démocratie de type... CAPACITAIRE: "la démocratie
suppose des capacités", disent-ils.
Ce qui a longtemps exclu les ouvriers -et les femmes- du droit de vote.
Encore maintenant ce n'est pas bien loin: la grosse rigolade sur les
bancs du Parlement Européen quand une députée "Verte"
a entrepris de donner le sein à son nourrisson... Aujourd'hui,
ce même état d'esprit s'applique à l'immigration
"trop en lien avec le pays d'origine pour accéder à
la citoyenneté par le droit de vote." Le citoyen français
est un homme, Français de souche, et de plus en plus citoyen
à mesure qu'il avance en âge... UNICITAIRE: Les groupes
sociaux, les organisations, n'ont pas accès à ce modèle
de citoyenneté. Seul, on se cache, (isoloir) pour voter. C'est
encore le refus de toutes les minorités nationales du territoire
(Bretons, Basques, Corses, etc...). Le maître mot est l'homogénéité,
et le seul salut est se dissoudre, SINTÉGRER. C'est un
système fondé sur une distinction entre l'homme (intégré
dans une famille, une classe sociale, etc.) et le citoyen (sphère
"publique"). Par exemple, la blouse grise de l'école
laïque, bien qu'elle n'ait jamais empêché la reproduction
des différences, des inégalités. Or, ce modèle
a été adopté par les organisations contestatrices
du système elles-mêmes ! Et aussi par des mouvements de
libération nationale... De plus, chacun sait que la photocopie
est toujours moins bonne que le modèle ! Ces mouvements créent
une coupure entre quelques militants convaincus et une "masse"
inerte et peu politisée. Ils donnent la priorité à
la stratégie de prise du pouvoir, en laissant de côté
«changer la vie, ici et maintenant".
Alors, quelle philosophie pour "être ensemble" ? Un
extrême serait un regroupement de forme communautaire, sans que
l'individu ait de libre arbitre... L'autre extrême serait un ensemble
disparate d'individus coupés de leurs communautés d'appartenance,
chacun étant le centre du monde...
Il s'agit de deux modèles aujourd'hui épuisés :
s'il est vrai que tout collectif peut être oppresseur, il est
également vrai que tout être humain a besoin d'un collectif
qui le structure, qui donne un sens à sa vie. (Songer par exemple
à l'étymologie de "religion", qui n'a d'autre
origine que "relier".)
FIN DES NOTES, DÉBUT DE LA RETRANSCRIPTION IN EXTENSO DE LA
CASSETTE
Et enfin, le collectif, ça donne de l'identité; et jusqu'à
présent je ne connais personne qui puisse vivre sans identité.
On peut même considérer que l'augmentation des suicides
aujourd'hui, que l'augmentation des comportements suicidaires, est aussi
le résultat d'un certain nombre de mécanismes donneurs
d'identité qui n'arrivent plus à se faire:
Quand vous avez un adolescent de quatorze ans qui n'a pas envie de grandir,
qui ne sait pas à quoi ça sert de grandir, c'est qu'il
y a des mécanismes d'identité qui sont touchés.
Le repère des âges est devenu flou. La focalisation sur
un âge de la vie - l'idéalisation de la jeunesse - cette
idée que vieillir est NÉGATIF, cette idée qui pousse
tout le monde à dépenser tout son argent à des
liftings, qui pousse les gens à dramatiser leur âge, c'est
quelque chose de dramatique dans une société !
Parce que, qu'est ce que ça veut dire pour un enfant de s'apercevoir
que tout le monde veut lui ressembler ? Qu'est ce que ça veut
dire pour un jeune qui essaie de se constituer, de comprendre ce que
sera son avenir, que de voir des gens de 60 ans qui essaient de lui
ressembler ? Effectivement, les repères d'âge ont une fonction
"socialisatrice".... Ils créent une tension, donnent
envie de grandir, d'avancer dans la vie. Tout ça entre en crise,
pour des raisons économiques, c'est la marchandisation de l'âge,
mais effectivement ça perturbe complètement les repères
d'âge.
Et très vite, car on y reviendra dans le débat- on est
également dans la crise des repères de sexe. On a remis
en cause l'image phallocratique et machiste de l'homme, on a donc remis
en cause des repères «séculaires» d'identification
des sexes, et je ne sais pas si on a réfléchi à
une reformulation des repères de sexes.
Ce n'est pas aussi simple ! Il ne s'agit pas de revenir à l'ancien
modèle, rassurez vous... Mais toute destruction des repères
nécessite la reconstruction d'autres repères. Et, là
dessus, le débat n'a pas été assez loin.
Donc on est bien dans une crise des repères d'âge, de
sexe, repères politiques, repères économiques...
Ce sont tous les éléments qui volent en éclats
en cette fin de siècle.
Et là aussi, la manière d'en sortir... ou bien on prend
les anciens repères les femmes retournent à la maison,
il en est pour le dire- on retourne à une forme de regroupement
uniquement communautaire -"on" le dit aussi- mais c'est là
qu'on voit que tous ces éléments qui apparaissent totalement
différents, séparés, sont relier.
C'est bien le même modèle qui est en crise et qui débouche
sur tous ces retours là.
Enfin, dernier élément de cette crise qui est une crise
du système, du modèle politique. Mais c'est aussi une
crise d'une forme de penser, d'une manière de raisonner, d'une
forme de rationalité.
Je donnerai quelques exemples: la rationalité économique
qui s'est mise en place avec l'âge des lumières - qu'on
nous a tant idéalisé, qu'on nous a tant mis en avant,
je ne dis pas qu'il n'y ait eu que des bêtises, mais il faut regarder
à 2 fois avant de dire que l'âge des lumières est
seulement une marche vers le progrès.
C'est une philosophie qui consiste à nous considérer comme
complètement rationnels. Tous les âges de notre vie doivent
être, pour être justes, disons démocratiques, sur
la base d'une rationalité, mais pas n'importe laquelle !
Le modèle de rationalité qu'on nous a mis dans nos têtes,
je dis bien qu'on nous a mis, car nous sommes tous là-dedans,
d'où l'ampleur de la rupture nécessaire- est de considérer
que l'évolution est linéaire : « une cause, un effet».
On nous a appris ça, on nous a modelés comme ça.
ça nous conduit à simplifier toutes les réalités.
Dès qu'il y a un problème, on va le simplifier. On va
éviter d'essayer de la comprendre dans toutes ses dimensions,
dans toutes ses contradictions, et on va le simplifier en ayant l'impression
que du coup ça va bien. Alors ça donne des formes de raisonnement,
comme par exemple sur l'immigration:
C'est un exemple, (on pourrait le prendre aussi sur les rapports hommes-femmes).
Le modèle linéaire conduit à opposer dans les réalités,
le blanc et le noir, le vrai et le faux, le bien et le mal, comme si
la réalité était aussi simple. Alors je prends
l'exemple de la question de la vie des immigrés dans la société
française. Pour les Français qui raisonnent sur le modèle
linéaire (l'immense majorité) les choses avancent dans
le sens du progrès, lorsqu'il y a développement des ressemblances.
Plus les ressemblances augmentent, plus les différences s'estompent,
et mieux c'est. Comme si c'étaient des vases communiquants...
Alors, suivant que vous êtes à l'extrême droite,
vous direz "Il faut qu'ils s'assimilent, qu'ils s'intègrent
en nous ressemblant absolument.
Si vous êtes au PS, vous direz plutôt: "Il faut leur
laisser le temps de s'adapter, et puis ils finiront par nous ressembler.
« En fin de compte, c'est la même chose, c'est l'idéalisation
de la ressemblance en disant : «plus on se ressemble, moins il
y a de différences, et mieux c'est. Il y a des vases communiquants".
C'est le modèle français. Si on veut rompre avec cette
rationalité linéaire, et qu'on regarde de plus près
la réalité, on constate... exactement l'inverse: plus
il y a des différences acceptées, plus les ressemblances
se font.
C'est à dire que ce ne sont pas des vases communiquants: à
chaque fois que les ressemblances se font, les différences s'accentuent
également et inversement. Les différences et les ressemblances
les mieux assumées, celles qui donnent le plus de convivialité,
le plus de vécu quotidien chaleureux, ce sont celles où
l'accès à une ressemblance ne signifie pas une diminution
des différences.
C'est une manière de penser qu'on a des difficultés à
intégrer, parce que justement on nous a éduqués
il ne faut pas sous-estimer le poids de l'Ecole dans une société-
et toute l'ampleur de ce qu'il y aura à faire aujourd'hui, ce
n'est pas tellement de faire la Révolution, c'est d'enlever ça
de nos têtes.
C'est une tâche très importante.
Le résultat, ça été quoi ? Ca a été
d'habituer d'abord les Français -eux d'abord, car je suppose
que c'est bien généralisé, tous les pays industrialisés
et une bonne partie du Tiers-Monde- au fait que l'altérité
est négative. L'Autre, s'il ne nous ressemble pas, c'est négatif.
Et nous avons peur de l'Autre. Ce n'est pas seulement Jean Marie Le
Pen. On nous a habitués...
Bien sûr, en fonction de qui l'on est, on aura plus ou moins peur
et on aura mis d'autres choses dans nos têtes, mais le mode d'éducation
qu'on reçoit nous habitue à refuser l'altérité.
L'altérité, c'est forcément négatif. Et
je pense qu'il y a une base objective aux succès de Jean Marie
Le Pen, qui est dans ce soubassement en terme de rationalité.
Second aspect de cette rationalité, c'est qu'elle nie la rupture.
Si les choses avancent, ce doit être à petits pas, lentement.
Ce n'est pas un hasard si on arrive dans une société où
l'idéologie est consensuelle, où il n'y a pas de ruptures
nécessaires pour faire avancer les choses. Où la pensée
radicale est automatiquement exclue. Qu'est ce qu'une pensée
radicale ? Aller à la racine e choses. Ce qui est constater qu'à
certains moments, le passage est qualitatif et pas quantitatif uniquement.
Il faut qu'à certains moments des modèles se cassent pour
que d'autres apparaissent. A un moment donné, des ruptures nettes
doivent être faites pour que des nouvelles plantes puissent pousser...
Parfois il faut couper votre plante, vous faites une bouture, pour que
la plante puisse repousser. Dans les sociétés, c'est exactement
la même chose, pour moi. Dans les sociétés, si on
regarde la complexité, il y a des ruptures nécessaires,
or la pensée rationnelle linéaire empêche de penser
la rupture. Elle ne nous permet que de penser la progression.
Ce n'est pas un hasard si le Parti Socialiste a pu avoir autant de
succès ces dix dernières années, et autant d'échecs
maintenant. Ce sont exactement les mêmes phénomènes.
Ceux qui sont capables de rassurer sur la rupture en disant "Il
n'y aura pas de rupture, ne vous inquiétez pas" - les Français
sont frileux là dessus- mais en même temps "on va
vous promettre de petites améliorations", eh bien ça
marche. On a socialisé les populations dans cette idée
d'une évolution petit à petit.
Autre élément de cette rationalité, elle met en
avant un élément de la temporalité. Tout être
humain - c'est de la psychologie, et je ne vais pas m'étendre
là dessus- est construit avec trois temporalités, c'est
un besoin humain que de pouvoir articuler le passé, le présent,
et le futur. Toutes les sociétés qui n'ont pu penser leur
futur sont entrées en crise. Des sociétés qui ont
vu se développer des phénomènes de décomposition,
de toxicomanie, de suicides, etc... Toutes les sociétés
où il y a eu des perturbations sur les cultures du passé,
qui ont occulté certains éléments de leur passé
ont eu également un certain nombre de problèmes. Or à
quoi conduit le mode de pensée rationnelle ?
Il conduit à nous centrer uniquement sur le présent. Il
occulte complètement sur le passé, "c'est ringard"
et surtout, il nous empêche de penser le futur. Il nous demande
de penser au plaisir immédiat, ici et maintenant. Sans jamais
nous relier à l'ici et au maintenant avec les autres. Et à
ce qui relie l'ici et maintenant à demain. Et je pense que ceci
est un élément essentiel: on centre les gens sur les problèmes
du quotidien. Et encore, pas n'importe lesquels, le quotidien récupérable
d'une manière marchande, bien sûr...
Le résultat de tout ça, c'est que ce n'est pas un hasard
si cette forme de rationalité amène à penser uniquement
en termes de GESTION. Je prendrais juste un exemple pour montrer que
ce n'est pas seulement la gestion économique, c'est beaucoup
plus grave que ça. Je ne sais pas si vous avez fait attention
à l'évolution des publicités contre le tabac -
moi je fume beaucoup. On vous demande d'arrêter de fumer, maintenant,
mais ça vaut aussi contre le SIDA, etc... parce que vous avez
un CAPITAL SANTÉ à préserver, messieurs-dames !
Et qu'il faut gérer son capital-santé... Et que vous devez
l'épargner, messieurs-dames, etc, etc... On a bien là
un mode de rationalité qui s'est complètement infiltré
dans tous les pores de notre vie quotidienne, et qu'on comprend du coup
- pour répondre à la première question du sens
de la vie... - qu'on peut croire qu'il n'y a pas de sens.
Mais attention : c'est un modèle, et c'est là dessus
qu'il faut compter. tout ce que je viens de vous décrire, est
basé sur un système économique particulier, et
que la rupture comprendra une rupture profonde en matière économique,
bien entendu.
En guise de conclusion, pour que l'on puisse débattre, je voudrais
terminer sur un point: c'est à la mode de critiquer la dimension
politique. Je ne dis pas, comme disent certains, qu'il faut arrêter
de critiquer les hommes politiques, comme disent certains pour se sauver...
Non, je parle du politique, parce que c'est à la mode aujourd'hui
de dire: "le politique c'est secondaire.
L'important est d'avoir des compétences, et pas un rapport de
forces. Et puis, un rapport de forces, c'est un rapport de compétences.
Combien de militants se sont reconvertis ? Combien de gens qui partaient
à l'assaut du vieux monde sont maintenant des managers, etc...
Combien de gens aujourd'hui aussi considèrent que l'important
est de bien gérer une dimension de sa vie, c'est d'arriver à
prendre son plaisir indépendamment de sa réalité
sociale, donc on coupe des réalités, c'est de la gestion.
C'est de la gestion ! Le technique passe avant le politique. Eh bien
je pense que ce n'est pas un hasard, je pense qu'il n'y a qu'une dimension
dangereuse pour le système tel que je viens de le décrire,
c'est que les citoyens se regroupent, que les citoyens tentent d'imaginer
une nouvelle manière de rationaliser, une nouvelle manière
de se vivre, de se concevoir, une nouvelle manière de penser
l'économie, et une nouvelle manière de penser les modèles.
Je n'insiste pas sur les propositions, on y reviendra dans le débat.
Je pense qu'il y a déjà toute une série d'expériences
qui pourrait permettre de dessiner ce que pourrait être une nouvelle
forme de démocratie, ce que pourrait être un Nouveau système
économique, ce que pourrait être une nouvelle manière
de se concevoir philosophiquement, une nouvelle manière de penser.
Voilà. (Applaudissements. Nourris. On casse les fauteuils.)
Compte rendu Philippe Coutant Nantes le (?) en 1993