Pour aborder la question, il me semble nécessaire de refaire
un point sur ce qu'a été le fascisme et le racisme de
la fin de la guerre au milieu des années 80.
Le fascisme se caractérise (Une nation (un peuple), un état,
un chef) du moins avant la guerre :
Il correspond à une crise structurelle de l'économie et
de l''Etat : renforcement de l'intervention de l'Etat dans l'économie
pour contrebalancer une économie libérale en redistribuant
les richesses (New deal aux USA), Keynes, ...
Le national-fascisme se veut une troisième voie entre le libéralisme
économique et le communisme.
Ses caractéristiques :
· le nationalisme, défense de la nation comme identité
du peuple,
· la révolution nationale : instauration d'une troisième
voie entre le capitalisme et le socialisme, (national socialisme),
· Un Etat très structuré et très interventionniste,
· Une forme très hiérarchisée du pouvoir
et de la représentation avec au sommet le chef, le guide, (contre
le parlementarisme),
· La mystification du passé et l'opposition aux formes
de progrès émancipatrices (famille, soumission de la femme,
contre l'IVG, ...)
· Le racisme et l'antisémitisme comme réponses
identitaires et justificatrices de la politique mise en oeuvre.
Jusqu'aux années 80, le fascisme se caractérise par une
activité de soutien à tout ce qui peut aller à
l'encontre de l'émancipation, d'une alternative sociale au capitalisme,
cela se traduit par :
· Le racisme et l'antisémitisme sont toujours très
présent, même s'ils prennent des formes détournées
compte tenu de la répression.
· Il est défendu par ce qui reste de nazis et fascistes
qui n'ont pas accepté la défaite et qui défendent
toujours les mêmes concepts.
· Son anticommunisme très virulent se traduit par un soutien
à des régimes dictatoriaux ou en guerre avec le "bloc
de l'est" contre les mouvements de libération nationale,
contre les tentatives d'émancipation en Amérique Latine
ou ailleurs, en Europe, c'est le régime des colonels en Grèce,
Franco en Espagne, ...
· Ils servent de base d'appui importante aux différentes
répressions contre les grèves (SAC en France), les mouvements
sociaux, ...
· Le développement du négationisme et du révisionnisme
prend une place particulière : comment justifier, neutraliser
les horreurs de la guerre, de la Shoah.
Il faut noter que dans les pays de l'Est, on retrouve des caractéristiques
identiques à celles du fascisme : culte du Chef, ordre moral,
culte du travail, nationalisme libertés réduites, démocratie
très relative, camps de travail pour les prisonniers où
la mort est souvent l'unique sortie , ... ce qui fera dire principalement
au courant libertaire que le régime stalinien n'a pas grand chose
à envier au régime nazi.
Cependant, en Europe occidentale, le fascisme n'a jamais été
une menace réelle pour les Etats, les régimes politiques
ou la démocratie. Certes il y a eu l'OAS, le CIDUNATI, l'expérience
de Tixier-Vignancourt qui se traduit par un échec, expliqué
en partie par le bipolarisme des partis.
A la fin des années 70, apparaît, avec la fin des trente
années glorieuses, une nouvelle crise structurelle de l'Etat
et du capitalisme : diminution du rôle de l'Etat au profit d'une
économie de plus en plus libérale.
Et puis la percée du FN dans les années 80, nous y reviendrons
plus loin.
Le racisme.
Le racisme est surtout biologique, il se base sur une hiérarchisation
des races à travers des différenciations physiques et
des échelles de capacités intellectuelles,
Les théories nazis et fascistes visent à dominer, voire
à éliminer les races dites inférieures.
Les horreurs de la dernière guerre ont entraîné
une condamnation unanime de l'antisémitisme et du racisme, faisant
en sorte que toute personne s'en réclamant publiquement, était
immédiatement condamnée sinon pénalement du moins
moralement.
L'antiracisme est en même temps très lié à
la culpabilité des occidentaux face à la Shoah (ce qui
a permis un développement du sionisme).
Cette nouvelle donne a soulevé des contradictions et obliger
les gouvernements à se positionner (Afrique du Sud, noirs aux
USA).
La faiblesse des mouvements fascistes et la force de la pensée
et des mouvements antiracistes est visible. Et en même temps cela
s'accompagne d'une généralisation des régimes démocratiques
(élections, parlementarisme) au détriment des régimes
dictatoriaux qui malgré quelques exceptions finissent par disparaître.
A partir des années 80 cela bascule pourquoi ?
La réponse sans doute la plus pertinente est la perte de sens
:
quelle vie avons-nous, où allons-nous, que faisons-nous là
?
Avant le sens est donné (même de façon inconsciente)
par le progrès dans l'histoire
Jusqu'aux années 80, le monde est divisé en deux blocs.
Dans chacun, le sens est donné souvent par opposition à
l'autre, par volonté d'éliminer l'autre.
Dans les pays de l'Est, la population vit sur le sens donné par
la révolution Russe et par l'idéal socialiste. Complètement
coupé, isolé du monde occidental dont l'image donnée
est plus que catastrophique; la contestation et tout début d'exposé
d'une alternative y sont sévèrement réprimés;
il y a une adhésion massive au régime qui est une garantie
tant pour la santé, le logement, la vieillesse, ... (la soumission
volontaire)
La perspective du socialisme dans les pays occidentaux ou la représentation
que l'on se fait des luttes de libération nationale (elles mènent
vers le socialisme) donne un sens aux luttes et à la vie des
personnes qui y participent.
Ce sens est donné dans les deux blocs par la représentation
intellectuelle et/ou imaginaire de l'avenir radieux que nous promettent
les perspectives de développement technique, le progrès,
la conquête de l'espace (des spoutniks aux premiers pas sur la
lune).
Les conditions socio-économiques qui ne sont pas forcément
meilleures qu'actuellement sont sublimées dans la perspective
de l'avenir radieux.
Ce sens prend sérieusement du plomb dans l'aile avec un certain
nombre de problèmes qui apparaissent dans les années 70
:
· Le rapport à la nature : la crise pétrolière
et écologique qui est posée de manière cruciale,
trou de l'ozone , pluies acides, déchets du nucléaire
tant civil que militaire. Donc la nature a des limites, alors que l'homme
comptait bien la dompter définitivement.
· Le rapport au corps : le développement du cancer (première
cause de mortalité) et le SIDA remette en cause la foi illimitée
dans la science. L'homme redevient mortel, même s'il peut marcher
sur la lune.
Il s'agit d'une transformation en marchandise de tout ce qui touche
à la nature (voir l'eau et l'air) et tout ce qui touche au corps
(santé, sport, beauté, sexe, ...)
·
La crise du travail, comme centre autour duquel la vie s'organise. Se
réaliser dans le travail devient un leurre. D'un travail pour
construire un monde nouveau on passe à trouver un emploi pour
garder l'illusion d'être utile et avoir accès à
un revenu.
· La mondialisation : le développement des moyens de communication
qui détruisent tant les notions d'espace que de temps. C'est
surtout cela qui marque la mondialisation, la bulle financière
n'en étant qu'une conséquence.
L'ensemble de ces phénomènes (non exhaustifs) met profondément
en crise le progrès, autour duquel le sens était donné.
En même temps, avec la chute du mur, le capital se présente
comme la solution unique, le modèle mondial de développement;
la vie a un cadre de développement : le marché unique.
La chute du mur n'est qu'une date repère. L'extension du capital,
le marché unique sont développés en tendance depuis
la dernière guerre sous la houlette du FMI principalement. Il
a fallu plus d'une dizaine d'années pour que le GATT se fasse
et devienne l'OMC.
Vainqueur ou non, le capitalisme ne répond pas plus maintenant
qu'avant à la question du sens.
La quête du sens, la question identitaire.
En psychologie, il ne suffit pas simplement de supprimer une cause,
un processus, le plus néfaste soit-il, pour que cela aille mieux,
il faut en même temps pouvoir proposer une mesure de remplacement.
Les êtres humains ont besoin de croyances, d'idées qui
balisent leur vie. Ces croyances, ces idées sont le produit de
la société, elles s'expriment au travers de sa culture,
(école, éducation, ...). Elles balisent d'autant mieux
la vie lorsqu'elles deviennent sens commun, mais elles sont d'autant
plus dures à combattre.
Hors la perte du sens s'est fait sans propositions alternatives. On
ne peut considérer que la victoire du capitalisme sur la planète
pouvait être une alternative. D'une part, c'était largement
lui qui était à la base des problèmes écolos,
SIDA, massacres, ... et d'autre part, il présente sa victoire
comme la fin de l'histoire donc sans perspectives. En transformant l'être
humain et les rapports sociaux en marchandises, il rend toujours plus
aigu la crise du sens.
Dans ces conditions, la question identitaire a pris une place importante.
Comment se pose-t-elle ? Pourquoi ?
Celle-ci se pose avec acuité lorsque la communauté estime
que sa propre pérennité est mise en cause, qu'il y a danger
pour sa survie. Ce danger est ressenti lorsqu'elle se sent attaquer.
Ce sentiment est souvent du domaine de l'irrationnel, de l'abstrait,
du sens commun forgé par l'adjonction de petites choses (actes,
phrases, ...) qui pris individuellement semblent anodins. Mais il est
aussi le fait de ruptures ou de transformations importantes (fin du
bloc de l'Est, crise économiques, ...).
La difficulté est de trouver, de qualifier l'ennemi qui soit
suffisamment concret pour que les gens s'y attaquent.
En l'occurrence, l'ennemi le plus évident devrait être
le capitalisme. Cependant l'abandon par la gauche de ses valeurs fondatrices,
son acceptation du libéralisme, l'importance donnée à
la gestion comme système, d'une part , la difficulté,
voire l'impossibilité à transformer en ennemi un système
dans lequel tout est extrêmement lié d'autre part, laissaient
la voie libre à la construction de toutes pièces d'ennemis.
Le coup du FN a été d'offrir un ennemi identifiable facilement
: l'immigré.
Pour les Serbes, l'ennemi était les croates et les Musulmans,
pour les hutus, c'était les Tutsis et inversement.
Cet ennemi ne s'est pas construit sur la base du racisme biologique,
ni sur une orientation réellement fasciste, au sens des années
30.
Le FN s'est appuyé sur les théories de la Nouvelle Droite
du différentialisme. (Voir E.Colombo).
Quelle a été la réponse des antiracistes et des
antifascistes ?
Elle s'est appuyée sur l'analyse et les conséquences du
nazisme et du fascisme de la dernière guerre. Le racisme : c'est
proscrit; le fascisme : c'est la bête immonde. Donc "Plus
jamais ça". Cela reste toujours vrai, mais elles ne permettaient
pas de répondre aux nouvelles conditions de la montée
du racisme et du fascisme, à la xénophobie.
Pour le sens commun, le différentialisme est égal à
la xénophobie. Et c'est bien sur la xénophobie que s'est
appuyé le FN. Cette xénophobie qui permet d'identifier
l'ennemi de manière concrète, celui qui met en péril
la communauté en raison de ses différences de religion
(musulman, bouddhiste), de culture (maghrébine, asiatique), de
consommation, de rapport aux biens matériels, ...
Or on peut constater que les crises identitaires qui se développent
depuis une dizaine d'années se développent autour d'un
même schéma :
· Dans une période de crise (où les facteurs socio-économiques
sont importants), où la crise du sens est forte, il y a d'une
part mystification d'un passé qui était glorieux.
· Le présent montre une crise d'existence de la communauté.
· La cause est trouvée dans l'autre qui n'est pas membre
de cette communauté. La nature est invoquée pour justifier
la différence et les statuts inférieurs qui seront mis
en place.
· Pour retrouver la splendeur, il faut bouter l'ennemi hors de
la communauté, quitte à aller jusqu'à l'épuration
ethnique.
Cette logique redonne place à l'imaginaire individuel et collectif;
elle permet d'unifier les différentes couches sociales.
C'est ce qui s'est passé en Yougoslavie et dans d'autres pays
de l'Est, mais aussi au Rwanda.
Cette logique renforce la haine, une haine tenace qui ne semble pas
pouvoir prendre fin. Mais une haine qui donne sens.
(Voir la Israël, la Palestine, Rwanda, Belgique, Italie, ...)
Cette logique est efficace si elle est fait sens commun dans la population,
or elle est devenue sens commun.
Or on constate que cette xénophobie n'est pas le propre des
militants ou des adhérents du FN, il est le propre de la grande
majorité de la population. Antiracisme et xénophobie ne
sont pas contradictoires.
Les partis tant de droite que de gauche s'alignent sur le FN pour lui
prendre son électorat, mais aussi et surtout parce que la xénophobie
donne sens.
C'est ce que l'on voit régulièrement dans la vie politique.
Les hommes des partis de droite comme de gauche, se disent profondément
antiracistes. De fait, ils ne croient ni ne défendent la hiérarchie
des races. Bien sur, il y a des degrés dans la façon d'expulser,
mais tous s'accordent pour dire qu'ils doivent partir, que leur communauté
est là-bas, ou bien alors, ils doivent s'intégrer, synonyme
pour de s'assimiler complètement. Cette assimilation étant
possible que si la proportion est respectée, et donc instauration
des "quotas".
Mais la population est tout aussi xénophobe, par exemple, dans
ceux et celles qui signaient les pétitions de soutien aux sans-papiers,
il était clair que leur signature n'était pas contradictoire
avec un accord sur la fermeture des frontières.
Et ce sont de plus en plus ceux et celles qui sont directement concernées
qui restent sur des positions de libre circulation, de interculturalité.
Le FN a été longtemps le seul à donner une réponse
concrète tout en libérant l'imaginaire et en s'appuyant
sur les représentations que les gens ont dans la tête,
représentations qui sont aussi la conséquence des paroles
des hommes politiques. (odeurs, misère du monde, ...) Même
le mouvement des pétitionnaires, à son début, celui-ci
était surtout marqué par un refus de remise en cause de
la liberté individuelle (contre l'obligation pour les français
de déclarer le départ).
La montée de la xénophobie entraînera certainement
un renouveau du racisme biologique.
On en voit déjà les prémisses dans les petites
phrases des Megret-Lepen, les refus d'embauche pour origine ou couleur
non estampillée blanche européenne.
Ceci sera d'autant plus fort qu'on laissera se perpétuer les
inégalités, les statuts inférieurs, les préférences
nationales, cantonales, ... et que des mesures comme le droit de vote
seront toujours refusées.
La xénophobie ne touche pas que les français, elle touche
chaque communauté. De fait on assiste à un repli-fermeture
de chaque communauté qui par opposition doit renforcer son identité,
ses liens, sa défense, par rapport à toutes les autres
communautés. C'est aussi la représentation que nous en
donne les télés et qui alimente le phénomène.
(Problème de quartiers, des banlieues, ...) Mais c'est aussi
présent dans les régions de la France (Bretagne, pays
Basque, Alsace) où l'on perçoit dans les discours, les
initiatives, une volonté identitaire séparatiste (pas
de nucléaire en Bretagne ! Comme pour le "Fabriquons Français",
il était facile de rajouter "avec des français"
on a "La Loire Atlantique est bretonne" donc il est facile
de rajouter "les habitants sont bretons". A quand l'épuration
ethnique de Nantes ? Celle-ci étant l'aboutissement de cette
logique.
Cela dit, l'épuration ethnique, la fermeture des frontières
n'est pas pour autant contradictoire avec un état démocratique.
On peut penser que la tendance est à vivre en communauté
refermée, ce n'est pas pour autant que le collectif l'emporte
sur l'individu tel qu'on a pu le voir sous le fascisme italien ou le
nazisme. Le spectacle et la marchandise qui s'appuie sur la liberté
ou l'illusion de liberté individuelle seraient largement contradictoires
avec le fascisme (ce qui est différent d'un régime autoritaire).
Ceci va de paire avec un différentialisme social et économique
de plus en plus marquée au sein de la même communauté
(quartiers, régions riches et pauvres, ceux et celles qui ont
un emploi et ceux et celles qui n'en ont pas, ...).
Pour conclure :
Le racisme biologique est toujours à combattre, mais il ne peut
être combattu uniquement de ce point de vue.
Il y a peu de chances qu'on ait un régime fasciste tel qu'il
se définissait dans les années 20-30.
Par contre, le développement d'Etats s'appuyant sur l'ethnique
semble beaucoup plus probable, faisant la jonction entre le racisme
biologique et différentialiste et un certain nombre d'idées
fascisantes.
La résolution d'au moins trois questions me semblent importantes
:
· la construction de l'Europe. Contradictoirement, elle est une
barrière au nationalisme et en même temps elle se construit
comme une forteresse vis à vis du Sud et de l'est. Quoi qu'on
en pense, un retour en arrière créerait certainement une
crise grave politique, économique, ...
· La mondialisation pose les mêmes contradictions que la
construction de l'Europe. Peut-il y avoir mondialisation de l'économie
et fermeture politique dans chaque pays ? Quelles seront les conséquences
de la mondialisation de la communication qui supprime les notions d'espace
et de temps.
La crise du travail, qui pose les problèmes de migration, de
projet. Quel travail, pourquoi faire ?
Sur l'Europe, la réponse est généralement, Une
Europe sociale ou Une Europe des travailleurs. Cette réponse
n'est plus adéquate car elle reste basée sur la perspective
du progrès et du bonheur par le travail. Non seulement elle n'est
plus adéquate, mais elle peut renforcer la xénophobie
par la défense du Travail Français et tant pis pour les
autres. Nous ne pouvons plus avoir la réponse que les premiers
socialistes internationalistes ?
Pour répondre à la xénophobie, au racisme et à
la forme que prend le fascisme, il nous faut trouver des réponses
qui dépassent les concepts de l'après guerre.
La lutte des sans-papiers revendiquant ouvertement leur présence,
refusant la clandestinité est un élément qui ouvre
des pistes pour l'antiracisme et l'antifascisme classique, à
condition que cela ne débouche pas sur un contingentement ou
des quotas d'immigrés.
Exposé fait dans le cadre de la formation du Bureau National
de la Fasti
Georges BIRAULT Avril 97