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Antiracisme & antifascisme
par Georges Birault
Bureau National de la Fasti en Avril 1997


Pour aborder la question, il me semble nécessaire de refaire un point sur ce qu'a été le fascisme et le racisme de la fin de la guerre au milieu des années 80.

Le fascisme se caractérise (Une nation (un peuple), un état, un chef) du moins avant la guerre :
Il correspond à une crise structurelle de l'économie et de l''Etat : renforcement de l'intervention de l'Etat dans l'économie pour contrebalancer une économie libérale en redistribuant les richesses (New deal aux USA), Keynes, ...
Le national-fascisme se veut une troisième voie entre le libéralisme économique et le communisme.

Ses caractéristiques :
· le nationalisme, défense de la nation comme identité du peuple,
· la révolution nationale : instauration d'une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme, (national socialisme),
· Un Etat très structuré et très interventionniste,
· Une forme très hiérarchisée du pouvoir et de la représentation avec au sommet le chef, le guide, (contre le parlementarisme),
· La mystification du passé et l'opposition aux formes de progrès émancipatrices (famille, soumission de la femme, contre l'IVG, ...)
· Le racisme et l'antisémitisme comme réponses identitaires et justificatrices de la politique mise en oeuvre.

Jusqu'aux années 80, le fascisme se caractérise par une activité de soutien à tout ce qui peut aller à l'encontre de l'émancipation, d'une alternative sociale au capitalisme, cela se traduit par :
· Le racisme et l'antisémitisme sont toujours très présent, même s'ils prennent des formes détournées compte tenu de la répression.
· Il est défendu par ce qui reste de nazis et fascistes qui n'ont pas accepté la défaite et qui défendent toujours les mêmes concepts.
· Son anticommunisme très virulent se traduit par un soutien à des régimes dictatoriaux ou en guerre avec le "bloc de l'est" contre les mouvements de libération nationale, contre les tentatives d'émancipation en Amérique Latine ou ailleurs, en Europe, c'est le régime des colonels en Grèce, Franco en Espagne, ...
· Ils servent de base d'appui importante aux différentes répressions contre les grèves (SAC en France), les mouvements sociaux, ...
· Le développement du négationisme et du révisionnisme prend une place particulière : comment justifier, neutraliser les horreurs de la guerre, de la Shoah.

Il faut noter que dans les pays de l'Est, on retrouve des caractéristiques identiques à celles du fascisme : culte du Chef, ordre moral, culte du travail, nationalisme libertés réduites, démocratie très relative, camps de travail pour les prisonniers où la mort est souvent l'unique sortie , ... ce qui fera dire principalement au courant libertaire que le régime stalinien n'a pas grand chose à envier au régime nazi.

Cependant, en Europe occidentale, le fascisme n'a jamais été une menace réelle pour les Etats, les régimes politiques ou la démocratie. Certes il y a eu l'OAS, le CIDUNATI, l'expérience de Tixier-Vignancourt qui se traduit par un échec, expliqué en partie par le bipolarisme des partis.

A la fin des années 70, apparaît, avec la fin des trente années glorieuses, une nouvelle crise structurelle de l'Etat et du capitalisme : diminution du rôle de l'Etat au profit d'une économie de plus en plus libérale.
Et puis la percée du FN dans les années 80, nous y reviendrons plus loin.

Le racisme.
Le racisme est surtout biologique, il se base sur une hiérarchisation des races à travers des différenciations physiques et des échelles de capacités intellectuelles,

Les théories nazis et fascistes visent à dominer, voire à éliminer les races dites inférieures.

Les horreurs de la dernière guerre ont entraîné une condamnation unanime de l'antisémitisme et du racisme, faisant en sorte que toute personne s'en réclamant publiquement, était immédiatement condamnée sinon pénalement du moins moralement.
L'antiracisme est en même temps très lié à la culpabilité des occidentaux face à la Shoah (ce qui a permis un développement du sionisme).

Cette nouvelle donne a soulevé des contradictions et obliger les gouvernements à se positionner (Afrique du Sud, noirs aux USA).

La faiblesse des mouvements fascistes et la force de la pensée et des mouvements antiracistes est visible. Et en même temps cela s'accompagne d'une généralisation des régimes démocratiques (élections, parlementarisme) au détriment des régimes dictatoriaux qui malgré quelques exceptions finissent par disparaître.

A partir des années 80 cela bascule pourquoi ?

La réponse sans doute la plus pertinente est la perte de sens :
quelle vie avons-nous, où allons-nous, que faisons-nous là ?

Avant le sens est donné (même de façon inconsciente) par le progrès dans l'histoire

Jusqu'aux années 80, le monde est divisé en deux blocs. Dans chacun, le sens est donné souvent par opposition à l'autre, par volonté d'éliminer l'autre.
Dans les pays de l'Est, la population vit sur le sens donné par la révolution Russe et par l'idéal socialiste. Complètement coupé, isolé du monde occidental dont l'image donnée est plus que catastrophique; la contestation et tout début d'exposé d'une alternative y sont sévèrement réprimés; il y a une adhésion massive au régime qui est une garantie tant pour la santé, le logement, la vieillesse, ... (la soumission volontaire)

La perspective du socialisme dans les pays occidentaux ou la représentation que l'on se fait des luttes de libération nationale (elles mènent vers le socialisme) donne un sens aux luttes et à la vie des personnes qui y participent.

Ce sens est donné dans les deux blocs par la représentation intellectuelle et/ou imaginaire de l'avenir radieux que nous promettent les perspectives de développement technique, le progrès, la conquête de l'espace (des spoutniks aux premiers pas sur la lune).

Les conditions socio-économiques qui ne sont pas forcément meilleures qu'actuellement sont sublimées dans la perspective de l'avenir radieux.

Ce sens prend sérieusement du plomb dans l'aile avec un certain nombre de problèmes qui apparaissent dans les années 70 :
· Le rapport à la nature : la crise pétrolière et écologique qui est posée de manière cruciale, trou de l'ozone , pluies acides, déchets du nucléaire tant civil que militaire. Donc la nature a des limites, alors que l'homme comptait bien la dompter définitivement.

· Le rapport au corps : le développement du cancer (première cause de mortalité) et le SIDA remette en cause la foi illimitée dans la science. L'homme redevient mortel, même s'il peut marcher sur la lune.
Il s'agit d'une transformation en marchandise de tout ce qui touche à la nature (voir l'eau et l'air) et tout ce qui touche au corps (santé, sport, beauté, sexe, ...)
·
La crise du travail, comme centre autour duquel la vie s'organise. Se réaliser dans le travail devient un leurre. D'un travail pour construire un monde nouveau on passe à trouver un emploi pour garder l'illusion d'être utile et avoir accès à un revenu.

· La mondialisation : le développement des moyens de communication qui détruisent tant les notions d'espace que de temps. C'est surtout cela qui marque la mondialisation, la bulle financière n'en étant qu'une conséquence.

L'ensemble de ces phénomènes (non exhaustifs) met profondément en crise le progrès, autour duquel le sens était donné.

En même temps, avec la chute du mur, le capital se présente comme la solution unique, le modèle mondial de développement; la vie a un cadre de développement : le marché unique.

La chute du mur n'est qu'une date repère. L'extension du capital, le marché unique sont développés en tendance depuis la dernière guerre sous la houlette du FMI principalement. Il a fallu plus d'une dizaine d'années pour que le GATT se fasse et devienne l'OMC.

Vainqueur ou non, le capitalisme ne répond pas plus maintenant qu'avant à la question du sens.

La quête du sens, la question identitaire.

En psychologie, il ne suffit pas simplement de supprimer une cause, un processus, le plus néfaste soit-il, pour que cela aille mieux, il faut en même temps pouvoir proposer une mesure de remplacement. Les êtres humains ont besoin de croyances, d'idées qui balisent leur vie. Ces croyances, ces idées sont le produit de la société, elles s'expriment au travers de sa culture, (école, éducation, ...). Elles balisent d'autant mieux la vie lorsqu'elles deviennent sens commun, mais elles sont d'autant plus dures à combattre.

Hors la perte du sens s'est fait sans propositions alternatives. On ne peut considérer que la victoire du capitalisme sur la planète pouvait être une alternative. D'une part, c'était largement lui qui était à la base des problèmes écolos, SIDA, massacres, ... et d'autre part, il présente sa victoire comme la fin de l'histoire donc sans perspectives. En transformant l'être humain et les rapports sociaux en marchandises, il rend toujours plus aigu la crise du sens.

Dans ces conditions, la question identitaire a pris une place importante.
Comment se pose-t-elle ? Pourquoi ?
Celle-ci se pose avec acuité lorsque la communauté estime que sa propre pérennité est mise en cause, qu'il y a danger pour sa survie. Ce danger est ressenti lorsqu'elle se sent attaquer. Ce sentiment est souvent du domaine de l'irrationnel, de l'abstrait, du sens commun forgé par l'adjonction de petites choses (actes, phrases, ...) qui pris individuellement semblent anodins. Mais il est aussi le fait de ruptures ou de transformations importantes (fin du bloc de l'Est, crise économiques, ...).

La difficulté est de trouver, de qualifier l'ennemi qui soit suffisamment concret pour que les gens s'y attaquent.

En l'occurrence, l'ennemi le plus évident devrait être le capitalisme. Cependant l'abandon par la gauche de ses valeurs fondatrices, son acceptation du libéralisme, l'importance donnée à la gestion comme système, d'une part , la difficulté, voire l'impossibilité à transformer en ennemi un système dans lequel tout est extrêmement lié d'autre part, laissaient la voie libre à la construction de toutes pièces d'ennemis.

Le coup du FN a été d'offrir un ennemi identifiable facilement : l'immigré.
Pour les Serbes, l'ennemi était les croates et les Musulmans, pour les hutus, c'était les Tutsis et inversement.
Cet ennemi ne s'est pas construit sur la base du racisme biologique, ni sur une orientation réellement fasciste, au sens des années 30.

Le FN s'est appuyé sur les théories de la Nouvelle Droite du différentialisme. (Voir E.Colombo).

Quelle a été la réponse des antiracistes et des antifascistes ?

Elle s'est appuyée sur l'analyse et les conséquences du nazisme et du fascisme de la dernière guerre. Le racisme : c'est proscrit; le fascisme : c'est la bête immonde. Donc "Plus jamais ça". Cela reste toujours vrai, mais elles ne permettaient pas de répondre aux nouvelles conditions de la montée du racisme et du fascisme, à la xénophobie.

Pour le sens commun, le différentialisme est égal à la xénophobie. Et c'est bien sur la xénophobie que s'est appuyé le FN. Cette xénophobie qui permet d'identifier l'ennemi de manière concrète, celui qui met en péril la communauté en raison de ses différences de religion (musulman, bouddhiste), de culture (maghrébine, asiatique), de consommation, de rapport aux biens matériels, ...

Or on peut constater que les crises identitaires qui se développent depuis une dizaine d'années se développent autour d'un même schéma :
· Dans une période de crise (où les facteurs socio-économiques sont importants), où la crise du sens est forte, il y a d'une part mystification d'un passé qui était glorieux.
· Le présent montre une crise d'existence de la communauté.
· La cause est trouvée dans l'autre qui n'est pas membre de cette communauté. La nature est invoquée pour justifier la différence et les statuts inférieurs qui seront mis en place.
· Pour retrouver la splendeur, il faut bouter l'ennemi hors de la communauté, quitte à aller jusqu'à l'épuration ethnique.
Cette logique redonne place à l'imaginaire individuel et collectif; elle permet d'unifier les différentes couches sociales.

C'est ce qui s'est passé en Yougoslavie et dans d'autres pays de l'Est, mais aussi au Rwanda.

Cette logique renforce la haine, une haine tenace qui ne semble pas pouvoir prendre fin. Mais une haine qui donne sens.
(Voir la Israël, la Palestine, Rwanda, Belgique, Italie, ...)

Cette logique est efficace si elle est fait sens commun dans la population, or elle est devenue sens commun.

Or on constate que cette xénophobie n'est pas le propre des militants ou des adhérents du FN, il est le propre de la grande majorité de la population. Antiracisme et xénophobie ne sont pas contradictoires.
Les partis tant de droite que de gauche s'alignent sur le FN pour lui prendre son électorat, mais aussi et surtout parce que la xénophobie donne sens.

C'est ce que l'on voit régulièrement dans la vie politique. Les hommes des partis de droite comme de gauche, se disent profondément antiracistes. De fait, ils ne croient ni ne défendent la hiérarchie des races. Bien sur, il y a des degrés dans la façon d'expulser, mais tous s'accordent pour dire qu'ils doivent partir, que leur communauté est là-bas, ou bien alors, ils doivent s'intégrer, synonyme pour de s'assimiler complètement. Cette assimilation étant possible que si la proportion est respectée, et donc instauration des "quotas".

Mais la population est tout aussi xénophobe, par exemple, dans ceux et celles qui signaient les pétitions de soutien aux sans-papiers, il était clair que leur signature n'était pas contradictoire avec un accord sur la fermeture des frontières.
Et ce sont de plus en plus ceux et celles qui sont directement concernées qui restent sur des positions de libre circulation, de interculturalité.

Le FN a été longtemps le seul à donner une réponse concrète tout en libérant l'imaginaire et en s'appuyant sur les représentations que les gens ont dans la tête, représentations qui sont aussi la conséquence des paroles des hommes politiques. (odeurs, misère du monde, ...) Même le mouvement des pétitionnaires, à son début, celui-ci était surtout marqué par un refus de remise en cause de la liberté individuelle (contre l'obligation pour les français de déclarer le départ).

La montée de la xénophobie entraînera certainement un renouveau du racisme biologique.
On en voit déjà les prémisses dans les petites phrases des Megret-Lepen, les refus d'embauche pour origine ou couleur non estampillée blanche européenne.
Ceci sera d'autant plus fort qu'on laissera se perpétuer les inégalités, les statuts inférieurs, les préférences nationales, cantonales, ... et que des mesures comme le droit de vote seront toujours refusées.

La xénophobie ne touche pas que les français, elle touche chaque communauté. De fait on assiste à un repli-fermeture de chaque communauté qui par opposition doit renforcer son identité, ses liens, sa défense, par rapport à toutes les autres communautés. C'est aussi la représentation que nous en donne les télés et qui alimente le phénomène. (Problème de quartiers, des banlieues, ...) Mais c'est aussi présent dans les régions de la France (Bretagne, pays Basque, Alsace) où l'on perçoit dans les discours, les initiatives, une volonté identitaire séparatiste (pas de nucléaire en Bretagne ! Comme pour le "Fabriquons Français", il était facile de rajouter "avec des français" on a "La Loire Atlantique est bretonne" donc il est facile de rajouter "les habitants sont bretons". A quand l'épuration ethnique de Nantes ? Celle-ci étant l'aboutissement de cette logique.

Cela dit, l'épuration ethnique, la fermeture des frontières n'est pas pour autant contradictoire avec un état démocratique. On peut penser que la tendance est à vivre en communauté refermée, ce n'est pas pour autant que le collectif l'emporte sur l'individu tel qu'on a pu le voir sous le fascisme italien ou le nazisme. Le spectacle et la marchandise qui s'appuie sur la liberté ou l'illusion de liberté individuelle seraient largement contradictoires avec le fascisme (ce qui est différent d'un régime autoritaire). Ceci va de paire avec un différentialisme social et économique de plus en plus marquée au sein de la même communauté (quartiers, régions riches et pauvres, ceux et celles qui ont un emploi et ceux et celles qui n'en ont pas, ...).

Pour conclure :

Le racisme biologique est toujours à combattre, mais il ne peut être combattu uniquement de ce point de vue.
Il y a peu de chances qu'on ait un régime fasciste tel qu'il se définissait dans les années 20-30.
Par contre, le développement d'Etats s'appuyant sur l'ethnique semble beaucoup plus probable, faisant la jonction entre le racisme biologique et différentialiste et un certain nombre d'idées fascisantes.

La résolution d'au moins trois questions me semblent importantes :
· la construction de l'Europe. Contradictoirement, elle est une barrière au nationalisme et en même temps elle se construit comme une forteresse vis à vis du Sud et de l'est. Quoi qu'on en pense, un retour en arrière créerait certainement une crise grave politique, économique, ...
· La mondialisation pose les mêmes contradictions que la construction de l'Europe. Peut-il y avoir mondialisation de l'économie et fermeture politique dans chaque pays ? Quelles seront les conséquences de la mondialisation de la communication qui supprime les notions d'espace et de temps.
La crise du travail, qui pose les problèmes de migration, de projet. Quel travail, pourquoi faire ?

Sur l'Europe, la réponse est généralement, Une Europe sociale ou Une Europe des travailleurs. Cette réponse n'est plus adéquate car elle reste basée sur la perspective du progrès et du bonheur par le travail. Non seulement elle n'est plus adéquate, mais elle peut renforcer la xénophobie par la défense du Travail Français et tant pis pour les autres. Nous ne pouvons plus avoir la réponse que les premiers socialistes internationalistes ?

Pour répondre à la xénophobie, au racisme et à la forme que prend le fascisme, il nous faut trouver des réponses qui dépassent les concepts de l'après guerre.

La lutte des sans-papiers revendiquant ouvertement leur présence, refusant la clandestinité est un élément qui ouvre des pistes pour l'antiracisme et l'antifascisme classique, à condition que cela ne débouche pas sur un contingentement ou des quotas d'immigrés.

Exposé fait dans le cadre de la formation du Bureau National de la Fasti

Georges BIRAULT Avril 97