Cet été jai lu lessai de Dominique Quessada
sur la société se de consommation de soi et je vous remercie
de me lavoir fait connaître.
Ses prémisses ne sont pas issues de la philosophie, mais plutôt
dun courant minoritaire de la psychanalyse. Il sappuie principalement
sur la pensée de Pierre Legendre qui a produit une psychanalyse
du droit et de la politique. On peut se référer aux livres
de celui-ci. Il a publié notamment : « La fabrique de lhomme
occidental » aux éditions Mille et une nuits, (collection
de petits bouquins à 10 frs).
Son analyse me semble juste, mais ce qui me pose problème cest
la nécessité dune autorité et la façon
de la mettre en oeuvre. Il regrette, comme Legendre, la disparition
de la loi basée sur la transcendance, sur une base extérieure
à lhumanité. Cette révolution mentale a été
commencée avec les intellectuels des Lumières en philosophie
et réalisé sur le plan politique en partie par la Révolution
française de 1789.
Est-ce quil faut revenir à cela ?
De mon point de vue la fin de la référence hétéro-centrée
est une chance pour lhumanité et ce qui est à combattre
aujourdhui cest le capitalisme.
Je suis daccord avec le constat d'Eduardo Colombo sur le passage
de l'hétéro-référence à l'auto-référence
et la position toujours renouvelée de la critique (pas du point
de vue du narcissisme qui peut être une figure de l'auto-référence,
mais qui, elle, est stérile). Les valeurs ont une histoire et
c'est l'humanité qui doit devenir la référence
:
« On ne peut pas affirmer que « les valeurs » sont
universelles, mais nous pouvons dire que certaines valeurs doivent être
postulées comme universelles et dautres reconnues comme
relatives à des situations historiques ou locales particulières.
»... /....
« Quand on a perdu toute garantie métaphysique, lorsquon
a accepté lauto-référence généralisée
du socio-historique, la pensée est obligée de travailler
avec la tension constante qui sétablit entre lunité
et la diversité. La pensée critique, libérée
de lhétéro-référence, est une conquête
fondamentale de lhumanité tout entière, même
si cette conquête a eu lieu à un moment donné de
lhistoire européenne et à partir dune formidable
lutte contre le pouvoir politico-religieux. Labsence de certitudes
fondamentales (le relativisme radical), exige une vision universaliste
qui ne peut être affirmée sans expliciter les valeurs qui
soutiennent cette vison. Cest alors quau lieu de croire
dans un fondement sacré des valeurs, lhomme doit affronter
lidée quil est le créateur de ses valeurs
et accepter la tâche inconfortable de maintenir lesprit
critique sur ces valeurs mêmes. »
Extrait de « Tout est relatif, peut-être » une brochure
publiée par les éditions ACL de Lyon.
Dautre part, la critique de la société menée
par Dominique Quessada, même si elle touche juste, a les défauts
des approches particulières.
Pour moi, une seule approche est toujours insuffisante, nous avons besoin
de rapporter nos critiques à dautres approches théoriques.
Par exemple, on savait déjà que le capitalisme utilise
le désir pour fonctionner. Félix Guattari a écrit
sur ce point dès les années soixante-dix. Cet auteur développait
lui aussi une approche qui mêlait politique et psy.
La multiplicité a été développée
par Gilles Deleuze (compère du précédent dans plusieurs
livres) et ce depuis longtemps.
Dautre part, jai deux remarques à faire sur les conclusions
de Quessada. Le fait que les humains ont des façons différentes,
de multiples façons de justifier la loi et de la vivre existait
bien avant notre société actuelle. Cétaient
toutes des lois basées sur la transcendance, sur lhétéro-référence,
sur un pôle extérieur. La différence cest
quà lépoque chaque groupe dhumains pouvait
penser quil était le seul à avoir cette loi et quil
ne savait pas quil y avait dautres lois ailleurs. Seules
quelques personnes savantes le savaient, mais elles admettaient toute
la supériorité de « leur » loi par rapport
aux autres lois.
Sur lambiguïté du langage Quessada exagère
son propos, il bloque trop son constat. Le langage dans la pub serait
univoque selon lui, pourtant régulièrement la pub joue
sur lambiguïté du langage. Il le sait bien sil
travaille dans la pub.
Par contre ce qui est très intéressant dans lanalyse
de Quessada, cest son chapitre sur la servitude volontaire et
la place du maître. Je suis daccord avec lui sur le rôle
des emblèmes et du discours pour la communauté humaine.
Lennui cest quil ne parle jamais du capitalisme. Sil
replaçait la critique de lautorité actuelle et de
son fonctionnement dans lhistoire de la domination, il pourrait
mettre en perspective la possibilité de garder les acquis antérieurs
de la loi et le besoin daller vers une loi encore plus humaine.
Cette loi pourrait être centrée sur lhumanité
et pas sur le divin ou une quelconque transcendance.
Ce ne serait pas une loi basée sur limmanence puisquelle
accepterait que la culture la transmette de génération
en génération tout en la complétant et laméliorant.
Elle serait réévaluable et liée fondamentalement
à notre culture humaine. Son énoncé nous permettrait
de nous soutenir du discours pour être des sujets parlant et désirants,
mais de temps en temps on pourrait mettre certains points en discussion
pour voir si tel point particulier ou tel aspect nous convient ou non.
Je suis daccord avec lui sur la nécessité de la
loi, il est exact que les humains ont besoin de la loi pour devenir
humains, que le tiers symbolique, comme le nomme la psychanalyse, joue
un rôle fondamental dans la structuration de lesprit humain.
La limitation du désir est importante pour devenir adulte. Cest
à ce propos que Jean-Pierre Lebrun a écrit un livre intitulé
: « Un monde sans limites » dont le sous-titre est le suivant
« Essai pour une clinique psychanalytique du social », éditions
Erès, 11, rue des Alouettes, 31520 Ramonville Saint-Agne, 1997.
Cet auteur analyse, depuis un point de vue presque similaire à
Quessada et appuyé lui aussi sur la pensée de Pierre Legendre
et la psychanalyse, le monde sans limites quest devenu le monde
actuel. Il porte le même constat sur la jouissance du présent,
sur la toute puissance qui serait possible, sur limmédiateté
dans laquelle le désir doit être satisfait.
La lecture du livre de Dominique Quessada me renforce dans la possibilité
de soumettre à la discussion lhypothèse de la domination
mentale. La domination mentale permet de proposer une analyse nouvelle
pour comprendre lévolution du capitalisme contemporain.
Car pour moi, il sagit toujours de lutter contre la domination,
lexploitation et les diverses oppressions.
Pour avancer dans cette critique je vous propose de compléter
le livre de Quessada sur la société de consommation de
soi par le livre de Zygmunt Bauman : « Le coût humain de
la mondialisation », publié en poche chez Hachette Pluriel.
Ce livre rejoint sur un certain nombre de points lanalyse de Boltansky
et Chiapello réalisée dans le livre « Le nouvel
esprit du capitalisme », un gros pavé de 800 pages, mais
assez facile à lire, publié chez Gallimard il y a quelque
temps.
Toutes ces approches peuvent nous aider, à des degrés
divers, à construire notre critique du monde contemporain et
à construire des solutions alternatives, ou des essais de solutions
alternatives au capitalisme.
Philippe Coutant Nantes le 29 Août 2000