"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google

La société de consommation de soi
Dominique Quessada
Note de lecture sur le livre de Dominique Quessada, La société de consommation de soi, Verticales, Paris, 1999.


Cet été j’ai lu l’essai de Dominique Quessada sur la société se de consommation de soi et je vous remercie de me l’avoir fait connaître.
Ses prémisses ne sont pas issues de la philosophie, mais plutôt d’un courant minoritaire de la psychanalyse. Il s’appuie principalement sur la pensée de Pierre Legendre qui a produit une psychanalyse du droit et de la politique. On peut se référer aux livres de celui-ci. Il a publié notamment : « La fabrique de l’homme occidental » aux éditions Mille et une nuits, (collection de petits bouquins à 10 frs).

Son analyse me semble juste, mais ce qui me pose problème c’est la nécessité d’une autorité et la façon de la mettre en oeuvre. Il regrette, comme Legendre, la disparition de la loi basée sur la transcendance, sur une base extérieure à l’humanité. Cette révolution mentale a été commencée avec les intellectuels des Lumières en philosophie et réalisé sur le plan politique en partie par la Révolution française de 1789.
Est-ce qu’il faut revenir à cela ?

De mon point de vue la fin de la référence hétéro-centrée est une chance pour l’humanité et ce qui est à combattre aujourd’hui c’est le capitalisme.

Je suis d’accord avec le constat d'Eduardo Colombo sur le passage de l'hétéro-référence à l'auto-référence et la position toujours renouvelée de la critique (pas du point de vue du narcissisme qui peut être une figure de l'auto-référence, mais qui, elle, est stérile). Les valeurs ont une histoire et c'est l'humanité qui doit devenir la référence :
« On ne peut pas affirmer que « les valeurs » sont universelles, mais nous pouvons dire que certaines valeurs doivent être postulées comme universelles et d’autres reconnues comme relatives à des situations historiques ou locales particulières. »... /....

« Quand on a perdu toute garantie métaphysique, lorsqu’on a accepté l’auto-référence généralisée du socio-historique, la pensée est obligée de travailler avec la tension constante qui s’établit entre l’unité et la diversité. La pensée critique, libérée de l’hétéro-référence, est une conquête fondamentale de l’humanité tout entière, même si cette conquête a eu lieu à un moment donné de l’histoire européenne et à partir d’une formidable lutte contre le pouvoir politico-religieux. L’absence de certitudes fondamentales (le relativisme radical), exige une vision universaliste qui ne peut être affirmée sans expliciter les valeurs qui soutiennent cette vison. C’est alors qu’au lieu de croire dans un fondement sacré des valeurs, l’homme doit affronter l’idée qu’il est le créateur de ses valeurs et accepter la tâche inconfortable de maintenir l’esprit critique sur ces valeurs mêmes. »
Extrait de « Tout est relatif, peut-être » une brochure publiée par les éditions ACL de Lyon.

D’autre part, la critique de la société menée par Dominique Quessada, même si elle touche juste, a les défauts des approches particulières.

Pour moi, une seule approche est toujours insuffisante, nous avons besoin de rapporter nos critiques à d’autres approches théoriques.
Par exemple, on savait déjà que le capitalisme utilise le désir pour fonctionner. Félix Guattari a écrit sur ce point dès les années soixante-dix. Cet auteur développait lui aussi une approche qui mêlait politique et psy.

La multiplicité a été développée par Gilles Deleuze (compère du précédent dans plusieurs livres) et ce depuis longtemps.
D’autre part, j’ai deux remarques à faire sur les conclusions de Quessada. Le fait que les humains ont des façons différentes, de multiples façons de justifier la loi et de la vivre existait bien avant notre société actuelle. C’étaient toutes des lois basées sur la transcendance, sur l’hétéro-référence, sur un pôle extérieur. La différence c’est qu’à l’époque chaque groupe d’humains pouvait penser qu’il était le seul à avoir cette loi et qu’il ne savait pas qu’il y avait d’autres lois ailleurs. Seules quelques personnes savantes le savaient, mais elles admettaient toute la supériorité de « leur » loi par rapport aux autres lois.

Sur l’ambiguïté du langage Quessada exagère son propos, il bloque trop son constat. Le langage dans la pub serait univoque selon lui, pourtant régulièrement la pub joue sur l’ambiguïté du langage. Il le sait bien s’il travaille dans la pub.
Par contre ce qui est très intéressant dans l’analyse de Quessada, c’est son chapitre sur la servitude volontaire et la place du maître. Je suis d’accord avec lui sur le rôle des emblèmes et du discours pour la communauté humaine.

L’ennui c’est qu’il ne parle jamais du capitalisme. S’il replaçait la critique de l’autorité actuelle et de son fonctionnement dans l’histoire de la domination, il pourrait mettre en perspective la possibilité de garder les acquis antérieurs de la loi et le besoin d’aller vers une loi encore plus humaine. Cette loi pourrait être centrée sur l’humanité et pas sur le divin ou une quelconque transcendance.
Ce ne serait pas une loi basée sur l’immanence puisqu’elle accepterait que la culture la transmette de génération en génération tout en la complétant et l’améliorant. Elle serait réévaluable et liée fondamentalement à notre culture humaine. Son énoncé nous permettrait de nous soutenir du discours pour être des sujets parlant et désirants, mais de temps en temps on pourrait mettre certains points en discussion pour voir si tel point particulier ou tel aspect nous convient ou non.

Je suis d’accord avec lui sur la nécessité de la loi, il est exact que les humains ont besoin de la loi pour devenir humains, que le tiers symbolique, comme le nomme la psychanalyse, joue un rôle fondamental dans la structuration de l’esprit humain.
La limitation du désir est importante pour devenir adulte. C’est à ce propos que Jean-Pierre Lebrun a écrit un livre intitulé : « Un monde sans limites » dont le sous-titre est le suivant « Essai pour une clinique psychanalytique du social », éditions Erès, 11, rue des Alouettes, 31520 Ramonville Saint-Agne, 1997.

Cet auteur analyse, depuis un point de vue presque similaire à Quessada et appuyé lui aussi sur la pensée de Pierre Legendre et la psychanalyse, le monde sans limites qu’est devenu le monde actuel. Il porte le même constat sur la jouissance du présent, sur la toute puissance qui serait possible, sur l’immédiateté dans laquelle le désir doit être satisfait.
La lecture du livre de Dominique Quessada me renforce dans la possibilité de soumettre à la discussion l’hypothèse de la domination mentale. La domination mentale permet de proposer une analyse nouvelle pour comprendre l’évolution du capitalisme contemporain. Car pour moi, il s’agit toujours de lutter contre la domination, l’exploitation et les diverses oppressions.
Pour avancer dans cette critique je vous propose de compléter le livre de Quessada sur la société de consommation de soi par le livre de Zygmunt Bauman : « Le coût humain de la mondialisation », publié en poche chez Hachette Pluriel.
Ce livre rejoint sur un certain nombre de points l’analyse de Boltansky et Chiapello réalisée dans le livre « Le nouvel esprit du capitalisme », un gros pavé de 800 pages, mais assez facile à lire, publié chez Gallimard il y a quelque temps.
Toutes ces approches peuvent nous aider, à des degrés divers, à construire notre critique du monde contemporain et à construire des solutions alternatives, ou des essais de solutions alternatives au capitalisme.

Philippe Coutant Nantes le 29 Août 2000