"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google

Psychanalyse et capitalisme (1er partie)


"Pour celui qui ne peut se dérober, pour celui dont la vie s'ouvre à l'exubérance, l'érotisme est par excellence le problème personnel. C'est en même temps, par excellence, le problème  universel"  (BATAILLE)
"Increscunt animi, virescit volnere virtus"

Psychanalyse et capitalisme

1. Le moi-idéal du salariat
La psychanalyse est la thérapeutique de l'individualisme, c'est-à-dire de l'idéologie bourgeoise du libéralisme économique et du salariat, des idéaux et des devoirs dont on charge les individus, isolés et impuissants mais disposant d'un revenu qui est bien individuel. La fonction, l'activité d'un salarié, n'est pas identifiée à son être, il peut changer de travail, il est donc "libre" par rapport à son groupe d'origine et à son histoire mais d'autant plus responsable de ce qu'il est, de sa misère comme de sa soumission. Le poids de la faute ne date pas du capitalisme assurément, plutôt du travail et de l'esclavage. Mais un grec n'avait pas d'inconscient ni vraiment d'individualité puisqu'il pouvait prendre sur lui aussi bien les actes de sa famille comme étant son destin.

L'idéologie de l'individualisme isole l'individu et lui fait un devoir de son bonheur et de sa perfection personnelle (surmoi), image du Père idéal (celui qui jouit de la mère). Depuis Socrate on sait pourtant que la sagesse est hors d'atteinte, on ne peut s'en approcher que par le dialogue avec les autres, l'activité du citoyen améliorant les lois de la Cité comme la réalité fondatrice. Être responsable ne peut vouloir dire qu'assumer l'idéologie, le destin, le projet de son propre groupe avec toute sa contingence. L'abstraction de l'idéal individualiste est lui bien manifeste, se traduisant en souffrance individuelle de ne pouvoir s'y égaler, souffrance jalouse renforcée par l'évidence objective des autres individus qui semblent répondre, de l'extérieur, à ces exigences insurmontables pour nous.
Tous les supports effectifs de l'individu sont convoqués par la psychanalyse : corps, âme, conscience de soi, regard, narcissisme, mémoire, histoire mais pas le salariat comme revenu individuel qui est pourtant le fondement "matériel" de l'idéologie individualiste, de la concurrence de tous contre tous. Son fondement idéologique est la fonction du Père singulier donnant consistance avec la castration à l'interdit sur la totalité comme impuissance devant un idéal inatteignable.

La demande de guérison participe pourtant de cet idéal même. Le symptôme et le délire sont des "tentatives de guérison" qui nous "protègent" de la culpabilité par son refoulement. Ce sont des effets de la norme sociale. La psychanalyse consiste alors à guérir de la guérison, de la belle individualité suffisante à soi, du moi autonome et performant, rationnel et productif. L'effort névrotique pour répondre au discours social est interprété par la psychanalyse comme réponse au désir de la mère par l'identification au Père, c'est-à-dire renvoyé à la première objectivation (ontologique), à son histoire singulière comme origine alors que l'origine peut être située tout autant, au plus près, dans l'acte même d'énonciation en rapport à un autre et comme déterminé par celui qui l'entend. L'important est qu'en soit perçu par l'analysant quelques médiations par lesquelles il se faisait un devoir apeuré de répondre, dans l'évidence, à cette exigence sociale d'identification en rivalité avec d'autres, prenant l'idéologie au mot (au détriment de sa véritable causalité particulière). Il y a donc bien aussi pour la psychanalyse une "séparation ontologique", un refoulement originaire, qui se répand en névroses, symptômes, refoulements, "séparations historiques" qui peuvent être surmontés en reconnaissant la séparation originaire, l'interdit de la jouissance, qui ne peut, lui, jamais être vraiment dépassé, ni le dire être vraiment dit.

Le résultat, sorte encore de guérison, est supposé être une dé-fascination de l'idéal, une dés-objectivation, une lucidité et une liberté conquises, consistant tout comme la phénoménologie, dans la conscience du désir qui organise nos idéaux et nos discours, dans une responsabilité assumée de sa cause finale, en rapport avec les autres. Car pour Hegel, Lukács et Marx, il faut aussi prendre conscience de soi comme groupe (discours), processus social (rapport social) qui nous produit et que nous produisons, pour accéder à la liberté effective du citoyen affrontant la totalité en changeant la situation sociale qui nous conditionne. A ce côté "authentique" de la conscience de soi comme projet collectif, s'oppose l'inauthenticité de l'idéologie de l'individualisme livré à la dette paternelle, séparé de son groupe et rendu obscur, objectivation totale et douloureuse, inhumaine et plaintive.

Cette objectivation peut s'exprimer comme séparation de la Mère et Castration dans la nomination du Père, ramenée au fondement de l'objectivité intersubjective, mais cela n'empêche pas que dans sa particularité historique et dans son extension, il faut ramener l'objectivation phallo-marchande à son contexte technique et capitaliste, comme la psychanalyse ramène le symptôme à ses conditions particulières (familiales et sociales). L'important est la fonction du père singulier comme origine de l'individu, réduisant l'héritage social à la contingence d'une place pourtant largement mythique et déterminée par les rapports de production monopolisant toute dette sociale. A partir de là, c'est effectivement la même chose de croire que les vitrines sont pleines de jouissances et s'en trouver exclu (Bloch) ou croire le Phallus, le désirable, comme existant réellement et comme propriété du Père, condamnant à désirer en vain (castration).

2. Le non-rapport marchand

D'ailleurs, la neutralité analytique (la mise hors jeu du désir de l'analyste, la non participation, la non réponse) qui est vraiment permise par le paiement, le non-rapport économique, permet de faire apparaître le processus plutôt que l'objet (comme dans la phénoménologie), la demande déçue, la jalousie plutôt que le Phallus. Mais on peut constater la même ambivalence dans le jugement sur la psychanalyse que dans celui sur le capitalisme : le non-rapport monétaire délivre des anciennes dépendances personnelles, il préserve théoriquement l'autonomie de l'analysant (si c'est un analyste pressé d'en finir, sinon l'argent est un facteur de dépendance) mais il reste bien à l'intérieur du rapport marchand sauf en sa rupture. La positivité et l'universalité du rapport marchand permettent de dépasser tous les particularismes, tout en protégeant les droits d'un individu abstrait détaché de son histoire. C'est de cet individu abstrait que la psychanalyse peut nous délivrer en le ramenant à son histoire singulière et à sa part de liberté concrète au lieu d'une image spectaculaire vide et hors d'atteinte, apprentissage de la liberté au-delà du Père. On ne sait si on aurait besoin de psychanalystes, ou bien d'initiations, de sorciers, si l'individualisme bourgeois ne dominait pas nos sociétés. Individu et paiement de l'acte montrent bien, en tout cas, le lien de la psychanalyse au capitalisme dont elle devrait nous guérir. Ce qui n'est pas la réfuter mais la spécifier.
 
La psychanalyse n'est pas seulement "dans" le rapport marchand, c'est bien la psychanalyse "du" rapport marchand, des idéaux de l'individualisme libéral, mais qui reste à l'intérieur du non-rapport économique d'une profession libérale. On peut résumer le rôle du paiement dans l'analyse à ce qu'il constitue l'analysant comme acteur et qu'il réduit le désir de l'analyste à une contrepartie universelle, renvoyant à un désir extérieur à l'analyse elle-même. Ceci signifie que l'analyste n'a pas besoin d'aimer son analysant pour l'analyser, cela n'empêche pas l'analysant de vouloir séduire son analyste, au contraire.
On achète réellement une écoute mais c'est particulier à chacun de savoir pourquoi il paye. Car l'analysant paye pour l'accès à la jouissance qu'il suppose à l'Autre. Comme dans toute secte c'est pour accéder à la jouissance de l'Autre qu'on se rend dépendant et soumis à ses rêves, qu'on l'aime de cet amour du sujet supposé savoir. La différence dans l'analyse est de comprendre ce qui nous a mené là, en analysant le transfert, et l'escroc dévoilant son escroquerie ne permet plus aucune prétendue innocence.
La Psychanalyse est (comme le Droit) un facteur de libération des liens de dépendance si c'est une psychanalyse conduite par un analyste analysant le transfert mais c'est un lien de dépendance total lorsque l'analyste dépend de ce revenu et croit poursuivre la vérité de l'analysant. Par contre le fait d'élever le coût de la séance doit au contraire briser le lien de dépendance du transfert en le rendant insupportable, en objectivant sa démesure, et donc le désir réellement sous-jacent, plutôt que de laisser se bloquer une relation de dépendance confortable et l'irresponsabilité de l'analysant. La Psychanalyse peut guérir de la guérison, de l'idéal salarial du moi autonome, elle ne guérit pas de l'argent et du capitalisme.
 


Les liens de ces pages http://perso.club-internet.fr/cartlamy/psyc.htm et http://perso.club-internet.fr/cartlamy/psyr.ht