Deux livres intéressants sont parus ces derniers mois. Il sagit
du livre de Luc Botlanski et Eve Chiapello : « Le nouvel esprit
du capitalisme » dune part et le livre de Zygmunt Bauman :
« Le coût humain de la mondialisation ». On peut se
reporter aux notes de lecture déjà parues.
Ces deux productions sont intéressantes car elles peuvent nous
aider à mieux comprendre ce qui se passe aujourdhui.
Quelle est la place des exclus dans le capitalisme actuel ? Le capitalisme
a besoin dune partie de la population qui ne soit pas mobile pour
pouvoir faire le travail dont ont besoin ceux et celles qui sont mobiles.
Il sagit de tous les emplois fixes, nécessaires au bon
fonctionnement de la mobilité des autres. De fait, pour ces emplois,
laccès à la mobilité est limité, voir
interdit. Le système assigne à la fixité tous ceux
qui sont hors du réseau, qui ne peuvent plus ou ne peuvent pas
tisser de liens, créer de « connexions », et ce pour
des raisons multiples qui vont de léchec scolaire à
limpossibilité de déménager, lattachement
à un lieu, en passant par les contraintes familiales (enfants,
maladies, handicap, prise en charge des parents,
). Réserve
de main duvre aux contrats précaires pour les travaux
durs, dangereux, dévalorisés, à temps partiel,
aux horaires très découpés, si mal payés
quil faudra comme aux USA ou en GB avoir au minimum 2 emplois.
Le summum de la fixité étant la prison où les prisonniers
travaillent pour des entreprises privées comme cela se pratique
couramment aux USA.
Mais le système a aussi besoin de personnes mobiles et flexibles,
employables. Le traitement social du chômage à linitiative
de létat depuis une vingtaine dannées sest
traduit par des plans emploi. Le but nétait pas tant de
limiter le chômage que de faire en sorte que celui-ci soit supportable,
de limiter les conséquences de la misère. En même
temps il a permis de faire des cadeaux aux entreprises pour quelles
augmentent leurs marges bénéficiaires. Ils nont
pas eu comme but lemployabilité, concept qui est apparu
dans les discours ces cinq dernières années. Lemployabilité
tel que le définissent Botlanski et Chiapello cest : «
la capacité dont les personnes doivent être dotées
pour que lon fasse appel à elles sur des projets. Le passage
dun projet à un autre est loccasion de faire grandir
son employabilité. Celle-ci est le capital personnel que chacun
doit gérer et qui est constitué de la somme des compétences
mobilisables. »
A linitiative du MEDEF, le PARE ne se situe pas dans le cadre
du traitement social du chômage. Il est une volonté importante
dadapter les demandes demplois à loffre. Il
est une volonté de mettre en uvre le concept demployabilité.
Il sagit de permettre à ceux qui sont au chômage,
mais ayant une culture importante, daméliorer leur employabilité,
de pouvoir être disponible pour les projets des patrons.
Les mécanismes du PARE ne partent pas de rien, ils existent déjà,
mais leur synergie fait défaut (bilan de compétence, formation,
stage,
). Les contraintes existent aussi partiellement, par exemple,
les ASSEDIC financent plus difficilement une deuxième formation
professionnelle si la première ne sest pas traduite par
un emploi.
Le PARE permet au patronat de financer lemployabilité
à partir des cotisations salariales et patronales. Il y a là
un détournement, une transformation de fond du but assigné
à la création de lUNEDIC qui est dindemniser
les chômeurs ayant cotisés.
Le PARE instaure lobligation de trouver un emploi pour pouvoir
bénéficier des indemnités de chômage. Cest
donc un chômage à double vitesse qui va se traduire par
de nouvelles classifications : dune part, les mobiles qui temporairement
ne trouveront pas à semployer ou qui auront besoin daméliorer
leur employabilité, seront plutôt bien indemnisés,
dautre part, les fixes qui auront des indemnités courtes
dans le temps et qui relèveront rapidement des fonds publics
(RMI, allocations diverses) doù en partie la réticence
de létat à ratifier laccord.
Par ailleurs, le PARE peut remettre rapidement en cause les mécanismes
actuels de la formation professionnelle qui était à la
charge des patrons et de létat. Dans le cadre de lemployabilité,
le temps de formation tendra à devenir un projet parmi dautres
dans la vie active des personnes. La formation sur le temps de travail
étant réduite aux adaptations dembauche, fonctionnelles,
techniques, évolutives,
Où est lattrait du PARE ?
Le PARE répond à des demandes individuelles et non pas
collectives. Le PARE considère que les chômeurs nexistent
pas collectivement, mais quil sagit dune somme dindividus
différents. Les réponses ne peuvent donc pas être
collectives mais individuelles. Et cest ce qui fait la force du
PARE, car à titre individuel, de nombreuses personnes peuvent
être intéressées par le PARE, dans le sens ou il
permettra à des individus douvrir de nouveaux possibles,
de définir leurs compétences («quest-ce que
je vaux ? , Suis-je apte au travail ?), ce qui peut être valorisant,
de définir un plan de formation dans le but de pouvoir être
employable. Cela permettra davoir un revenu qui nest plus
celui dassisté, mais un revenu certes temporaire mais dans
le cadre dun projet. Cela permettra de tisser des liens, qui permettent
de sortir de lisolement. De tout «petit », on prend
le chemin du «grand ».
On peut même imaginer des salariés qui en ont marre de
leur travail, ne pas être mécontents dêtre
licenciés pour pouvoir bénéficier du PARE et tenter
une nouvelle orientation. Beaucoup de personnes se posent le problème
de leur reconversion, de comment sortir de situations bloquées,
douvrir de nouveaux horizons. Aujourdhui la formation professionnelle
permet peu de résoudre ces attentes individuelles. De même
quil a été impossible de refuser les emplois jeunes,
qui osera condamner une personne utilisant les mécanismes du
PARE pour tenter de trouver un emploi plus attrayant.
Cest tout cela qui fait et fera la force du PARE et contre laquelle
il est difficile de mettre en place une lutte collective, ce qui ne
veut pas dire quil ne faut pas la mettre en uvre.
La lutte contre le PARE ne sera pas facile parce quil peut être
attrayant à titre individuel, (comme les 35 heures le sont aussi,
23 jours de congés supplémentaires, qui refuse ?) parce
quil sinscrit dans une tendance de fond dindividualisation
et de psychologisation de la question sociale.
Elle nécessite une double réflexion sur le travail et
sur lutilité de ce qui est produit.
Les réflexions sur le travail, le lien entre travail et revenu
avaient avancé après 95, celles-ci semblent connaître
une pause, due en partie à la mise en place des 35 heures, associée
à une économie dite « florissante ».
La question produire quoi, comment narrive pas à émerger.
Les discours sur lemploi évincent toutes réflexions
sauf lorsque des dangers liés à lenvironnement apparaissent
(nucléaire, marées noires, tempêtes).
La lutte prend des niveaux et dimensions différentes qui sont
tous nécessaires :
· Contre la précarité et ses conséquences
dans la ligne de ce qui a été fait en 1998 et depuis.
Lutte sur le logement, la santé, le relèvements des minimas
sociaux,
· Contre le capitalisme, le productivisme même si les chemins
que prend cette lutte semblent parfois chaotiques : rassemblement de
Millau, Foix, anti-OGM, menaces violentes douvriers menacés
de licenciement ;
· Réflexion sur les mutations du système, ce qui
nous oblige à sortir des sentiers battus, à refuser lactivisme
identitaire, à trouver un équilibre entre le temps de
laction et le temps détude, de débat.
Georges B.
Nantes le 5 septembre 2000.