A la suite du mouvement des occupations de mai 68 on a vu se développer
à la gauche du Parti Communiste et de la C.G.T un ensemble de petites
organisations qui se réclament du trotskisme, du maoïsme et
de lanarchisme. Malgré le faible pourcentage de travailleurs
qui ont rejoint leurs rang, elles prétendent disputer aux organisations
traditionnelles le contrôle de la classe ouvrière dont elles
se proclament lavant - garde.
Le ridicule de leurs prétentions peut faire rire, mais en rire
ne suffit pas. Il faut aller plus loin, comprendre pourquoi le monde moderne
produit ces bureaucrates extrémistes, et déchirer le voile
de leurs idéologies pour découvrir leur rôle historique
véritable. Les révolutionnaires doivent se démarquer
le plus possible des organisations gauchistes et montrer que loin de menacer
lordre du vieux monde laction de ces groupes ne peut entraîner
au mieux que son reconditionnement. Commencer à les critiquer,
cest préparer le terrain au mouvement révolutionnaire
qui devra les liquider sous peine dêtre liquidé par
eux.
La première tentation qui vient à lesprit est de sattaquer
à leurs idéologies, den montrer larchaïsme
ou lexotisme (de Lénine à Mao) et de mettre en lumière
le mépris des masses qui se cache sous leur démagogie. Mais
cela deviendrait vite fastidieux si lon considère quil
existe une multitude dorganisations et de tendances et quelles
tiennent toutes à bien affirmer leur petite originalité
idéologique. Dautre part cela revient à se placer
sur leur terrain. Plus quà leurs idées il convient
de sen prendre à lactivité quils déploient
au " service de leurs idées " : le MILITANTISME.
Si nous nous en prenons globalement au militantisme ce nest pas
parce que nous nions les différences qui existent entre lactivité
des diverses organisations. Mais nous pensons que malgré et même
justement à cause de leur importante ces différences ne
peuvent bien sexpliquer que si on prend le militantisme à
la racine.
Les diverses façons de militer ne sont que des réponses
divergentes à une même contradiction fondamentale dont aucune
ne détient la solution.
En prenant parti de fonder notre critique sur lactivité du
militant nous ne sous estimons pas limportance du rôle des
idées dans le militantisme. Simplement à partir du moment
où ces idées sont mises en avant sans êtres reliées
à lactivité il importe de savoir ce quelles
cachent. Nous montrerons le hiatus quil y a entre les deux, nous
relierons les idées à lactivité et dévoilerons
limpact de lactivité sur les idées : chercher
derrière le mensonge la réalité du menteur pour comprendre
la réalité du mensonge.
Si la critique et la condamnation du militantisme est une tâche
indispensable pour la théorie révolutionnaire, elle ne peut
être faite que du "point de vue " de la révolution.
Les idéologues bourgeois peuvent traiter les militants de voyous
dangereux, didéalistes manipulés, leur conseiller
doccuper leur temps à travailler ou à le passer au
Club Méditerranée ; ils ne peuvent pas sattaquer au
militantisme en profondeur car cela revient à mettre en lumière
la misère de toutes activités que permet la société
moderne. Nous ne cachons pas notre parti pris, notre critique ne sera
pas " objective et valable de tous les points de vue ".
Cette critique du militantisme est inséparable de la construction
des organisations révolutionnaires, non seulement parce que les
organisations de militants devront être combattues sans relâche,
mais aussi parce que la lutte contre la tendance au militantisme devra
être menée au sein même des organisations, révolutionnaires.
Cela sans doute parce que ces organisations, tout au moins au départ,
risquent dêtre composées pour une part non négligeable
danciens militants " repentis ", mais aussi parce que
le militantisme se base sur laliénation de chacun dentre
nous. Laliénation ne sélimine pas dun
coup de baguette magique et le militantisme est le piège particulier
que le vieux monde tend aux révolutionnaires.
Ce que nous disons des militants est dur et sans appel. Nous ne sommes
prêts effectivement à aucun compromis avec eux, ce ne sont
pas des révolutionnaires qui se trompent ou des semi - révolutionnaires,
mais des gens qui restent en deçà de la révolution.
Mais cela ne veut nullement dire que 1° nous nous mettons en dehors
de cette critique, si nous tenons à être clairs et nets,
cest dabord à légard de nous même,
et que 2° nous condamnons le militant en tant quindividus et
faisons de cette condamnation une affaire de morale. Il ne sagit
pas de retomber dans la séparation des bons et des méchants.
Nous ne sous estimons pas la tentation du : " plus je gueule contre
les militants, plus je prouve que je nen suis pas et plus je me
mets à labri de la critique ! "
LE MASOCHISME
Faisons leffort de surmonter lennui que secrète naturellement
les militants. Ne nous contentons pas de déchiffrer la phraséologie
de leurs tracts et de leurs discours. Interrogeons - les sur les raisons
qui les ont poussés, eux, personnellement, à militer. Il
y na pas de question qui puisse embarrasser plus un militant. Au
pire ils vont partir dans des baratins interminables sur lhorreur
du capitalisme, la misère des enfants du tiers monde, les bombes
à fragmentation, la hausse des prix, la répression....Au
mieux ils vont expliquer que ayant pris conscience - ils tiennent beaucoup
à cette fameuse " prise de conscience " - de la véritable
nature du capitalisme ils ont décidé de lutter pour un monde
meilleur, pour le socialisme (le vrai pas lautre). Enthousiasmés
par ces perspectives exaltantes ils nont pas résister au
désir de se jeter sur la manivelle de la ronéo la plus proche.
Essayons dapprofondir la question et portons nos regards non plus
sur ce quils disent mais sur ce quils vivent.
Il y a une énorme contradiction entre ce quils prétendent
désirer et la misère et linefficacité de ce
quils font.
Leffort auquel ils sastreignent et la dose dennui quils
sont capables de supporter ne peuvent laisser aucun doute : ces gens là
sont dabord des masochistes. Non seulement au vu de leur activité
on ne peut croire quils puissent désirer sincèrement
une vie meilleure, mais encore leur masochisme ne manifeste aucune originalité.
Si certains pervers mettent en uvre une imagination qui ignore la
pauvreté des règles du vieux monde, ce nest pas le
cas des militants ! Ils acceptent au sein de leur organisation la hiérarchie
et les petits chefs dont ils prétendent vouloir débarrasser
la société, et lénergie quils dépensent
se moule spontanément dans la forme du travail . Car le militant
fait partie de cette sorte de gens à qui 8 ou 9 heures dabrutissement
quotidien ne suffisent pas.
Lorsque les militants tentent de se justifier ils narrivent quà
étaler leur manque dimagination. Ils ne peuvent concevoir
autre chose, une autre forme dactivité que ce qui existe
actuellement. Pour eux, la division entre le sérieux et lamusant,
les moyens et les buts nest pas liée à une époque
déterminée. Ces catégories sont éternelles
et indépassables : on ne pourra être heureux plus tard que
si on se sacrifie maintenant. Le sacrifice sans récompense de millions
de militants ouvriers, des générations de lépoque
stalinienne ne fait rien bouger dans leurs petites têtes. Ils ne
voient pas que les moyens déterminent les fins et quen acceptant
de se sacrifier aujourdhui ils préparent les sacrifices de
demain.
On ne peut quêtre frappé par les innombrables ressemblances
qui rapprochent militantisme et activité religieuse. On retrouve
les mêmes attitudes psychologiques : esprit de sacrifice, mais aussi
intransigeance, volonté de convertir, esprit de soumission. Ces
ressemblances sétendent au domaine des rites et des cérémonies
: prêches sur le chômage, processions pour le Vietnam, références
aux textes sacrés du marxisme - léninisme, culte des emblèmes
(drapeaux rouges). Les églises politiques nont - elles pas
aussi leurs prophètes, leurs grands prêtres, leurs convertis,
leurs hérésies, leurs schismes, leurs pratiquants - militants
et leurs non - pratiquants - sympathisants ! Mais le militantisme révolutionnaire
nest quune parodie de la religion. La richesse, la démence,
la démesure des projets religieux lui échappent ; il aspire
au sérieux, il veut être raisonnable, il croit pouvoir gagner
en échange un paradis ici - bas. Cela ne lui est même pas
donné. Jésus Christ ressuscite et monte au ciel Lénine
pourrit sur la Place Rouge.
Si le militant peut être assimilé au croyant en ce qui concerne
la candeur de ses illusions il convient de le considérer tout autrement
en ce qui concerne son attitude réelle. Le sacrifice de la carmélite
qui semprisonne pour prier pour le salut des âmes a des répercussions
très limitées sur la réalité sociale. IL en
va tout autrement pour le militant. Son sacrifice risque davoir
des conséquences fâcheuses pour lensemble de la société.
LE DESIR DE LA PROMOTION
Le militant parle beaucoup des masses. Son action est centrée sur
elles. Ils sagit de les convaincre, de leur faire " prendre
conscience ". Et pourtant le militant est séparé des
masses et de leurs possibilités de révolte. Et cela parce
quil est SEPARE DE SES PROPRES DESIRS.
Le militant ressent labsurdité de lexistence que lon
nous impose. En " décidant " de militer, il tente dapporter
une solution à lécart qui existe entre ses désirs
et ce quil a réellement la possibilité de vivre. Cest
une réaction contre la misère de sa vie. Mais il sengage
dans une voie sans issue.
Bien qu insatisfait, le militant reste incapable de reconnaître
et daffronter ses désirs. IL EN A HONTE. Cela lentraîne
à remplacer la promotion de ses désirs par le désir
de sa promotion. Mais les sentiments de culpabilité quil
entretient sont tels quil ne peut envisager une promotion hiérarchique
dans le cadre du système, ou plutôt il est prêt à
lutter pour une bonne place si il gagne en même temps la garantie
que ce nest pas pour son propre compte. Son militantisme lui permet
de sélever, de se mettre sur un piédestal, sans que
cette promotion apparaisse aux autres et à lui - même pour
ce quelle est. (Après tout, le pape nest lui aussi
que le serviteur des serviteurs de Dieu !
Se mettre au service de ses désirs ne revient nullement à
se réfugier dans sa coquille et na rien à voir avec
lindividualisme petit bourgeois. Tout au contraire cela ne peut
passer que par la destruction de la carapace dégoïsme
dans laquelle nous enferme la société bourgeoise et le développement
dune véritable solidarité de classe. Le militant qui
prétend se mettre au service du prolétariat (" les
ouvriers sont nos maîtres " Geismar) ne fait que se mettre
au service de lidée quil a des intérêts
du prolétariat. Ainsi par un paradoxe qui nest quapparent,
en se mettant véritablement au service de soi - même on en
revient à aider véritablement les autres et cela sur une
base de classe, et en se mettent au service des autres on en vient à
protéger une position hiérarchique personnelle.
Militer, ce nest pas saccrocher à la transformation
de sa vie quotidienne, ce nest pas se révolter directement
contre ce qui opprime, cest au contraire fuir ce terrain. Or ce
terrain est le seul qui soit révolutionnaire pourvu que lon
sache que notre vie de tous les jours est colonisée par le capital
et régie par les lois de la production marchande. En se politisant,
le militant est à la recherche dun rôle qui le mette
au - dessus des masses. Que ce " au - dessus " prenne des allures
" davant - gardisme " ou " déducationnisme
" ne change rien à laffaire. Il nest déjà
plus le prolétaire qui na rien dautre à perdre
que ses illusions; il a un rôle à défendre. En période
de révolution, quand tous les rôles craquent sous la poussée
du désir de vivre sans entrave, le rôle de " révolutionnaire
conscient " est celui qui survit le mieux.
En militant, il donne du poids à son existence, sa vie retrouve
un sens. Mais ce sens, il ne le trouve pas en lui - même dans la
réalité de sa subjectivité, mais dans la soumission
à des nécessités extérieures. De même
que dans le travail il est soumis à un but et à des règles
qui lui échappent, il obéit en militant aux " nécessités
de lhistoire. "
Evidemment , on ne peut pas mettre tous les militants sur le même
plan. Tous ne sont pas atteints aussi gravement. On trouve parmi eux quelques
naïfs qui, ne sachant comment utiliser leurs loisirs, poussés
par la solitude et trompés par la phraséologie révolutionnaire
se sont égarés ; ils saisiront le premier prétexte
venu pour sen aller. Lachat de la télévision,
la rencontre de lâme sur, la nécessité
de faire des heures supplémentaires pour payer la voiture déciment
les rangs de larmée des militants !
Les raisons qui poussent à militer ne datent pas daujourdhui.
En gros elles sont les mêmes pour les militants syndicalistes, catholiques
et révolutionnaires. La réapparition dun militantisme
révolutionnaire de masse est liée à la crise actuelle
des sociétés marchandes et au retour de la vielle taupe
révolutionnaire. La possibilité dune révolution
sociale apparaît suffisamment sérieuse pour que les militants
misent sur elle. Le tout est renforcé par lécroulement
des religions.
Le capitalisme na plus besoin des systèmes de compensation
religieux. Parvenu à maturité, il na pas à
offrir un supplément de bonheur dans lau - delà mais
tout le bonheur ici - bas, dans la consommation de ses marchandises matérielles,
culturelles et spirituelles (langoisse métaphysique fait
vendre !). Dépassées par lhistoire, les religions
et leurs fidèles nont plus quà passer à
laction sociale ou au ....maoïsme.
Le militantisme gauchiste touche essentiellement des catégories
sociales en voie de prolétarisation accélérée
(lycéens, étudiants, enseignants, personnels socio - éducatifs....)
qui nont pas de possibilité de lutter concrètement
pour des avantages à court terme et pour lesquels devenir véritablement
révolutionnaire suppose une remise en question personnelle très
profonde. Louvrier est beaucoup moins complice de son rôle
social que létudiant ou léducateur. Militer
est pour ces derniers une solution de compromis qui leur permet dépauler
leur rôle sociale vacillant. Ils retrouvent dans le militantisme
un importance personnelle que la dégradation de leur position sociale
leur refusait. Se dire révolutionnaire, soccuper de la transformation
de lensemble de la société, permet de faire léconomie
de la transformation de sa propre condition et de ses illusions personnelles.
Dans la classe ouvrière le syndicalisme a le quasi - monopole du
militantisme, il assure au militant des satisfaction immédiates
et une position dont lavantage peut se mesurer concrètement.
Louvrier tenté par le militantisme se tournera très
probablement vers le syndicalisme. Même les comités de lutte
antisyndicaux ont tendance à devenir un syndicalisme nouvelle manière.
Lactivité politique nest pour les militants ouvriers
que le prolongement de laction syndicale. Le militantisme tente
peu les ouvriers et notamment les jeunes ouvriers parce que ce sont les
prolétaires les plus lucides en ce qui concerne la misère
de leur travail en particulier et de leur vie en général.
Déjà peu tentés, dans leur ensemble, par le syndicalisme,
ils le sont encore moins par un gauchisme aux avantages fumeux.
Ceci dit, quand dans la tourmente révolutionnaire le règne
des marchandises et de la consommation sécoulera, le syndicalisme
dont le sérieux se basait sur la revendication sera prêt
pour survivre à passer au militantisme révolutionnaire.
Il reprendra les mots dordre les plus extrémistes et sera
alors beaucoup plus dangereux que les groupes gauchistes. Déjà
ne voit - on pas, à la suite de mai 68, la CFDT mêler le
mot dautogestion à son charabia néo - bureaucratique
!
LE TRAVAIL POLITIQUE
Le temps " libre " que lui laissent ses obligations professionnelles
ou scolaires, le militant va le consacrer à ce quil appelle
lui - même " le travail politique ". Il faut tirer et
distribuer des tracts, fabriquer et coller des affiches, faire des réunions,
prendre des contacts, préparer des meetings...Mais ce nest
pas telle action considérée isolement qui suffit à
caractériser le travail militant. Le simple fait de composer un
tract dans le but de le tirer et le distribuer ne peut être considéré
en soi comme un acte militant. Si il est militant cest parce quil
sinsère dans une activité qui a une logique particulière.
Cest parce que lactivité du militant nest pas
le prolongement de ses désirs, cest parce quelle obéit
à une logique qui lui est extérieure, quelle se rapproche
du travail. De même que le travailleur ne travaille pas pour lui,
le militant ne milite pas pour lui. Le résultat de son action ne
peut donc pas être mesuré au plaisir quil retire. Il
va donc lêtre suivant le nombre dheures dépensées,
le nombre de tracts distribués. La répétition, la
routine dominent lactivité du militant. La séparation
entre exécution et décision renforce le côté
fonctionnaire du militant.
Mais si le militantisme se rapproche du travail il ne peut pas lui être
assimilé. Le travail est lactivité sur laquelle se
fonde le monde dominant, il produit et reproduit le capital et les rapports
de production capitalistes ; le militantisme lui nest quune
activité mineure. Si le résultat du travail et son efficacité,
par définition, ne se mesurent pas à la satisfaction du
travailleur ils ont lavantage dêtre mesurables économiquement.
La production marchande, par le biais de la monnaie et du profit crée
ses étalons et ses instruments de mesure. Elle a sa logique et
sa rationalité quelle impose au producteur et au consommateur.
Au contraire, l efficacité du militantisme, " lavancée
de la révolution ", nont pas encore trouvé leurs
instruments de mesure. Leur contrôle échappe aux militants
et à leurs dirigeants. Dans lhypothèse, évidemment,
où ces derniers se soucient encore de la révolution ! On
en est donc réduit à comptabiliser le matériel produit
et distribué, le recrutement, les actions menées ; ce qui
évidemment ne mesure jamais ce que lon prétend mesurer.
Tout naturellement on en vient à considérer que ce qui est
mesurable est une fin en soi. Imaginez le capitaliste qui ne trouvant
pas de moyen dévaluer la valeur de sa production déciderait
de se rabattre sur la mesure des quantités dhuile consommées
par des machines. Très consciencieux, les ouvriers videraient de
lhuile dans le caniveau pour faire progresser .... la production.
Incapable de poursuivre le but proclamé, le militantisme ne fait
que signer le travail.
Sappliquant consciencieusement à imiter le travail, les militants
sont fort mal placés pour comprendre les perspectives ouvertes
dun côté par le mépris de plus en plus répandu
à légard de toutes les contraintes et de lautre
par les progrès du savoir et de la technique. Les plus intelligents
dentre eux se rangent aux côtés des idéologues
de la bourgeoisie moderniste, pour demander que lon réduise
les horaires ou que lon humanise la répugnante activité.
Que ce soit au nom du capital ou de la révolution , tous ces gens
- là se montrent incapables de voir au - delà de la séparation
entre temps de travail et temps de loisirs, entre activité consacrée
à la production et activité consacrée à la
consommation.
Si nous sommes obligés de travailler, la cause nest pas naturelle,
elle est sociale. Travail et société de classe vont de pair.
Le maître veut voir lesclave produire parce que seul ce qui
est produit est appropriable. La joie, le plaisir que lon trouve
dans une activité quelconque, cela ne peut être capitalisé,
accumulé, traduit en argent par le capitaliste, alors il sen
fout. Lorsque nous travaillons nous sommes entièrement soumis à
une autorité, à une loi extérieure, notre seule raison
dêtre cest ce que nous produisons. Toute usine est un
racket, où lon pompe notre sueur et notre vie pour les transformer
en marchandises.
Le temps passé à travailler est un temps où nous
devons non pas satisfaire directement nos désirs mais sacrifier
en attendant cette réparation ultérieure quest le
salaire. Cest exactement le contraire du jeu, où le déroulement
et le rythme de ce quon fait a pour maître le plaisir que
lon y prend. Le prolétariat en sémancipant abolira
le travail. La production des denrées nécessaires à
notre survie biologique ne sera plus alors que le prétexte à
la libération de nos passions.
LA REUNIONITE
Une caractéristique significative du militantisme est le temps
passée en réunions. Laissons de côté les débats
consacrés à la grande stratégie : où en sont
nos camarades de Bolivie, à quand la prochaine crise économique
mondiale, la construction du parti révolutionnaire avance - t -
elle ...
Contentons nous de nous pencher sur les réunions concernant le
" travail quotidien ". Cest peut - être là
que sétale le mieux la misère du militantisme. A part
quelques cas désespérés, les militants eux - mêmes
se plaignent du nombre de ces " réunions qui navancent
pas ". Même si les militants aiment se réchauffer entre
eux ils ne peuvent pas ne pas souffrir de la contradiction évidente
entre dune part leur volonté dagir et dautre
part le temps perdu en de vaines discussions, en des débats sans
issue. Ils sont condamnés à rester dans une impasse car
ils sen prennent à la " réunionnite " sans
voir que cest tout le militantisme qui est en cause. La seule façon
déliminer la réunionnite revient à fuir dans
un activisme de moins en moins en prise sur la réalité.
QUE FAIRE ? COMMENT SORGANISER ? Voilà les questions qui
sous tendent et provoquent les réunions. Or ces questions ne peuvent
jamais, être réglées, leur solution navance
jamais, parce que lorsque les militants se les posent, ils se les posent
comme séparées de leur vie. La réponse nest
pas un rendez - vous parce que la question nest pas posée
par celui qui possède la solution concrète. On peut se réunir
pendant des heures, se triturer le cerveau, cela ne fera pas surgir le
support pratique qui manque aux idées. Alors que les questions
sont des bagatelles pour le prolétariat révolutionnaire,
parce que pour lui les problèmes de laction et de lorganisation
se posent concrètement, font partie de sa lutte, ils deviennent
le PROBLEME pour les militants. La réunionnite est le complément
nécessaire de lactivisme. En fait, le problème posé
est toujours celui - là : comment fusionner avec le mouvement des
masses tout en restant séparé de lui . La solution de ce
dilemme est soit de fusionner réellement avec les masses en retrouvant
la réalité de ses désirs et les possibilités
de leur réalisation, soit de renforcer leur pouvoir en tant que
militants, en se rangeant au côté du vieux monde contre le
prolétariat. Les grèves sauvages montrent quil y a
des risques ! Dans ses rapports avec les masses, le militantisme reproduit
ses tares internes, notamment ses tendances à la réunionnite.
On rassemble des gens et on les compte. Pour certains du genre AJS (1)
, se montrer et se compter devient même le summum de laction
!
Ces questions de laction et de lorganisation, séparées
déjà du mouvement réel, se trouvent mécaniquement
séparées entre elles. Les diverses orientations du gauchisme
concrétisent cette séparation. On trouve dun côté
avec les maos et lex - GP le pôle de laction, et de
lautre avec les trotskistes et la Ligue Communiste le pôle
de lorganisation. On fétichise soit laction, soit lorganisation
pour sortir de limpasse où en se séparant des masses
le militantisme sest plongé. Chacun protège sa crétinerie
particulière en se gaussant de lorientation des groupes concurrents.
LA BUREAUCRATIE
Les organisations de militants sont toutes hiérarchisées.
Certaines organisations non seulement ne sen cachent pas mais auraient
même plutôt tendance à sen vanter. Dautres
se contentent den parler le moins possible. Enfin certains petits
groupes essaient de le nier.
De même quelles reproduisent ou plutôt singent le travail
les organisations militantes ont besoins de " patrons ". Ne
pouvant bâtir leur union à partir de leurs problèmes
concrets, les militants sont naturellement portés à considérer
que lunification des décisions ne peut découler que
de lexistence dune direction. Ils nimaginent pas que
la vérité commune puisse jaillir des volontés particulières
de sortir de la merde, elle doit être balancée et imposée
du haut. Ils se représentent donc nécessairement la révolution
comme un choc entre deux appareils détat hiérarchisés,
lun étant bourgeois, lautre prolétarien.
Ils ne savent rien de la bureaucratie, de son autonomie et de la façon
dont elle résoud ses contradictions internes. Le militants de base
croit naïvement que les conflits entre dirigeants se réduisent
à des conflits didées et que là, où
on lui dit quil y a unité il y a effectivement unité.
Sa grande fierté est davoir su discerner lorganisation
ou la tendance pourvu de LA bonne direction. En adhérant à
telle ou telle chapelle il adopte un système didées
comme on enfile un costume. Nen ayant vérifié aucune
base il sera prêt à en défendre toutes les conséquences
et à répondre à toutes les objections avec un dogmatisme
incroyable. A une époque où les curés sont déchirés
par les crises spirituelles, le militant conserve la foi.
Forcé de tenir compte du mépris de plus en plus répandu
à légard de toute forme dautorité le
militantisme a produit des rejetons dun type nouveau. Certaines
organisations prétendent quelles nen sont pas et surtout
dissimulent leur direction. Les bureaucrates se cachent pour mieux pouvoir
tirer les ficelles.
Certaines organisations traditionnelles essaient de mettre en place des
formes dorganisation parallèles permanentes ou pas. Elles
espèrent, au nom de " lautonomie prolétarienne
", récupérer ou tout au moins influencer des gens qui
leur auraient autrement échappé. On peut citer le Secours
Rouge, l O.J.T.R. et les Assemblées Ouvriers Paysans du PSU...De
même, certains journaux indépendants ou satellites dorganisations
prétendent nexprimer que le point de vue des masses révolutionnaires
ou de groupes autonomes de la base. Mentionnons les " Cahiers de
Mai ", "Le technique en Lutte " , "Loutil des
travailleurs "...Là où on refuse de poser clairement
et les questions dorganisation et les questions de théorie
sous le prétexte que lheure de la construction du parti révolutionnaire
nest pas encore venue ou au nom dun spontanéisme de
pacotille (nous ne sommes pas une organisation, mais un rassemblement
de braves mecs, une communauté " etc. ) , on peut être
sûr quil y a de la bureaucratie et même souvent du maoïsme.
Lavantage du trotskisme, cest que sonfétichisme de
lorganisation le contraint à afficher la couleur ; il récupère
en le disant. Lavantage du maoïsme (nous ne parlons pas de
maoïsme pur et archéo - stalinien du genre Humanité
Rouge) cest quil crée les conditions de son propre
débordement ; à force de jouer les équilibristes
de la récupération il va se casser la gueule
OBJECTIVITE ET SUBJECTIVITE
Les systèmes didées adoptés par les militants
varient suivant les organisations, mais ils sont tous minés par
la nécessité de masquer la nature de lactivité
quil cachent et la séparation des masses. Aussi retrouve
- t - on toujours au cur des idéologies militantes la séparation
entre objectivité et subjectivité conçue de façon
mécanique et ahistorique.
Le militant qui se dévoue au service du peuple, même si il
ne nie pas que son activité a des motivations subjectives, refuse
de leur accorder de limportance. De toute façon ce qui est
subjectif doit être éliminé au profit de ce qui est
objectif. Le militant refusant dêtre mu par ses désirs
en est réduit à invoquer les nécessités historiques
considérées comme extérieures au monde des désirs.
Grâce au " socialisme scientifique ", forme figée
dun marxisme dégénéré, il croit pouvoir
découvrir le sens de lhistoire et sy adapter.
Il se grise avec des concepts dont la signification lui échappe
: forces productives, rapports de production, loi de la valeur, dictature
du prolétariat etc. Tout cela lui permet de se rassurer sur le
sérieux de son agitation. Se mettant en dehors de " sa critique
" du monde, il se condamne à ne rien comprendre à la
marche de celui - ci.
La passion quil narrive pas à mettre dans sa vie quotidienne,
il la reporte dans sa participation imaginaire au " spectacle révolutionnaire
mondial ". La terre est ravalée au rang dun théâtre
de polichinelle où saffrontent bons et méchants, impérialistes
et anti - impérialistes. Il compense la médiocrité
de son existence en sidentifiant aux stars de ce cirque planétaire.
Le comble du ridicule a certainement été atteint avec le
culte du " CHE ". Economiste délirant, piteux stratège,
mais beau gosse, Guévara aura eu au moins la consolation de voir
ses talents hollywoodiens récompensés. Un record dans la
vente des posters.
Quest - ce que la subjectivité, sinon le résidu de
lobjectivité, ce quune société fondée
sur la reproduction marchande ne peut intégrer ? La subjectivité
de lartiste sobjective dans luvre dart.
Pour le travailleur séparé des moyens de production et de
lorganisation de sa propre production, la subjectivité reste
à létat de manies, de fantasme...Ce qui sobjective
le fait par la grâce du capital, et devient lui même capital.
Lactivité révolutionnaire comme le monde quelle
préfigure dépasse la séparation entre objectivité
et subjectivité. Elle objective la subjectivité et investit
subjectivement le monde objectif. La révolution prolétarienne
cest lirruption de la subjectivité !
Il ne sagit pas de retomber dans le mythe dune " vraie
nature humaine ", de l " essence éternelle "
de lhomme qui, réprimé par la Société,
chercherait à revenir au grand jour. Mais si la forme et le but
de nos désirs varient, ils ne se réduisent nullement au
besoin de consommer tel ou tel produit. Déterminée historiquement
par lévolution et les nécessités de la production
marchande, la subjectivité ne se pli nullement aux besoins de la
consommation et de la production. Pour récupérer les désirs
des consommateurs la marchandise doit sadapter sans cesse. Mais
elle reste incapable de satisfaire la volonté de vivre en réalisant
totalement et directement nos désirs. A lavant - garde de
la provocation marchande, les vitrines subissent de plus en plus souvent
la critique du pavé !
Ceux qui refusent de tenir compte de la réalité de LEURS
désirs au nom de la " Pensée matérialiste "
risquent de ne pas voir le poids de Nos désirs leur retomber sur
la gueule.
Les militants et leurs idéologues, même diplômés
de luniversité, sont de moins en moins aptes à comprendre
leur époque et à coller à lhistoire. Incapables
de sécréter une pensée un tant soit peu moderne,
ils en sont réduits à aller fouiller dans les poubelles
de lhistoire pour y récupérer des idéologies
qui ont fait, déjà depuis un certains temps, la preuve de
leur échec : anarchisme, léninisme, trotskisme....Pour rendre
le tout plus digeste ils lassaisonnent dun peu de maoïsme
ou de castrisme mal compris. Ils se réclament du mouvement ouvrier
mais confondent son histoire avec la construction dun capitalisme
détat en Russie ou lépopée bureaucratique
- paysanne de " la longue marche " en Chine. Ils se prétendent
marxistes, mais ne comprennent pas que le projet marxiste dabolition
du salariat, de la production marchande et de létat, est
indissociable de la prise du pouvoir par le prolétariat.
Les penseurs " marxistes" sont de plus en plus incapables de
reprendre lanalyse des contradictions fondamentales du capitalisme
quavait inaugurée Marx . Ils vont sengluer sur le terrain
de léconomie politique bourgeoise, tout en rabâchant
des bêtises sur la loi de la valeur travail, la baisse tendancielle
du taux de profit, la réalisation de la plus - value. Malgré
leurs prétentions, ils ne comprennent rien à la marche du
capitalisme moderne. Se croyant obligés dutiliser un vocabulaire
marxiste, dont ils ne connaissent pas le mode demploi, ils se coupent
des quelques possibilités danalyse qui restent à léconomie
politique. Leurs " recherches " ne valent pas celles du premier
disciple de Keynes venu..
MILITANTS ET CONSEILS OUVRIERS
Les organisation militantes sautonomisent au - dessus des masses
quelles ont la prétention de représenter. Elles sont
naturellement amenées à considérer que ce nest
pas la classe ouvrière qui fait la révolution mais "
les organisations de la classe ouvrière ". Il convient donc
de renforcer ces dernières. Le prolétariat devient à
la limite une matière brute , du fumier sur lequel va pouvoir sépanouir
cette rose rouge quest le Parti Révolutionnaire. Les nécessités
de la récupération exigent quon ne parle pas trop
de ça à lextérieur ; cest là que
commence la démagogie.
Lautonomie des buts des organisations militantes doit - être
dissimulée. Lidéologie sert à ça. Lon
proclame bien haut que lon est au service du peuple, que lon
nagit pas pour son bien propre et que si jamais pendant un court
moment on est obligé de prendre le pouvoir on nen abusera
pas. Une fois que la classe ouvrière aura été bien
éduquée on se dépêchera de lui rendre.
Lhistoire des conseils ouvriers montre que systématiquement
les organisations dites ouvrières ont cherché à jouer
leur propre jeu et tirer les marrons du feu ; cela pour les meilleurs
motifs évidemment. Pour assurer leur pouvoir, elles ont cherché
à limiter, à récupérer et a détruire
les formes dorganisation que le prolétariat sétait
données : soviets territoriaux, comités dusine.
Les soviets russes ont été magouillés, puis liquidés
par le parti et létat bolchevique. En 1905 Lénine
ne leur accorde pas dimportance. En 1917, au contraire, on proclame
: " tout le pouvoir au soviets". En 1921 les soviets qui ont
servi de marchepied pour prendre le pouvoir deviennent gênants ;
les ouvriers et les marins de Cronstadt qui réclament des soviets
libres sont écrasés par larmée rouge.
En Allemagne, le gouvernement social - démocrate des " commissaires
du peuple " se charge de liquider les conseils ouvriers au nom de
la révolution.
En Espagne, de nouveau les communistes soccupent de faire disparaître
les formes de pouvoir populaire. Cela devait permettre de mieux développer
la lutte contre le fascisme ! Ce nest pas la peine daccumuler
les exemples. Toutes les expériences historiques ont confirmé
lantagonisme qui oppose prolétariat révolutionnaire
et organisation militante. Lidéologie la plus extrémiste
peut cacher la position la plus contre - révolutionnaire. Si certaines
organisations ont pu cependant se battre à coté du prolétariat
jusqu'à la défaite commune comme la Ligue Spartacus et la
CNT - FAI anarcho-syndicaliste, rien ne prouve que ces organisations naurait
pas commencé à lutter pour leur propre pouvoir une fois
ladversaire vaincu.
Les militant pour sêtre cloîtrés en politique
nen restent pas moins des individus sociaux, soumis à linfluence
de leur milieu. Lorsque ça chauffe, beaucoup peuvent passer dans
le camp de la révolution. On a bien vu des délégués
syndicaux prendre la tête de séquestrations ! Mais la désertion
massive des militants sera dautant plus probable que les conseils
et les révolutionnaires conseillistes seront plus forts. Le mouvement
peut être aidé dans ses succès par le renfort de nombreux
militants, mais en cas derreurs ou de flottements le balancier jouera
dans lautre sens. Les organisations militantes seront renforcées
par lapport de prolétaires cherchant à se rassurer.
La liquidation des conseils ouvriers a été rendu possible
par leur faiblesse, leur incapacité de faire appliquer en leur
sein les règles de la démocratie directe et à prendre
effectivement tout le pouvoir en écrasant tous les pouvoirs qui
leur étaient extérieurs. Les organisations militantes ne
sont en fait que la propre faiblesse extériorisée du prolétariat
qui se retourne contre lui.
Les travailleurs feront de nouveau des erreurs. Ils ne trouveront pas
immédiatement la forme adéquate de leur pouvoir. Moins les
masses auront dillusions sur le militantisme, plus le pouvoir des
conseils aura de chance de se développer. Discréditer et
ridiculiser les militants, voilà la tâche qui revient dès
maintenant aux révolutionnaires. Cette tâche sera parachevée
par la critique en acte que constituera la naissance dorganisations
conseillistes. Ces organisations sauront très bien se passer dune
direction et dun appareil bureaucratique. Produit de la solidarité
de travailleurs combatifs, elles seront de libres associations dindividus
autonomes. Elles montreront par leurs idées, mais surtout par leur
comportement dans les luttes, quelles ne risquent jamais de poursuivre
des intérêts distincts de ceux de lensemble du prolétariat.
Le développement du capitalisme moderne qui se traduit par loccupation
de tout lespace social par les marchandises, par la généralisation
du travail salarié, mais aussi par la dégradation des valeurs
morales, le mépris du travail et des idéologies, augmentera
la violence du choc. Les prolétaires iront beaucoup plus vite et
beaucoup plus loin que par le passé. Si des organisations de militants
ont pu jadis jouer un rôle révolutionnaire pendant un certains
temps, cela ne sera plus possible. Ces organisations ne pourront être
rapidement que de plus en plus contre - révolutionnaires lors des
prochaines grandes batailles de la lutte.
Organisation des jeunes travailleurs révolutionnaires (1972)
Notes
Alliances des Jeunes pour le Socialisme : organisation de jeunesse des
trotskistes lambertistes de lépoque .
Ce texte, sorti à lépoque en brochure, est à
nouveau disponible sur le Net:
http://www.ldmcom.org/adel_spartacus/ojtr.html
ou
http://www.left-dis.nl/f/militant.htm
Pour le télécharger : http://cabanel.jennifer.free.fr/reserve_2/
le_militantisme_alienation.doc
|