|
Origine liste Atsx : http://www.lecourrier.ch/modules.php
?op=modload&name=NewsPaper&file=article&sid=39337
Egalité
Le 8 mars 2003, Genève accueillait la première grand-messe
des hommes blessés: le «congrès international
de la condition masculine». En avril de cette année,
le relais sera passé à Montréal. Ces colloques
font partie d'un mouvement plus large qui met en avant «la
crise de la masculinité» en réaction à
l'émancipation (trop ?) radicale des femmes. Si ce courant
est minoritaire au sein de la gent masculine, il participe d'une
tendance qui remet en question l'avancée des droits des femmes.
Depuis que les femmes s'émancipent, les hommes vont mal.
Du moins, c'est ce qu'affirment certains groupes d'hommes s'exprimant
dans des congrès ou sur de florissants sites Internet (1).
Sans importance ? Leur discours est néanmoins à la
mode et abondamment relayé par les médias. L'argumentaire
se veut simple, cohérent, concret: le féminisme a
forcé les hommes à changer et depuis ils se sentent
dépossédés de leur identité et de leurs
droits. La liste des injustices dont ils souffrent est longue:
Discrimination positive au travail en faveur des femmes, préjugés
favorables aux mères en cas de divorce, fausses allégations
de violence ou d'inceste, pensions alimentaires disproportionnées,
hausse du décrochage scolaire des garçons, augmentation
des prescriptions d'antidépresseurs. «Un discours de
dominants», résume Anne-Marie Devreux, sociologue française,
chargée de recherche au CNRS. Les arguments utilisés
sont majoritairement reliés à l'émotionnel
et l'identitaire. Probablement parce que les inégalités
matérielles entre femmes et hommes sont toujours favorables
à ces derniers.
SOUFFRANCE SUSPECTE
Cette «crise» trouve ses racines dans les années
septante et les avancées acquises alors par les femmes, notamment
en termes de participation au marché du travail et de contraception.
Selon Anne-Marie Devreux, les réactions positives de quelques
hommes à ces changements furent montées en mayonnaise
et arbitrairement extrapolés à l'ensemble de la société
tout au long des années quatre-vingt. Ce n'est que dans les
années nonante, comme l'explique la sociologue Pascale Molinier
dans L'énigme de la femme active (2), que le discours optimiste
sur les nouveaux hommes et la constitution d'une nouvelle société
égalitaire laissa la place à un discours alarmiste
sur «le malaise des hommes». Un malaise qui s'expliquerait
par la remise en question de certaines pratiques et cadres traditionnels.
Si certaines féministes concèdent que l'évolution
des rapports entre femmes et hommes ont poussé des hommes
à une remise en question de leur rôle dans la société,
elles restent très réservées quant à
l'ampleur du phénomène. D'abord parce que les inégalités
touchent toujours majoritairement les femmes – chômage,
précarité, bas salaires – sans oublier la violence,
ensuite parce que la «crise» ne concerne qu'une partie
minime de la population masculine. «Chez les bourgeois ou
dans les cités, les garçons ne traversent pas de «crise
de la masculinité», souligne Anne-Marie Devreux.
Par ailleurs, certaines «souffrances» masculines peuvent
paraître très suspectes. Comme la douleur des pères
spoliés du droit de s'occuper de leurs enfants. Etonnamment,
souligne la sociologue, cette souffrance apparaît essentiellement
lors de la séparation du couple. «Quand les hommes
parlent «au nom de leurs enfants», c'est souvent contre
les femmes. La dépossession des pères de leurs droits
est complètement mythique. Ils oublient que la responsabilité
parentale implique aussi des devoirs.»
PERTE DE PRIVILÈGES
Au-delà d'un passager accès de colère, que
cache alors cette «crise de la masculinité» ?
«On constate qu'un état de crise surgit à chaque
fois qu'une domination est remise en question», remarque Anne-Marie
Devreux. Cette angoisse serait liée au sentiment de la perte
des privilèges et du monopole des hommes. Faut-il vraiment
la prendre au sérieux ? «Ce n'est pas un phénomène
secondaire. Cette «crise de la masculinité» est
une version soft de ce qui est en train de se mener plus particulièrement
au Canada et en France: une lutte ouverte des hommes contre les
femmes et contre les féministes», analyse Anne-Marie
Devreux. Le débat sur la mixité à l'école
en est un bon exemple. Parti du Québec, il occupe aujourd'hui
ceux qui se sont auto-baptisés les «masculinistes».
Sous prétexte de défendre les garçons qui souffriraient
de la réussite scolaire des filles, ces derniers proposent
un retour en arrière à des classes non-mixtes.
SOUFFRANCE FÉMININE
Absurde, dira-t-on. La sociologue française ne banalise
pas le phénomène. En matière de droit des femmes,
rien n'est jamais acquis. Comme le prouve la mise en place de l'Allocation
parentale d'éducation (APE) en France, initialement attribuée
à l'un des deux parents à condition qu'il reste à
la maison pour s'occuper de l'enfant entre 0 et 3 ans. Résultat:
l'APE touche essentiellement des femmes et le taux d'activité
des mères de deux enfants a chuté de 80% à
50%. Un procédé pernicieux pour remettre les femmes
au foyer. «Il faut envisager le phénomène au
niveau mondial. Je pense que l'oppression des Afghanes ou des Algériennes
est de même essence que ces politiques de régression
du droit des femmes», commente Anne-Marie Devreux.
Pour la sociologue Pascale Molinier, cette «crise» cache
également un processus d'euphémisation des souffrances
féminines. Contrairement à ces dernières, «les
formes masculines de décompensation sont spectaculaires et
bruyantes: rixe, sabotage, surendettement, violences domestiques,
suicides. Quant à la souffrance des hommes dominants, ce
n'est rien de dire qu'elle fait recette. «Le stress des cadres»
a fait couler plus d'encre ces dernières années que
celui des caissières d'hypermarché. En pointant la
vulnérabilité des hommes ne risque-t-on pas d'avaliser
l'idée, bien commode pour le maintien de l'ordre social,
que les femmes sont formidables dans l'adversité ?»
D'ailleurs, beaucoup de femmes ont elles-mêmes intégré
ce discours sur la «crise de la masculinité».
Elles culpabilisent, ont le sentiment de mettre la barre trop haut,
d'en demander beaucoup, de vouloir trop. Certaines sont aussi sensibles
au discours des hommes bafoués dans leurs droits parce qu'elles
y trouvent plus de bénéfices personnels.
Notes : (1) Divers sites Internet comme :
http://www.la-cause-des-hommes.comhttp://www.la-cause-des-hommes.com
ou http://www.garscontent.com/index.htmlhttp://www.garscontent.com/index.html
ou http://www.mensongefeministe.cahttp://www.mensongefeministe.ca
ou http://www.perepourtoujours.chhttp://www.perepourtoujours.ch
(2) Payot, Paris, 2003.
LE CONGRÈS QUI ENTEND REDONNER LA PAROLE AUX HOMMES
«Est-ce que l'homme est aussi méchant ou aussi minable
que le suggèrent les féministes ? Est-ce que les femmes
et les enfants seraient mieux si les hommes disparaissaient de la
planète ? L'homme doit-il changer pour se conformer aux attentes
de la femme ?» Voilà une série de questions
sans réponses qui auraient poussé John Goetelen, naturopathe,
et Yvon Dallaire, auteur de Homme et fier de l'être, à
organiser le premier Congrès international de la condition
masculine, «Paroles d'hommes», en 2003 (1). Pour les
deux hommes, ce congrès devait être l'occasion de réfléchir
sur la condition de l'homme aujourd'hui. Neuf intervenants belges,
suisses, français et québécois y ont abordé
des thèmes tels que «La femme n'est pas l'avenir de
l'homme», «La violence faite aux hommes», «La
tendresse suspecte: pères présumés coupables»
ou «Les réseaux d'hommes: quand les hommes parlent».
Quelque cent personnes (dont 30% de femmes) auraient pris part au
congrès. Le deuxième congrès, qui aura lieu
à Montréal du 22 au 24 avril prochain, entend avancer
dans la définition de l'homme du XXIe siècle. «Au
lieu de se définir en fonction des attentes des femmes ou
en réaction à leurs exigences, les hommes se demandent
ce qu'ils voudraient devenir maintenant que les femmes sont plus
autonomes et de plus en plus responsables de leur propre vie et
survie.» En plus des thématiques déjà
abordées, les intervenants traiteront, entre autres, du mouvement
gay et de la condition masculine, des garçons à l'école
et de l'influence des pères sur l'éducation des fils,
de la garde partagée ainsi que du suicide des hommes. VPn
(1) Site Internet : http://www.parolesdhommes.comwww.parolesdhommes.com
*******************************
LE SEXE, UNE DIFFERENCE COMME UNE AUTRE Propos recueillis par
VPn
Si certains hommes se complaisent dans leur rôle de victimes,
d'autres cherchent à questionner leur place dans une société
inégalitaire. Rencontre avec Mathieu Carnal, sociologue,
assistant à l'Université de Lausanne et ancien membre
des «Mâles Barrés». De 1998 à 2003,
ce groupe d'une quinzaine d'hommes a cherché à créer
un espace de discussion sur les rapports de genre et la domination
masculine. Le groupe a disparu, il y a deux ans, parce que, comme
le signale en souriant Mathieu Carnal, beaucoup sont devenus pères
«et comme ils essaient de partager les tâches, ils n'ont
plus beaucoup de temps. Manière de prendre conscience de
la lourde responsabilité domestique des femmes.»
«Le Courrier»: Les hommes sont-ils réellement
en crise ? Mathieu Carnal: A mon avis, non. Cette «crise de
la masculinité» est essentiellement une invention médiatique
et psychologique. Elle est apparue il y a quelques années
dans les médias et dans certains ouvrages. Elle postule que
les féministes ont gagné la lutte, que les femmes
sont désormais au pouvoir et que, du coup, les hommes sont
en crise. Selon ses défenseurs, la société
demande trop aux hommes: ils doivent à la fois être
virils et sensibles. Les pères divorcés seraient spoliés
de leurs droits. Cette théorie appartient à ce que
Susan Faludi a baptisé le «backlash». Dans un
ouvrage du même nom, la journaliste américaine montre
comment les quelques modestes avancées du féminisme
ont engendré une contre-attaque violente du patriarcat.
L'émancipation des femmes passe-t-elle forcément
par le malaise des hommes ? – Oui et non. Cela ne devrait
normalement pas créer de malaise. L'émancipation des
femmes apporte beaucoup aux hommes. Traditionnellement, les rôles
sexués sont très limités. Les luttes pour l'égalité
ont permis aux hommes d'avoir un autre rapport aux enfants, à
leur sensibilité, à leur vie professionnelle. En revanche,
si on part du principe que la position avantageuse des hommes s'effrite
avec les avancées du droit des femmes, on peut imaginer le
malaise de certains. Ils perdent certaines de leurs prérogatives
masculines dans la répartition des tâches domestiques
ou dans la prise de décision au sein du couple, par exemple.
Au final, il s'agit d'un choix de société, à
savoir si on préfère vivre de manière égalitaire
ou dans un rapport de domination.
Les identités féminines/masculines seraient donc
interchangeables ? – Le 8 mars, il y a eu beaucoup de débats
autour de cette question à la télé et dans
les journaux. On nous agite toujours le spectre de la similitude,
d'une perte des différences qui feraient la richesse humaine.
C'est un argument peu convaincant. De manière globale, il
y a une infinité de différences entre les gens. Est-ce
que les différences entre une femme et un homme doivent être
forcément plus grandes et plus significatives que celles
entre deux personnes du même sexe ? En quoi la différence
de sexe serait-elle fondatrice de toutes les autres ? Elle ne devrait
pas avoir plus d'importance que la couleur des chaussettes des gens.
Si l'appartenance à un sexe est tant martelée dans
nos sociétés, c'est bien parce qu'elle permet de perpétuer
la domination masculine et non pas parce qu'elle est une «richesse».
Est-il possible de s'affranchir d'une identité masculine
stéréotypée ? – C'est extrêmement
difficile. Nous sommes soumis à beaucoup de messages contradictoires.
Le principe de l'égalité, qui est le corollaire de
l'idéal démocratique, est généralement
bien accepté par l'opinion publique. Paradoxalement, il est
également admis par la plupart des gens que les hommes ont
un rôle spécifique à jouer. Et cela est sans
cesse rappelé aux hommes dans les stéréotypes
que véhiculent: le sport, les images publicitaires, le cinéma
ou les médias. Il devient alors compliqué pour un
homme de sortir de ce schéma, il passera plutôt pour
un inadapté que pour un progressiste. D'où la création
des «Mâles barrés». En constituant ce groupe,
nous voulions nous donner d'autres possibilités collectives
d'appréhender les rapports femmes/hommes. L'idéologie
machiste doit être détournés non seulement par
la présence des femmes dans des lieux essentiellement masculins,
mais aussi par le changement des modes de fonctionnement. Ainsi
la relative féminisation des salles de rédaction ne
sera un vrai pas pour l'égalité que si les médias
adoptent une manière moins sexiste de gérer leur fonctionnement
et de relater les affaires du monde.
Un homme peut-il être féministe ?
– Je peux me dire féministe dans le sens où c'est un projet
de société qui est positif pour les femmes et les
hommes. On pourrait alors être homme féministe comme
on peut aujourd'hui être blanc anti-colonialiste. Dans le
groupe des «Mâles barrés», nous avons préféré
nous dire pro-féministes. Les femmes doivent mener leur émancipation
elles-mêmes et les hommes peuvent valoriser leur propre travail
d'émancipation en espérant qu'un jour ces différences
deviennent caduques. Etre un homme et se dire féministe est
présomptueux puisqu'on n'a pas accès à toute
une sphère de vécu féminin. Cela a mené
à des dérives où des hommes s'affichent publiquement
féministes tout en restant profondément machistes
dans leur action. En se disant pro-féministe ou anti-sexiste
on évite de faire ce que les hommes savent si bien faire:
tirer la couverture à eux et récupérer un mouvement.
|