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Sujet [atsx] Un féminisme au masculin
Date: 25 Septembre 2003
Objet: [atsx] Un féminisme au masculin
Le débat se poursuit au Québec concernant les garçons,
les modèles masculins, l'école et le féminisme.
Un bon exemple: ce texte de Francis Dupuis-Déri, publié
hier dans un quotidien influent de Montréal:
Hommes en désarroi et déroutes de la raison
Il serait plus prometteur d'encourager un féminisme au masculin
que d'adopter une approche réactionnaire et de chercher à
définir de façon traditionnelle l'identité des
hommes
Francis Dupuis-Déri
Écrivain et chercheur au département de science politique
du Massachusetts Institute of Technology (Boston)
Édition du mercredi 24 septembre 2003
Le Québec est l'un des lieux où le féminisme a
remporté les gains les plus spectaculaires, même si encore
beaucoup de luttes restent à mener ici (équité
salariale, violence conjugale, etc.) et ailleurs dans le monde (scandale
de l'excision, diverses lois interdisant aux femmes de voter, de travailler,
etc.).
Plusieurs hommes du Québec se réjouissent des victoires
du féminisme, synonymes de liberté, d'égalité
et de justice. Mais beaucoup d'hommes insistent plutôt pour rappeler
que le féminisme serait allé «trop loin»,
évoquant sans subtilité aucune la «domination»
féministe, voire le «féminazisme», expression
qui insulte à la fois la mémoire des millions de victimes
réelles du nazisme et l'intelligence de quiconque à une
connaissance minimale de l'histoire politique.
Les «masculinistes» (c'est le terme qu'ils utilisent) affirment
que l'identité masculine est aujourd'hui bouleversée,
voire méprisée, et exigent donc quelle soit (re)valorisée.
L'ensemble du discours masculiniste est traversé par une volonté
de simplifier la réalité sociopolitique et de tout expliquer
par une cause unique (l'émancipation des femmes). L'idée
lancée à l'école secondaire La Ruche, de Magog,
en vue d'organiser une journée pour «gars» seulement
s'inscrit dans cette logique mal orientée. Constatant que les
garçons réussissent moins bien que les filles à
l'école, voilà qu'on invite des soldats, des policiers,
sans oublier le char d'assaut, l'hélicoptère de combat
et la pelle mécanique.
Daniel Jobin, enseignant à La Ruche, précise dans Le Devoir
(19 septembre) qu'il y aura aussi des stands de livres et d'instruments
de musique, mais il défend surtout l'intérêt des
hommes à l'égard de la police et de l'armée. Or
des études universitaires ont démontré que c'est
précisément lorsque les garçons s'identifient le
plus à des modèles masculins traditionnels qu'ils réussissent
le moins à l'école.
Le plus répugnant dans le discours des masculinistes reste encore
l'instrumentalisation qu'ils font des suicidés. Vrai, de trois
à quatre fois plus d'hommes que de femmes s'ôtent la vie
au Québec (le texte de Jobin y fait explicitement référence).
Les masculinistes semblent suffisamment clairvoyants pour n'y voir là
rien de bien mystérieux : les Québécois se suicident
plus que les Québécoises parce qu'ils sont mal dans leur
peau d'homme (implicitement : le féminisme assassine). Je n'ai
pas cette prétention d'expliquer si facilement le mystère
du suicide, surtout que j'ai consacré quelques minutes à
consulter les statistiques et que j'ai découvert une réalité
plutôt complexe.
Ainsi, le Québec a l'un des taux de suicides masculins et féminins
les plus élevés au monde. S'il est vrai qu'environ trois
à quatre fois plus d'hommes que de femmes meurent de suicide
au Québec, cet écart est stable au moins depuis... 1950,
soit bien avant la supposée tyrannie féministe. Et cette
écart hommes-femmes est similaire dans tous les pays (voir H.
Kusher, American Suicide, 1989). Par ailleurs, le taux de tentatives
(ratées) de suicide est à peu près identique pour
les hommes et les femmes. Si les hommes ratent moins leur suicide que
les femmes, c'est parce qu'ils préfèrent utiliser des
armes à feu. Et ils utilisent plus d'armes à feu que les
femmes précisément parce que l'identité masculine
traditionnelle est encore associée aux guns, à la police
et à l'armée...
Sans tout expliquer, c'est encore et toujours l'identité masculine
traditionnelle qui rend les hommes si vulnérables face à
l'échec et au sentiment de ne pas être assez performant
et qui peut éventuellement pousser le «raté»
à choisir la mort. Enfin, outre l'écart hommes-femmes,
les jeunes se suicident plus que les vieux, les pauvres, plus que les
riches, et les Amérindiens, plus que les «Blancs».
Bref, si on veut éviter de futurs suicides, la moindre des choses
est de s'informer sur la complexité du phénomène.
Qui manque de modèles ?
L'argument central des antiféministes selon lequel les hommes
québécois manquent aujourd'hui de modèles masculins
est lui aussi sujet à caution. Où les jeunes garçons
-- et filles -- apprendront-ils que des femmes peintres peuvent avoir
autant de talent que Michel Ange ou Picasso ? Que des physiciennes peuvent
être aussi intelligentes qu'Einstein ? Et d'ailleurs, quelle femme
est plus puissante que George Bush II ? Plus riche que Bill Gates ?
Plus méchante qu'Oussama ben Laden ? À la tête du
Québec, du Canada, de l'ONU, du G8, des hommes et encore des
hommes. Tous les prix Nobel en économie ont été
attribués à des hommes. «Nos» Alouettes, «nos»
Expos, «nos» Canadiens ? Des hommes. Et les légendes
pour adolescents ? Les héros de La Guerre des étoiles
? Des hommes. La compagnie du Seigneur des anneaux ? Dix hommes (ou
elfes, ou nains, ou hobbits, mais tous mâles... ). Harry Potter
? Un homme. Et la religion : le pape, les rabbins, les mollahs, tous
des hommes... Et Dieu ? Une image plutôt masculine...
Plus que les hommes, ce sont les «féministes» qui
manquent de modèles. Cette idéologie a été
si efficacement discréditée et réduite à
l'équation caricaturale et fallacieuse «féminisme
= haine des hommes» qu'il est rare de croiser aujourd'hui une
jeune femme se disant féministe.
Pour un féminisme au masculin
Je n'ai pas de solution miracle pour endiguer le décrochage scolaire
ou le suicide (des hommes et des femmes). En tant que partisan de l'égalité
et de la liberté, il me semble toutefois plus prometteur, d'un
point de vue politique, social et moral (et même pédagogique),
d'encourager un féminisme au masculin que d'adopter une approche
réactionnaire et de chercher à définir de façon
traditionnelle l'identité des hommes (soldats, policiers, pompiers,
etc.).
Redécouvrons la pensée diversifiée des hommes féministes
: Condorcet, Charles Fourier, John Stuart Mill, Pierre Bourdieu. Aujourd'hui,
nombreux sont les hommes qui sentent que le féminisme a eu un
impact très positif sur leurs structures identitaires puisqu'il
les a libérés eux aussi de rôles stéréotypés.
Vrai, la liberté peut être synonyme d'instabilité
et d'incertitude. Plutôt que de se recroqueviller dans des rôles
stables mais contraignants et inégalitaires, les hommes et les
femmes doivent chercher ensemble à repenser les rôles sociaux
et les choix de vie.
Le féminisme est une idéologie diversifiée et complexe
(féminismes libéral, existentialiste, psychologique, radical,
postmoderniste, écologiste, anarchiste, etc.) qui prône
l'égalité, la liberté et la justice.
L'identité des hommes a toujours entretenu un rapport ambigu
avec ces valeurs, mais celles-ci n'offrent-elles pas des repères
moraux et politiques légitimes et stimulants pour (re)fonder
l'identité masculine ?
http://www.ledevoir.com/cgi-bin/imprimer?path=/2003/09/24/36762.html
Des forums où en discuter:
http://www.latribuduverbe.com/cgi-bin/mt-comments.cgi?entry_id=1220
http://www.radio-canada.ca/radio/maisonneuve/
une tribune radio avec forum Web, "live", dans 4 heures
http://sisyphe.org/article.php3?id_article=639
http://www.cmaq.net/fr/node.php?id=13587
(attention, fort contingent masculiniste...)
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