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Du contrepoison idéologique
Abécédaire de l’engagement,
par Miguel Benasayag.

Origine : http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-12-15/2004-12-15-453048

Politique. Miguel Benasayag publie, avec Béatrice Bouniol, un abécédaire militant d’aujourd’hui. Où le pouvoir se révèle moins désirable que l’engagement en acte.

Mais qui est donc Miguel Benasayag ? Un ex-guerillero argentin de tendance guévariste ? Un intellectuel militant à la recherche d’une autre manière de faire de la politique ? Un psychanalyste libertaire qui entend mener l’individu vers le « commun » en renouvelant sa puissance d’agir ? Un philosophe de la « fragilité » comme condition même de l’existence humaine ? Un admirateur du mouvement zapatiste, à l’origine du groupe Malgré tout ? L’un des inspirateurs du manifeste des Indiens sans terre et de bien d’autres sans ? Comme le demi-dieu Protée, il est à la fois le geôlier des monstres marins de son père, Poséidon, dieu de la mer, et le prophète rebelle de l’avenir multiforme et indicible de l’océan. Bref, il sait ce qu’il ne veut pas : le totalitarisme, en même temps qu’il reste ouvert à tous les désirs possibles, sauf celui du pouvoir.

Là se trouve le fil rouge de l’abécédaire de l’engagement que Miguel Benasayag vient de publier aux Éditions Bayard. Les obsédés de l’étiquette politique seront très certainement déçus. A comme « action restreinte » et « alternative ». B comme « belle âme ». Ne sont recensés à la lettre C, ni le communisme, ni même la conviction. Par contre, on trouvera l’essentiel à l’article « contre-pouvoir » : « Le contre-pouvoir signifie non pas être contre le pouvoir mais ne pas le désirer. » Certes, le concept de « contre-pouvoir » a émergé au XVIIe siècle, de l’Angleterre du roturier Cromwell, le premier à avoir fait condamner son souverain pour le remplacer par une république, dont il finit par être le dictateur. En réalité, c’est un siècle plus tard que le philosophe anglais Locke a fondé cette thèse des contre-pouvoirs, dont les « cabinets fantômes » (shadow’s cabinets) britanniques sont encore aujourd’hui les manifestations. L’histoire a montré que l’alternance au pouvoir de la majorité et de l’opposition avait tendance sur le long terme à aggraver la composante antidémocratique de l’autorité. « Au lieu de nous lamenter sur le fait que les révolutions tournent mal, tentons de cerner dans quel devenir révolutionnaire elles s’inscrivent. » Ici prend place une tentative de reconstruction de la critique portée par Jean-Paul Sartre à la notion d’engagement. S’engager, c’est exister. L’homme est donc par nature, ou quelle que soit sa pratique « toujours déjà engagé ». À quelqu’un qui venait lui demander conseil pendant l’Occupation allemande en France, l’auteur de l’Être et le Néant répondit : vous avez déjà votre « viatique » pour Londres dans la poche. L’homme n’est-il pas, selon Sartre, l’être du projet ? Ce que Michel Benasayag propose, c’est de redonner au concept de projet un sens nouveau. Point de grand soir ni de jour J. Que chacun se demande ce qui, à partir de lui, va pouvoir changer. Le statut de la politique s’en trouverait évidemment changé. Les partis et les organisations révolutionnaires n’envisageant plus de prendre le pouvoir à la place de ceux qui l’ont, manifesteraient concrètement leur volonté de « rendre » le pouvoir à ceux qui ne l’ont jamais exercé ou qui en ont été « démocratiquement » dépossédés. La question de l’engagement ne doit plus être « en rapport » avec la prise de pouvoir.

Miguel Benasayag propose de rénover le lien entre politique et langage. Plutôt que de rejeter les concepts que l’idéologie dominante vide de leur sens, il ambitionne de les déconstruire pour leur redonner un sens efficace. Ainsi en va-t-il du concept d’engagement, et sans doute de nombreux autres concepts non recensés dans cet abécédaire. On peut certes se demander si remplacer l’action communiste par l’action solidaire épuise le concept. Mais plutôt que de rechercher ce qui manque, il convient donc de lire attentivement ce que propose l’auteur comme « ontologie de l’agir révolutionnaire » en vue de l’embellissement émancipatoire du présent. Et si désirer le pouvoir était devenu mortifère pour le désir ? Quel autre choix politique devrions-nous accomplir pour rester pleinement humains ? À lire avant d’agir, local et concret. La survie et l’efficacité de la pensée globale de chacun sont à ce prix. Un antidote au désenchantement contemporain.

Arnaud Spire