Porte-parole des occupants de l'église Saint-Bernard, Madjiguène
Cissé se félicite que les sans-papiers aient été
invités aux Assises de l'Immigration (Initiative due au Collège
des Médiateurs qui s'est tenue au Sénat le 18 Novembre
1996 surveillée par 17 cars de CRS, compte rendu et interview
paru dans Libération du mardi 19 Novembre 1996). Huit mois après
le début du mouvement des sans-papiers, elle en tire les leçons
pour Libération.
Quel est, pour vous, le bilan de St Bernard ?
Il est provisoire car notre lutte n'est pas finie. Mais déjà
nous sommes arrivés à poser le problème, à
ouvrir un débat sur l'immigration et à attirer l'attention
sur l'injustice des lois Pasqua et nos situations intenables. Avant
nous étions isolés et impuissants face à une machine
répressive. Tous, nous avions tenté notre chance auprès
des préfectures, de l'Ofpra (Office français pour la Protection
des Réfugiés et Apatrides), des associations. Une autre
originalité de notre mouvement, c'est d'avoir réussi à
arracher notre autonomie et à nous dégager de l'emprise
des associations qui, dans un vieux réflexes paternaliste, avaient
l'habitude de tout faire à notre place.
Au début les associations sont venues à Saint Ambroise,
que nous occupions, et nous ont dit : "Rentrez chez vous, on va
s'occuper de tout !" Nous leur avons répondu que nos dossiers
étaient en souffrance chez eux depuis des années et nous
avons continué. Un médiateur est venu nous voir à
Pajol (entrepôts désaffectés de la SNCF où
les Sans-Papiers se sont, un temps, réfugiés, NDLR), demandant
aux célibataires qui "étaient des dossiers pourris",
de quitter le groupe. Finalement, dix célibataires ont été
régularisés.
Il y a finalement peu de régularisations (99 sur 277 dossiers)
et on parle beaucoup moins de votre mouvement.
Vous semblez pourtant optimiste.
On est optimiste quand on lutte. Indéniablement, le mouvement
s'étend et les soutiens aussi : il y a actuellement 24 collectifs
de sans-papiers, dont certains sont sortis de l'ombre grâce à
St Bernard. nous avons une coordination nationale et une autre d'Ile
de France. Nous venons d'organiser une caravane dans le sud de la France
où nous avons été accueillis très chaleureusement.
On nous demande d'en organiser d'autres. En Ariège, des élus
nous ont proposés de nous accueillir, des restaurateurs de nous
employer. D'autres élus nous écrivent, j'ai même
reçu une lettre d'un enfant de 7 ans : "J'ai pleuré
avec maman en vous voyant à la télé. Je vous soutiendrai
toujours."
Pourtant, le climat ne paraît pas favorable, la pression semble
retombée. Comment voyez-vous l'avenir ?
Notre lutte a toujours été en dent de scie. A Pajol, en
Mai, des gens pensaient que c'était fini. Nous avons organisé
des manifestations avec tout juste 200 personnes. Et puis il y a eu
Saint-Bernard. Tout cela débouchera sur quelque chose. Déjà,
des syndicats s'intéressent à nous, à la Bourse
du travail accueille nos meetings. Je pense que c'est important et qu'il
faudrait absolument lier notre lutte au mouvement social et réunir
ceux qui se battent. Ce qui compte, 'est d'avoir pu mobiliser l'opinion
publique qui, seule pourra nous sortir de là.
Vous évoquez souvent les liens entre immigration et colonialisme
...
Les immigrés ne sont pas tombés du ciel. Ils viennent
le plus souvent d'anciennes colonies françaises Ceux qui sont
nés avant l'indépendance de leur pays ont appris par coeur
"nos ancêtres les gaulois ...." et, pour les autres,
le français est leur première langue étrangère.
Aller en France est dons leur premier réflexe. Notre situation
pose le problème des rapports Nord-Sud, et de cette relation
multiséculaire qui unit dominé à dominant. D'autant
que nos pays d'Afrique ne sont toujours pas indépendants et que
le France tire toujours les ficelles. Je pense que c'est à cause
de ces rapports traditionnels qu'on a cherché à nous humilier,
nous les porte-paroles des sans-papiers après l'expulsion de
Saint-Bernard. Nous avons été déshabillés
pour la fouille, et jugés même si nous étions en
situation régulière. Nos enfants ont été
placés en garde à vue. Le gouvernement ne comprenait pas
que des petits nègres lui tiennent tête, quand des chefs
d'Etats africains n'osent même pas leur résister. C'est
ce symbole qu'ils ont voulu casser à coup de hache dans la porte
de l'église, en même temps que cette solidarité
qui, elle aussi, disait non en affirmant que les droits de l'homme étaient
bafoués en France.
Propos recueillis par Béatrice Bantman
Cet article a servi de préface à la brochure "Xénophobie
et anti-racisme" qui a été publiée conjointement
par No Pasaran et Alternative Libertiare Bruxelles.
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