Les journées libertaires de La Gryffe ont permis d'assister à
un n-ième remake de Antisexisme 'bonne conscience' - le retour
(de bâton). Non seulement les débats sur les rapports femmes-hommes
ont été marqué par un refus systématique de
la part des mecs d'entendre les critiques féministes libertaires
dans toute leur ampleur mais en plus les critiques réactionnaires
ont vite fait surface, distinguant les 'bonnes' féministes libertaires
des 'mauvaises' - divisons pour mieux régner. Résultat:
les mecs se sont évités toute remise en cause, bénéficient
encore une fois de leur place de dominant et font payer les féministes
qui se sont opposées à leur pouvoir.
Quelques faits qui ont à mon avis mené à l'action
symbolique et libertaire des féministes:
* Lors du débat sur le pouvoir en milieu militant (animé
par P. Coutant) une première discussion a eu lieu sur le machisme
et la domination masculine. Si ce débat avait débuté
par une remise en cause des hommes, il a rapidement glissé vers
une critique du féminisme et des féministes. En effet, plusieurs
hommes ont affirmé qu'il ne fallait pas se limiter au patriarcat
(comme si ceci était le propos des anarchaféministes) car
il y avait également d'autres oppressions et que de toute façon
le pouvoir était une chose diffuse donc on ne pouvait cibler ses
critiques sur les hommes concrets, et finalement que les féministes
agissaient quelques fois de façon terroriste et culpabilisante
vis-à-vis des mecs. Malgré un début intéressant,
une remise en cause du pouvoir mâle en milieu militant n'a pas eu
lieu.
* Le débat sur l'ordre patriarcal n'a lui non plus pas abordé
le pouvoir mâle en général et en milieu libertaire,
car plusieurs hommes et femmes ont demandé aux féministes
luttant en non-mixité d'expliquer, de réexpliquer et de
justifier leur mode d'action. Plusieurs personnes ont pendant une heure
et demie, accepté d'expliquer pourquoi la non-mixité femmes
leur semblait indispensable à la lutte féministe. Le climat
général était, à mes yeux, à la critique
de la non-mixité et non des hommes et de la domination masculine
- ce qui est effarant pour un débat sur l'ordre patriarcal. *
Lors de ce débat un homme à violemment interrompue une femme
voulant intervenir sur la non-mixité sans que celui-ci ait été
collectivement remis à sa place voire viré.
* Vers la fin du débat, une féministe libertaire a plusieurs
fois posé qu'elle voulait enfin aborder le thème de l'ordre
patriarcal mais cette demande a reçue une fin de non-recevoir majoritaire,
ce qui revenait de fait à un refus d'aborder l'ordre patriarcal.
Tandis que plusieurs débats auraient pu aborder le patriarcat,
force est de constater que les libertaires n'ont pas voulu remettre en
cause la domination masculine. Il me semble donc logique et réjouissant
qu'une vingtaine de féministes ont décidé lors du
débat final sur le mouvement libertaire d'intervenir non-verbalement
pour dénoncer le silence complaisant des anars concernant l'oppression
que subissent les femmes. De nouveau, les libertaires n'ont pas voulu
entendre les critiques anarchaféministes, ont refusé de
s'interroger sur leur propre participation active à l'oppression
des femmes et ont préféré s'indigner comme des bons
cathos dérangés en pleine messe: " Ces féministes
sont des lesbiennes (!), des séparatistes, des manipulées,
des maoïstes voire des fascistes. " Un mec m'a même sorti
que si cela se passerait dans un événement qu'il avait co-organisé,
il aurait fait intervenir le service d'ordre pour virer ces saboteuses
à coup de batte de base-ball si nécessaire. En gros, il
a été considéré intolérable que des
anarchaféministes dénoncent l'oppression des femmes, et
surtout de cette façon-là. " Car si on peut comprendre
les motifs (et encore, il y a mieux à faire ailleurs, là-bas,
plus loin !) on ne peut tolérer ces méthodes." Ah,
pauvres féministes, vous avez beaucoup à apprendre ! Heureusement
que les vrais anars sont là pour vous guider !
Quel pathos ! Quel pathétique indignation ! On n'aurait presque
pensé être au P.S. pendant une action libertaire contre le
racisme étatique et l'expulsion des sans-papiers. Les mêmes
gestes, la même autosuffisance, le même refus d'ouvrir les
yeux, le même renfermement sur soi, la même absence totale
de recul autocritique. Mais ce qui m'a le plus dégoûté
c'est les rationalisations complaisantes qui ont suivis. Très vite
les libertaires se sont découverts libéraux en prônant
la diversité et la tolérance au lieu de la lutte contre
toutes formes de domination. Les mecs ont oublié toute conscience
de genre, de leur position de dominant et se sont permis de critiquer
de façon paternaliste et méprisante la lutte des féministes
libertaires. Certains ont affirmé que cette intervention n'était
pas à l'intention des mecs mais dirigée contre les femmes
- quel détournement majestueux ! D'autres l'ont qualifié
de primitive, d'agression violente, d'acte de guerre, de logique de secte
et, horreur, de com-mu-nau-ta-risme! Mais ne soyons pas trop négatif,
aucun anar ne semble avoir traité ces féministes libertaires
de malbaisées - la lutte antipatriarcale avance à petits
pas...
Cette intervention collective aura, entre autre, fait passer le message
qu'il y a des problèmes très importants au sein du mouvement
libertaire sur le plan des rapports femmes-hommes et aura permis de voir
où en était la majorité des libertaires. Cela m'a
réjoui de voir que quelques hommes ont soutenu (et soutiennent
toujours) publiquement cette intervention et ont ainsi brisé à
un instant important la solidarité masculine. Ce soutien sans 'oui,
mais' ou 'il aurait fallu' me fait espérer que des hommes peuvent
à certains moments capter les rapports de pouvoir entre femmes
et hommes, et prendre position contre la domination omniprésente
sans se cacher sous des nuances, rationalisations ou excuses. Mais ces
quelques points positifs ne changent rien au fait que les hommes libertaires
sont largement réactionnaires quand il s'agit de remettre en cause
(leur participation à) la domination et l'oppression des femmes,
et cela confirme malheureusement ce que chante Brigitte Fontaine:
" Quand il s'agit des femmes, il n'y a pas d'hommes de gauche. "
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Dans son commentaire sur les journées libertaires, Gile (Paris)
réagit à certains propos auxquels je désire répondre.
" Dans les débats mixtes, une nouvelle donne (ou presque)
pour les garçons serait de se taire ou éventuellement de
ne faire que répéter des arguments féministes. (...)
il est important que les hommes développent leur propre réflexion
et luttent comme l'ont fait et le font les féministes. "
Il me semble que les hommes sont (plus que) libres de leur actes et paroles,
mais qu'en tant que libertaires ils s'engagent contre toute forme de domination
donc la domination masculine contre les femmes. Si dans un débat
ces mêmes libertaires tiennent des propos sexistes ou ne reconnaissent
pas dans toute son ampleur la domination patriarcale, il est normal que
des féministes ou d'autres font remarquer leur incohérence
et dénoncent leur complaisance envers leur position de pouvoir.
Et pourquoi un homme ne ferait-il que "répéter"
les arguments féministes? Un homme serait-il incapable de reconnaître
la pertinence et justesse des arguments féministes et de les faire
sien - de sa place? Et quelle pertinence peut avoir la propre réflexion
des dominants - comparée à la pertinence de la parole et
réflexion des dominées elles-mêmes?
Quand j'ai dit que le fait d'évoquer d'autres formes d'oppression
lors d'une discussion sur le pouvoir des hommes, participe à la
minimalisation et invisibilisation du patriarcat, je ne nie pas l'existence
d'autres axes de domination. De fait, et cela a été confirmé
dans le débat sur le pouvoir en milieu militant, évoquer
d'autres formes d'oppression sert majoritairement à ne pas se concentrer
sur une forme d'oppression rarement adressée de façon ouverte
et intègre.
De même, lorsque j'ai critiqué la notion d'aliénation
(appliquée aux hommes) et le fonctionnement des groupes hommes,
je ne l'ai pas fait comme le présente Gile, c.à.d d'une
façon bien réductrice. Ce que j'affirme c'est que les deux
éléments me semble participer actuellement à 1. une
analyse symétrique des rapports sociaux de sexe qui, en effet,
nie l'oppression que subissent les femmes (Cfr. la critique des féministes
des journées libertaires dans leur tract) 2. une motivation égocentrique
pour combattre le patriarcat basée sur le bien-être des dominants,
au détriment d'une motivation altruiste politique basée
sur la liberté des dominées.
Actuellement la majorité des hommes luttant contre le patriarcat
me semble en effet avoir besoin d'une motivation égocentrique (épanouissement
de soi, meilleurs rapports entre hommes) afin de s'engager. Il leur semble
souvent impossible de lutter prioritairement en fonction de la liberté
des femmes; pourtant il me semble que cela est bien possible et que notre
solidarité avec les féministes peut s'exprimer dans le soutien
actif de leurs initiatives et dans une lutte directe contre la domination
des hommes (dont la notre). Je ne nie pas l'utilité de ce travail
général sur soi mais, pour l'instant, les hommes semblent
rester coincé là-dedans - au détriment d'un travail
directement utile aux féministes et femmes en général.
C'est dans ce constat de blocage égocentrique sur soi et les autres
hommes qu'il me semble en effet de plus en plus nécessaire que
les groupes hommes anti-patriarcaux établissent des liens de reddition
de compte avec des groupes féministes existants. Ce droit de regard
des féministes libertaires sur les activités de ces hommes
me semblent un élément utile afin de réaliser un
travail anti-patriarcal digne de ce nom. Contrairement à ce qu'affirme
Gile, cela n'implique aucunement que les hommes parlent au nom des femmes.
Les groupes hommes peuvent choisir ces groupes en fonction d'affinités
politiques communes. Cela n'équivaut pas à une subordination
mais à une prise de conscience de la place structurelle opposée
et asymétrique des hommes et des femmes et la nécessité
d'agir en fonction des intérêts et buts définis par
les sujets de la lutte anti-patriarcale, les femmes féministes.
Que dirais-tu, Gile, si des féministes libertaires affirmaient
que la reddition de compte est nécessaire pour éviter la
dérive des groupes hommes? Les traiter d'autoritaires, de fausses
libertaires, de trotskistes anglaises?
Malgré son soutien affirmé au féminisme, Gile ne
s'empêche pas de pointer du doigt les différences entre féministes,
et de faire sous-entendre que les féministes de l'action des journées
libertaires développeraient des stratégies de rupture et
seraient des inconditionnelles de la non-mixité. Et d'affirmer
l'extrême nouveauté qu'il faudrait débattre ensemble
en mixité - sans réaffirmer par contre l'extrême inégalité
de la mixité actuelle. Comme si les féministes libertaires
de l'action ne désireraient pas discuter et agir en mixité
égalitaire. Lui aussi lance finalement le pavé (bien emballé)
contre des féministes et non contre ces hommes qui, réunion
après réunion, débat après débat, attaquent
les féministes et refusent de se remettre en cause. Quelles que
soient ses bonnes intentions, fait est de constater qu'il donne des conseils
à des féministes et épargne les hommes libertaires
- premiers responsables de l'oppression des femmes dans le milieu libertaire.
Léo Vidal (Au-delà du personnel)
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